Alors que les fermetures de services, dont les indispensables Urgences, se multiplient, une commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France vient de rendre son rapport au Sénat. Elle préconise de redonner du souffle à l’hôpital en lui laissant plus de liberté et d’autonomie.
L’hôpital souffre : ce constat n’est pas nouveau, mais la crise sanitaire a été le catalyseur d’une situation déjà larvée depuis plusieurs années. Et ça craque de partout. Des infirmières démissionnaires, des médecins en burnout, des urgences sous tension voire obligées de fermer la nuit... Le tableau dressant la situation de l’hôpital n’a rien d’une image faussée, il est celui d’une réalité que de nombreuses voix tentent de porter pour en améliorer la situation. Au Sénat, le groupe Les Républicains a demandé que soit créée une commission d’enquête sur la situation de l’hôpital* et le système de santé, pour objectiver la réalité de la situation. À travers cette commission, l’ensemble des acteurs concernés – responsables médicaux et administratifs, médecins et soignants hospitaliers, professionnels de soins de ville, organismes publics et élus locaux – ont été interrogés pour recueillir leurs constats et propositions sur les difficultés actuelles du système hospitalier.
Dans le rapport** que la commission a rendu, le principal constat est celui d’une tension très forte parmi les personnels hospitaliers, médicaux et paramédicaux en tête : « Le travail hospitalier perd du sens aux yeux d’un nombre croissant de personnels, surtout paramédicaux, entraînant départs anticipés et insuffisance de recrutement ». Malheureusement, le Ségur de la Santé, qui a consenti à une revalorisation des salaires, n’a pas mis un terme à cette tendance, alimentant même, au contraire, l’insatisfaction de ceux qui n’ont pas été concernés par cette mesure. Pourtant, si l’on analyse les indicateurs de comparaison internationale, la France se situe parmi les meilleurs en Europe au niveau hospitalier et de la santé : alors, d’où vient cette situation paradoxale, également relatée par Robert Holcman en 2020 dans “Le paradoxe hospitalier français”*** ? Selon le rapport du Sénat, les hôpitaux subissent le contrecoup d’une pression budgétaire qui s’est fortement accentuée depuis le milieu des années 2010 avec une diminution par deux des investissements et une déconnexion de l’Objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) hospitalier de la dynamique de l’Ondam global : à la clé, un déficit chronique de l’hôpital public que les réformes ne parviennent pas à combler.
L’urgence est donc de mise pour sauver l’hôpital et le système de soins. La commission d’enquête estime qu’il est « indispensable de faire confiance et de redonner confiance aux acteurs hospitaliers dans leur ensemble, qu’ils soient soignants, gestionnaires ou chargés de fonctions de soutien ». Pour cela, l’hôpital doit retrouver une « gouvernance plus équilibrée qui laisse de plus larges responsabilités aux équipes soignantes et un allègement des contraintes administratives extérieures », notamment pour redonner de l’autonomie aux équipes et faire en sorte qu’elles se remobilisent autour d’un projet commun.
Concernant les rémunérations, le Sénat souhaite un réajustement du Ségur pour compenser certaines contraintes propres à l’exercice hospitalier : « le dévouement ne peut être à toute épreuve ». Les heures supplémentaires, le temps de travail additionnel, le travail de nuit et du week-end doivent ainsi être revalorisés et revus régulièrement pour tenir compte de l’évolution du coût de la vie : à titre d’exemple, l’indemnité compensatrice de travail de nuit pour le personnel non médical n’a pas été valorisée depuis 2001 et s’élève à 1,07€ par heure. Sur le volet de la gouvernance, la commission d’enquête rapporte que « le pouvoir de décision concentré entre les mains du directeur d’établissement, lui-même fortement subordonné aux autorités de tutelle, est souvent présenté comme le facteur majeur d’un effacement des objectifs de soins dans les décisions prises à l’hôpital » : la crise sanitaire avait d’ailleurs provisoirement montré un effacement de ce fonctionnement avec un bénéfice global.
Pour autant, une réforme totale de la gouvernance n'est pas forcément souhaitée par le personnel interrogé, qui reconnaît la nécessité de ce pilotage. La commission du Sénat affirme tout de même qu’il est « indispensable d’assurer une articulation effective et une plus forte interaction entre les instances décisionnelles dans lesquelles siègent des acteurs médicaux – directoire et CME – et les services de soins » et qu’il faut « revaloriser le rôle de la commission des soins infirmiers afin de mieux associer les personnels paramédicaux à la gouvernance ». Si l’organisation en pôle n’est pas contestée par les soignants interrogés au cours de l’enquête, c’est son caractère systématique, obligatoire, parfois éloigné des logiques fonctionnelles, qui l’est : les pôles doivent donc être maintenus lorsqu’ils présentent une réelle pertinence.
En revanche, la réhabilitation du service comme base de l’organisation hospitalière apparaît comme un facteur important de mobilisation collective : « À ce titre, de nombreux interlocuteurs ont souligné le rôle majeur du cadre de santé aux côtés du chef de service », peut-on lire dans le rapport. Ce rôle doit être renforcé alors qu’il est aujourd’hui entravé : les cadres sont absorbés par des tâches de gestion des absences ou de recherche de lits d’aval, ce qui réduit leur temps de présence auprès des équipes, d’autant qu’il leur est fréquemment confié l’encadrement de plusieurs équipes. Par ailleurs, « alors qu’ils ont démontré, lors de la crise sanitaire, leur aptitude à mener rapidement des réorganisations adaptées, les cadres de santé se sentent trop souvent privés d’autonomie et assignés à un rôle de courroie de transmission d’instructions venues de la direction, sans voir en retour de réelle prise en compte de leurs propositions en matière d’organisation du travail ». La commission d’enquête recommande donc de renforcer leurs rôles en limitant le nombre d’équipes placées sous leur responsabilité et en facilitant leur accès à des formations adaptées.
Pour assurer plus de souplesse et de proximité dans la gestion, le rapport préconise de « déburocratiser les relations entre les établissements et leurs tutelles », notamment en allégeant et en automatisant les processus de remontée d’informations (avec plus de moyens interopérables), en simplifiant les procédures d’accréditation, de certification, et en confiant aux agences régionales de santé (ARS) un rôle qui soit plus centré sur l'accompagnement et la régulation.
Enfin, la commission sénatoriale recommande de faire évoluer rapidement le modèle de financement. S’il estime que la tarification à l’activité (T2A) a bon dos pour qualifier les difficultés de l’hôpital, il faut la conserver pour les activités pour lesquelles elle est adaptée et rénover l’Ondam afin de mieux l’adapter aux réalités et besoins hospitaliers. Le financement doit également dépendre, selon le rapport de la commission, des besoins populationnels et de la qualité des soins prodigués, sous couvert d’indicateurs pertinents.
Toutes les mesures, inhérentes au fonctionnement même de l’hôpital, ne peuvent à elles seules permettre un rétablissement complet du système de soins si l’on néglige la médecine de ville : l’offre de proximité, le développement de structures de ville compétentes pour désengorger l’hôpital, et un meilleur maillage du territoire, sont les conditions sine qua none pour que l’hôpital panse ses blessures. « Ce dont l’hôpital a aujourd’hui besoin, ce n’est pas d’une nouvelle loi, c’est de confiance », concluent les rapporteurs, qui souhaitent que l’hôpital sorte d’un « pilotage erratique » et qu'il soit un lieu dans lequel les soignants retrouvent le temps de soigner.