OBJECTIF SOINS n° 0293 du 01/06/2023

 

Colloque « Une seule santé »

ACTUALITÉS

Michaella Igoho-Moradel

  

Alors que des foyers ou des cas humains de maladies à transmission vectorielle ont été recensés ces dix dernières années dans certains départements du sud de la France, Montpellier (Hérault) était le lieu de circonstance pour échanger sur le thème « Maladies émergentes et réémergentes à l’heure des défis climatiques et des mouvements internationaux ». Ainsi, l’Opéra-Comédie a accueilli le 23 mars 2023 la première conférence du second cycle « Une seule santé », organisé par le groupe 1Health et L’Obs*. Une approche multidisciplinaire indispensable pour mieux prévenir et détecter ces maladies infectieuses qui traversent les frontières. Et encore plus pour identifier les moyens de lutte.

« L’augmentation des maladies à transmission vectorielle est inéluctable en Europe car le climat change, l’environnement évolue, les voyages comme l’urbanisation se développent. Il y a des émergences partout dans le monde qui finissent par arriver ici », alerte Didier Fontenille, directeur de l’initiative Rivoc (Risques infectieux et vecteurs en Occitanie) à l’Institut de recherche pour le développement. Dans les Alpes-Maritimes, le plus important foyer de dengue a été identifié en 2022. Dans la région Occitanie, ce sont trois départements qui ont été touchés, et deux en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Les cas d’infections autochtones de dengue augmentent (65 en 2022). La dengue, Zika, la fièvre de West Nile, Usutu… ces maladies ont pour point commun d’être associées à un agent infectieux (arbovirus, arthropod-borne virus), transmis d’un organisme à un autre par la piqûre d’un arthropode. Les moustiques sont les vecteurs les plus courants de ces maladies.

De nombreuses espèces d’arthropodes peuvent être vectrices d’agents infectieux (moustiques, tiques, phébotomes, puces…). Lors de maladies à transmission vectorielle, « l’agent infectieux peut être un virus, une bactérie ou un parasite. Et les organismes atteints peuvent être des plantes, des animaux, l’espèce humaine », précise Thomas Balenghien, entomologiste médical, membre du collectif vecteurs de l’unité Animal, santé, territoires, risques, écosystèmes (Astre) au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). L’approche One Health prend tout son sens dans celle des maladies vectorielles, car c’est le cycle global de transmission qui est à prendre en compte : les spécificités écologiques des vecteurs, l’environnement, les hôtes intermédiaires et finaux, voire les impasses épidémiologiques.

Quelles sont ces nouvelles menaces ? Quelles armes déployer pour les combattre ? Si l’état des lieux est préoccupant, des solutions pour contrer ces menaces existent.

Une augmentation des cas en Europe

Lors d’une première table ronde animée par Marine Neveux, rédactrice en chef de La Semaine Vétérinaire (1Health), les intervenants ont éclairé le public sur ces nouvelles menaces qui ont franchi nos portes et sur leur origine. Ces dernières années, il n’est plus inédit de détecter des cas importés de Zika ou de chikungunya. L’Europe et la France en particulier connaissent une augmentation de ces arboviroses. « En 2022, on a été confronté à plus de cas d’arbovirus, comme le virus de la dengue, qu'au cours des quinze dernières années. On observe également une hausse des cas de Zika, chikungunya transmis par des moustiques-tigres dont l’aire de répartition tend à augmenter. On a de plus en plus de départements et de communes colonisés par Aedes albopictus », rapporte Yannick Simonin, professeur de virologie à l’université de Montpellier. Cette augmentation concerne d’autres infections virales, telles que la fièvre du Nil occidental (virus West Nile, avec comme vecteur le moustique du genre Culex) ou le virus d’Usutu (Culex pipiens). En 2022, l’Europe a été confrontée à une épidémie de West Nile avec plus de 1 000 cas identifiés.

