OBJECTIF SOINS n° 0288 du 31/08/2022

 

QUALITÉ

Annabelle Mathon  


*cadre supérieure de santé - Qualité, Gestion des risques, Relations avec les usagers
**Centre hospitalier Simone Veil, Blois

De l’usager de la santé au patient partenaire, les termes utilisés pour évoquer la personne malade ont évolué au fil du temps. La relation soignant-soigné a connu elle aussi des modifications, impliquant toujours davantage le patient dans les décisions qui le concernent.

Il y a vingt ans, la loi Kouchner, promulguée le 4 mars 2002(1), renforçait le droit des usagers de la santé, en plaçant le malade au centre des soins et en rééquilibrant les relations patients-médecins. Cette loi reconnaît au malade des droits individuels fondamentaux (droits à l’information, consentement aux soins, secret médical, dignité…) et des droits collectifs, en intégrant les représentants des usagers et associations au sein des instances, par exemple. En 2016, la loi Touraine(2) venait conforter le rôle des représentants des usagers (RU) au sein de la commission des usagers (CDU).

Ainsi, peu à peu, la place du « patient acteur » s’est affirmée dans le système de santé. Cette approche « centrée sur le patient » a aujourd’hui évolué vers un autre concept, celui du « patient partenaire ». Qui est ce nouvel acteur de la démocratie sanitaire ?

L’évolution de la relation soignant-soigné 

Pendant plusieurs décennies, le paternalisme soignant était la règle. Bien que prenant en compte l’intérêt des patients, les soignants, seuls « sachants », gardaient le monopole de la décision pour la santé de leurs patients.

Dans les années 2000, une démarche « centrée sur le patient »(3) s’est développée. Considérant chacun d'entre eux comme unique, elle s’appuie sur :

- une personnalisation des soins, nécessitant une écoute et une prise en compte de ses connaissances, de son vécu, de ses représentations, de ses besoins et attentes,

- le développement et le renforcement des compétences du patient afin qu’il puisse être acteur dans la prise de décisions concernant sa santé, ce qui fait écho aux actions d’éducation thérapeutique,  

- le suivi et le soutien au patient tout au long de son parcours, par une même équipe pluriprofessionnelle et si besoin pluridisciplinaire, pour maintenir l’engagement de la personne en faveur de sa santé.

Cette démarche implique le renforcement des liens entre le patient, ses proches, le professionnel de santé ou l’équipe soignante, et amène à construire une nouvelle relation de type partenariale, dans laquelle l’engagement du patient est renforcé.

Les différentes formes d’engagement du patient

Selon Carman et al.(4), l’engagement des usagers, des patients, de leurs proches ou des aidants peut se concevoir sous différentes formes et à plusieurs niveaux du système de soins (clinique, organisationnel ou politique).

L’information orale ou écrite (dépliants…) est la forme d’engagement la plus simple dans le domaine de la clinique. Il s’agit d’un mode de transmission de connaissances « passif ».

La consultation du patient constitue une forme de participation plus active de celui-ci. Le patient entre en interaction avec l’équipe soignante. Reconnu comme une personne singulière avec des habitudes de vie, des valeurs, des attentes, il est invité à s’exprimer.

La collaboration va plus loin. En effet, le patient devient alors réellement acteur de la décision, qui n’appartient plus aux seuls soignants mais qui est partagée.

Enfin, le partenariat constitue une forme plus complète d’implication du patient (figure 1). Le partenariat peut être défini comme une « démarche qui s’étale dans le temps permettant la création d’un lien de confiance entre les différents acteurs »(5). Il s’agit d’une véritable démarche de coopération, synergique, où les savoirs de chacun, soignants et patients, sont reconnus. Aussi appelé « leadership coopératif », ce partenariat prévoit le partage des responsabilités entre les soignants et le patient pour la prise de décision. 

