Isabelle Bayle - Objectif Soins & Management n° 0289 du 30/09/2022 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0289 du 30/09/2022

 

Portrait

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Claire Pourprix

  

Directrice des soins, coordonnatrice des Instituts de formation en santé du CH de Saverne (Bas-Rhin) et des Ifsi/Ifas du CH de Sarrebourg (Lorraine), Isabelle Bayle est aussi docteur en sciences de l’éducation et de la formation et maître de conférences en sciences infirmières. Son parcours allie les approches professionnelle et universitaire. Cette richesse lui permet de prendre du recul et de la hauteur sur le métier de cadre de santé formateur. Un atout dans le contexte de l’universitarisation de la formation.

C’est en soins intensifs, au sein du CH André-Bouloche à Montbéliard (qui a depuis fusionné avec celui de Belfort), qu’Isabelle Bayle a fait ses premiers pas dans la profession infirmière. Diplômée en 1989, elle exerce au sein de ce service à orientation chirurgicale, en alternant sur des postes de jour et de nuit. Très rapidement, elle occupe un poste de faisant-fonction de cadre de santé formateur pendant un an. « Dès ma formation en école d’infirmière, j’avais été détectée par la directrice de l’institut de formation. En fin de 3e année, alors que j’avais pour projet d’être infirmière, elle m’a dit qu’elle viendrait rapidement me recruter… », confie-t-elle. Isabelle Bayle part alors à Nantes se former au métier de cadre de santé formateur et suivre un double diplôme en licence en sciences de l’éducation avec l’Université d’Aix-Marseille. « Cela a été un véritable virage pour moi car j’ai pris conscience de l’apport de l’universitaire », se souvient-elle. Un tournant qui explique toute la suite de son parcours.

En 1998, en raison d’une mutation de son mari, elle rejoint l’Institut de formation de Saverne comme cadre de santé formateur. Elle intervient auprès des étudiants de la première à la troisième année ainsi qu’auprès des aides-soignants. En 2009, elle devient coordinatrice pédagogique en charge de la conception, de la mise en œuvre et de l’évaluation du dispositif de formation, tout en manageant l’équipe pédagogique sur le champ de la pédagogie. Dans le même temps, Isabelle Bayle poursuit son apprentissage : elle suit à l’université de Strasbourg un master 1 en sciences de l’éducation en 2006, puis un master 2 en ingénierie de la formation et des compétences en 2007. Son objectif ? « Sortir de mon quotidien, enrichir ma pratique professionnelle et me décentrer par rapport au monde de la santé avec des apports universitaires. Je souhaitais accroître mes connaissances tout en portant un regard réflexif sur ma pratique, pour la faire évoluer et la transmettre aux équipes. »

L’ergologie au service de la recherche infirmière

Dans le cadre de son master 2, Isabelle Bayle mène une recherche sur la manière dont les professionnels de terrain transmettent leurs valeurs et leurs codes professionnels aux étudiants en formation. « J’ai rédigé mon mémoire sur ce thème en utilisant un concept peu connu, l’ergologie, une démarche qui consiste à produire des savoirs sur l’activité humaine, souligne-t-elle. Avec l’aide de mon directeur de mémoire, j’ai adapté des éléments puisés dans la littérature de l’ergologie et utilisé le dessin comme moyen d’expression, d’auto-confrontation de points de vue entre les professionnels du terrain et les étudiants. À la fin de mon master 2, je pensais en rester là mais des universitaires sont venus me chercher pour faire des conférences au sujet de ma méthodologie de recherche et des résultats obtenus sur la thématique du tutorat. Cela m’a conduite à travailler pendant deux ans avec mes deux directeurs de masters avant de m’engager dans une démarche doctorale en sciences de l’éducation à compter de 2019. » Son thème de recherche : l’activité spécifique des cadres de santé formateurs. L’objectif était de savoir comment valoriser ce métier et pouvoir identifier quelles étaient les activités prévalentes d’un formateur, non visibles sur la scène publique, afin de faire évoluer les discours et les représentations que les autres professionnels peuvent avoir à propos de cette profession.

