Écrits injurieux d’un infirmier, licenciement pour faute grave d’un aide-soignant, mise à disposition d’un fauteuil électrique pour un détenu, présomption de responsabilité en matière d’infections nosocomiales, accouchement séquellaire, négligences dans la surveillance postopératoire d’une sleeve, retard de diagnostic d’une complication chirurgicale ou à la suite d’une douleur… Quelques éléments de réflexion et d’analyse en matière de pratique hospitalière et responsabilité.
La tenue par un infirmier sur une page Facebook de propos injurieux à l’égard de la direction de l’établissement est une faute quel que soit le contexte, mais la direction doit tenir compte des excellents états de service de l’agent pour prononcer une sanction modérée. (Tribunal administratif de Rouen, 31 août 2022, n° 2003204).
Un infirmier titulaire au sein du Centre hospitalier du Rouvray, par une décision du 3 juillet 2020 du directeur général, a été frappé d’une sanction disciplinaire d’exclusion des fonctions pour une durée de quinze jours, dont cinq jours avec sursis, en raison de la publication d'un commentaire injurieux à l'encontre de sa hiérarchie sur la page Facebook du collectif de soignants Les Blouses Noires. L’infirmier avait qualifié de « sales cons » les membres de la direction de l’établissement, en réaction à la publication d'une note de service portant sur la gestion des contraintes et protocoles sanitaires liés à l'épidémie de Covid-19, au sein du centre hospitalier. Il demande l’annulation de cette décision.
Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale (Loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, Art. 29).
Si les agents publics bénéficient de la liberté d'expression, cette liberté doit être conciliée avec le respect de leurs obligations déontologiques. En particulier, des propos ou un comportement agressif à l'égard d'un supérieur hiérarchique, sont susceptibles d’avoir le caractère d'une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire.
Le juge doit rechercher si les faits reprochés constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
La faute. L’infirmier explique la tenue de ces propos à la méconnaissance par la direction du centre hospitalier de l'obligation légale de protection de la santé physique et mentale des travailleurs, compte tenu, notamment, de l'absence d'évaluation des risques psychosociaux par la direction de l'établissement. Il fait valoir que le climat social et les conditions de travail sont extrêmement dégradées, ce qui, selon lui, résulte des manquements à cette obligation de sécurité. Tout ceci génère chez de nombreux agents un épuisement et un désabusement, aggravés par les contraintes d'exercice liées à la pandémie de Covid-19.
Les éléments de contexte tenant au climat social et aux conditions de travail ayant cours au sein du CHR du Rouvray peuvent être pris en compte pour apprécier la gravité des faits reprochés et la proportionnalité de la sanction infligée en conséquence, mais ils ne sauraient, à eux seuls, permettre de remettre en cause le bien-fondé de la sanction, s'agissant, en particulier, de la matérialité des faits et de leur caractère fautif. Le propos qualifiant de « sales cons » les membres de la direction du CHR constitue un manquement au devoir de réserve et à l'obligation de loyauté pesant sur tout agent public.
Le fait que ces propos résultent d'un épuisement et d'un « trop plein » lié aux conditions d'exercice difficiles au sein du CHR du Rouvray ne remet pas en cause le caractère fautif. Par ailleurs, ces injures ont été de nature à préjudicier à l'image de l'institution, ayant été proférées sur le réseau social Facebook, sur la page en libre accès du collectif des Blouses Noires. Ces faits revêtent une particulière gravité et traduisent une méconnaissance par l'agent de ses obligations statutaires.
La sanction. Cet infirmier est exempt de tout antécédent disciplinaire, et il a exprimé des regrets quant au caractère inadapté de ses propos, lors de la séance du conseil de discipline. Les évaluations annuelles de l'agent au titre des quatre années précédant la sanction litigieuse mettent en exergue d'excellentes aptitudes professionnelles et un comportement irréprochable, les évaluateurs soulignant tour à tour, un « positionnement professionnel constructif », une « contribution positive à l'ambiance de travail », un travail « rigoureux et exceptionnel dans la gestion des urgences », une « grande réactivité » et un investissement professionnel supérieur.
