Le père de l’aseptie - Objectif Soins & Management n° 0289 du 30/09/2022 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0289 du 30/09/2022

 

Ignaz Semmelweis

HISTOIRE

Anne Lise Favier

  

Si le lavage des mains est devenu l’un des gestes les plus courants dans un établissement de santé, il n’en a pas toujours été le cas. C’est grâce à l’intuition d’un médecin hongrois, Ignaz Semmelweis, que cette pratique est devenue un rituel avant toute prise en charge d’un patient.

Rien ne prédestinait Ignaz Semmelweis, hongrois de naissance, à devenir médecin dans la première moitié du xixe siècle. Le jeune homme nait dans une famille commerçante prospère et commence à étudier le droit : son père le voit évoluer dans l’armée austro-hongroise et devenir avocat militaire au service de la dynastie des Habsbourg. Ses études le mènent à Vienne alors qu’il n’a que 19 ans. Poussé par la curiosité, il assiste à une autopsie à la faculté de médecine voisine – à l’époque, les autopsies étaient des événements publics – et, fasciné par le corps humain, bifurque vers des études de médecine. Il présente une thèse sur les vertus médicinales des plantes puis se spécialise en obstétrique. Ses premiers mois dans le métier le conduisent à s’interroger sur les causes de la fièvre puerpérale, une mystérieuse affection post-partum qui décime les jeunes mères dans les maternités. Certaines semaines à Vienne, c’est une femme sur quatre qui meurt de cette affection. Semmelweis travaille aux côtés du Pr Klein, obstétricien qui dirige d’une main de fer le service de maternité de l’hôpital général de Vienne : dans son service, on déplore en moyenne 18 % de décès par fièvre puerpérale. Curieusement, dans le service voisin du Pr Bartsch, les femmes prises en charge sont globalement exemptes de ce fléau avec un taux de décès de 1 %. Le Pr Klein attribue la cause de cette fièvre puerpérale à la promiscuité des parturientes ou à un problème de lactation ; d’autres évoquent le mauvais air des quartiers pauvres dont sont issues les femmes, et même les cycles de la lune. En tout cas, pour le Pr Klein, les faits sont inéluctables : on ne peut malheureusement pas lutter contre cette fièvre puerpérale ni contre les décès qui en découlent. Conséquence : de nombreuses femmes ne veulent plus aller à la maternité et préfèrent accoucher dans la rue, d’ailleurs sans souffrir de ce mal mystérieux.

Une fièvre colportée par les mains

Le docteur Semmelweis, fin observateur, ne peut se résoudre aux conclusions fatalistes du Pr Klein et cherche une raison qui explique les différences entre les groupes de femmes. Selon lui, il existe forcément une raison. Il observe et formule des hypothèses pour essayer d’en trouver la cause : des miasmes, le régime alimentaire des femmes, les soins qu’on leur prodigue, la position lors de l’accouchement… Toutefois, rien ne semble émerger.

Semmelweis constate néanmoins qu’il existe une différence majeure entre les deux services : dans l’un, ce sont des sages-femmes qui sont formées, tandis que dans l’autre, ce sont les médecins. Ces derniers seraient-ils responsables de la mort des jeunes mères ? Inconcevable. La question l’obsède littéralement et il s’épuise à en chercher la réponse. Sur les conseils de son ami médecin-légiste, le Pr Kolletschka, il part se reposer trois semaines à Venise, en Italie. À son retour, une terrible nouvelle l’attend : Kolletschka est décédé. Lors d’une autopsie, un étudiant l’a accidentellement blessé au doigt avec un scalpel : la blessure s’est rapidement propagée dans le corps du légiste qui a fini par succomber. Dans le rapport d’autopsie que Semmelweis consulte, on peut y lire que le Pr Kolletschka a contracté une lymphangite et une phlébite dans les extrémités supérieures et qu’il est décédé des suites d’une pleurésie, d’une péricardite, d’une péritonite et d’une méningite. L’ensemble de ce macabre tableau clinique met la puce à l’oreille de Semmelweis : il constate avec effroi que les femmes atteintes de fièvre puerpérale ont développé elles aussi les mêmes signes.

