ÉCONOMIE DE LA SANTÉ
*Chevalier de la Légion d’honneur, Docteur en économie de la santé, auteur d’une thèse sur « L’arbitrage coût-qualité-accessibilité et la nouvelle politique hospitalière », Directeur de l’offre de soins à l’ARS Ile-de-France
**L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt
S’il est un fait qui ne change pas à chaque nouvelle élection présidentielle, c’est la relance du débat sur les Agences régionales de santé (ARS). Présente déjà en 2012 avec une incertitude planant sur le maintien de ces jeunes institutions mises en place en avril 2010, puis évoquée en 2017, la question de leur maintien ou non est à nouveau d’actualité en 2022.
Bon de nombre de candidats à l’élection présidentielle de 2022 souhaitaient la disparition des ARS et proposaient de redonner le pouvoir de régulation de la santé aux préfets. Et ce, malgré les évolutions de ces agences pourtant actées dans le cadre de la loi 3DS du 21 février 2022, relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et la simplification de l’action publique locale(1).
À la suite de critiques à l’égard des ARS pour leur gestion de la crise du Covid-19, la loi vise à redonner plus de place aux collectivités territoriales et aux élus dans les décisions en santé. Ainsi le conseil de surveillance devient un conseil d’administration, toujours présidé par le préfet de région mais assisté de quatre vice-présidents dont trois désignés parmi les représentants des collectivités territoriales et de leurs groupements. Par ailleurs, le conseil pourra accueillir avec voix consultative un député et un sénateur élus dans l’un des départements de la région, désignés respectivement par le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat, avec une priorité donnée aux membres des commissions permanentes chargées des Affaires sociales des deux assemblées. La contractualisation avec les collectivités territoriales (à travers notamment les contrats locaux de santé) fait l’objet de grandes orientations fixées par le conseil d’administration sur proposition du directeur général de l’ARS. De même, un état des lieux de la désertification médicale doit être régulièrement réalisé par le conseil d’administration en lien avec les délégations départementales et les élus locaux. Et des propositions pour répondre à cette problématique seront faites par ces mêmes acteurs.
Toujours dans le même ordre idée que de renforcer la place des élus, la loi 3DS(1) renforce la présence territoriale des ARS en redonnant un rôle important aux délégations départementales de celles-ci. Un décret est même en préparation pour préciser leurs missions, après concertation des associations représentatives des élus locaux (maires, départements, régions). Le directeur départemental (DD) de la délégation départementale de l’ARS doit présenter au président du conseil départemental, un bilan de l’action de l’ARS. De ce fait, le DD devient l’interlocuteur privilégié des élus locaux et des acteurs du territoire.
Le Haut Conseil pour la santé publique (HCSP) préconisait en 1998 quatre scenarii pour modifier le mécanisme d’allocation des ressources du système de soins dans le sens d’une amélioration de l’équité et de l’efficacité productive(2).
Le premier scénario consistait à modifier les méthodes de régionalisation : déclinaison régionale des enveloppes de médecins généralistes et spécialistes, amélioration du calcul des parts de marché entre les secteurs hospitaliers public et privé, harmonisation et actualisation des données intégrées dans le modèle de péréquation, prise en compte de la morbidité dans celui-ci, simplification des processus de convergence vers les dotations cibles. Ce scénario ne modifiait donc en rien les principes de financement mais affinait simplement, sur le plan technique, les méthodes de péréquation interrégionale.
Le deuxième scénario proposait une péréquation sur l’ensemble des dépenses avec un redécoupage sectoriel dans un second temps, sans modification des structures régionales. Une petite marge de manœuvre, fondée sur la fongibilité des enveloppes, était laissée au niveau régional pour financer des actions ciblées de santé publique. Ce scénario représente les fondations du fonds d’intervention régional (FIR) créé en 2012, par prélèvement au sein de l’Objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) sur les enveloppes de médecine de ville, hospitalière et médicosociales, la véritable marge de manœuvre des ARS pour conduire sa politique régionale.
Le troisième scénario proposait deux modifications importantes : réserver dans l’Ondam une enveloppe spécifique confiée, après répartition, à la gestion des régions pour la réalisation d’actions de santé ; répartir régionalement la part restante de l’Ondam selon le critère d’alignement des tarifs et des coûts et pour les seules dépenses hospitalières. C’est sur cette base que la tarification à l’activité (T2A) a été mise en place en 2004 dans les établissements de santé.