Dans ces conditions, en prononçant une sanction de quinze jours d'exclusion temporaire de fonctions, correspondant au quantum maximal des sanctions du deuxième groupe, dont cinq avec sursis, le directeur général du CHR du Rouvray a entaché sa décision de disproportion procédant elle-même d'une erreur d'appréciation. Pour ce motif, la sanction litigieuse doit être annulée.
De la part d’un aide-soignant, des faits constitutifs d'atteinte à la dignité des patients rendent impossible le maintien dans les fonctions, et justifient son licenciement pour faute grave. (CA Paris, 31 août 2022, n° 19/07789)
Un aide-soignant a été engagé le 8 mai 2013, par une société appartenant au groupe Orpea, et a été affecté à la Clinique du Pré-Saint-Gervais.
Convoqué à un entretien préalable avec mise à pied conservatoire, le salarié a été licencié le 9 juin 2017 pour faute grave au vu de son comportement vis-à-vis de certains patients.
Par jugement du 24 janvier 2019, le conseil de prud'hommes de Bobigny a dit son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamné en conséquence l'employeur à indemniser les conséquences. L’employeur a fait appel.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
L'employeur qui invoque la faute grave doit en rapporter la preuve.
Les attestations produites par l’employeur sont trop imprécises concernant les griefs relatifs aux faits d'avoir jeté une protection propre sur une patiente, d’avoir été brusque, d’avoir tenu des propos désobligeants et d’avoir refusé d'aller chercher une poche de glace à un patient, de sorte que la cour considère que ces manquements ne sont pas établis.
En revanche, l'employeur verse aux débats :
- l'article 12 du règlement intérieur prévoyant que compte tenu du caractère particulier de l'établissement qui reçoit des patients et leur dispense des soins, le personnel est tenu à certaines règles strictes, notamment « avoir des attitudes et comportements corrects et conformes à l'image de l'entreprise, répondre avec diligence et complaisance aux demandes des patients et s’abstenir de tout geste ou parole déplacés » ;
- la fiche de poste signée par le salarié qui mentionne également son obligation de respecter le bien-être et la dignité du patient ;
- des attestations précises émanant de médecins et infirmiers, rapportant les propos de patients.
Le salarié conteste la valeur probante à ces attestations en l'absence de précision de l'identité précise du patient dont les attestants rapportent les propos.
L'employeur se prévaut toutefois à juste titre du respect de la vie privée des patients (CSP, Art. L.1110-4) et du secret professionnel institué dans l'intérêt des patients qui s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris (CSP, Art. R. 4127-4).
Les attestations, qui mentionnent le numéro de chambre et la durée du séjour du patient, sont suffisamment précises quant à l'identification des personnes s'étant plaintes auprès du personnel médical. Le fait que les patients n'aient pas porté plainte directement auprès de la direction s'explique par leur vulnérabilité et ne peut diminuer la valeur probatoire des attestations des médecins et infirmiers versées aux débats.
Ces attestations précises et concordantes établissent la matérialité des faits relatifs à deux griefs : d’une part s'être installé dans la chambre d'une patiente pour lui imposer le visionnage de la coupe du monde de football d'Afrique, l'empêchant ainsi de regarder sa propre émission, et d’autre part avoir laissé une patiente attendre dans ses draps souillés avant d'apporter un drap propre pour seulement recouvrir le drap mouillé, sans l'enlever.
Ces deux faits, constitutifs d'atteinte à la dignité des patients, rendent à eux seuls impossible le maintien de l’aide-soignant dans son poste, et justifient son licenciement pour faute grave.
L’absence de mise à disposition d’un fauteuil roulant électrique pour un détenu dont l’état physique le recommande est une faute qui engage la responsabilité de l’administration pénitentiaire. (Tribunal administratif de Nancy, 23 août 2022, n° 2000969)
Un homme été incarcéré au centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville du 21 mai 2018 au 8 juillet 2020, date à laquelle il a bénéficié d'une suspension de peine en raison de son état de santé. Il demande la condamnation de l'État à l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis pendant sa détention, notamment du fait du refus du directeur du centre pénitentiaire de l'autoriser à faire entrer un fauteuil roulant électrique en détention.