Comment expliquer l’émergence de ces maladies récemment encore considérées comme tropicales ? Pour Yannick Simonin, les causes sont multiples. Il cite l’augmentation de l’aire de répartition des moustiques, influencée par le changement et le réchauffement climatiques. D’autres facteurs entrent en ligne de compte, comme l’atteinte à la biodiversité, la hausse des échanges et des trafics aériens, les comportements sociologiques, des cas importés qui peuvent devenir des foyers autochtones.

Un agent pathogène à appréhender dans son environnement

Chez les animaux de compagnie aussi, la vigilance est de mise, comme l’a expliqué Émilie Bouhsira, enseignante-chercheuse en parasitologie et maladies parasitaires à l’École nationale vétérinaire de Toulouse (Haute-Garonne) et spécialiste européenne en parasitologie vétérinaire. Les tiques sont responsables de la transmission entre autres de la borréliose de Lyme (tiques Ixodes, agent pathogène Borrelia burgdorgferi), de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (tiques Ixodidae, virus CCHF). « Chez les carnivores domestiques, on observe de plus en plus de cas de dirofilariose, une maladie parasitaire induite par la piqûre d’un moustique sur le chien ou sur le chat, qui va transmettre un ver (Dirofilaria immitis). Cette expansion est expliquée par les animaux qui voyagent avec leurs propriétaires dans des zones endémiques et reviennent avec ces maladies. »

Comment faire face à ces maladies infectieuses qui touchent plusieurs espèces de mammifères dont l’être humain ? D’abord en décloisonnant les disciplines. « Il est nécessaire d’avoir des approches transdisciplinaires au niveau de la surveillance des virus émergents et de sortir du schéma qu’on a eu très longtemps et qu’on a encore parfois, qui consiste à regarder uniquement la santé humaine en n’appréhendant pas le virus dans son environnement », insiste Yannick Simonin. Pour prévenir ces maladies, les chercheurs favorisent une approche qui englobe la surveillance des virus, des vecteurs et des hôtes. C’est l’un des objectifs du programme Citique, ciblant les tiques trouvées chez l’être humain, qui permet de recueillir des informations sur la répartition géographique des piqûres de tiques et des pathogènes qu’elles transportent. Son pendant en médecine vétérinaire sont des projets comme « Collec’tiques » ou l’application Tickit.

Une approche intégrée

Sur le terrain, l’approche One Health est tout à fait pertinente puisque les maladies à transmission vectorielle sont au carrefour des trois santés (humaine, animale et environnementale). Concernant, par exemple, les maladies de la fièvre du Nil occidental et Usutu, les centres hospitaliers universitaires de Montpellier et de Nîmes (Gard) récupèrent du sang de donneurs pour réaliser des études de prévalence. « Nous nous intéressons aux cas de fièvre ou d’atteinte neurologique non expliqués afin de savoir si ces virus pourraient être impliqués. En 2018, nous avons identifié en France un premier cas d’infection au virus Usutu chez un patient montpelliérain. Pour avoir une approche intégrée, nous avons développé des collaborations avec l’unité Astre sur les aspects vectoriels. Des captures de moustiques ont permis d’identifier la présence de ces virus. Une surveillance animale est également menée en collaboration avec des cliniques vétérinaires car les animaux sont autant exposés à ce type de virus », poursuit Yannick Simonin. L’objectif des chercheurs est d’identifier des espèces sentinelles plus sensibles à ces infections virales pour détecter au plus tôt les épidémies. Des approches environnementales permettent aussi de repérer de façon précoce des virus dans des eaux stagnantes, dans les eaux usées ou dans des étangs. Le dispositif de déclaration obligatoire de maladies infectieuses est un élément important dans la mise en œuvre de cette surveillance. Pour Nathalie Chazal, professeure de virologie à l’université de Montpellier, les nouvelles technologies permettent d’avoir une approche très large. « Nous disposons maintenant de technologies extrêmement puissantes utilisées dans le cadre de recherches cliniques appliquées, des techniques de séquençage de nouvelle génération qui donnent rapidement un certain nombre de réponses. »

