La fin de l’été 2022 a été propice à la ré-ouverture du débat sur l’aide active à mourir. Si le sujet est plus que jamais d’actualité, avec la publication d’un avis du CCNE qui pourrait faire évoluer les choses, il n’a jamais cessé de questionner, jusqu’au plus haut niveau de l’État.
C’est d’abord une tribune, parue dans le Journal du dimanche du 21 août et signée de Line Renaud, actrice et chanteuse de 94 ans, et du député Olivier Falorni, rapporteur de la proposition de loi sur la fin de vie, qui appellent tous les deux à « légaliser l’aide active à mourir » : une prise de parole qui met le feu aux poudres, ramenant sur le devant de la scène un débat qui ne s’est jamais éteint. Dans ce texte, les deux signataires s’interrogent : « Pourquoi vouloir rester jusqu’au bout quand vous savez que vos souffrances physiques et psychiques seront, en dépit des progrès de la médecine et du dévouement des soignants, réfractaires à tout traitement thérapeutique ? ». Rappelant les évolutions législatives de ces vingt dernières années, jusqu’à la mise en œuvre de la sédation profonde et continue jusqu’au décès, ils estiment toutefois que « Le droit souffre toujours de plusieurs failles et insuffisances majeures », ce qui a conduit, selon eux, à d’autres réponses : « L’exil dans les pays frontaliers et la pratique de l’euthanasie clandestine », citant notamment une étude de l’Institut national d’études démographiques (Ined) qui en dénombrerait entre 2 000 et 4 000 par an. Des assertions que le Dr Claire Fourcade, présidente de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) réfute une semaine plus tard dans le même journal, pour, dit-elle, que le débat public se fonde « sur des données fiables et dénuées de toute instrumentalisation ». Elle cite ainsi le dernier rapport officiel de la commission de contrôle belge qui dénombre, sur deux ans, 45 patients étrangers venus se faire euthanasier sur le sol belge : loin du « tourisme de la mort » qu’auraient voulu dénoncer les deux premiers signataires, relève Claire Fourcade. Il serait également faux et grave, selon elle, d’affirmer que des médecins pratiquent des euthanasies clandestines pour mettre fin aux souffrances de leurs patients. « Extrapolations fallacieuses, imprudence de faire dire aux médecins français ce qu’ils ne disent pas », s’indigne Claire Fourcade qui rappelle les objections des médecins à pratiquer l’euthanasie : « Elles ne sont ni morales ni religieuses mais relèvent des blessures psychologiques et du stress émotionnel qu’un tel acte engendre. Selon une enquête réalisée en 2021 auprès des acteurs du soin palliatif en France, 96 % d’entre eux (et 98 % de médecins) refusent cette pratique, considérant que donner la mort n’est pas un soin ».
Reste pourtant que le débat a été relancé, faisant redire quelques jours plus tard à la Première Ministre, Élisabeth Borne, l’engagement du Président de la République à avancer sur le sujet : interviewée dans le quotidien Le Parisien, elle a ainsi rappelé que « Le Président s’est engagé (...) à avancer et (...) nous souhaitons pouvoir engager une consultation citoyenne. Il nous faudra être à l’écoute des attentes des citoyens, des parlementaires, du Cese [Conseil économique, social et environnemental] et du Comité national d’éthique », estimant, à titre personnel, que « La loi ne règle pas tout et peut laisser des situations de souffrance très difficiles et très douloureuses pour les personnes et les familles ».
En la matière, le droit français a pourtant évolué : la première proposition de loi concernant l’euthanasie est déposée en avril 1978 par le sénateur Henri Cavaillet (il deviendra d’ailleurs en 1986 le président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité). Sa « proposition de loi relative au droit de vivre sa mort » souhaite statuer sur « la situation des malades incurables, dont la médecine ne peut que prolonger les souffrances, sans aucune chance de guérison ». Il y rappelle notamment que le serment d’Hippocrate et le Code de déontologie médicale obligent les médecins à prolonger « autant que faire se peut la vie du mourant », et ce d’autant que le Code civil pourrait arguer de la non-assistance à personne en danger face à une situation où le médecin ne mettrait pas tout en œuvre pour sauver la vie de son malade. Mais cette situation contredit, selon le sénateur, « le principe de la liberté individuelle ». « Tout homme n’a-t-il pas le droit de refuser la technologie médicale si elle lui apparait excessive, déshumanisante, génératrice de douleurs supplémentaires et surtout tragiquement inutile, lorsque l’issue fatale ne peut être évitée ? », s’interroge-t-il. La loi ne verra pas le jour, la question de la liberté individuelle étant parfois difficile à acter : le patient choisit-il vraiment, sans influence, d’abréger sa vie ? À l’époque, aucune loi n’existe sur les soins palliatifs : elle verra le jour en juin 1999 et concerne le droit d’accès au soulagement de la douleur et à des soins palliatifs en fin de vie. Le texte est renforcé par la loi du 4 mars 2002, dite loi Kouchner, qui précise le droit au refus de traitement et l’obligation, pour les soignants, d’accompagner les patients en fin de vie en s’assurant qu’ils meurent dans la dignité.