« Partenaire de soins » : un nouveau paradigme

Les Canadiens définissent le partenariat patient en santé comme une « relation de collaboration égalitaire entre les partenaires que sont le patient, ses proches aidants et les intervenants, les gestionnaires et les décideurs des services de santé et des services sociaux »(4). Ce processus de reconnaissance mutuelle des savoirs, acquis ou expérientiels, permet au patient d’intégrer l’équipe de soins et vise à lui permettre, in fine, de faire ses propres choix de santé, de manière libre et éclairée.

D’après Marie-Pascale Pomey(6), le nouvel enjeu que constituent les maladies chroniques, avec lesquelles les patients doivent apprendre à vivre sur le long terme, et dont l’évolution reste liée à leurs habitudes de vie, a favorisé ce changement de paradigme. Les patients atteints de maladie chronique développent des savoirs expérientiels essentiels, définis comme un « ensemble des savoirs tirés des situations vécues avec la maladie, qui ont eu un impact pour le patient, tant sur ses façons de prendre soin de lui, d’interagir avec les intervenants, que sur sa manière d’utiliser les services de santé et les services sociaux »(4).

L’expertise acquise par le patient devient donc complémentaire de celle des professionnels de santé. 

Le modèle de l’université de Montréal

Implanté depuis une dizaine d’années, le modèle relationnel du « patient partenaire de soins » de l’Université de Montréal reconnaît ce dernier « comme un membre à part entière – un partenaire – de l’équipe de soins, au même titre que les professionnels »(7). Il favorise l’engagement progressif et continu des patients pour la mise en place d’un partenariat qui peut se décliner dans plusieurs domaines :

- lors de la prise en soins, afin d’améliorer les capacités du patient à autogérer sa santé. Celui-ci est impliqué tout au long de son parcours de soins et peut, par exemple, être accompagné par un « patient ressource » pour le guider dans ses choix, un « pair-aidant » ayant traversé le même parcours, ou bénéficier d’éducation thérapeutique avec un « patient intervenant » ;

- dans l’organisation et la gouvernance : l’expérience des patients peut-être un atout dans la construction des parcours des soins, dans de nombreux projets d’amélioration de la qualité des soins (immobiliers par exemple), au sein des instances en vue d’une co-décision ;

- en politique de santé : l’engagement patient peut être individuel ou bien au sein de groupes ou associations ;

- dans l’enseignement : les expériences de pédagogie innovante se développent en associant des « patients enseignants » dès la formation initiale (en Faculté de médecine par exemple), offrant ainsi de nouvelles perspectives aux étudiants ;

- dans le domaine de la recherche : les patients partenaires peuvent collaborer activement avec les équipes de recherche, comme le montrent, par exemple, les témoignages de patients, recueillis par le CHU de Bordeaux, sur leur vécu d’un essai clinique au quotidien(8).  

Ce modèle multidimensionnel montre toute la richesse de cette nouvelle approche et tout son potentiel d’applications à développer.  

Conclusion

Concept émergent mais parfois confus, l’approche du patient partenaire est une véritable révolution culturelle qui offre de multiples perspectives d’évolution du système de santé et de nos pratiques, dès lors que les soignants acceptent de ne plus être les seuls détenteurs du savoir.

Le modèle du patient partenaire dépasse l’approche centrée sur le patient et nous invite à une santé plus démocratique, où les patients (et leurs proches) et les soignants ont une place et une voix égalitaire. De patient passif, le patient devient un allié précieux, dont les savoirs acquis ouvrent le champ de multiples collaborations. 

Recueillons les initiatives des équipes et communiquons sur nos expériences pour accompagner cette évolution de la relation soignant-soigné.

Notes

1. Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, https://www.legifrance.gouv.fr/

2. Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, https://www.legifrance.gouv.fr/

3. Haute Autorité de santé (HAS). Mise au point « Démarche centrée sur le patient : information, conseil, éducation thérapeutique, suivi », 2015. https://www.has-sante.fr/

4. Carman KL, Dardess P, Maurer M, et al. Patient an family engagement: a framework for understanding the elements and developing interventions and policies. Health Aff (Millwood) 2013 Feb;32(2):223-31.

