OBJECTIF SOINS n° 0294 du 31/08/2023

 

Fin de vie

ACTUALITÉS

Anne Lise Favier

  

Il y a un an, le débat sur la légalisation de l’euthanasie refaisait surface à la faveur d’une tribune dans la presse généraliste. Dans le même temps, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) rendait un nouvel avis sur la fin de vie alors que le président de la République annonçait de son côté la nécessité de débattre de manière approfondie la question. Où en sont les débats ? Quels sont les tenants et aboutissants des consultations qui ont été menées en un an ?

Comme assez souvent, lorsque la question de la fin de vie s’invite dans les débats, elle le fait par médias interposés. Certaines histoires au retentissement médiatique particulièrement important ont rappelé régulièrement que le sujet reste difficile à trancher et suscite de nombreux questionnements. Une dizaine d’années après l’affaire Vincent Humbert (2003) qui avait lancé le débat sur l’euthanasie, celle de Vincent Lambert (années 2010) avait pointé du doigt les insuffisances du cadre légal de l’époque. Dans certaines situations, la loi Clayes-Leonetti et la possibilité d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès ne peuvent s’appliquer. C’est notamment le cas dans les pathologies neuro-dégénératives telles que la maladie de Charcot (sclérose latérale amyotrophique) ou les états pauci-relationnels (malades dont l’état de conscience est minimal, comme c’était le cas de Vincent Lambert).

Le sujet reste délicat et refait régulièrement surface, porté par des voix fortes.

Ainsi, à la fin de l’été dernier, il y a un an, c’est l’actrice Line Renaud, âgée de 95 ans, marraine de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) qui signe en compagnie du député Olivier Falorni, rapporteur général de la proposition de loi sur la fin de vie, une tribune dans le Journal du dimanche intitulée « Il est temps de légaliser l’aide active à mourir ». Les deux signataires rappellent les évolutions législatives qui ont eu lieu ces dernières vingt années mais déplorent les lacunes des textes laissant une pratique qui présente des failles : « Dès lors que l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation du patient peut le placer dans une situation susceptible de durer plusieurs jours, voire plusieurs semaines, peut-on sincèrement considérer cela comme humainement tolérable ? ». S’ils disent comprendre que certains Français souhaitent abréger leur vie, ils regrettent qu’on leur refuse « le droit de mourir sereinement, de manière apaisée ». Selon eux, « La France a fait preuve d’une grande hypocrisie », obligeant les patients désireux d’en finir à pratiquer un exil dans les pays autorisant l’aide active à mourir ou en bénéficiant de pratiques d’euthanasie clandestines.

Pour leur répondre, le Dr Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap), réfute « un tourisme de la mort », citant la Commission de contrôle belge qui déclare 45 cas d’euthanasie venant de l’étranger sur deux ans, tout en rappelant que « Plus d’une dizaine de sociétés savantes et d’organisations professionnelles se sont exprimées pour dire leur inquiétude face aux velléités de légalisation de l’euthanasie ».

Le débat refait donc surface dans un contexte où le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) s’apprête à rendre un avis sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie. Le président de la République Emmanuel Macron se saisit de la question et s’appuie sur les conclusions du CCNE qui constituent, selon lui, « une base solide pour mener une réflexion collective sur ce sujet sensible ». Que dit l’avis du CCNE ?

Remettre en débat la question de l’euthanasie

Le Comité rappelle l’évolution positive du droit des personnes à la fin de leur existence, en particulier grâce à la loi Clayes-Leonetti, mais regrette le décalage entre la loi et son application : « Il n’y a pas eu de réelles évaluations de l’impact des différentes lois », s’inquiète-t-il, déplorant en outre une application insuffisante des plans successifs en faveur des soins palliatifs.

Alors oui, admet le CCNE, « Le cadre juridique actuel est suffisant, lorsqu’un pronostic vital est engagé à court terme. En revanche, certaines personnes souffrant de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances réfractaires dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme, mais à moyen terme, ne rencontrent pas de solution toujours adaptée à leur détresse dans le champ des dispositions législatives ». Il cite également le cas de situations de dépendance à des traitements vitaux dont l’arrêt – lorsque la personne est consciente – n’entraîne pas de décès à court terme. Ainsi, le CCNE reconnait la légitimité de certains à rouvrir la réflexion sur le sujet.

