Promotion de la santé
DOSSIER
Ingrid Reynaud Stéphanie Bouget Mohammedi
*Cadre de santé formateur.
**ingrid.reynaud@croix-rouge.fr
***Responsable pédagogique, Doctorante, Laboratoire TIMC, Université Grenoble Alpes, stephanie.bouget-mohammedi@croix-rouge.fr
****Institut régional de formation sanitaire et sociale de Rhône-Alpes, Croix-Rouge Française, site de Valence.
*****Les auteures déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.
Une séquence pédagogique a été construite par des formatrices autour de la prise en soins de personnes concernées par un handicap, une maladie chronique ou les conséquences d’un accident de la vie. Elle comprend une réflexion sur les représentations existantes, une journée ludopédagogique de sensibilisation, afin d’expérimenter les difficultés que vivent ces personnes au quotidien, et un temps de formalisation des savoirs.
Formatrices à l’Institut régional de formation sanitaire et sociale de Rhône-Alpes, nous avons construit une séquence pédagogique intitulée « Expérimenter, sensibiliser, émouvoir et permettre aux apprenants d’appréhender une prise en soins des personnes concernées par un handicap, une maladie chronique, un accident de la vie ».
Notre intention pédagogique était de faire évoluer les représentations des étudiants en soins infirmiers (ESI) sur le handicap, la maladie chronique et l’accident de la vie, et qu’ils perçoivent ce que vivent les personnes qui se trouvent dans de telles situations.
Cette séquence pédagogique a été construite en trois séances au sein des unités d’enseignement (UE) du semestre 2 : 2.3 « Santé, maladie, handicap, accidents de la vie » et 2.6 « Processus psychopathologiques » (1).
La finalité du dispositif est que l’étudiant puisse appréhender une prise en soins holistique de personnes en situation de handicap, atteintes de maladie chronique ou ayant été victimes d’un accident de la vie, en provoquant une prise de conscience des conséquences de leurs difficultés sur leur vie quotidienne, en permettant l’identification de la perception du monde de ces personnes et le repérage des réseaux de partenaires de santé.
Le lien entre ces deux UE nous a paru évident, la pathologie psychiatrique étant synonyme de maladie chronique, de handicap psychique et de retentissements sur la vie quotidienne.
L’UE 2.3 fait partie de la compétence 1 de la formation en soins infirmiers « Évaluer une situation clinique et établir un diagnostic dans le domaine infirmier ». L’UE 2.6, quant à elle, fait partie de la compétence 4 de la formation en soins infirmiers « Mettre en œuvre des actions à visée diagnostique et thérapeutique ». Elles s’inscrivent toutes deux dans le domaine des sciences biologiques et médicales et sont dites « contributives ». Elles se rejoignent dans leur approche conceptuelle : chronicité, évolution, handicap, stratégie d’adaptation par la réhabilitation, la réinsertion…
Trois temps rythment cette séquence :
- un travail personnel guidé (TPG) de réflexions et de recherches sur le handicap physique, mental et psychique, les maladies chroniques et les accidents de la vie,
- une journée ludopédagogique de sensibilisation au handicap, à la maladie chronique et à l’accident de la vie,
- un travail dirigé (TD) de synthèse des apprentissages.
Le TPG, premier temps de la séquence, doit susciter l’émergence du besoin d’acquérir des informations, et initier une dynamique d’engagement. C’est pourquoi il comprend une réflexion sur les représentations sociales et un partage des perceptions individuelles au sein de groupes d’apprenants. En début de séance, les étudiants sont rassemblés pour la présentation de la séquence pédagogique et des trois temps qui la composent. Des groupes d’environ 20 apprenants, constitués pour les deux séances pédagogiques à venir, se répartissent dans différentes salles.
Ce TPG débute par des échanges au sein des groupes sur leurs représentations. Puis, il se poursuit par des recherches communes, pour chaque groupe, sur une célébrité identifiée pour son handicap ou sa maladie chronique par les formateurs. Les étudiants confrontent alors leurs représentations aux expériences de vie des célébrités, ce qui permet bien souvent de les remettre en question. Effectivement, ce travail de groupe sur les représentations sociales du handicap, de la maladie chronique et de l’accident de la vie, va permettre l’identification du noyau central de ces représentations : un « système d’éléments qui constitue le plus petit dénominateur commun partagé par l’ensemble des membres du groupe, assurant l’unité et la stabilité de la représentation » (2) et autoriser le bouleversement des schèmes périphériques de leurs représentations. « Les schèmes périphériques sont plus instables […] et permettent d’intégrer dans la représentation, des variations situationnelles ou individuelles issues du rapport particulier à l’autre ». (2)
Ce temps se clôture par la création d’affiches illustrant les représentations et les recherches de chaque groupe. Celles-ci sont mises à la disposition des autres apprenants mais aussi des intervenants, jusqu’à la fin de la séquence pédagogique. Grâce à ces affiches, les apprenants laissent une trace de leurs pensées en sous-groupes. Cela facilite la poursuite de la communication au sein de la promotion et avec les intervenants lors de la journée ludopédagogique à suivre. Traces de ce temps, elles sont également utiles pour l’évaluation des acquisitions et des évolutions en fin de séquence.