Enfin, le quatrième scénario proposait un changement radical du mécanisme d’allocation des ressources, fondé sur une allocation régionale globale gérée par une instance régionale unique. Ce scénario allait jusqu’au bout de la logique de régionalisation du système de santé en confiant à une instance unique, l’ARS, la charge de répartir une enveloppe globale pour le financement des dépenses de soins de la région, établie sur la base des états de santé de la population dans chaque région.
Il aura donc fallu attendre plus de dix ans pour voir enfin créer les ARS, 15 ans pour voir créer le FIR. Toutefois, la création des ARS ne s’est pas accompagnée d’une réelle régionalisation des dépenses de santé, exception faite du FIR. En ce sens, la mise en œuvre des ARS relève davantage d’une déconcentration administrative que d’une décentralisation au sens propre. Les enveloppes restent sectorisées et les marges de manœuvre sont pour l’instant extrêmement limitées finalement.
Dans le cadre d’un financement de la santé confié à une instance régionale unique, l’ARS, le rôle du niveau national (État et Assurance maladie) doit se trouver normalement considérablement amoindri. Il revient ainsi au niveau national de définir les priorités de santé publique, sous la forme par exemple d’objectifs quantifiés de santé publique et d’obligations en matière de prévention. Le niveau national doit veiller en particulier au respect, dans les régions, des grands principes qui sous-tendent le système de soins : accessibilité, qualité et sécurité des soins, efficacité. Il doit veiller également au refus de la sélection des risques et au maintien d’une assurance maladie universelle. Le Parlement est toujours en charge de voter le taux d’évolution de l’Ondam, qui est calculé en fonction des besoins transmis par chaque région. Un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) est conclu entre le niveau national et chaque ARS, qui définit les modalités d’attribution et le montant de l’enveloppe régionale allouée pour financer les producteurs de soins de la région.
En contrepartie, l’ARS s’engage à mettre en œuvre la politique de santé définie par le gouvernement et à faire respecter les grands principes précédemment cités. Il appartient également au niveau national de fixer les normes d’équipement et de sécurité sanitaire, mission qui par ailleurs pourrait très bien être confiée à la Haute Autorité de santé (HAS), de manière à obtenir un consensus avec les professionnels sur les normes et les référentiels qui, dès lors, ne seraient plus contestés. On peut même imaginer qu’il revienne à la HAS de contrôler le respect de ces normes.
Le niveau national apparaît dès lors comme un niveau d’encadrement, de conception et d’expertise, et non plus comme un niveau de gestion ou de décision, comme c’est le cas actuellement. Dans le cadre d’un CPOM conclu avec l’ARS, le niveau national s’assure que les objectifs qui sous-tendent l’organisation de la santé sont respectés dans chaque région. Ils fixent les grands principes d’allocation des ressources et de prise en charge des soins. Les ARS sont ensuite autonomes pour répartir l’enveloppe qui leur est allouée par le contrat passé avec le niveau national.
La loi a bien instauré le Conseil national de pilotage (CNP) des ARS, qui réunit des représentants de l’État, des établissements publics nationaux et de l’Assurance maladie, présidé par les différents ministres de la santé, des comptes sociaux, des personnes âgées et en situation de handicap. Ce CNP est censé donner les directives pour la mise en œuvre de la politique nationale de santé sur le territoire. Il veille à la cohérence des politiques qu’elles ont à mettre en œuvre en termes de santé publique, d’organisation de l’offre de soins et de prise en charge médicosociale et de gestion du risque, et il valide leurs objectifs ainsi que toutes les instructions qui leur sont données. Il conduit l’animation du réseau des ARS et évalue périodiquement les résultats des actions menées par celles-ci et leurs directeurs généraux. Le CNP veille à ce que la répartition entre les ARS des financements qui leur sont attribués prennent en compte l’objectif de réduction des inégalités de santé. Un CPOM est signé avec chaque agence pour une durée de 4 ans, révisable chaque année.
