Les troubles des conduites alimentaires (TCA) touchent 900 000 personnes en France. Le 2 juin a eu lieu la journée mondiale des TCA, l’occasion de sensibiliser et prévenir sur l’apparition de ces troubles. Pour l’occasion, nous avons poussé les portes de l’hôpital de jour de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul de Lille, pour nous rendre dans un service dédié à leur prise en charge.
Dans un petit salon entouré de longs couloirs, de jeunes femmes attendent d’assister à un atelier yoga. Après une matinée dédiée à leur check-up médical – prise de poids, examen biologique, entretien avec la psychologue ou le psychiatre –, ces patientes reçues en hôpital de jour vont participer en petit groupe à une séance leur donnant l’occasion de lâcher prise et de tenter de se réapproprier leur corps. Un corps qu’elles ne reconnaissent plus ou qu’elles perçoivent comme déformé, trop gros, disharmonieux, et auquel elles font mal à travers leur trouble de la conduite alimentaire (TCA). « Ici, nous accueillons des patientes anorexiques, mais également des boulimiques et des hyperphagiques », résume Maxime Macor, enseignant en activité physique adaptée (APA) qui guide les patientes dans leurs exercices. L’objectif de cette prise en charge ? Réapprendre à ces patientes à avoir une relation saine avec la nourriture et l’activité physique. « Elles apprennent à gérer leur hyperactivité physique, pour que celle-ci ne soit pas compulsive, mais plutôt source de plaisir », explique Maxime Macor. Clara Lelièvre, psychomotricienne, ajoute : « Le corps est un ennemi et elles doivent donc renouer avec lui ; c’est pourquoi nous travaillons également sur des ateliers mettant en jeu le toucher, pour qu’elles l’utilisent comme moyen d’expression ».
Des ateliers de sports collectifs sont également proposés, pour aider les patientes à ne plus être trop égocentrées et à gérer certaines émotions négatives. Ici, neuf patients sur dix sont des patientes : « Le rapport au corps est différent chez les deux sexes – les hommes auront tendance à suivre des conduites addictives avec substances – et puis, l’avènement des réseaux sociaux et de la société de l’apparence montrent des corps très minces, idéalisés, ce qui joue un grand rôle dans le développement de ces troubles », note la psychomotricienne. Le Pr Vincent Dodin, psychiatre et chef de service de la clinique médico-psychologique de l’hôpital Saint-Vincent de Paul, acquiesce : « Cela fait trente ans que je travaille sur les TCA ; mais depuis quelques années, on observe une augmentation du nombre de cas. Nous évoluons dans une société où l’on ne mange plus pour se nourrir, pas plus qu’on ne fait de sport pour être en forme, mais on le fait pour rester mince et musclé, pour correspondre à un idéal de corps, vu à travers les réseaux sociaux. En réalité, cet objectif est inatteignable puisque ce corps parfait n’existe pas. Et avec la crise sanitaire du Covid-19, les TCA ont augmenté de 30 %. C’est une conduite addictive mais sans drogue, car ces comportements s’inscrivent tous dans le circuit de la récompense, qui implique la dopamine », décrypte le psychiatre. Avec des conséquences désastreuses pour la santé : les personnes anorexiques perdent du poids et peuvent développer des troubles osseux (ostéoporose) ou cardiaques car elles perdent beaucoup de potassium (hypokaliémie), indispensable pour le cœur. Les boulimiques ont, quant à elles, des troubles gastriques et dentaires (érosion de l’émail, déchaussement des dents) et sont également concernées par l’hypokaliémie. Quant aux hyperphages, elles souffrent d’obésité morbide avec un syndrome métabolique et d’autres troubles associés, comme l’hypertension artérielle, le diabète de type 2, etc.