Il estime même que « Si le législateur venait à s’emparer de ce sujet, il existe une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir, à certaines conditions strictes, avec lesquelles il apparaît inacceptable de transiger ». Des mots qui laissent pour la première fois entrevoir une évolution de la loi en faveur d’une aide active à mourir, sous conditions, avec un « renforcement des mesures de santé publique en faveur des soins palliatifs et la prise en compte de repères éthiques majeurs », tempère tout de même le Comité d’éthique.

Sur ce dernier point, il est clair : « La possibilité d’un accès légal à une assistance au suicide devrait être ouverte aux personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances physiques ou psychiques réfractaires, dont le pronostic vital est engagé à moyen terme ». Il appelle, à la suite de son avis, à l’organisation d’un débat national auquel il prendra part. Décidée par le président de la République, l’organisation de ce débat prend la forme d’une convention citoyenne organisée par le Conseil économique, social et environnemental (Cese) qui a débuté à l’automne et dont le résultat des réflexions était attendu en mars 2023. Cette convention citoyenne, constituée de plus de 150 citoyens représentant la société française sous tous ses aspects, devait répondre à la question suivante : « Le cadre de l'accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d'éventuels changements devraient-ils être introduits ? ».

Placée sous un comité de gouvernance, cette convention va travailler plusieurs mois sur la question et se prononcer, à l’issue de ses travaux, pour une aide active à mourir (majorité de 75 %), soit sous la forme d’un suicide assisté ou d’une euthanasie, selon les cas, l’un ou l’autre ne répondant pas totalement à l’ensemble des situations rencontrées.

Sans donner son avis sur les résultats, le chef de l’État annonce alors à la convention citoyenne que ce sujet de la fin de vie doit encore mûrir, rappelant que « Ce serait trahir l’état d’esprit qui est le vôtre que de déduire de vos réponses celle de la société. Il faut continuer à faire vivre ce débat pour faire partager votre cheminer à un maximum de nos compatriotes ». Une manière de ménager les détracteurs d’une évolution de la loi ? Un point d’étape plutôt.

Suicide assisté ou euthanasie ?

Car Emmanuel Macron a d’ores et déjà confié la suite aux parlementaires qui devront construire un nouveau projet de loi. Ce dernier fera-t-il évoluer le cadre légal de la fin de vie ? Et sous quelle forme ? Les deux modalités de l’aide active à mourir, proposées par la convention citoyenne – suicide assisté et euthanasie active – ne trouvent pas le même écho parmi la communauté médicale.

Rappelons que le terme d’euthanasie active désigne le geste qui consiste à abréger intentionnellement les souffrances d’une personne. Dans ce cas, un médecin ou un tiers va, par exemple, injecter une substance entraînant directement la mort du patient : c’est ce que l’on appelle, par abus de langage, l’euthanasie. On lui oppose parfois le terme d’euthanasie passive ou indirecte qui fait, quant à elle, référence à des mesures qui consistent à ne pas prolonger la vie : la mort peut alors survenir par l’administration de médicaments analgésiques ou après le débranchement d’un respirateur.

Enfin, ce que l’on appelle suicide médicalement assisté désigne le fait de se donner la mort avec l’aide d’une personne qui fournit un moyen pour le faire. Mais l’acte final – prendre activement un médicament qui va conduire au décès – revient au patient. Cet acte semble plus acceptable pour les soignants, conformément au Code de déontologie médicale qui rappelle que « Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et des mesures appropriées la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort ».

Dans un communiqué publié début avril 2023, l’Ordre des médecins s’est déclaré défavorable à toute possibilité de mettre en place une procédure d’aide active à mourir pour les mineurs et les personnes hors d’état de manifester leur volonté. « Si la loi vient à changer vers une légalisation d’une aide active à mourir – euthanasie ou suicide assisté – l’Ordre entend faire valoir dès à présent qu’il sera défavorable à la participation d’un médecin à un processus qui mènerait à une euthanasie, le médecin ne pouvant provoquer délibérément la mort par l’administration d’un produit létal ». Mais dans l’hypothèse d’une légalisation du suicide assisté, l’Ordre des médecins pose quelques conditions, dont la mise en place d’une clause de conscience et le caractère collégial de l’évaluation, de la décision d’éligibilité et de la responsabilité de ce suicide assisté.