5. Terminologie de la Pratique collaborative et du Partenariat patient en santé et services sociaux

6. Pomey MP. et al. Le « Montréal model »: enjeux du partenariat relationnel entre patients et professionnels de la santé. Santé Publique 2015/HS (S1) : 41-50.

7. Pétré B. et al. L’approche Patient Partenaire de Soins en question. Revue Med Liège 2018 ; (73) 12 : 620-5.

8. Pour en savoir plus :

https://www.chu-bordeaux.fr/Professionnels-recherche/Recherche-clinique-et-Innovation/Participer-à-une-recherche-clinique/

https://www.youtube.com/watch?v=s029e2lfRTc

Projet AVEC : Analyse du Vécu d'un Essai Clinique « Les patients parlent aux patients ». https://www.chu-bordeaux.fr/Professionnels-recherche/Recherche-clinique-et-Innovation/Actualit%C3%A9s-recherche-clinique-et-innovation-CHU-de-Bordeaux/Projet-AVEC-:-Analyse-du-V%C3%A9cu-d-un-Essai-Clinique-%22les-patients-parlent-aux-patients%22/

Quatre questions à Alexis Vervialle, Conseiller Santé, France Assos Santé

Comment France Assos Santé s’empare-t-elle du sujet du « patient partenaire » ?

Ce thème est devenu prégnant et France Assos Santé a souhaité déployer plusieurs actions, notamment :

- le lancement d’un groupe de réflexion national sur les différentes formes d’engagement comprenant des représentants des usagers (RU), des associations, des patients partenaires et des chercheurs ;

- la création d’un groupe d’échange entre RU et patients partenaires.

Nés de la loi Kouchner, les RU sont membres d’associations agréées et mandatés par arrêté du directeur général de l’Agence régionale de santé, disposent d’une formation obligatoire à leurs missions, nommée « RU en avant ! », organisée par France Assos Santé, et accèdent à un catalogue de formations pour renforcer leurs compétences. 

Aujourd’hui, on constate une diversification des formes d’engagement. Chacun peut participer, selon son niveau d’investissement, au système de santé : s’impliquer dans son projet de soin, accompagner d’autres patients, monter une association ou un groupe de parole, lancer un forum sur internet, etc.

Le mouvement autour du patient partenaire est très dynamique, en plein développement, avec une grande richesse et une multiplicité d’expérimentations locales. Je constate cependant un bouleversement sémantique et un éclatement des ressources disponibles. C’est le propre d’un mouvement en pleine ébullition, mais cela peut constituer un frein à l’appropriation si le travail de mise en commun et d’échanges sur les définitions n'est pas effectué. En effet, entre les termes « patient expert », « patient ressource », « pair aidant », « patient formateur », « patient intervenant » etc., il est parfois difficile de s’y retrouver. De même, la littérature sur le sujet devient de plus en plus abondante, mais avec une approche encore cloisonnée par pathologie ou par champ (santé mentale, addictions, maladies chroniques, précarité etc.). Quant au droit, il semble avoir pris du retard sur les pratiques puisque le code de la santé publique ne reconnaît pour le moment que deux types d’engagement : la représentation des usagers et l’éducation thérapeutique.

Quels sont les pré-requis nécessaires pour s’engager dans la démarche ?

Tout d’abord, cette évolution culturelle nécessite un engagement et un soutien affirmé de la gouvernance de l’établissement, pour une réelle reconnaissance des savoirs et de l’expertise des patients. Cette orientation peut s’inscrire dans le projet d’établissement. Ensuite, un travail préparatoire s’avère parfois nécessaire pour lever les représentations : c’est pourquoi je conseille toujours de créer un espace de rencontre avec les RU, visant à reconnaître la complémentarité de chacun, patients partenaires et RU, autour d’objectifs partagés.