« Les TCA sont des maladies chroniques qui peuvent mettre du temps à guérir, entre trois et sept ans », prévient Maxime Macor, mais une fois le diagnostic posé, la prise en charge permet de remettre la patiente sur les rails. Si les anorexiques sont souvent dans le déni de leurs troubles et sont généralement adressés par un tiers (médecin ou famille) pour une hospitalisation, les hyperphagiques reconnaissent leur problème de poids associé (obésité) sans forcément faire le lien avec un TCA. Reste que le repérage demeure parfois compliqué : « Il existe des facteurs de risque d’entrée en TCA, avec notamment des traumatismes dans les deux ans le précédant, comme du harcèlement, du cyberharcèlement, des violences sexuelles, un environnement familial compliqué, un accident, un deuil », relate le Pr Vincent Dodin. C’est sur ce terrain de fragilité que va se développer le TCA : ce comportement alimentaire a pour effet de tenter de régler une insécurité en restant dans un espace circonscrit qui tourne autour du poids et de l’alimentation. Pendant un temps, les patientes pensent être dans le contrôle complet de leur prise alimentaire, de leur poids, et cela les apaise. Puis à un moment, cela bascule et finit par leur échapper sans qu’elles en aient conscience : c’est l’entrée dans l’engrenage du TCA.
La prise en charge, pluridisciplinaire, permet aux patientes de faire la paix avec ces troubles : « Nous sommes dans un soin qui se pense et se repense, explique le Pr Vincent Dodin. Avec les réunions pluridisciplinaires, on regarde ce qui fonctionne le mieux avec telle ou telle patiente, on sort vraiment d’une ortho-prescription déshumanisée pour aller vers une personnalisation du soin en pensant synergie : ici 1+1 font beaucoup plus que 2, et on construit collectivement le projet de soins de chaque patiente ». Ce projet de soins repose sur quatre piliers, qui s’articulent sur les compétences de toute l’équipe et qui sont indissociables. Tout d’abord, le pilier somatique : la surveillance médicale avec le traitement des carences et la prise alimentaire. Vient ensuite le pilier psychologique avec notamment les thérapies individuelles, familiales ou groupées qui font la part belle à l’approche cognitive et comportementale. Le troisième pilier est celui de la médiation sensorielle et corporelle, dans laquelle interviennent différents types de professionnels, et enfin le quatrième pilier qui s’appuie sur l’utilisation de médias artistiques, pour ré-engager la patiente dans une ouverture au monde. Le levier artistique est très important pour permettre à ces patientes d’exister dans un collectif. Depuis janvier 2022, l’ARS Hauts-de-France a lancé un appel à projets pour structurer l’offre de soins et offrir trois niveaux de prise en charge, de la médecine de ville au centre de recours hospitalier labellisé pour les TCA (comme l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul), en passant par quelques unités dans des hôpitaux généraux. Avec l’espoir de prendre en charge plus précocement ces troubles qui ont explosé ces dernières années et conduit, dans 7 % des cas, au décès par dénutrition extrême ou suicide.
L’anorexie se caractérise par une restriction des apports alimentaires, ce qui conduit à une perte de poids importante associée à un plaisir de maigrir et une peur de reprendre du poids. La personne anorexique va donc contrôler son alimentation mais également pratiquer une activité physique de manière intensive. Elle peut également surinvestir cette activité physique au détriment d’autres activités de loisirs qu’elle considère comme « futiles » ou contre-productives. La maladie peut débuter précocement, vers 7 ans, mais généralement, elle connaît deux pics, l’un vers la puberté et l’autre vers 16-17 ans.
L’hyperphagie se caractérise par la prise d’une grande quantité de nourriture, de manière compulsive, à n’importe quelle heure : ce trouble conduit très souvent à l’obésité.
La boulimie, autre trouble alimentaire compulsif, diffère de l’hyperphagie, car dans ce cas, la patiente met en place des mesures compensatoires : vomissements, prise de laxatifs, hyperactivité physique, surexposition au froid ou privation, ce qui fait qu’elle ne développe pas forcément de problème de poids. Toutefois, certains signes ne trompent pas : une érosion de l’émail dentaire, des dents qui se déchaussent, un signe de Russell (abrasion des jointures du dos de la main, montrant qu’une personne se fait vomir) sont souvent le signe d’un trouble boulimique.