Deux infirmières du centre hospitalier de Belair, à Charleville-Mézières (Ardennes), ont créé une équipe mobile d’accompagnement des aidants de patients de psychiatrie. Devant le succès rencontré, elles ont étendu leur offre à toutes les spécialités somatiques du département.
Les aidants ne sont pas la priorité du soin et pourtant, ils expriment beaucoup de demandes. C’est sur la base de ce constat empirique que le projet d’équipe mobile d’accompagnement des aidants (EMAA) est né au sein du CH de Belair à l'initiative de deux infirmières, Manon Lazuckiewiez et Bérangère Saingery.
« Nous menons le programme psycho-éducatif Profamille depuis 2012 sur l’hôpital, mais il ne s’adresse qu’aux proches de personnes souffrant de schizophrénie, explique Manon Lazuckiewiez. Il propose une formation de 20 séances sur 2 ans, mais il n’y a ni avant, ni après ! » Pour pallier cet écueil, les deux infirmières se sont donc formées à « Bref », un programme de psycho-éducation pour les familles, quelle que soit la pathologie qui affecte leur proche. « Bref » permet d’agir en prévention et d’établir un premier contact avec les aidants pour envisager la suite.
Là encore, le programme d’accompagnement a éprouvé ses limites. « Pour monter le projet, nous nous sommes appuyées sur la Pyramide des soins familiaux, décrite en Nouvelle-Zélande et en Australie pour accompagner les aidants, et sur nos formations complémentaires. »
Bérangère Saingery a complété ses formations d’infirmière en psychiatrie d’un DU Gestion du stress et anxiété au CHU de Lille en 2018. « Quand je travaillais aux urgences psychiatriques, j’ai vu des patients, des soignants mais aussi des familles en grande souffrance face à des situations très anxiogènes. J’ai donc souhaité mettre en place des stratégies pour abaisser le niveau de stress et de fardeau », explique-t-elle. De son côté, Manon Lazuckiewiez, infirmière clinicienne spécialisée en pratique avancée (ICS-IPA), a suivi un master en sciences cliniques en soins paramédicaux. « Je me suis formée aux théories de soins, aux consultations thématiques, à la manière dont on travaille à l’étranger au travers notamment d’un stage au Canada. »
Fortes de ces formations et compétences complémentaires, elles ont monté le projet d’équipe mobile d’accompagnement des aidants (EMAA), une première en France. « Nous avons proposé le projet à la direction du CH de Belair, qui nous a soutenues. Nous ne souhaitions pas être ancrées dans la discipline médicale pour bien être centrées sur la problématique des aidants avec une vision des sciences infirmières », précise Bérangère Saingery. Dans les faits, elles coopèrent avec les médecins, les services de soins et les associations, entre autres, qui leur orientent des proches de patients. Les aidants peuvent aussi venir d’eux-mêmes ; il n’y a nul besoin de prescription médicale.
« Notre démarrage a été freiné en 2020 par le Covid, témoigne Manon Lazuckiewiez, puis le bouche-à-oreille a bien fonctionné. Nous avions des appels de services de pédiatrie, d’oncologie… et nous ne pouvions pas les recevoir car nous nous étions initialement centrées sur la psychiatrie. Grâce au GHT [groupement hospitalier de territoire], nous avons finalement pu étendre notre offre à tous les secteurs sanitaires du département des Ardennes : depuis janvier 2022, notre EMAA est ouverte à toutes les personnes dont un proche souffre de maladie chronique, somatique ou psychique. »
En effet, quelle que soit la pathologie du patient, le proche fait face au même fardeau d’inquiétude : « Le fait d’endosser un rôle d’aidant et de mettre de côté les autres rôles, la peur de l’avenir ou encore l’incompréhension du système de santé qui peut sembler obscure sont communs quelle que soit la situation. On ne s’intéresse pas tellement au traitement de la personne, mais à ce que ça renvoie à l’aidant », explique Manon Lazuckiewiez. « Les proches viennent déposer tout ce qu’ils ont vécu, nous parlent de la personne malade et nous les recentrons sur eux, sur la façon dont ils vivent les choses et comment cela peut être amélioré. En cas de besoin, nous les réorientons vers des soins nous décelons une symptomatologie dépressive », ajoute Bérangère Saingery.
Le duo d’infirmières a adopté le modèle de Gottlieb, selon lequel les soins infirmiers sont centrés sur les forces. Pour accompagner un proche dans son rôle d’aidant, l’équipe effectue une évaluation avec la personne, au premier entretien, pour identifier toutes les forces dont elle dispose : celles qu’elle a développées et celles qui sont présentes mais qu’elle n’utilise pas. L’équipe mobile s’appuie également sur le modèle d’adaptation développé par la théoricienne en sciences infirmières Callista Roy. Ce dernier explique et établit les corrélations qui existent entre la personne recevant des soins infirmiers, le but de ces soins, le concept de santé, la notion d’environnement et d’adaptation.
Concrètement, comment se passe l’intervention de l’EMAA ? Les infirmières reçoivent les aidants au CH Belair, au domicile des aidants ou dans les services sanitaires du département. Elles effectuent en premier lieu trois entretiens en binôme avec les aidants. Ces derniers peuvent venir seuls, en couple, en famille, en fratrie, qu’ils soient mineurs ou majeurs. Lors du troisième entretien, la venue d’une personne d’une association en lien avec la pathologie de leur proche peut être proposée afin de promouvoir les échanges avec les pairs.
Ensuite, les infirmières les orientent vers des consultations thématiques – qu’elles mènent elles-mêmes en individuel – en fonction de la difficulté ciblée. « L’enjeu est de pouvoir travailler sur un mode partenarial avec la personne, en fonction de ses difficultés. Chacun n’a pas les mêmes, d’où l’intérêt du travail individuel », précise Manon Lazuckiewiez.
Le service rendu par l’EMAA, gratuit, a aussi pour intérêt indirect de pacifier les relations avec les personnels soignants, dans les services. Bien souvent, les aidants n’ont pas connaissance du mode de fonctionnement des hôpitaux et du système de santé en général. Grâce aux explications fournies par l’équipe mobile, ils apprennent à discuter avec le médecin, les infirmières… Tout le monde en ressort gagnant.