Prévention de l’épuisement professionnel des soignants - Objectif Soins & Management n° 0287 du 07/07/2022 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0287 du 07/07/2022

 

Sur le terrain

DOSSIER

Constance Flamand-Roze   Sébastien Dupont  

Docteure en neurosciences, hypnopraticienne, praticienne en Techniques d’Optimisation du Potentiel, orthophoniste
**Ancien formateur-référent de la préparation mentale militaire, expert en Techniques d’Optimisation du Potentiel, maître-praticien en hypnose et PNL, coach, formateur, conférencier, dirigeant de l’organisme Cano-P Formations.
***Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt

Les soignants sont en souffrance depuis plusieurs années et la crise sanitaire liée au Covid-19 a encore exacerbé cette situation. Reconnaître les signes d’épuisement professionnel est essentiel pour initier une réflexion sur les moyens d’y faire face. Il existe des techniques et outils efficaces qui induisent un mieux-être et aident à gérer les situations difficiles.

Jacques Malet, président de l’Institut Recherches et Solidarités et auteur de l’enquête « La France bénévole »(1), nous apprend que s’engager rend heureux ! Et pourtant… De nombreuses études, antérieures à la crise sanitaire liée à la Covid-19, ont montré que les soignants sont en souffrance, et ce quelle que soit leur profession. Une thèse de médecine de la faculté de Lille datant de 2013, consacrée aux médecins hospitaliers, établit que le taux de burnout des médecins français serait compris entre 38 % et 52 %(2). D’après l’enquête menée par le Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom) en 2016 auprès de 8000 étudiants et jeunes médecins, près du quart des répondants évaluait leur état de santé comme étant « moyen » ou « mauvais » et 14 % d’entre eux déclaraient avoir déjà eu des idées suicidaires. Et ce fléau n’épargne aucune profession chez les soignants. Quelques chiffres édifiants : on estime qu’actuellement, près de 7 soignants sur 10 sont en épuisement professionnel. 98 % déclarent avoir ressenti des symptômes de burnout à un moment ou à un autre de leur carrière. 62 % des soignants exerçant en France déclarent que la pandémie de la Covid-19 n’a fait qu’exacerber un sentiment déjà présent(3).

Burnout, bore-out et brown-out 

La notion de burnout n’est pas récente. En effet, en 1768 le docteur Samuel Auguste Tissot, médecin suisse, décrit les effets des mauvaises conditions de travail sur la santé, et préconise déjà̀ des mesures préventives(4). Le terme « burnout » apparaît en 1974. C’est un psychothérapeute américain, Herbert Freudenberger, qui le premier a établi un lien entre l’investissement du personnel soignant et l’épuisement professionnel. Il décrit ce syndrome comme « un incendie qui détruit de l’intérieur lorsque l’on s’épuise en voulant atteindre un but irréalisable »(5). En 2005, l’Organisation mondiale de la santé donne sa propre définition du syndrome d’épuisement professionnel : « sentiment de fatigue intense, de perte de contrôle et d’incapacité à aboutir à des résultats concrets au travail »(6).

Avant le burnout, les soignants sont confrontés à la fatigue de compassion : ils sont en permanence face à des personnes en situation de détresse, mais également confrontés à la souffrance, la violence et la mort. Apparaissent alors une douleur morale, mais également une anxiété et un stress chronique ainsi que des contre-transferts négatifs. L’image de soi est altérée, et le sentiment de vulnérabilité se construit insidieusement. Cette porte d’entrée au burnout casse le sens du soin, le sentiment de sécurité au travail, altère l’estime de soi, et parfois le goût du soin relationnel.

Au-delà du burnout, de nouvelles notions ont vu le jour : le bore-out et le brown-out. Le bore-out (l’ennui au travail) se retrouve chez les personnels effectuant des tâches répétitives jusqu’à l’ennui, comme les tâches administratives. Le brown-out (qui désigne la perte de sens que l’on donne à son travail) semble encore plus fréquent en raison de la déshumanisation des soins, évoquée par tous les soignants qui en souffrent. S’ensuit un sentiment de désintéressement et d’absurdité, avec cette impression d’être totalement interchangeable(7).

Comment reconnaître le burnout ?

Il faut noter qu’il n’y a pas de personnalité pré-morbide particulière. Certains éléments peuvent toutefois être considérés comme des facteurs de risque : de mauvaises capacités d’adaptation aux difficultés du travail, un excès d’idéalisation de la profession, le manque de reconnaissance et l’absence de possibilité de promotion en font partie.

Le burnout est d’installation progressive et souvent insidieuse. Il comprend quatre phases(8) (figure 1) :

- phase d’engagement : la personne est très impliquée dans son activité (plus que la moyenne de ses collègues) ;

- phase de surengagement : suite à un événement déclencheur (nouveau projet, changement de position ou d’organisation…), le travail prend toute la place au détriment de la vie privée ;

- phase de résistance durant laquelle la personne nie son surmenage et s’acharne ;

- phase d’effondrement, où l’estime de soi est anéantie, la concentration et le travail impossible. Le cerveau et parfois le corps patinent, la machine ne répond plus.