De l’université à l’EHESP

Parallèlement, en 2017, alors que le directeur de l’Ifsi de Saverne partait à la retraite, Isabelle Bayle s’est formée à l’EHESP en vue de prendre le poste de directrice des soins à la demande de son directeur. « Je ne l’envisageais pas au préalable mais mes directeurs de thèse m’ont convaincue de l’utilité de cette formation, arguant que la double diplomation me donnerait plus de crédibilité dans le contexte d’universitarisation de la formation infirmière, et une certaine place sur le champ professionnel de l’exercice infirmier en matière de stratégie de développement des établissements de santé. »

De l’EHESP au doctorat, elle a fait un grand écart entre deux logiques différentes, deux mondes éloignés l’un de l’autre sur bien des aspects. Mais la double appartenance professionnelle et universitaire lui est d’une grande richesse. Isabelle Bayle a appris à décoder et identifier des points d’ancrage pour que chacun puisse se comprendre et cette double formation est une force au quotidien pour échanger avec les différents interlocuteurs.

Elle partage ses travaux sous de multiples formes : publication d’ouvrages, articles, communications orales dans des colloques sur le champ de la discipline des sciences infirmières, enseignements à l’université… Et met aussi à profit ses recherches au sein du Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec), dont elle a été réélue vice-présidente pour un deuxième mandat en 2021, en charge de la recherche et de l’innovation. Suite directe de sa thèse, elle vient de rédiger, avec Marielle Boissart, vice-présidente en charge de la formation infirmière initiale du Cefiec, un livre blanc sur les activités des cadres de santé formateurs en institut de formation. « Nous avons dressé cinq profils de formateurs pour les années à venir et allons communiquer avec le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation ainsi que le ministère de la Santé et des Solidarités, afin de diffuser nos préconisations et construire des perspectives nécessaires à l’évolution de l’exercice professionnel des formateurs. »

Entre direction d’instituts, recherche et enseignement

Sur le terrain, Isabelle Bayle a pris la direction des Instituts de formation de Saverne en 2018, un poste étendu aux Instituts de formation de Sarrebourg en 2020, suite à l’évolution d’une direction commune sur plusieurs établissements de santé. Soit, au total, 480 étudiants et une équipe de 28 personnes à manager. Coresponsable des unités d’enseignement de recherche des infirmières de pratique avancée sur l’université de Strasbourg, elle intervient aussi dans plusieurs masters à Strasbourg, auprès des patients experts à l’université de la Sorbonne, aux IFCS de Strasbourg, de Nancy… et est rattachée au Laboratoire interuniversitaire des sciences de l'éducation et de la communication (Lisec) de l’université de Strasbourg dans l’équipe « Activité travail identité professionnelle » (Atip). Tout récemment, elle a été promue maître de conférences par le Conseil national des universités (CNU) 92 des sciences infirmières, l’instance responsable de la promotion du corps universitaire en sciences infirmières, qui se charge du suivi de carrière des enseignants-chercheurs. « C’est pour moi l’aboutissement de mon engagement dans l’axe universitaire », confie-t-elle.

À cela s’ajoute son engagement dans des groupes de travail ministériel au nom du Cefiec, sur la mise en place et la construction de la plateforme Parcoursup par exemple, le référentiel aides-soignants, ou encore au sein d’un comité d’expertise sur des projets d’expérimentation universitaires. Isabelle Bayle est notamment impliquée dans la création des départements de sciences infirmières, à l’échelle locale et nationale. « L’enjeu est de parvenir à construire ces départements avec les professionnels en instituts de formation et avec les universitaires, dans une logique de pluridisciplinarité, pour parvenir à donner une place aux sciences infirmières tant en filière master que doctorat. Il ne faut plus penser les dispositifs en tuyau d’orgues, les uns à côté des autres. » Le département a été créé au sein de l’université de Strasbourg ; un projet d’expérimentation pour permettre des passerelles entre les filières est prévu pour la rentrée 2023.

Une priorité : le bien-être des équipes et des apprenants

Pour elle, l’ouverture sur l’extérieur est l’opportunité d’avoir des idées nouvelles, de découvrir des innovations et des dispositifs qui existent dans d’autres secteurs pour faire évoluer les instituts de formation. Son activité de directrice des soins et coordonnatrice des instituts de formation en santé se décline en trois axes : l’évolution stratégique des instituts, la recherche, le management des équipes et le bien-être des professionnels.