Pour lui, c’est une révélation. Le mystère est enfin levé : cette fièvre puerpérale est colportée par les mains lors des autopsies. En effet, à la différence des sages-femmes qui officient exclusivement en maternité, les étudiants en médecine pratiquent dans différents services de l’hôpital et il n’est pas rare qu’ils sortent d’une autopsie pour se rendre au chevet des futures mères sans s’être lavé les mains – à l’époque, c’est parfaitement courant. Quelque chose dans les cadavres autopsiés, est forcément responsable de l’hécatombe. À l’époque, on ne connaît pas encore les microbes, dont Pasteur sera le principal découvreur, vers la fin de ce xixe siècle. Fort de cette découverte, il impose en 1847 à toute personne se rendant en salle d’accouchement de se laver les mains à l’aide d’une solution chlorée. Les chiffres parlent alors d’eux-mêmes : le nombre de décès dus à la fièvre puerpérale chute drastiquement jusqu’à atteindre 1 %, le même taux que celui observé dans le service du Pr Bartsch.

Défiance et discrédit

Pourtant, ces résultats sont loin de faire l’unanimité, surtout auprès du Pr Klein, qui révoque l’idée selon laquelle les mains des médecins puissent être responsables de la transmission de maladies à leurs patients (encadré). En effet, à l’époque, l’origine des maladies ne peut être due qu’à un déséquilibre des « humeurs ». Semmelweis est fatigué de devoir convaincre ses pairs et c’est un autre médecin et soutien, Ferdinand Von Hebra, qui publie le premier deux articles expliquant l’étiologie de la fièvre puerpérale et les mesures prophylactiques – le lavage des mains avec une solution d’hypochlorite de calcium – pour y faire face.

Malgré tout, Semmelweis, qui a quitté Vienne pour Budapest, continue de prôner le lavage des mains et le nettoyage des instruments d’obstétrique avec les mêmes résultats concluants. Il finit par publier ses découvertes en 1861 dans un imposant recueil de 500 pages – L'étiologie, l’essence et la prophylaxie de la fièvre puerpérale – qui mêle données scientifiques et réflexions personnelles sur le milieu médical qui lui a été hostile. Ce pamphlet scientifico-caustique lui vaut davantage de défiance de ses pairs, d’autant qu’il n’hésite pas à invectiver ses contradicteurs lors de congrès. Son acharnement le conduit à être interné en asile psychiatrique en juillet 1865, accusé d’être atteint d’une maladie mentale. Il y décède le 13 août 1865 à l’âge de 47 ans. Il fut longtemps question d’un décès dû à une infection contractée lors d’une ultime dissection, mais la réalité est tristement plus prosaïque : devenu violent dans l’établissement dans lequel il était interné, il aurait été battu par le personnel de l’asile, ce qui aurait entraîné de multiples traumatismes et une septicémie.

La théorie de Semmelweis fut confirmée plus tard par divers travaux, dont ceux de Pasteur en 1879, de Fehleisen et de Rosenbach, qui isolèrent l’agent responsable de cette fièvre puerpérale, le streptocoque. Dans les années 1920, un jeune étudiant en médecine français, Louis-Ferdinand Destouches – qui deviendra plus tard l’écrivain controversé Céline – choisit comme sujet de sa thèse « La vie et l’œuvre de Philippe Ignace Semmelweis », qui sera plus tard considérée comme la première œuvre littéraire de son auteur. Depuis 1969, la faculté de médecine de Budapest porte le nom de Semmelweis ; une statue du médecin offerte par l’université hongroise trône à la faculté de médecine de Vienne, comme une ultime réhabilitation.

L’effet Semmelweis

Le Pr Klein, chef de service d’obstétrique où exerce Ignaz Semmelweis, réfute l’idée selon laquelle les médecins ou étudiants médecins colportent la fièvre puerpérale via leurs mains souillées. Impossible pour lui : le rôle des médecins est de soigner, ils ne peuvent être responsables d’infections. Cela va à l’encontre de toute logique de l’époque. C’est ce que, plus tard, on appellera « l’effet Semmelweis » : une tendance naturelle à rejeter de nouvelles connaissances si elles vont à l’encontre de normes, de croyances, de paradigmes existants et communément admis. Toutefois, même si l’hypothèse de Semmelweis avait été vérifiée empiriquement, rien ne pouvait permettre de la comprendre à ce moment-là puisque l’explication scientifique ne viendra que des décennies plus tard avec les travaux, entre autres, de Pasteur.

Infos

Nom complet :

Ignaz Philipp Semmelweis

Date de naissance :

1er juillet 1818

Lieu de naissance :

Buda (Hongrie)

Date de décès :

13 août 1865

Postérité :

Découverte de l’importance du lavage des mains