Des méthodes de lutte adaptées

Quelle approche adopter pour lutter contre les maladies vectorielles quand le vecteur, comme le moustique-tigre, pour ne citer que celui-ci, est déjà très répandu dans la majorité des départements de France métropolitaine ? Cette question complexe était le thème de la deuxième table ronde, animée par Arnaud Gonzague, rédacteur en chef adjoint à L’Obs. Les différents intervenants ont démontré que tout un écosystème existe pour faire face à ces enjeux. D’aucuns seraient tentés de proposer de se débarrasser de ces insectes considérés comme nuisibles. « Il ne faut pas se débarrasser des arthropodes, il faut vivre avec eux le mieux possible. Ils font partie des écosystèmes. Ce sont des êtres vivants qui permettent de réguler des populations. L’objectif n’est pas de tuer tous les moustiques ou tous les arthropodes mais ceux qui nous nuisent en utilisant les méthodes les plus adaptées possible et les moins impactantes pour l’environnement », défend Didier Fontenille. Les insecticides ne paraissent plus être la solution miracle face à des insectes qui deviennent de plus en plus résistants et face aux conséquences sur l’environnement de leur usage. D’autres stratégies voient le jour. Par exemple, des recherches s’intéressent aux virus pathogènes pour certains insectes et la manière de les disséminer. Il existe également la technique de l’insecte stérile boostée, qui est en phase de test, notamment à La Réunion, contre l’espèce Aedes aegypti, principal vecteur de la dengue, de l’infection à virus Zika et du chikungunya (encadré).

Une surveillance épidémiologique sur mesure

La présence du moustique-tigre dans de nombreux départements métropolitains expose au risque de transmission autochtone des arboviroses. Celles-ci se font notamment par des personnes infectées dans des zones où circulent ces virus, pendant les jours où l’agent pathogène est présent dans leur sang. « Il y a de plus en plus de transmissions autochtones », explique Isabelle Estève-Moussion, coordinatrice de la lutte antivectorielle à l’agence régionale de santé (ARS) d’Occitanie. Pour faire face à ces évolutions, les ARS ont mis en place un système d’alerte pour détecter ces maladies. « Nous surveillons les personnes qui reviennent malades [des personnes qui ont voyagé dans des zones à risque, NDLR] et demandons aux médecins d’informer l’ARS. Les patients sont contactés pour savoir où ils sont passés. Nous informons un opérateur pour confirmer la présence du moustique dans les zones visitées. S’il y a concomitance entre la présence de la personne et celle du vecteur, nous mettons en place des traitements biocides. Pour l’instant, nous n’avons que ce moyen. Il n’est pas forcément optimal mais c’est le seul qui soit efficace. » Ce système de surveillance repose principalement sur des professionnels de la santé, en particulier les médecins généralistes. Or, il arrive que ces derniers ne pensent pas immédiatement à une maladie tropicale. Pour les accompagner, l’ARS les sensibilise à la déclaration des maladies à transmission vectorielle.

Des actions ciblées

D’autres maladies font l’objet d’une surveillance ciblée bien qu’elles n’aient pas encore été détectées sur le territoire métropolitain. C’est notamment le cas de la fièvre de la vallée du Rift, une maladie initialement identifiée chez des animaux domestiques en Afrique subsaharienne mais qui a atteint le département de Mayotte. « Cette maladie virale est un cycle entre les ruminants et les moustiques, transmise par plusieurs vecteurs. Il arrive que l’être humain soit atteint dans la plupart des cas sans symptômes. Des symptômes graves ont été constatés dans une plus faible proportion », explique Éric Cardinale, directeur adjoint de l’unité Astre au Cirad, qui précise ne pas vouloir être alarmiste. Pour détecter cette maladie, des surveillances sont mises en place chez les animaux, l’être humain et le moustique vecteur. « À Mayotte, nous sommes dans un laboratoire à ciel ouvert. La fièvre de la vallée du Rift fait aujourd’hui partie de la maladie recherchée de manière systématique en cas de syndrome fébrile. »