Les symptômes sont d’ordre :

- émotionnel : anxiété, tensions musculaires diffuses, tristesse, manque d’entrain, irritabilité, hypersensibilité, absence d’émotion ;

- cognitif : troubles de la mémoire, de l’attention, de la concentration, des fonctions exécutives ;

- comportemental : repli sur soi, isolement social, comportement agressif, diminution de l’empathie, ressentiment et hostilité à l’égard des collaborateurs ;

- motivationnel : désengagement progressif, baisse de motivation, effritement des valeurs associées au travail, doutes sur ses propres compétences et dévalorisation ;

- physique : asthénie, problèmes de sommeil, troubles musculo-squelettiques (lombalgies, cervicalgies…), crampes, céphalées, vertiges, anorexie, troubles gastro-intestinaux.

Pistes et solutions

Activités et sport

En 2009, le psychogériatre Cyril Hazif-Thomas et ses collaborateurs proposaient différentes approches non médicamenteuses pour aider le personnel soignant victime de burnout : de la méditation pleine conscience, du shiatsu, de la musicothérapie…(9)

Retrouver la motivation peut également diminuer son sentiment d’inutilité avant que le burnout ne s’installe. Et pour cela, il existe une solution imparable : bouger ! En effet, la motivation est gérée par le cortex préfrontal, connecté au système limbique… et aux structures cérébrales impliquées dans la motricité. Des approches engageant autant le corps que l’esprit permettent donc de s’impliquer plus intensivement et plus activement, et ainsi favoriser le changement.

Les Techniques d’Optimisation du Potentiel

Créées par le Dr Édith Perreaut-Pierre dans les années 1990, les Techniques d’Optimisation du Potentiel® (TOP) étaient initialement destinées aux militaires afin de les aider à gérer les situations anxiogènes. Ces exercices simples à intégrer et rapides à pratiquer apprennent à se préparer mentalement à des situations stressantes, mais également à faire face et à récupérer.  Il ne s’agit pas de thérapie, mais de pédagogie : les personnes deviennent autonomes et comprennent comment gérer leur stress, leur sommeil, leur fatigue. Ces techniques sont rapides, reproductibles très facilement, et favorisent l’autonomie(10).

Ces techniques reposent sur un socle de travail de la respiration, de la relaxation, de la dynamisation, de l’imagerie mentale et du dialogue interne. Elles permettent d’apprendre à se gérer en fonction des échéances du quotidien : apprendre à récupérer et à se relaxer, réguler ses états émotionnels et physiques, mais aussi se dynamiser quand il le faut.

Sa créatrice en parle comme d’une « méthode de préparation mentale qui s’inscrit dans une approche globale de la personne et constitue une composante indispensable à la mise en condition professionnelle et opérationnelle, individuelle et collective ».

Comment fonctionnent les TOP ?

La devise de Georges Guynemer, héros emblématique de l’Armée de l’Air mort au combat pendant la première Guerre mondiale, « Faire face » pourrait résumer l’objectif opérationnel des TOP : le mieux-être au bénéfice du mieux faire, un savoir-faire au service du savoir-être. L’apprentissage des TOP permet à l’individu une gestion holistique, tant sur les plans physiques (prévention des états de fatigue et de stress) que cognitifs (projection et programmation mentale d’objectifs, renforcement de la mémoire procédurale par travail d’imagerie) et comportementaux (apprentissage des règles d’hygiène du sommeil, de gestion des temps forts et des temps faibles, de repérage et de gestion des facteurs de stress). Une réponse à un besoin formulé par les armées il y a plus de 30 ans, mais qui trouve aujourd’hui toute sa place dans le secteur du soin tant le parallèle semble évident, en termes de sollicitations et de contraintes psychophysiologiques, entre le soldat et le professionnel de santé : pression temporelle, pression hiérarchique, besoin de résultat et de performance, prise de décision complexe, difficultés de gestion de l’équilibre vie professionnelle et vie personnelle…

Les TOP et les soignants

Plusieurs établissements hospitaliers ont déjà compris l’intérêt des TOP et les ont intégrés dans leur plan de formation. Ainsi, à Besançon, les agents profitent d’ateliers proposés régulièrement pendant les lesquels ils peuvent profiter d’une bulle régénérative, évacuer leurs tensions, ou encore travailler en imagerie sur la programmation d’un objectif personnel ou professionnel précis pour l’aborder plus aisément. Depuis 2018, le CHU de Nantes a mis en place une formation aux TOP pour l’ensemble de l’encadrement. L’objectif initial était d’apporter à ces professionnels des techniques pour eux-mêmes, mais aussi d’inciter les membres de leurs équipes à se former, ce qui est possible grâce à l’ouverture à la formation à partir de 2022. À la Réunion, le CHU est allé encore plus loin, en développant une politique complète d’appropriation des TOP en contexte hospitalier. Plusieurs cadres de santé et éducateurs spécialisés ont suivi le cursus « Praticien TOP » complet. Ils disposent désormais de nouvelles stratégies à intégrer dans leurs processus respectifs de management et de soins psychoéducatifs.

