Faire de l’après-cancer une œuvre d’art - Objectif Soins & Management n° 0287 du 07/07/2022 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0287 du 07/07/2022

 

Initiative

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Propos recueillis par Adrien Renaud

  

Depuis dix ans, l’association Skin monte des binômes entre d’ex-malades du cancer et des artistes, contribuant ainsi à redonner du sens à des vies souvent dévastées par le parcours de soins. Cécile Reboul, présidente de cette structure et nommée parmi les 13 Femmes de santé 2020, nous en explique le fonctionnement.

Pouvez-vous nous raconter comment est née l’association Skin ?

Cela a commencé avec ma propre traversée d’un cancer, à l’âge de 40 ans. J’ai alors fait deux constats. Tout d’abord, au moment du diagnostic, je n’avais aucun support, personne qui pouvait me rassurer sur le fait que je redeviendrais une femme, après. Je me suis alors dit qu’il fallait que j’écrive un livre à mettre dans les salles d’attente, pour rassurer les femmes. Ensuite, j’ai réalisé que ce n’est qu’après la bataille qu’on compte ses blessures. Pendant le parcours de soins, on est aidé par le corps médical, par les proches, mais une fois que c’est terminé, tout le monde pense que c’est derrière vous : on commence à culpabiliser d’être en vie, on se replie sur soi, on s’isole, on perd un temps fou à demander de l’aide… C’est une chute vertigineuse.

Qu’avez-vous alors fait ?

J’avais toujours dans l’idée d’écrire ce livre, et je me suis mise à chercher un photographe. L’artiste Karine Zibaut a alors commencé à me prendre en photo, et nous avons co-créé, pendant 18 mois, elle avec ses photos et moi avec mes textes. Quand j’ai vu ses images, j’ai été saisie, j’ai réalisé que c’était une thérapie extraordinaire. J’ai laissé tomber l’idée du livre, et j’ai créé l'association Skin.

Quelles sont les activités de l’association ?

Nous voulons recréer du lien, en présentant un artiste à des patientes qui sortent de leur parcours de soins après un cancer. Nous passons d’abord du temps avec ces femmes, pour savoir ce qu’est leur vie, ce qu’elles veulent faire. Un jour, par exemple, une femme m’a dit : « J’aimerais qu’on me fasse danser mon cancer ». Nous sommes donc allés chercher un chorégraphe. Une autre voulait montrer sur scène avec un humoriste, et nous sommes donc partis à la recherche d'un humoriste (encadré). Une autre encore disait que pendant son parcours de soins, son seul plaisir était de déguster une bonne pâtisserie. Nous avons contacté une cheffe pâtissière santé.

Une fois constitués, que font les binômes ?

La fonction première des artistes, c’est de faire déculpabiliser leur partenaire à l’idée qu’on n’est pas bien dans sa tête, alors qu’on est en vie et que tout devrait aller bien. Nous les invitons à se lancer dans un projet qui leur permet de sortir de la rumination, de prendre du plaisir, de se nourrir de l’univers de l’artiste, de prendre le temps nécessaire à la cicatrisation. Les binômes œuvrent pendant un an ensemble, de manière libre et indépendante, et ils présentent ensuite leur création. Quand il s’agit d’art plastique, nous faisons une restitution sous forme d’exposition, quand il s’agit d’art vivant, sous forme de spectacle, etc. Nous allons bientôt fêter nos dix ans, et depuis 2012 nous avons aidé plus de 300 binômes et organisé une soixantaine d’évènements.

Comment les artistes sont-ils recrutés ?

Ce sont des professionnels qui interviennent de manière bénévole. Nous allons les chercher au coup par coup, ou certains viennent à nous, car cela fonctionne aussi par le bouche-à-oreille. Personnellement, je ne viens pas d’un milieu artistique, mais je pense que nous avons toujours eu les artistes qu’il fallait pour les femmes qu’il fallait.

Pourquoi parlez-vous uniquement des femmes ? Les hommes ne peuvent-ils pas aussi bénéficier des activités de Skin ?

Il n’y a pas que des femmes, mais le fait est que nous avons un mal fou à faire venir les hommes. J’ai l’impression qu’ils sont moins dans l’expression de soi, et nous n’en avons malheureusement que deux dans l’association.