La prise en charge de la santé des personnes détenues est assurée par les établissements de santé publics. La qualité et la continuité des soins sont garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l'ensemble de la population (Loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, Art. 46).
Il appartient à l'administration pénitentiaire d'accomplir toutes diligences en vue de faciliter l'accès aux soins des personnes détenues et de mettre en œuvre les pouvoirs dont elle dispose pour assurer à celles qui en ont besoin la qualité et la continuité des soins.
Le détenu est atteint d'une pathologie grave nécessitant qu'il puisse bénéficier d'un fauteuil roulant électrique. Or, il est constant que l'administration pénitentiaire a refusé l'entrée du fauteuil roulant électrique du requérant dans son établissement entre le 21 mai 2018 et le 22 novembre 2019, date à laquelle il lui a finalement été remis. Si le ministre de la Justice invoque des « raisons de sécurité » pour justifier ce refus, il ne se prévaut d'aucune circonstance particulière de nature à établir la réalité de l’existence de ces risques. Dans ces conditions, l'intéressé est fondé à soutenir qu'en refusant qu'il soit mis en possession d'un fauteuil roulant électrique alors que son état de santé le nécessitait, l'administration pénitentiaire a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'État.
Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. (Tribunal administratif de Lille, 27 juillet 2022, n° 2103917)
Le 24 février 2015, un patient s'est vu diagnostiquer une hernie inguinoscrotale droite. En conséquence, il a subi le 10 avril 2015 au sein du Centre hospitalier de Seclin une cure de cette hernie avec mise en place d'une prothèse en ambulatoire.
Toutefois, le 7 mai suivant, le médecin traitant du patient a évacué un abcès sous-cutané, un prélèvement permettant d'isoler un Escherichia coli. Il s’en est suivi un long processus, avec le 9 octobre l’ablation de la prothèse, le 30 novembre, l’apparition d'une volumineuse collection liquidienne entre la région hépatique et la région inguinale, permettant d'isoler un Streptococcus species, des traitements persistants. Un an plus tard, le 28 février 2016, a été pratiquée une exploration chirurgicale au cours de laquelle il a été observé que l'extrémité de l'appendice se trouvait dans une zone de sclérose sous-cutanée causant par conséquent sa nécrose. Une appendicectomie a donc été immédiatement réalisée. L'antibiothérapie a été stoppée le 13 avril 2016.
Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère (CSP, Art, L. 1142-1 I). Doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de ce que la cause directe de cette infection a le caractère d'un accident médical non fautif ou a un lien avec une pathologie préexistante (CSP, Art. L. 1142-1 et L. 1142-1-1).
Le patient a subi, à compter du 7 mai 2015 et jusqu'au retrait de la plaque mise en place pour couvrir l'orifice herniaire, des signes infectieux consistant en la présence d'abcès sur cette période. Le 9 mai 2015, un prélèvement a permis d'isoler un Citrobacter koseri et un prélèvement réalisé sur la plaque retirée a permis d'isoler un Escherichia coli et un Enterococcus faecalis.
Pour écarter le caractère nosocomial de cette infection, les experts indiquent que l'intervention de cure de la hernie inguinale est à l'origine d'un sérome issu des ganglions environnant la plaie dont l'évacuation par cette plaie a permis l'entrée des germes à l'origine de l'infection. Les experts considèrent ainsi que l'entrée de ces germes constitue une surinfection en relation avec la complication mécanique constituée par le sérome.
Or, en droit, il résulte de ce constat que l'infection n'a pas d'autre origine que la prise en charge réalisée dans les locaux du centre hospitalier et avec son matériel. D’ailleurs, le premier abcès de la plaie de l'intervention a été détecté 27 jours après celle-ci. L'infection n’était ni présente ni en incubation à la date de l'hospitalisation, et elle doit par suite être regardée comme étant intervenue au décours de cette prise en charge, car le Centre hospitalier de Seclin n'établit pas la seule cause exonératoire possible, à savoir l'existence d'une cause extérieure à la prise en charge. L'infection de la plaque présente dès lors le caractère d'une infection nosocomiale.