La formation, un élément clé

La formation est un aspect important de l’approche One Health. L’université de Montpellier (Hérault) propose un diplôme universitaire international One Health, qui permet aux différents acteurs de travailler ensemble. « J’insiste sur les silos difficiles à déconstruire. Cela passe par la formation des jeunes médecins et des jeunes vétérinaires, pharmaciens, et plus largement des acteurs de la santé. Il faut plus de formations croisées », martèle Émilie Bouhsira, enseignante-chercheuse en parasitologie et maladies parasitaires à l’École nationale vétérinaire de Toulouse (Haute-Garonne) et spécialiste européenne en parasitologie vétérinaire. Les intervenants appellent également à maintenir des réseaux locaux de surveillance. « Le One Health ne peut se faire que s’il y a un engagement politique fort avec des financements pérennes, ce qui a parfois manqué en France », rappelle Nathalie Chazal, professeure de virologie à l’université de Montpellier.

Zoom sur la technique de l’insecte stérile

La technique de l’insecte stérile (TIS) repose sur l’élevage en masse d’un insecte et l’isolement des mâles, qui sont ensuite stérilisés par irradiation avant d’être relâchés dans la nature. Ce procédé empêche la reproduction et permet de réduire une population d’insectes cibles. « Dans le projet Revolinc, nous avons l’intention d’utiliser des mâles stériles pour véhiculer des biocides ou des biopesticides. Cela aura un impact plus important que la technique de l’insecte stérile seule », précise Jérémy Bouyer, entomologiste chercheur au Cirad et coordinateur du projet Revolinc (Revolutionizing insect control). La TIS a notamment fait ses preuves au Sénégal contre les mouches tsé-tsé et les mouches à fruits. En Espagne, dans la zone de Valence, cette technique est utilisée pour protéger des récoltes. Son premier avantage est son action spécifique sur l’espèce cible. La TIS présente en outre un intérêt écologique certain en comparaison avec les traitements insecticides qui ne permettent pas de viser une espèce déterminée. « Pour ne pas cibler d’autres espèces, qui participent également à la lutte contre le moustique ciblé, cette technique permet de protéger en même temps les prédateurs, qui continuent ainsi à exercer leur action de régulation sur ces insectes », détaille le chercheur du Cirad.

Pascal Picq, paléoanthropologue :

« Une seule santé » est un concept qui semble assez évident. Il a fallu cette terrible pandémie [crise sanitaire du Covid-19, NDLR] pour que nous prenions conscience de l’importance de la biodiversité et des environnements que nous dégradons. Cela nécessite des évolutions conceptuelles importantes. La science n’avance pas qu’avec des données mais aussi avec de nouveaux concepts, de nouvelles théories. Ce concept d’une seule santé amène de nouvelles approches complexes qu’il faut intégrer à beaucoup de spécialités dans des domaines de la médecine humaine et vétérinaire. Il faut faire intervenir des biologistes, des évolutionnistes, des écologistes… Il y a quelque temps, nous passions à la médecine de précision, il lui manquait une dimension supplémentaire : celle de nos environnements. […] Il va falloir inscrire tout cela dans la médecine évolutionniste. Ce concept nécessite des changements et du temps dans la pratique médicale. Or, la charge administrative qui pèse sur les médecins et les chercheurs d’une manière générale constitue un frein. Il est indispensable que les autorités prennent en compte cette médecine qui connaît des contraintes qui ne peuvent qu’entraver ces approches. Il y a un cadre à mettre en place pour une médecine « Une seule santé », qui requiert des transformations profondes de la notion de travail pour les médecins, les biologistes, les vétérinaires, les évolutionnistes.

  • Les prochaines éditions auront lieu les 15 juin à Lyon, en septembre à Bordeaux et en novembre à Paris.