En plus des binômes, avez-vous d’autres activités ?

Nous offrons par exemple à nos adhérents des ateliers collectifs, qu’il s’agisse d’art, de bien-être, de sport… Nous organisons également des sorties culturelles, des moments de partage avec l’intervention d’experts sur des thématiques liées à l’après-cancer.

Pensez-vous que les soignants prennent suffisamment en compte la question de l’après-cancer ?

Cela commence. Quand j’ai eu ce cancer, en 2007, rien n’existait. Et quand j’ai créé l’association, beaucoup de personnes m’ont dit que cela ne servait à rien. Mais depuis, les connaissances se sont améliorées. On sait désormais que deux personnes sur trois estiment que l’après-cancer est plus difficile à vivre que la maladie elle-même. Beaucoup de femmes me disent qu’elles ne pensaient pas que ce serait aussi dur, qu’une fois le parcours de soins terminé, elles ne savaient plus où elles en étaient… Il me semble nécessaire de parler davantage de l’après-cancer. Nous passons donc beaucoup de temps à démarcher les hôpitaux, pour leur dire que nous pouvons être un relais précieux pour eux. De plus en plus d’oncologues ont nos coordonnées dans leur carnet d’adresse et les donnent à leurs patients s’ils pensent que cela peut être pertinent.

L’après-cancer pourrait-il être mieux préparé ?

Oui, d’autant plus qu’il s’agit d’un vrai sujet de santé publique qui a un coût pour la société. Certaines personnes remettent en question des pans entiers de leur vie après leur parcours de soins, ce qui a des conséquences intimes, mais aussi familiales, sociales, économiques… De plus en plus de choses se font, notamment sur le retour au travail après le cancer, et nous nous situons justement entre la fin du traitement et le retour au travail. Car on ne peut pas retourner au travail sans retourner à soi au préalable.

De quoi votre association a-t-elle le plus besoin ?

De fonds ! Nous n’avons pas de subventions, et avons donc besoin de mécénat. Nous organisons des collectes de fonds, nous avons des partenariats… Il nous faut être créatifs.

Un mot sur le collectif Femmes de santé ?

« Espoir ». Fort de plus de 2000 membres, le collectif Femmes de santé* a pour missions de valoriser et développer l’humain au cœur du système de santé et de promouvoir l’expertise et les actions des femmes dans ce secteur.

Moebius et la Reine des neiges

Quand on lui demande de décrire un duo « Skin » qui l’a marquée au cours des dix dernières années, Cécile Reboul n’hésite qu’une demi-seconde, et se met à raconter « une jolie histoire » qui permet de montrer que les actions de l’association sont bénéfiques « pour les patients comme pour les artistes ». Il s’agit d’une personne qui a eu un cancer du sein à l’âge de 40 ans, commence-t-elle. Cette femme avait de plus une maladie génétique, le syndrome de Moebius : elle souffrait d’une paralysie faciale qui lui donnait en permanence « le sourire du Joker », se souvient la présidente de Skin. Son désir était de monter sur scène avec un humoriste : l'association lui a donc proposé un binôme avec un comédien. « J’ai également demandé à cet artiste de faire la mise en scène du spectacle, explique Cécile Reboul. Il m’a dit que ce n’était pas son métier, mais qu’il voulait bien le faire pour nous. » Le résultat était, d’après la responsable associative, désopilant. « Ils ont fait une parodie de la Reine des neiges, elle avec un déguisement d’enfant, et lui dans un costume de crabe avec les pinces sur la tête, ils ont été ovationnés, raconte-t-elle. En descendant de scène, la patiente m’a dit "tu vois, je croyais que les gens allaient rire de moi, et ils ont ri avec moi". » Mais l’aventure ne s’est pas arrêtée à cette représentation. « Le binôme a décidé de poursuivre sa collaboration, ils ont co-écrit un nouveau spectacle sur le harcèlement scolaire et l’ont joué dans des collèges en commençant par celui où elle avait été moquée en raison de sa maladie génétique », raconte-t-elle. Quant au comédien, il a maintenant une nouvelle corde à son arc. « Il m’a dit qu’il faisait désormais aussi de la mise en scène », s'amuse la présidente de Skin.