Par suite, la responsabilité du Centre hospitalier de Seclin se trouve engagée sans faute du fait de la seule infection de la prothèse.
Le patient soutient que le Centre hospitalier de Seclin a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ne procédant pas au retrait de la plaque dès les premiers signes infectieux.
Selon l’expertise, l'infection d'une prothèse apposée sur un orifice herniaire doit en principe donner lieu à une ablation, mais eu égard au risque de fragilisation de la paroi abdominale de cette ablation, faisant courir pour le patient le risque d'une récidive de la hernie, cette prothèse pouvait être maintenue à condition que soient réalisés, outre des soins adéquats, un bilan de nature à objectiver la possibilité d'un tel maintien. Or, un tel bilan n’a pas été réalisé dès le diagnostic du premier abcès alors que la plaque a finalement fait l'objet d'une ablation postérieurement. Par conséquent, le Centre hospitalier de Seclin a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
Toutefois, les conséquences dommageables de cette faute, qui consistent seulement en un maintien de l'infection nosocomiale, se confondent avec celles plus globales de cette infection.
Un accouchement séquellaire pour l’enfant n’engage pas la responsabilité alors qu’il n’y avait pas d’alternative pour pratiquer une césarienne, et que les gestes pratiqués n’ont pas été fautifs. (CAA de Bordeaux, 25 août 2022, n° 22BX01343)
Une mère a accouché le 4 décembre 2019 au Centre hospitalier de Guéret de son premier enfant, qui présentait une paralysie du plexus brachial gauche, une fracture fronto-pariétale gauche associée à un hématome sous-dural en regard et un céphalhématome sous-cutané.
Les parents ont présenté une demande d'indemnisation à la Commission de conciliation et d’indemnisation du Limousin, qui a diligenté une expertise confiée à un gynécologue-obstétricien et un neuropédiatre.
La demande a été rejetée, et ils ont saisi la juridiction administrative pour obtenir une nouvelle expertise.
L’accouchement a été légitimement déclenché à 39 semaines en raison d'une macrosomie détectée chez l'enfant et d'un diabète gestationnel de la mère. La lenteur de dilatation du col a amené l'équipe à programmer à 12h30 une césarienne pour 13h30, ce qui n'est pas fautif en l'absence d'anomalies du rythme cardiaque fœtal, mais le dernier contrôle avant de passer au bloc a constaté une dilatation complète avec engagement de la tête de l'enfant, justifiant de renoncer à la césarienne et de pratiquer un accouchement par voie basse avec ventouse et forceps.
Le céphalhématome de l'enfant est lié à l'application de la ventouse sur la bosse séro-sanguine apparue pendant le travail, ce qui était légitime pour corriger la flexion de la tête, et, concernant la fracture pariétale, elle est liée à l'application du forceps de Suzor, dont elle constitue une complication connue et rare (0,02 %), considérée comme un accident non fautif.
La paralysie du plexus brachial résulte d'une dystocie des épaules ayant nécessité des manœuvres obstétricales, lesquelles ont été effectuées selon les règles de l'art, la paralysie relevant d'un accident médical non fautif constaté dans seulement 0,04 % des manœuvres de ce type.
Les experts concluent donc à l'absence de faute de l'équipe médicale s'agissant des conditions de réalisation de l'accouchement. Ils notent le suivi attentif de l'enfant avec orientation chirurgicale, une exploration-greffe avec dissection des racines du plexus et reconstruction nerveuse ayant été pratiquée à l'hôpital Trousseau à Paris en avril 2020.
Les parents contestent les conclusions des experts quant à l'absence de faute à n'avoir pas réalisé une césarienne, mais ils n'apportent aucun élément de nature à prouver une faute, ni même à justifier une nouvelle expertise.
