OBJECTIF SOINS n° 0287 du 07/07/2022

 

Qualité et gestion des risques

DOSSIER

Jean-Marc Panfili  


*Avocat au barreau de Tarn et Garonne, docteur en droit, chercheur associé auprès de l’Université Toulouse 1 Capitole et ancien cadre supérieur de santé
**L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt.

L’administration hospitalière se doit de mettre en place les conditions assurant la sécurité et la santé physique et psychique des agents publics. Dans ce contexte, une organisation de travail en douze heures journalières est autorisée de façon dérogatoire, au regard des exigences de continuité, de qualité et de sécurité des soins. Explications.

La nécessité fondamentale de la préservation de la santé physique et psychique des individus figure au Préambule de la constitution de 1946 au 11e alinéa, repris dans la constitution de 1958, selon lequel la Nation « garantit à tous (…) la protection de la santé ». L’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000 dispose également que : « (...) tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité ». La volonté politique de cette préservation pour les agents publics a été récemment rappelée(1). Ainsi, puisque la première obligation pesant sur les pouvoirs publics, au titre de la protection de la santé, consiste à l’interdiction de porter atteinte à la santé des individus, le pendant de cette obligation négative est le droit de l’individu à ne pas voir sa santé altérée par l’action publique. Cette acceptation du droit à la protection de la santé est concrétisée par la reconnaissance de sa valeur constitutionnelle(2).

UNE OBLIGATION DE MOYENS

Statutairement, la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, en son article 23, définit le principe de protection des agents en service, et les obligations de l’employeur public par « Des conditions d’hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail. »(3)

Les responsabilités de l’employeur sont en outre définies au regard des principes de prévention énoncés par l’article L. 4121-1 du Code du travail, applicables dans la fonction publique hospitalière, et précisant que « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : (...) 3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. »(3)

Ainsi, le Conseil d’État retient que « les autorités administratives ont l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents ; qu’il leur appartient à ce titre, sauf à commettre une faute de service, d’assurer la bonne exécution des dispositions législatives et réglementaires qui ont cet objet »(4).

De même, les autorités administratives ayant compétence pour prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l’administration placée sous leur autorité ont la charge de veiller à la sécurité et à la protection de la santé de leurs agents (5).

En conséquence, l’établissement de plannings de service pose évidemment la question des moyens humains disponibles. À cette fin, l’administration hospitalière est tenue légalement à une obligation de moyens.

En effet, l’article L. 6143-2 du Code de la santé publique (CSP) dispose que « Le projet d’établissement (...) prévoit les moyens (...) de personnel (...) dont l’établissement doit disposer pour réaliser ses objectifs. » De plus, « (...) Après concertation avec le directoire, le directeur : (...) 2° Décide, conjointement avec le président de la commission médicale d’établissement, de la politique d’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins, ainsi que des conditions d’accueil et de prise en charge des usagers (...) », conformément à l’article L. 6143-7 du même Code.

Enfin, en vertu de l’article L. 6146-1 du CSP, « Le praticien chef d’un pôle (...) organise, avec les équipes médicales, soignantes, administratives et d’encadrement du pôle, sur lesquelles il a autorité fonctionnelle, le fonctionnement du pôle et l’affectation des ressources humaines en fonction des nécessités de l’activité (...), dans le respect de la déontologie de chaque praticien et des missions et responsabilités des services, des unités fonctionnelles, des départements ou des autres structures, prévues par le projet de pôle. (...) ». À cette fin, l’article R. 6146-8 du CSP dispose que « I. -Sur la base de l’organisation déterminée par le directeur, le contrat de pôle mentionné à l’article L. 6146-1 définit les objectifs, (...) ainsi que les moyens qui lui sont attribués. »(3)

Il résulte donc du droit applicable une obligation de moyens qui repose sur l’administration, en matière de protection de la santé et de la sécurité des agents. Par voie de conséquence, le rythme de travail des personnels soignants est au cœur de cette exigence.