Entre temps, le débat sur l’euthanasie a refait surface à la faveur de l’affaire Vincent Humbert, jeune homme devenu tétraplégique, aveugle et muet à la suite d’un grave accident de la route en 2000. Sans espoir de guérison, le jeune homme entreprend des démarches pour obtenir le droit d’être euthanasié, jusqu’à écrire, en novembre 2002, une lettre au Président de la République d’alors, Jacques Chirac, lui demandant « le droit de mourir ». L’affaire fait grand bruit, mais face au refus de Jacques Chirac de prendre position en faveur de l’euthanasie, la mère de Vincent Humbert, Marie Humbert, décide en septembre 2003 de donner la mort à son fils, aidé par le Dr Frédéric Chaussoy, chef du service de réanimation du Centre héliomarin de Berck-sur-Mer où est hospitalisé le jeune homme. Mis en examen, Marie Humbert et le Dr Chaussoy bénéficient d’un non-lieu, la juge expliquant que « Même si les actes restent condamnables au regard de la loi, il faut tenir compte du contexte bien particulier ». Cette affaire ouvre la voie à un nouveau débat porté par Jean Leonetti, médecin et député, chargé par Jacques Chirac d’une mission sur l’accompagnement de la fin de vie. Celle-ci aboutit en avril 2005 à la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie – dite loi Leonetti – qui interdit l’obstination déraisonnable et la prolongation artificielle de la vie, promeut les soins palliatifs et définit un cadre légal à l’arrêt des traitements si le patient le souhaite. Ainsi, lorsqu’un patient estime qu’un traitement relève de l’acharnement thérapeutique, il est en droit de le refuser, même si cela a des conséquences vitales. Les soignants sont aussi autorisés à arrêter les traitements chez un patient qui ne peut plus exprimer sa volonté s’ils estiment que leur poursuite n’a plus de sens sur le plan médical : cette démarche doit être entreprise dans le cadre d’une démarche collégiale.
Enfin, cette loi instaure la possibilité de rédiger des directives anticipées, qui donnent la parole au patient dans le cas où il serait ensuite incapable de le faire, mais ces directives ne sont valables que trois ans et n’ont qu’une valeur informative pour le médecin. Les choses évoluent avec la loi Clayes-Leonetti de 2016 – dernière évolution en date sur la question – puisque celle-ci institutionalise les directives anticipées qui deviennent contraignantes pour le médecin et sont valables à vie une fois qu’elles ont été édictées par le patient. Cette loi ouvre également l’accès à « une sédation profonde et continue jusqu’au décès », régie par des conditions strictes et qui fait aussi l’objet d’une procédure collégiale. Ces différentes dispositions réglementaires n’ont cependant pas réglé la question de l’aide active à mourir, sollicitée par certains patients. C’est pourquoi le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a récemment émis un nouvel avis (N°139) concernant les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie à la lumière de l’existence du droit actuel. S’il constate une évolution positive du droit des personnes en fin de vie, il estime qu’il persiste un décalage entre la loi et son application. Il déplore surtout que certaines personnes souffrant de maladies graves et incurables, provoquant des douleurs réfractaires mais n’engageant pas leur pronostic vital à court terme, soient toujours exclues du cadre des lois successives et ne trouvent pas de solution adaptée à leur détresse : « Il en va de même des situations de dépendance à des traitements vitaux dont l’arrêt, décidé par la personne lorsqu’elle est consciente, n’entraîne pas un décès à court terme », ajoute-t-il, notant néanmoins que ces situations restent « peu fréquentes ».
Le CCNE appelle de ses vœux l’organisation d’un débat national auquel il participera. De son point de vue, « Il existe une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir* », sous strictes conditions, avec un renforcement des mesures de santé publique en faveur de la médecine palliative, qui reste parfois mal connue et mal appliquée. Selon le CCNE, si le législateur s’emparait du sujet, la demande d’aide active à mourir « devrait être exprimée par une personne disposant d’une autonomie de décision au moment de la demande, de façon libre, éclairée et réitérée. La décision de donner suite devrait alors faire l’objet d’une trace écrite argumentée et serait prise par le médecin en charge du patient à l’issue d’une procédure collégiale ». Pour les patients qui ne seraient physiquement pas aptes à la demande, le CCNE estime que c’est au législateur de déterminer la démarche la plus appropriée, au cas par cas. Pour les professionnels de santé qui seraient confrontés à ces questions, il devrait pouvoir exister une clause de conscience accompagnée d’une obligation de référer le patient à un autre praticien. Plus encore, se posent d’autres questions éthiques si la loi venait à changer, objectent certains représentants du CCNE : quel message enverrait une évolution législative à la société, aux personnes gravement malades, handicapées ou âgées ? Que certaines vies ne méritent pas d’être vécues ? Pour le personnel soignant, ne semble-t-il pas inapproprié de prioriser cette évolution législative par rapport à l’urgence que requiert la situation du système de santé ? Sans compter l’inévitable combat moral, pour un soignant, de donner la mort, contraire à tout sens du devoir professionnel, médical et du soin…
Cette base de réflexion, argumentée, ouvre la voie à l’ouverture d’une convention citoyenne sur le sujet. Annoncée par le Président de la République, Emmanuel Macron, elle va être mise en place en ce mois d’octobre par le CESE pour rendre ses conclusions en mars 2023. « Elle se nourrira d’autres travaux et concertations menés parallèlement avec l’ensemble des parties prenantes en particulier avec les professionnels qui sont régulièrement confrontés à la fin de vie, dans leur pratique et leur quotidien, comme les équipes des soins palliatifs », explique la Présidence dans un communiqué. En parallèle, le Gouvernement engagera un travail concerté avec les députés et sénateurs, pour « envisager le cas échéant les précisions et évolutions de notre cadre légal d’ici à la fin de l’année 2023 ». Du côté du Président, la question semble tranchée. Lors de la remise de la Grand-Croix de la Légion d’Honneur à Line Renaud, Emmanuel Macron a en effet salué les engagements de la chanteuse en faveur du Sidaction et de l’aide active à mourir : « Votre combat nous oblige. Il est dicté par la bonté, l’exigence et cette intuition unique que c’est le moment de faire. Alors nous ferons ». La voie est tracée, reste à voir quel chemin va prendre le débat. Une chose est sûre, la question ne cessera jamais de diviser.