Ce premier temps initie l’engagement dans l’apprentissage en exploitant les leviers suivants : l’influence sociale ou « désir d’être connecté aux autres, de collaborer, d’échanger », la curiosité et l’imprévisibilité, c’est-à-dire l’« envie de découvrir de nouvelles choses, d’être surpris, de ne pas savoir ce qui va se produire par la suite », la créativité et l’autonomie « le souhait d’exprimer ses choix et d’affirmer sa personnalité ». (3)
Distancée de quelques jours, la journée ludopédagogique a été pensée pour mettre les apprenants en situation d’expérimenter et de ressentir ce que peuvent vivre les personnes en situation de handicap, souffrant de maladie chronique ou ayant subi un accident de la vie. Cette journée est centrale dans la séquence pédagogique. Elle comprend le visionnage d’un film émouvant retraçant les répercussions du handicap sur la vie quotidienne de la personne et son entourage, le regard des autres sur la personne handicapée, le courage et la volonté nécessaires pour affronter les obstacles à l’accomplissement de ses projets… Cette journée inclut aussi le partage d’histoires de vie de personnes concernées ou de leur famille ou entourage, des ateliers de découverte « Être à la place de… ». Elle procure de nombreuses émotions, bouscule, sensibilise, initie une prise de conscience. Or, « Les émotions soutiennent l’attention, la mémoire de travail, l’encodage, la consolidation en mémoire ou encore des processus lés au contrôle exécutif ». (4)
En début de journée, un livret est remis aux apprenants afin de les guider dans leur travail et d’orienter leur attention grâce à des axes de réflexion pour chaque temps. Nous avons ouvert cette journée par la projection du film « De toutes nos forces » de Nils Tavernier (2013) dont nous disposons des droits de diffusion. Lors du film, nous leur demandons, par l’intermédiaire du livret, de repérer : des phrases ou moments marquants, les attitudes des différents personnages principaux, avec une ultime question menant à la réflexion suivante : En quoi ce film peut-il vous permettre de comprendre ce que peut vivre une personne en situation de handicap ?
Pendant le reste de la journée, les apprenants, en groupes de 20, se rendent de stands en stands selon une organisation pensée en amont. Ceux-ci sont tenus par des associations pour les familles ou personnes en situation de handicap (qu’il soit psychique, invisible, physique), ayant été victimes d’un accident de la vie ou atteintes de maladie chronique, et une entreprise présentant du matériel orthopédique. Les étudiants se prêtent aussi à des ateliers animés par des associations, des professionnels de santé ou l’équipe pédagogique : collation dans le noir, parcours à l’aveugle, ateliers autour des déficiences visuelles et auditives, atelier « Parcours handicap moteur », ateliers de sensibilisation à la dyslexie, à la dysphasie et à la dyspraxie… Le livret leur suggère les réflexions suivantes : En quoi la rencontre et/ou la découverte des associations fait-elle évoluer vos représentations sur l’accompagnement des personnes en situation de handicap ou de maladie chronique ? En quoi vos expériences dans les ateliers font-elles évoluer vos représentations sur les différents concepts des UE ?
Un dernier temps pédagogique offre aux apprenants la possibilité de synthétiser par écrit leurs apprentissages en considérant leurs représentations antérieures, leur évolution et les émotions ressenties. Ils établissent leurs propres constats et produisent un écrit individuel.
Durant trois années successives, cette séquence pédagogique a introduit sous une forme quasi similaire les UE 2.3 S2, 2.6 S2. La troisième année, un maillage pédagogique a été organisé : la promotion d’élèves aides-soignantes s’est associée aux étudiants en soins infirmiers pour la journée ludopédagogique dans le cadre du module 3 « Les soins » de leur formation (5). Aux objectifs pédagogiques initiaux, ce sont ajoutés des objectifs portant sur la fédération des apprenants infirmiers et aides-soignants autour de valeurs et connaissances communes, et sur le renforcement de leur collaboration dans la prise en soins de ces personnes.
Le jeu a toujours eu sa place en pédagogie : les mots « pédagogique » et « ludique » ont d’ailleurs une étymologie commune. « Le mot « école » vient du terme grec, scholé, qui veut dire loisir, entendu au sens de libre activité. Le latin schola reprend cette acceptation, d’abord donnée au terme ludus qui veut dire aussi jeu » (6). Il permet un apprentissage inconscient dans un contexte amusant, décontracté. Cela modifie la posture du formateur, qui devient alors coordinateur, c’est-à-dire celui « qui a la faculté d'ordonner et de combiner harmonieusement des éléments séparés pour constituer un ensemble cohérent ou efficace » (7). Nous notons toutefois que demeure la complexité d’identification des apprentissages après une telle séquence pédagogique, malgré l’élaboration d’un guide de travail et la production d’écrits.
Ces expériences constituent un socle pour les apprentissages à venir dans les UE 2.3 et 2.6 S2. Dès lors, les formateurs mobilisent cette première séquence tout au long des divers enseignements de ces UE, afin d’accompagner les apprenants dans la mise en lien.