LE SERVICE EN DOUZE HEURES

L’organisation du service en douze heures quotidiennes est une possibilité dérogatoire prévue par l’article 7 du décret n°2002-9 du 4 janvier 2002. Ce texte décrit le principe selon lequel la durée quotidienne de travail ne peut excéder 9 heures pour les équipes de jour, et 10 heures pour les équipes de nuit. Il prévoit aussi l’exception dérogatoire : « Toutefois lorsque les contraintes de continuité du service public l’exigent en permanence, le chef d’établissement peut, après avis du comité technique d’établissement, ou du comité technique, déroger à la durée quotidienne du travail fixée pour les agents en travail continu, sans que l’amplitude de la journée de travail ne puisse dépasser 12 heures. »(3)

Une validation dérogatoire

Dans une décision du 2 février 2021, validant l’organisation en douze heures, le juge administratif rappelle au préalable le caractère dérogatoire de la réglementation. Ensuite, il adhère à la motivation de l’espèce pour des services de soins spécifiques : « Le directeur (...) a dérogé à la durée quotidienne du travail, en la portant à douze heures, pour les infirmiers (...) du pôle réanimation, afin de prendre en compte les contraintes de continuité propres à ces services ».

Le juge entend qu’il s’agit de « (...) permettre (...) d’assurer un meilleur suivi des patients en impliquant des interventions plus longues à leur chevet, une meilleure collaboration entre infirmiers et médecins et une limitation de la fréquence des transmissions grâce à un roulement moins fréquent du personnel infirmier », et que « (...) cette nouvelle organisation des cycles de travail minimisera les risques d’infections en limitant le nombre des personnes intervenant quotidiennement auprès de patients ayant subi des interventions chirurgicales. » Le juge en conclut que la décision attaquée a « été prise en raison des contraintes de continuité de service public exigeant en permanence une durée quotidienne de travail atteignant le maximum légal dérogatoire prévu à l’article 7 du décret n° 2002-09 précité »(6).

L’organisation en douze heures peut reposer sur la nécessité de permettre d’assurer un meilleur suivi des patients en impliquant des interventions plus longues à leur chevet, une meilleure collaboration entre infirmiers et médecins, une limitation des transmissions grâce à un roulement moins fréquent du personnel infirmier, et en minimisant les risques d’infections en limitant le nombre des personnes intervenant quotidiennement auprès de patients ayant subi des interventions chirurgicales.

Une annulation

Après rejet du tribunal administratif, la Cour administrative d’appel de Nantes a également rejeté le recours d’organisations syndicales contre l’organisation du service en cycle de douze heures. Mais le Conseil d’État saisi a accueilli la requête et annulé cette organisation, indiquant que ces dispositions réglementaires d’organisation en douze heures « doivent être regardées comme permettant, pour les agents concernés, le recours à une durée quotidienne de travail dérogatoire, allant jusqu’à douze heures, dans les services où, en permanence, le niveau adéquat de qualité des soins des patients accueillis justifie le maintien auprès d’eux des mêmes personnels soignants pendant cette durée (...) ». Le Conseil d’État ajoute que cette nécessité s’apprécie « au regard des exigences de continuité, de qualité et de sécurité des soins propres à chaque service ». Ainsi, la cour ne démontrait pas l’existence « de motif de nature à justifier, compte tenu des particularités des services en cause (...), que l’organisation du travail des agents en cycle de douze heures était nécessaire pour assurer la continuité et le maintien d’un niveau adéquat de qualité des soins ». Le Conseil d’État a renvoyé cette affaire à la même cour administrative d’appel de Nantes(7).

À la suite, la Cour administrative d’appel de Nantes s’est prononcée sur le constat que « Les mesures de réorganisation du temps de travail devant être mises en œuvre dans les pôles médecine, mère-enfant ou des urgences sont ainsi appréciées au regard des recettes ou des économies attendues, tandis qu’aucun élément objectif et démontrable en termes d’amélioration de l’organisation des soins propres à chacun de ces services n’est exposé ou démontré par le centre hospitalier. Dans ces conditions, les requérants sont fondés à soutenir que la décision d’organiser le temps de travail des infirmiers et des aides-soignants du centre hospitalier (...) sur la base d’une durée quotidienne de 12h pour 6 des 17 services (...), faute d’être justifiée par la nécessité d’assurer un niveau adéquat de qualité des soins des patients accueillis par le maintien auprès d’eux des mêmes personnels soignants pendant cette durée, méconnaît les dispositions précitées de l’article 7 du décret du 4 janvier 2002. » La note de service du directeur est annulée en tant qu’elle concerne l’organisation du travail en douze heures quotidiennes dans les services qu’elle mentionne, et le jugement du tribunal administratif est également annulé(8).

Il ressort de cette décision que l’organisation en douze heures doit reposer impérativement sur la nécessité démontrée d’assurer un niveau adéquat de qualité des soins des patients accueillis, par le maintien auprès d’eux des mêmes personnels soignants pendant cette durée.