Soins palliatifs

Du côté des spécialistes des soins palliatifs, la question n’a pas lieu d’être : « Donner la mort n’est pas un soin », répète la Sfap. Pour une très large majorité des professionnels des soins palliatifs (90 % selon un sondage Opinion Way de septembre 2022), le cadre légal actuel est satisfaisant et 85 % d’entre eux se déclarent défavorables à toute forme de mort intentionnellement provoquée, considérant que ce type de geste ne peut être considéré comme un soin. Si la loi venait à changer, les trois quarts des répondants à l’enquête estiment que cette évolution conduirait à des tensions, voire engendrerait des démissions.

Aussi, même si le regard des Français sur l’euthanasie a changé – ils s’y déclarent à 90 % favorables – montrant que la société est prête à faire évoluer le cadre de la fin de vie, la question n’est pas forcément réglée. Certes, la convention citoyenne s’est aussi prononcée pour une légalisation de l’aide active à mourir, mais du côté des soignants, les réponses restent contrastées.

La question de la fin de vie montre également l’impérieuse nécessité d’un meilleur accompagnement, comme l’a pointé la commission des Affaires sociales du Sénat qui appelle de son côté à « la constitution d’un modèle français de l’éthique du soin, fondé sur l’accompagnement et une offre effective de soins palliatifs, non sur un accès au suicide assisté ou à l’euthanasie ».  Que va-t-il donc advenir de ce débat dans lequel la population semble favorable à une évolution de la loi mais où les professionnels semblent freiner des quatre fers ? Le débat est-il déjà acté, comme semble le penser la commission des Affaires sociales du Sénat qui s’inquiète déjà que « la commande présidentielle se borne à consacrer à tout prix l’aide active à mourir ».

L’opinion populaire pèsera-t-elle davantage que la parole des soignants dans un débat qui se veut surtout sociétal mais qui ne peut en nier la dimension médicale ? Dans le contexte de crise qui touche notre système de santé, le débat sur la fin de vie, qui mérite un dialogue posé et apaisé, dispose-t-il des meilleures conditions pour être mené ? C’est à toutes ces questions que devront d’abord répondre les parlementaires avant d’entrer dans le vif du sujet.

Évolution du cadre légal de la fin de vie

Le cadre législatif relatif à la fin de vie est relativement récent en France. Ce n’est en effet qu’en 1999 qu’en sont posés les premiers jalons avec la loi du 9 juin visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs. En 2002, la loi Kouchner relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé instaure un droit au refus de traitement et crée la qualité de « personne de confiance ». Puis vient la loi Leonetti, en 2005, qui introduit l’interdiction de l’obstination déraisonnable, appelé auparavant acharnement thérapeutique. Cette même loi donne aussi la possibilité d’une décision collégiale de limiter ou arrêter les traitements et de donner la possibilité de soulager la douleur avec, pour effet secondaire possible, d’abréger la vie. C’est aussi la loi Leonetti qui introduit la possibilité, pour tout un chacun, de rédiger des directives anticipées.

Malgré les grandes avancées que ces textes prodiguent en l’espace de quelques années, certaines questions restent en suspens. C’est à celles-ci que la loi Clayes-Leonetti de 2016 tente de répondre en ouvrant un « droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès », associé à une analgésie et un arrêt complet des traitements de maintien en vie. Ces dispositions s’appliquent dans certains cas : si le patient est en capacité d’exprimer seul sa demande, cette sédation profonde jusqu’au décès lui est possible s’il présente une affection grave et incurable, avec un pronostic vital engagé à court terme et s’il persiste une souffrance réfractaire à tout traitement. Cette même disposition peut également s’appliquer si la décision du patient d’arrêter son traitement le conduit à un pronostic vital engagé à court terme avec une souffrance insupportable. Dans le cas où le patient n’est pas en mesure d’exprimer sa volonté, le médecin peut décider d’une sédation profonde et continue au titre du refus de l’obstination déraisonnable. La loi Clayes-Leonetti réintroduit la notion de directives anticipées, qui dans ce cas, doivent s’imposer au médecin lorsque le patient les a exprimées. Aux côtés de ces questions de sédation profonde et continue jusqu’au décès, figure toujours le développement des soins palliatifs, dont la loi rappelle l’importance et l’impérieuse nécessité.

Depuis 2017, six tentatives parlementaires ont vu le jour en vue de proposer « un droit à une fin de vie libre et choisie » ou « un droit de mourir dans la dignité » avec une notion d’aide active à mourir : aucune n’a vu le jour.