Il est important de se rappeler que les ARS ont été créées pour mettre fin à l’absence de cohérence en matière de politique de santé constatée dans les années 2000 et fortement décriée par l’ensemble des élus et des acteurs de la santé.
Avant 2010, l’État et l’Assurance maladie se partageaient les compétences santé au niveau régional et départemental avec plusieurs institutions :
- les Agences régionales de l’hospitalisation (ARH) en charge des établissements de santé, sous la forme d’un Groupement d’intérêt public (GIP) entre l’État et l’Assurance maladie ;
- les Unions régionales des caisses d’assurance maladie (Urcam) en charge de la gestion du risque assurance maladie et de la médecine de ville ;
- les services déconcentrés de l’État, direction régionale et directions départementales des Affaires sanitaires et sociales (Drass et Ddass) sous l’autorité respective des préfet de région et des préfets de département, en charge du médicosocial, de la formation, de la santé environnementale et de la santé publique ;
- sans compter le Groupement régional de santé publique (GRSP) et la Mission régionale de santé (MRS) à une tutelle stratégique. La souplesse de fonctionnement et la rapidité de la réponse caractérisent les ARH qui sont des administrations de mission et non des administrations de gestion et d’instruction de dossiers (à noter que ce qui était vrai en 2002 ne l’est plus en 2010 : les ARH sont aussi au cours du temps devenues des administrations de gestion !) ;
- et bien entendu les autres partenaires, à savoir les caisses primaires d’assurance maladie, et les départements sur le volet médicosocial.
Cette absence d’unicité de décision sur la santé était fort préjudiciable ; c’est pour cela que les ARS ont été créées, il faut le rappeler et savoir s’en souvenir.
Revenir au modèle d’avant 2010 équivaudrait à mettre en cause la nécessaire vision globale de la santé dans une seule instance, mais également faire fi de la spécificité de la santé et de sa nécessaire technicité. En revanche, redonner un sens et une légitimité démocratique et territoriale aux ARS, oui ! C’est le sens de la loi 3DS(1) : donner plus de place aux élus et acteurs locaux, mais également assurer une présence territoriale de proximité de l’ARS. Donc il est essentiel de ne pas les supprimer, mais au contraire, de les renforcer dans leurs actions de santé au service de la population.
C’est la loi hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de juillet 2009 qui a consacré la création des ARS ; la loi de modernisation de notre système de santé de janvier 2016 a consacré les territoires de santé, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et les groupements hospitaliers de territoire (GHT) ; la loi 3DS a renforcé les liens des ARS avec les élus et leur a redonné leur légitimité avec plus de démocratie sanitaire.
Depuis 12 ans (avec 2 années consacrées à la gestion de la crise Covid-19), les ARS (26 en 2010, 17 en 2017 suite à la fusion des régions en janvier 2016) ont pour mission de définir et de mettre en œuvre un ensemble coordonné de programmes et d’actions concourant à la réalisation, à l’échelon régional et infrarégional, des objectifs de la politique nationale de santé, des principes de l’action sociale et médicosociale, des principes fondamentaux du code de la Sécurité sociale. À ce titre, elles contribuent au respect de l’Ondam.
Les ARS sont chargées de mettre en œuvre au niveau régional la politique de santé publique et de réguler l’offre de soins et médicosociale.
Si la loi HPST a bien octroyé cette mission de régulation de l’offre de soins à l’ARS (la plupart ont constitué des directions de l’offre de soins et/ou de l’autonomie), elle lui a confié également d’autres domaines d’intervention, notamment la mise en œuvre au niveau régional de la politique de santé publique. À ce titre, l’ARS organise la veille sanitaire, l’observation de la santé, le recueil et le traitement des signalements d’évènements sanitaires. Elle contribue à l’organisation de la réponse aux urgences sanitaires et à la gestion des situations de crise sanitaire. Elle établit un programme annuel de contrôle du respect des règles d’hygiène ; elle réalise les prélèvements, analyses et vérifications prévus dans ce programme et procède aux inspections nécessaires. Elle est chargée de la politique de santé environnementale (qualité de l’eau, de l’air). Elle définit et finance des actions visant à promouvoir la santé, à éduquer la population à la santé et à prévenir les maladies, les handicaps et la perte d’autonomie, et veille à leur évaluation.