LES PLANNINGS IRRÉGULIERS SANCTIONNÉS

Il résulte de la décision du 6 novembre 2013 du Conseil d’État, que les plannings dérogatoires à la réglementation ne peuvent être la règle d’organisation. Les dispositions réglementaires sont strictes et il ne peut y être dérogé, même après avis favorable du Comité technique d’établissement(9).

En 2017, le juge administratif est de nouveau saisi à propos de plannings illégaux, la direction du centre hospitalier refusant de réviser un planning irrégulier. Le tribunal administratif et la Cour administrative d’appel donnent raison aux agents requérants, précisant que « la circonstance que le bénéfice de deux journées calendaires conduirait à une organisation difficile à mettre en place ou aboutissant en pratique à ce que les agents travaillant de nuit bénéficient de trois jours pleins de congé est sans incidence sur la légalité du régime applicable »(10).

Plus récemment, le Conseil d’État indique, outre l’affirmation que la durée du travail effectué par un agent de la fonction publique hospitalière au cours de toute période de 7 jours glissante, et non au cours de chaque semaine civile, n’excède pas 48 heures, la nécessité d’« assurer la protection de la santé et la sécurité des salariés ». Il est fait implicitement référence au droit constitutionnel à la protection de la santé, au repos et aux loisirs, prévu par le 11e alinéa du Préambule de 1946(11).

Pour l’heure, le juge administratif ne retient pas le risque pour la santé et la sécurité des agents par l’organisation en douze heures. Il ne fait pas plus mention des responsabilités de l’employeur au regard des principes de prévention énoncés par l’article L. 4121-1 du Code du travail applicables dans la fonction publique hospitalière. Toutefois, en précisant que la décision de porter à douze heures l’amplitude horaire de la journée de travail n’implique nullement, par elle-même, que les infirmiers concernés soient amenés à dépasser les quarante-huit heures de travail par semaine glissante, il alerte indirectement sur le risque de dépasser la durée légale maximum hebdomadaire, si le planning est irrégulier. Enfin, cette organisation en douze heures est admise, nonobstant une réorganisation des cycles de travail motivée par l’objectif économique, mais à la condition fondamentale que l’allongement de la durée quotidienne de travail soit prise en raison des spécificités des services concernés et dans le seul intérêt de la qualité et de la sécurité des soins(12).

PERSPECTIVES

L’organisation du service de soins hospitaliers publics en douze heures est possible par exception, à la condition fondamentale que cet allongement soit pris en raison des spécificités des services concernés, et dans le seul intérêt de la qualité et de la sécurité des soins. Le seul critère économique ou de « choix » des agents est irrecevable.

Si l’organisation du service en douze heures ne constitue pas une irrégularité en elle-même, elle peut être sanctionnée indirectement si les plannings sont irréguliers. En effet, il apparaît que quatre vacations de douze heures consécutives atteignent le seuil de 48 heures sur sept jours. Ce risque d’irrégularité est constant en situation d’effectif contraint, et en particulier en période de congés annuels.

Enfin, si le juge administratif ne retient pas le risque pour la santé et la sécurité des agents par l’organisation en douze heures a priori, en cas d’accident de service, ou de maladie professionnelle, avec dépassement des seuils maximum de durée de service, ce moyen pourra évidemment être utilement invoqué par l’agent victime qui mettra en cause la responsabilité fautive de l’administration.

  • Notes
  • (2) Cons. const. 15 janvier 1975, IVG I, n° 74-54 DC, cons. 10 ; Cons. const. 27 juin 2001, IVG II, n° 2001-446 DC, cons. 7.
  • (4) CE, 30 décembre 2011, N° 330959. Mentionné dans les tables du recueil Lebon.
  • (5) CE, 7 février 1936, N° 43321. Publié au recueil Lebon.
  • (6) CAA de Douai, 2 février 2021, N°19DA01270.
  • (7) CE, 19 février 2021, n° 430606.
  • (8) CAA de Nantes, 3e chambre, 1er octobre 2021, N°21NT00638
  • (9) CE, 6 novembre 2013, N° 359501. Mentionné dans les tables du recueil Lebon).
  • (10) CAA de LYON, 9 octobre 2018, N° 17LY01546 ; 17LY01556 ; 17LY01557 ; 17LY01559 ; 17LY01560 ; 17LY01561.
  • (11) CE, 4 avril 2018, N° 398069. Mentionné dans les tables du recueil Lebon.
  • (12) CAA de Douai, 2 février 2021, N°19DA01270.