Des négligences dans les observations postopératoires d’une sleeve, dans un contexte de mauvaises communications dans l’équipe, constituent un retard fautif dans le diagnostic d’une complication, qui engage la responsabilité. La perte, fautive, d’une partie du dossier est restée sans influence, et n’engage pas par elle-même la responsabilité. (CAA de Paris, 12 août 2022, n° 20PA01428).
Une patiente a bénéficié d'une gastrectomie longitudinale au Centre hospitalier de Lagny - Marne-la-Vallée le 16 août 2012 et a regagné son domicile le 20 août suivant.
Le 23 août, un scanner réalisé en urgence a mis en évidence une éviscération sous-cutanée, et le 24, la patiente a été opérée d'une occlusion intestinale. Lors de cette intervention, elle a contracté une pneumopathie d'inhalation entraînant un choc septique et une détresse respiratoire aiguë, et elle a été transférée en réanimation.
Dix jours plus tard, le 3 septembre, un scanner a révélé qu’elle avait été victime d'un accident vasculaire cérébral.
Droit applicable. L’article R. 1112-2 CSP définit le contenu du dossier médical et l'article R. 1112-7 traite de sa conservation, pendant une durée de vingt ans à compter de la date du dernier séjour de son titulaire dans l'établissement ou de la dernière consultation externe en son sein.
Analyse. Les CD-ROM du scanner cérébral du 3 septembre 2012 et de l'IRM encéphalique du 4 octobre 2012 de la patiente ont disparu lors de la migration informatique du Centre hospitalier de Lagny vers celui de Marne-la-Vallée, ce qui est une faute administrative. Toutefois, cette faute n'est pas, en tant que telle, de nature à établir l'existence d'une faute dans la prise en charge de la patiente car il n’en résulte pas de préjudice. En effet, l’expertise médicale n’a pas estimé que ces absences du dossier empêchaient de se prononcer sur la qualité de la prise en charge.
Droit applicable. Les professionnels de santé et tout établissement de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (CSP, Art. L. 1142-1 I).
Analyse. Dans les suites de l'intervention de chirurgie bariatrique (sleeve gastrectomy) subie le 16 août 2012 au centre hospitalier de Lagny - Marne-la-Vallée, la patiente n'aurait pas dû être autorisée à regagner aussi prématurément son domicile, dès le 20 août, sans notamment qu'un scanner abdominal ait été réalisé.
Elle a été réhospitalisée le 23 août dans le service des urgences, et elle présentait alors les symptômes d'une occlusion intestinale aiguë provoquée par l'incarcération d'une anse de l'intestin grêle dans l'orifice du trocart ombilical de cœlioscopie, qui a nécessité une réintervention en urgence afin de réintégrer cette anse intestinale dans la cavité abdominale et de réparer l'orifice pariétal. Toutefois, alors que, dans les suites opératoires immédiates de la sleeve gastrectomy, les symptômes présentés le 23 août lors de son admission dans le service des urgences (vomissements, douleurs ombilicales, selles liquides) auraient dû conduire sans délai à une recherche diagnostique, l'équipe médicale des urgences n'a prescrit la réalisation d'un scanner que le lendemain, 24 août, retardant ainsi le diagnostic d'occlusion intestinale et son traitement.
Ce retard, du 20 au 24 août, a aggravé la stase liquidienne intestinale et gastrique à l'origine de l'accident ultérieur d'inhalation, et le praticien n'a pas prescrit la pose d'une sonde naso-gastrique pour vider l'estomac préalablement à l'induction anesthésique, ce qui aurait été de nature, chez une patiente qui vomissait, à prévenir des régurgitations avec inhalation trachéo-bronchique dès lors que son état de conscience pouvait diminuer. Ainsi, l'équipe chirurgicale a manqué de précaution et a méconnu les règles de l'art.
