OBJECTIF SOINS n° 0293 du 01/06/2023

 

Santé des soignants

ACTUALITÉS

Claire Pourprix

  

La mission des soignants est de soigner… les autres. Mais quand eux-mêmes vont mal, cela devient difficile. Plusieurs enquêtes pointent la souffrance au travail des soignants. Une première étape, en attendant des solutions.

« Les infirmières et aides-soignantes sont deux fois plus nombreuses que la population générale à avoir été affectées par des problèmes de santé », affirme une enquête Odoxa réalisée pour la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH) et Le Figaro Santé, avec le concours scientifique de la Chaire Santé de Sciences Po. Publiée à l’occasion de la Journée des Droits des femmes le 8 mars dernier, l’étude révèle que les femmes s’occupent de 10 fois plus de tâches ménagères que les hommes (48 % vs 5 %), et les hospitalières 20 fois plus ! Autant dire que leur charge mentale est particulièrement affectée. Les soignantes sont 70 % à penser que la santé des femmes est le parent pauvre des politiques de santé publique. L’enquête souligne que pour 72 % des soignantes (et 51 % des Françaises), être enceinte au travail pénalise l’évolution de carrière. Et, si 36 % des actifs subissent des incivilités ou des violences au travail, le taux flambe à 80 % chez les soignants. Cela se répercute sur le stress ressenti : 79 % des soignantes assurent que leur travail leur provoque un « stress important », 71 % qu’il « implique une pénibilité importante » et 74 % qu’il a « un impact négatif sur leur santé ». Résultat : 50 % des soignantes se disent « insatisfaites » de leur travail et 59 % envisagent de le quitter à cause des conséquences sur leur santé.

Insoutenabilité du travail

De son côté, la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion, a publié en mars dernier une étude intitulée « Quels facteurs influencent la capacité des salariés à faire le même travail jusqu’à la retraite ? ». On y apprend qu’en 2019, en France, « 37 % des salariés ne se sentent pas capables de tenir dans leur travail jusqu’à la retraite. L’exposition à des risques professionnels – physiques ou psychosociaux –, tout comme un état de santé altéré, vont de pair avec un sentiment accru d'insoutenabilité du travail ». Or, les métiers dans le secteur du soin et de l’action sociale font partie de ceux considérés par les salariés comme les moins soutenables (avec les métiers les moins qualifiés ou au contact du public). Une insoutenabilité plus présente chez les femmes (41 %) que chez les hommes (34 %), qui touche toutes les catégories socioprofessionnelles bien qu’elle soit moins perçue chez les cadres (32 %). Contraintes physiques (être longtemps debout…) et psychosociales (travail intense, manque d’autonomie, conflits de valeur…) ont pour conséquence une incapacité plus fréquente à tenir dans le travail. Et « plus les salariés qui jugent leur travail non soutenable sont âgés, plus les interruptions du travail (…) sont fréquentes ». À l’inverse, une diminution des contraintes – et notamment plus d’autonomie –, ainsi qu’un soutien social fort, conduisent à une baisse de la part de salariés en situation d’insoutenabilité. De plus, « en moyenne, les changements organisationnels sont préjudiciables à la soutenabilité du travail, sauf si les salariés participent à la décision ».

« Prendre soin des professionnels de santé » est d’ailleurs une priorité du Comité éthique de la Fédération hospitalière de France (FHF), qui a émis des recommandations en s’appuyant sur une vaste enquête nationale réalisée en 2022 auprès des personnels hospitaliers des établissements publics de santé, sociaux et médicosociaux affiliés. D’après cette enquête, 80 % des professionnels de santé sont fiers de leur métier et 91 % ont un sentiment d’utilité. Pourtant, 50 % d’entre eux n’ont pas tendance à conseiller leur métier. L’enjeu est de résoudre le paradoxe entre « les attentes sur la qualité et la sécurité des patients et les ressources disponibles ; l’exigence de soins de qualité et la possibilité pour chaque professionnel de bien pratiquer les soins ». Pour la FHF, il faut donner du sens à ce qui est fait, une reconnaissance. Se préoccuper du bien-être au travail des équipes, car « cela amène, indirectement, à se préoccuper de la qualité des soins délivrée aux patients », et favoriser les temps d’échanges entre soignants, professionnels, malades et leurs familles. Ses recommandations portent sur trois leviers : territoriaux, systémiques et politiques. « Il faut ré-enchanter l’hôpital », conclut la FHF, qui souligne combien « les professionnels de santé et tous ceux qui travaillent à l’hôpital exercent un métier extraordinaire : un métier humain, de relation, technique, à objectif éthique ».

Reconnaître la souffrance et prendre soin

Message entendu ? La ministre déléguée en charge de l’Organisation territoriale et des Professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, a annoncé fin mars 2023 le déploiement d’une stratégie pour préserver et améliorer la santé des professionnels du secteur. L’objectif : documenter l’état sanitaire des professionnels de santé, recenser les bonnes pratiques et identifier les supports organisationnels ou normatifs existants, enfin analyser les conditions d’un accès amélioré et élargi à la médecine du travail pour les professionnels de santé. Pour cela, la mission « Santé des Soignants – Innovons et agissons ensemble » a été lancée à l’occasion de la conférence « Tous acteurs de la santé des professionnels de santé », organisée au ministère de la Santé et de la Prévention le 30 mars, et une grande consultation a été ouverte à tous les professionnels au travers d’un questionnaire en ligne sur le site du ministère. Les résultats de l’enquête alimenteront la réflexion pour élaborer une feuille de route sur la période 2023-2027.

« C’est une démarche très positive, estime Catherine Cornibert, docteur en pharmacie et directrice générale de l’association Soins aux professionnels de la santé (SPS). Enfin, il y a une prise de conscience concrète du ministère pour améliorer la santé des soignants en France. »

SPS est elle-même acteur d’une nouvelle enquête réalisée avec l’Ifop et Charlotte K. « L’objectif n’est pas de montrer que les soignants souffrent, tout le monde en est conscient, mais d’identifier des signaux faibles qui montrent que les soignants ne sont plus dans le combat mais dans la fuite du métier. » La perte d’attractivité des métiers du soin et les difficultés à conserver des équipes en place sont en effet au cœur de la problématique pour maintenir la qualité des soins. SPS a vocation à venir en aide sur le plan psychologique aux étudiants et professionnels de la santé en souffrance au travail et à agir en prévention pour le mieux-être. « En 2022, nous avons reçu environ 4 000 appels. Un nombre identique à celui de 2021, mais avec une forte augmentation des appels d’étudiants. Cela ne veut pas dire qu’il y a moins de souffrance chez les professionnels de santé. Mais peut-être que d’autres moyens ont été mis en place dans leurs structures, au sein des CPTS… pour accompagner les soignants en souffrance », commente Catherine Cornibert. Qui insiste sur la nécessité de faire plus de place à l’écoute des patients, au feedback pour redonner du sens au travail des professionnels de santé, mais aussi sur l’importance de s’occuper de la santé personnelle des soignants. Le message semble avoir trouvé écho au ministère, puisque Agnès Firmin Le Bodo a déclaré : « La santé de ceux qui nous soignent est un sujet majeur ; sa prise en compte relève d’une responsabilité collective et nécessite donc une mobilisation générale de tous les acteurs. »