Comment initier le mouvement ?

Communiquer et repérer les différentes initiatives menées sur le terrain, dans les services de soins par exemple, peut constituer une première étape. Cela permet de dresser une cartographie des actions de partenariat et des ressources déjà identifiées en interne. Par la suite, il est possible de créer un groupe d’échanges sur les « bonnes pratiques » repérées et ainsi, de capitaliser sur l’expérience acquise. 

Comment recruter des patients partenaires ?

Plusieurs formations universitaires existent désormais pour les patients partenaires comme pour les professionnels de santé. Toutefois, il ne s’agit pas de réserver ces démarches à des patients disposant d’un diplôme universitaire, d’autres dispositifs d’accompagnement et de développement des compétences pouvant être proposés. 

En revanche, il faut avoir à l’esprit quelques points de vigilance quant au secret professionnel, aux éventuels conflits d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique, etc. Les risques de dérives sont donc à anticiper dès le recrutement du patient partenaire, avec une organisation préalablement définie.

Par exemple, à Montréal, le guide du recrutement des patients partenaires* prévoit que « les experts de la vie avec la maladie » suivent un parcours de recrutement comportant un entretien téléphonique, un entretien présentiel de mise en situation, une formation puis la signature d’un engagement (clause de confidentialité…). Pour ce qui est du domaine spécifique de l’éducation thérapeutique, le ministère de la Santé a publié un guide de recrutement de « patients intervenants »**, qui propose différentes fiches outils, de l’appel à candidature au guide d’entretien. Bien sûr, il convient d’adapter ces outils au contexte de chaque établissement. 

Une collaboration patient-professionnel au service de l’amélioration continue de l’offre de soins

Tout commence un matin quand l’oncologue m’appelle pour me proposer de rencontrer une patiente qui souhaite débuter un diplôme universitaire (DU) de « patient expert en cancérologie ». À la suite de cette rencontre, où la patiente m’expose son parcours, ses aspirations et ses projets, une convention est établie dans le cadre de son stage pour le DU qu’elle réalise à la Sorbonne à Paris. Son objectif est de dessiner le parcours de soins en cancérologie sur Blois, avec un focus ville-hôpital, par une observation en situation immersive. Il s’agit de construire la ou les réponses manquantes dans ce parcours, pour un patient de moins de 50 ans. Nous travaillons un parcours de stage incluant nos partenaires de Santé EsCALE 41 (structure d’appui aux professionnels, de coordination des parcours de santé et d’éducation thérapeutique).

Les deux jours de stage dans le service sont préparés et présentés aux équipes paramédicales et médicales. Ils se décomposent en plusieurs temps : l’observation d’une séquence de travail de l’ensemble des professionnels de santé, dans le respect de l’intimité des patients, puis une observation en hôpital de jour de cancérologie suivie d’un échange avec une infirmière du 3C (Centre de Coordination en Cancérologie) et enfin, un temps de feed-back avec les équipes soignantes pour clôturer le stage.

Ces journées sont très riches et apprenantes pour tous. La patiente est très émue de se sentir intégrée à l’équipe, ne serait-ce que pour quelques heures, et qu’on lui propose de porter une blouse. En retour, elle émet des observations pertinentes à l’équipe, notamment sur la communication soignant-soigné : par exemple, sur la difficulté des soignants à s’extraire de leur langage d’experts. 

Depuis, nous construisons les modalités de mise en lien entre nos patients et notre patiente experte. Des idées émergent, comme l’utilisation du récit biographique ou de la photothérapie. Une offre de soins de support complémentaire à ce qui existe déjà aujourd’hui se met en place, dans l’objectif de faciliter le parcours de nos patients.

Sandra Rabusseau, Cadre de santé en oncologie, Blois