Par ailleurs, lors de la réintervention chirurgicale du 24 août 2012, plusieurs défauts de transmission des informations médicales relatives à la patiente ont été relevés :
- le médecin qui a réalisé la consultation pré-anesthésique du 24 août 2012 n'a pas relevé la notion de vomissements, pourtant présents dès l'arrivée de la patiente dans le service des urgences ;
- le médecin anesthésiste qui a pris la relève n'a pas été informé par l'équipe chirurgicale que l'incarcération de l'anse intestinale dans l'orifice du trocart ombilical était à l'origine d'une occlusion ;
- il n'a pas été informé de l'existence d'une importante stase liquidienne gastro-jéjunale en amont de l'incarcération, visible sur le scanner abdominal réalisé le 24 août, de sorte qu'il a pensé endormir une patiente à jeun et a utilisé un protocole d'induction anesthésique en conséquence, alors même que la patiente présentait un estomac plein, ce qui aurait dû conduire à une prise en charge particulière dite d'induction à séquence rapide ;
- de plus, le curare utilisé (esméron) n'était pas le curare de référence dans ce type de situation.
Ces défauts de transmission et de communication entre les équipes anesthésiques et chirurgicales et au sein de l'équipe anesthésique sont, de manière directe et certaine, à l'origine de la régurgitation massive et de l'inhalation trachéo-bronchique dont la patiente a été victime lors de l'induction anesthésique pendant la réintervention chirurgicale du 24 août.
Cette pneumopathie d'inhalation à Escherichia coli et Klebsiella oxytoca lors des manœuvres d'intubation a évolué, dans un contexte de syndrome de détresse respiratoire aiguë, vers un choc septique qui a nécessité l'hospitalisation dans le service de réanimation du 24 août au 28 septembre, puis dans le service de médecine jusqu'au 11 octobre 2012, où elle a été traitée avec succès, notamment par une antibiothérapie adaptée aux germes retrouvés dans les hémocultures.
La responsabilité du centre hospitalier est donc engagée pour ces différentes fautes.
En revanche, l'accident vasculaire cérébral mis en évidence par le scanner cérébral du 3 septembre 2012, et les dommages neurologiques qui en résultent, sont sans lien avec les complications postopératoires subies, et la responsabilité du centre hospitalier n’est pas engagée quant aux conséquences de la survenue de cet hématome intracérébral.
Après la réparation chirurgicale du condyle externe du genou, une insuffisance d'examens et de recherche étiologique est constitutive d'un retard diagnostique fautif. (CAA de Paris, 12 août 2022, n° 20PA03708)
Le 20 octobre 2009, victime d'une chute dans les escaliers à son domicile, un patient est transporté au groupe hospitalier Sud Ile-de-France, où est diagnostiquée une fracture du condyle externe du genou gauche. Le jour même, une ostéosynthèse avec triple vissage du fémur distal est pratiquée, avec dans les suites immédiates de l'intervention l'apparition et la persistance de vives douleurs au genou. Des antalgiques sont prescrits au patient.
Une radiographie du genou est réalisée le 20 janvier 2010 ainsi qu'une scintigraphie le 23 février. Le 2 mars, les vis ont été retirées.
Du fait de la persistance des douleurs et de l'apparition d'une fissure puis d'une escarre talonnière, un écho-doppler des membres inférieurs est pratiqué le 9 juillet 2010, mettant en évidence une occlusion étendue de l'artère poplitée gauche, qualifiée de thrombose de l'artère fémorale gauche à la suite d'un angioscanner réalisé le 12 août. Cette thrombose nécessite un pontage prothétique, effectué le 6 septembre.
Trois ans plus tard, le 7 février 2013, le patient doit subir une thrombectomie du trépied fémoral gauche permettant la désobstruction de l'artère fémorale profonde ainsi qu'une récupération du pontage prothétique fémoro-tibial postérieur.
Une symptomatologie douloureuse persistante et croissante concernant l'avant-pied et le pied gauche du patient ont motivé la consultation, le 20 janvier 2010. Puis, est apparue une fissure au talon évoluant vers une escarre talonnière douloureuse qui allait croissant, nécessitant une prise en charge dans un centre anti-douleur. Or, les consultations successives n'ont évoqué qu'une algoneurodystrophie, à la suite d'une scintigraphie osseuse réalisée le 23 février 2010, et des problèmes dermatologiques (présence d'un Pseudomonas aeruginosa). Ainsi, le patient a subi des traitements par calcitonine, un traitement antibiotique à compter du 30 avril, renouvelé, des traitements antalgiques au centre anti-douleur d’une clinique à compter du 19 mai, et de la kinésithérapie associée à de la balnéothérapie.
