La crise sanitaire a mis en exergue une gestion complexe et stratifiée du monde de la santé : aux côtés des décisionnaires figurent diverses instances qui surveillent, évaluent ou encore autorisent certaines pratiques ou substances. Un schéma indispensable mais parfois complexe, qui a tendance à brouiller les messages à l’adresse des Français et des professionnels de santé.
Une agence qui évalue un médicament en vue de son remboursement, une autre qui autorise sa mise sur le marché, une troisième qui veille, anticipe et alerte. Sans compter les instances régionales, qui sont compétentes sur des champs transversaux de la santé, le tout sous l’égide d’un ministère de la Santé et de ses différentes directions générales (santé, offre de soins, sécurité sociale, numérique, cohésion sociale, etc.) : l’administration du monde de la santé est devenue d’une complexité totalement opaque à tout un chacun et de plus en plus obtuse pour les professionnels les plus aguerris. Pourtant, dans ce que l’on pourrait qualifier de millefeuille administratif, chaque agence ou instance a un rôle propre qui vise à concourir au bon fonctionnement global du système de santé. Sauf qu’à multiplier ces instances, le système de santé français semble s’être essoufflé. Qualifié en l’an 2000 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme « le meilleur au monde », sa superbe semble s’être érodée.
Certains candidats à la présidentielle appelaient de leurs vœux à plus de simplification. Gasparg Koenig, philosophe, fondateur du mouvement SIMPLE et candidat à la fonction suprême(1), a d’ailleurs enquêté sur la simplification et livré ses résultats dans son ouvrage « Simplifions-nous la vie ». Citant Georges Pompidou, alors Premier Ministre – « Mais arrêtez donc d’emmerder les Français ! Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements dans ce pays ! On en crève ! Laissez-les vivre un peu et vous verrez que tout ira mieux », le philosophe appelle à une simplification globale de la société pour une meilleure éthique pour tous. Lorsqu’on l’interroge sur le système de santé, le philosophe confie que « C’est un sujet encore plus complexe », avouant ne pas avoir encore exploré le champ sanitaire.
D’autres candidats avaient, quant à eux, annoncé que s’ils étaient élus, ils supprimeraient les Agences régionales de santé (ARS), « qui ne servent à rien » selon Anne Hidalgo, représentent « un carcan administratif » selon Marine Le Pen, voire sont « nuisibles » pour Éric Zemmour. Des ARS d’ailleurs pointées du doigt par Éric Ciotti, rapporteur de la commission d’enquête parlementaire sur l’impact, la gestion et les conséquences de l’épidémie de coronavirus, qui y voie des « agences paradoxalement centralisées et déconnectées de leur environnement territorial »(2). Des paroles qui semblent montrer que dans ce millefeuille administratif, tout ne semble pas bien fonctionner, ce qui appelle certains à vouloir le réformer.
« La crise sanitaire a été une mise à l’épreuve de l’architecture du système de santé français. Les tensions qu’il a connues ont mis en lumière ses faiblesses, mais aussi ce qui a fonctionné », éclaire Thierry Mandon, ancien secrétaire d’État à la réforme de l’État et à la Simplification (gouvernement Valls en 2014). Mais pour le moment, selon cet ancien député, l’urgence ne serait pas à la simplification, mais à celle d’un diagnostic profond qui permettrait de voir ce qui fonctionne ou non, ce qu’il faudrait améliorer et même supprimer. « Dans notre système de santé, il faudrait d’abord s’interroger sur la place laissée à la science et à l’importance laissée aux experts : on a nommé un conseil scientifique, avec des personnalités de grande qualité, mais il aurait été utile de préciser les missions et le fonctionnement de ce conseil. Avait-il pour mission d’éclairer le gouvernement, était-il codécideur, à l’image du Pr Fauci aux États-Unis, ou devait-il émettre des recommandations ? L’absence de cadrage initial de ses missions n’a pas été bénéfique à la compréhension de son fonctionnement ». Pour l’ancien secrétaire d’État, une remise à plat serait nécessaire pour repositionner toutes les instances existantes et comprendre pourquoi, par exemple, sur les médicaments, il existe une agence française et une agence européenne.
Second point sur lequel il faudrait selon lui s’interroger, la mise en œuvre des actions : « On s’est rendu compte que le rapport entre les ARS, les services de l’État, les préfectures notamment, ne fonctionnait pas. Que ce soit sur les masques, sur la remontée du nombre de décès au ministère, il y a eu des dysfonctionnements. Est-ce que dans une crise, le niveau régional est le niveau pertinent ? », s’interroge Thierry Mandon. Selon lui, le Département, qui dispose d’instances de santé, pourrait jouer un rôle de passerelle auprès de l’État.
Troisième point d’interrogation pour l’ancien secrétaire d’État, la question de la veille stratégique, de l’anticipation : « Quel est l’organisme qui assure cette fonction ? Il faut que ce soit une structure autonome, qui ne s’auto-censure pas », ose-t-il, rappelant que parfois, les avis donnés l’étaient avec tellement de précautions qu’ils perdaient en crédibilité. Et puis, selon Thierry Mandon, la question de l’organisation doit réellement être réformée : « Avec la crise, on a pu observer que les cadres autoritaire et hiérarchique se sont totalement libérés et que cela a très bien fonctionné ainsi », décrit-il, estimant qu’il faut revoir à la fois la hiérarchie au sein des hôpitaux et réinterroger la pertinence du rôle du directeur général de la santé. D’autres dysfonctionnements existent aussi, selon l’ancien ministre : pas assez de souveraineté sur les produits de santé, pas suffisamment de prévention et d’anticipation, une recherche qui n’intègre pas les technologies de rupture(3) et qui n’ose pas financer les projets audacieux. Mais ce qui, selon lui, a largement contribué à une complexification du système de santé, ce sont les normes, les tableaux Excel et les rapports qui ont pourtant été mis en place au nom de la simplification : « Cette “Excellisation” du système de santé, avec des normes administratives et comptables a conduit à un total désintérêt pour les femmes et les hommes qui font la santé », regrette l’ancien ministre de la Simplification. Et ce n’est pas le Ségur qui a amélioré les choses, puisque selon Thierry Mandon, le personnel souhaitait avant tout une meilleure considération et une réforme des structures. Le nouveau quinquennat d’Emmanuel Macron ouvrira-t-il la voie à une réforme profonde du système de santé ? Une chose est certaine, les missions de la nouvelle ministre de la Santé et de la Prévention, Brigitte Bourguignon, vont être scrutées de près par celles et ceux qui font le système de santé.