Isabelle Bayle veille à ce que la recherche trouve sa place dans les équipes pédagogiques. Faire évoluer les pratiques, transmettre des données, témoigner, rendre visible la manière dont elles peuvent servir à l’évolution des pratiques professionnelles… « Il y a encore beaucoup d’efforts à faire mais c’est en marche, estime-t-elle. J’ai créé des « cafés gourmands pédagogiques » avec mes équipes, où l’on échange autour d’un article par exemple. Nous effectuons aussi de l’analyse de pratique avec les cadres de santé car, de la même façon qu’on demande aux étudiants d’adopter une posture réflexive, les cadres ont tout intérêt à le faire aussi. C’est une plus-value dans leur exercice quotidien. »

C’est pour eux un moyen de porter un regard critique sur leur métier et cela les aide à « grandir » sur le plan professionnel. « L’une de mes responsabilités est de détecter le potentiel et les talents de chacune des personnes, pour les aider à se développer et se construire dans leur évolution professionnelle, la dynamique de l’équipe. J’accorde une grande importance au bien-être des membres de l’équipe et des apprenants. Si des professionnels se sentent bien, ils ont plaisir à venir au travail et forcément cela a un retentissement sur les apprenants au quotidien. » Elle confie faire le tour des bureaux de formateurs tous les matins et mettre à profit ces temps informels pour gérer bien des choses. « Je me balade dans les locaux, je discute avec les apprenants, vais à leur rencontre. J’ai d’ailleurs souvent les informations avant même que les formateurs me les donnent ! Cela permet de recueillir les envies des étudiants, comprendre ce qu’ils veulent faire évoluer. C’est utile pour devancer des demandes, des mécontentements, et cette pratique donne des espaces de parole. Je pense qu’elle contribue au bien-être du « bien-vivre ensemble ». L’expression permet de catalyser des énergies et de trouver des solutions à des problématiques qui n’en sont pas, de lever des incompréhensions, elle met en confrontation les personnes concernées. »

Isabelle Bayle joue un rôle de modérateur, de régulateur dans un environnement qu’elle veut bienveillant et éthique. « Il faut une certaine alchimie entre les formateurs aux talents différents pour favoriser l’épanouissement des apprenants en formation et le développement de leurs compétences, deux éléments essentiels pour répondre au mieux au monde de demain et s’intégrer dans les équipes. » Pour la directrice des soins, les instituts de formation ont une part de responsabilité sur l’attractivité des métiers de soignant. « En formation, nous faisons découvrir les métiers en amont et notre devoir est de prendre soin des apprenants pour qu’ils restent dans cette voie si c’est vraiment leur projet professionnel. Cela requiert d’être à leur écoute et d’évoluer à leur rythme. »

Au sein des instituts de formation qu’elle coordonne, Isabelle Bayle constate qu’il y a peu d’abandons d’étudiants. Néanmoins, elle estime qu’il reste de gros efforts à fournir avec l’Éducation nationale pour expliquer en quoi consistent les métiers d’infirmier et d’aide-soignant, et ainsi éviter que des candidats réalisent tardivement que ce projet ne correspond pas à celui auquel ils croyaient. Elle plaide pour le développement du tutorat des étudiants en stage. « Lors du dernier Salon infirmier, des étudiants ont expliqué qu’en stage, au bout de 10 semaines, les professionnels ne connaissaient pas leur prénom… Ils ont témoigné de propos de personnels soignants donnant une image négative de leur métier tels que « Pourquoi t’es encore là ? Nous, si on pouvait, on partirait »… C’est regrettable, car ces jeunes sont motivés ! »

De fait, ces étudiants sont passés par deux ans de Covid, ils ont vu sur le terrain en quoi consiste le métier et ont envie de défendre ses valeurs. Ce qui fait réagir Isabelle Bayle : « Nous ne devons pas laisser des soignants fatigués les en décourager. Un stage qui se passe bien, c’est un étudiant potentiel qui sera recruté demain ! »