L’enrichissement des TOP

Pendant le premier confinement particulièrement, nous avons proposé à de nombreux soignants la pratique et l’appropriation de ces techniques rapides et efficaces. Constatant leur enthousiasme et la réelle plus-value de l’approche agissant comme un vecteur fort de résilience (voire probablement de prophylaxie), nous avons alors décidé de proposer des « stages thérapeutiques », dans une formule intégrative associant les TOP à des techniques d’hypnose, des notions de programmation neuro-linguistique (PNL) et d’apprentissage de l’autohypnose. Pendant ces programmes de formation de 2 à 3 jours réalisés en petits groupes de 6 à 8 personnes, les participants bénéficient d’une dizaine de séances avec des outils pratiques adaptés (respirations, relaxation, imagerie mentale…) mais également d’un contenu théorique riche, afin d’apprendre à « Faire face » en autonomie (angoisses, émotions, sommeil, fatigue, douleurs).

Les participants peuvent faire le point sur leur stress et leur état d’épuisement, physique comme psychique, grâce à des échelles scientifiques, ressentir les bienfaits d’exercices de respiration simples et facilement reproductibles en toute circonstance, tester différents modes de relaxation qui engagent plus ou moins le corps, et choisir ceux qu’ils préfèrent. L’imagerie mentale est utilisée pour leur permettre d’accéder au changement qu’ils sont venus chercher. Chaque séance est largement débriefée afin que chacun retienne de ces expériences et ces apprentissages ce qui lui conviendra, l’intellectualise, se l’approprie et l’intègre dans son quotidien personnel et professionnel.

Depuis la mise en place de ces formations, nous avons accueilli plus de 180 personnes qui sont venues bénéficier de ces stages. Leurs retours toujours positifs nous encouragent à poursuivre dans cette voie, afin d’aider les soignants soumis au stress et au burnout à trouver en eux des ressources facilement et rapidement mobilisables.

Conclusion

L’épuisement professionnel dans le domaine des professions de santé n’est pas une fatalité. Pour le prévenir, il est nécessaire, comme le conseille la Haute autorité de santé(11) d’instituer très précocément dans les programmes de formation initiale de tous, des réflexions autour des réalités de chaque métier et de donner aux futurs professionnels les outils qui leur permettront d’y faire face.

Pourquoi les soignants sont-ils tellement touchés par l’épuisement professionnel ?

Le manque de temps pour effectuer correctement son travail est une des raisons les plus souvent citées, à égalité avec le manque de moyens. La déshumanisation des soins est aussi très mal vécue par les soignants qui, au-delà du soin, sont assignés à des tâches administratives de plus en plus nombreuses, contraignantes et chronophages. Le manque de considération et de reconnaissance fait également perdre peu à peu l’estime de soi, ainsi que les difficultés de communication entre collègues. L’épuisement émotionnel lié à la compassion vient d’une difficulté grandissante à faire face à une émotion ou à un effort supplémentaire et est générateur de stress chronique. À cela s’ajoutent la perte du sens d’accomplissement de soi au travail (brown-out), la démotivation, le doute quant à ses compétences par manque de reconnaissance et d’encouragements.

Pour en savoir plus

- Dupont S. Performer grâce à la maîtrise émotionnelle. TEDx Talks, 2020. https://www.youtube.com/watch?v=JBG9p3MxiCM

- Flamand-Roze C. L’hypnose est le seul langage qui ne ment pas. Éditions les Arènes, 2018.

- Flamand-Roze C. Quand l’hypnose soigne les médecins. Éditions les Arènes, 2022.

Figure 1. Les quatre phases du burnout.
  • Références
  • 1. Malet J, Bazin C. La France bénévole. Gualino, 2009.
  • 2. Lekadir P. Le burn out des médecins hospitaliers : aspects historiques, cliniques et perspectives. Thèse pour le diplôme d’état de docteur en médecine, Université de Lille, 2013.
  • 4. Tissot S. De la santé des gens de lettres. Fr Didot le jeune, 1768.
  • 5. Freudenberger HJ. Staff Burn-Out. Journal of Social Issues. 1974;30(1):159-65.
  • 6. Le Galès-Camus C. La santé en milieu de travail : impact sur la qualité de vie et sur la productivité. Allocution à l’Organisation mondiale de la santé, Montréal, 2005.
  • 7. Thomas P, Barruche G, Hazif-Thomas C. La souffrance des soignants et fatigue de compassion. La revue francophone de gériatrie et de gérontologie. 2012 ; 187 : 266-73.
  • 8. Lefebvre des Noëttes V, Marc B, Marc G. Soigner les soignants. Les soignants face à la crise sanitaire et hospitalière, MA Éditions-Eska, 2021.
  • 9. Hazif-Thomas C, Roulleaux J, Thomas P. Quelles stratégies thérapeutiques adopter face au burnout des soignants ? NPG. 2009 ; 9 : 251-5.
  • 10. Perreaut-Pierre É. Comprendre et pratiquer les techniques d’optimisation du potentiel. InterEditions, 2014.
  • 11. Haute Autorité de santé (HAS). Rapport Qualité de vie au travail et qualité des soins : revue de la littérature, janvier 2016.