Ce n'est que le 9 juillet 2010 qu'un écho-doppler artériel des membres inférieurs a mis en évidence une occlusion étendue de l'artère poplitée gauche avec une ré-entrée d'aval médiocre, des axes de jambe amortis et une artère tibiale antérieure gauche probablement occluse. Le 12 août, un angioscanner des membres inférieurs a confirmé la thrombose de l'artère fémorale superficielle gauche dans sa portion distale jusqu'à l'artère poplitée, avec une reprise en charge des axes jambiers par des artères musculaires.
Vu les doléances émises par le patient à partir de janvier 2010, tous les signes de l'ischémie nécrose étaient au complet, et au vu des troubles tropiques cutanés, des investigations vasculaires auraient dû être effectuées. Or, un écho-doppler ne sera prescrit que le 23 juin 2010, et réalisé le 9 juillet. Cette insuffisance d'examens et de recherche diagnostique étiologique est constitutive d'un retard diagnostique fautif d'une durée de cinq mois.
Lors d'une admission aux urgences et face à un tableau de douleurs thoraciques imposant une réaction immédiate, les retards dans le diagnostic d’une dissection aortique sont jugés fautifs, entrainant une perte de chance estimée à 10%. (Tribunal administratif de Rouen, 2 septembre 2022, n° 2200975)
Un homme âgé de 43 ans a été transporté aux urgences du Groupe hospitalier du Havre le 15 décembre 2018, où il est arrivé à 17 heures 40, en raison d'une très vive douleur thoracique. Un dosage de la troponine a été prescrit à 18 heures 45, un premier examen clinique a eu lieu le 16 décembre 2018 à 1 heure 40, puis au vu des résultats du dosage de la troponine et d'un avis cardiologique, un diagnostic de syndrome coronarien aigu a été posé, conduisant, à 2 heures 50, à la prescription d'un traitement anti-coagulant et anti-agrégant.
Toutefois, une échographie trans-thoracique réalisée le lendemain 17 à 11 heures 07 a permis de se rendre compte que le patient était, en fait, atteint d'une dissection aortique. L'intéressé a alors été transféré au CHU de Rouen, dans lequel il a bénéficié de deux interventions chirurgicales le 17, mais il est décédé le 18 des conséquences d'un accident vasculaire cérébral sylvien total droit.
Un délai excessif a séparé l'admission aux urgences et le premier examen clinique réalisé par une interne le 16 décembre 2018 à 1 heure 40.
De plus, alors que les symptômes de douleur thoracique présentés par le patient pouvaient évoquer tant un syndrome coronarien aigu qu'une embolie pulmonaire ou une dissection aortique, l’équipe hospitalière ne s'est pas donné les moyens, notamment en réalisant plus tôt une échographie trans-thoracique, lui permettant de poser d'emblée le bon diagnostic en éliminant celui de syndrome coronarien aigu et d'embolie pulmonaire.
Au total, le retard à poser le bon diagnostic a conduit à mettre en œuvre, pour traiter un syndrome coronarien aigu qui n’existait pas, un traitement inadapté à la prise en charge d’une dissection aortique.
Droit applicable. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge dans un établissement public hospitalier a compromis les chances du patient d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
Analyse. L'expert évalue à 20 % la perte de chance pour le patient d'avoir échappé au décès, en raison des manquements commis par les médecins. Le centre hospitalier conteste ce taux car le traitement administré pour traiter un prétendu syndrome coronarien aigu n'a pas contribué à compromettre les chances du patient d'échapper au décès. Aussi, le tribunal retient un taux de perte de chance de 10 %, celui de 20 % ne pouvant être regardé comme présentant un caractère suffisamment certain.