OBJECTIF SOINS n° 0294 du 31/08/2023

 

Prise en charge de la douleur

ACTUALITÉS

Anne Lise Favier

  

La Commission des affaires sociales du Sénat a organisé fin juin 2023 une table ronde* sur la prise en charge de la douleur. L’occasion de faire le point sur la situation actuelle et les améliorations éventuelles à apporter.

La douleur chronique, reconnue comme maladie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 2019, touche 12 millions de personnes en France. Une raison suffisante pour que le Sénat s’y intéresse de plus près et ce, d’autant qu’en clôture de la convention citoyenne sur la fin de vie, le président de la République a annoncé le lancement du plan décennal national de prise en charge de la douleur et des soins palliatifs. Dans la foulée, la ministre déléguée en charge de l’Organisation territoriale et des Professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, a mis en place une instance stratégique chargée de préfigurer ce plan décennal 2024-2034 en confiant sa présidence au Pr Franck Chauvin. En attendant les premiers travaux du groupe de travail qui va préfigurer ce plan, le Sénat a interrogé trois spécialistes de la douleur pour connaître les avancées et les lacunes dans le domaine de sa prise en charge. Le Dr Valérie Ertel-Pau, adjointe au service des bonnes pratiques à la direction de l’amélioration de la qualité à la Haute Aautorité de santé, a rappelé que les trois plans nationaux de lutte contre la douleur (de 1998 à 2010) ont permis de nets progrès sur la prise en charge, avec notamment la création de 250 structures dédiées à la douleur chronique. La spécialiste a néanmoins déploré que les patients continuent d’être orientés tardivement vers ces centres, après une errance diagnostique et thérapeutique de cinq ans en moyenne.

Accéder plus rapidement à certains traitements

De son côté, le Pr Valeria Martinez, présidente de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD), a évoqué l’aspect sociétal et économique de la douleur, rappelant qu’elle affecte non seulement la santé physique mais aussi le bien-être émotionnel, les relations interpersonnelles et la capacité à travailler : « Elle peut entraîner une détresse psychologique, une dépression, une anxiété, une diminution de la qualité de vie globale », s’installant de façon insidieuse et induisant un coût économique important lié aux dépenses de consultations médicales, de traitements et d'arrêts de travail.

Pour la présidente de la SFETD, il convient d’abord de répondre au besoin urgent d’accès à certaines thérapeutiques, par exemple en développant les techniques de neuromodulation ou l’analgésie intrathécale, encore trop peu accessibles. Le Pr Martinez estime qu’il faut également s’appuyer davantage sur le dépistage des patients à risque de douleur chronique, en préventif (patients traités en chirurgie, chimiothérapie ou encore radiothérapie). Enfin, dernier point d’amélioration, indispensable selon elle, la formation des professionnels : « La SFETD plaide en faveur de la reconnaissance de la douleur et des soins palliatifs comme une spécialité médicale à part entière », et ce, d’autant qu’une enquête démographique a montré une pénurie imminente de médecins spécialistes de la prise en charge de la douleur. Outre les médecins, « Il faudrait aussi assurer la reconnaissance en pratiques avancées des infirmières ressources douleur », a-t-elle plaidé.

Mieux écouter les patients

Le Dr Marc Lévêque, neurochirurgien et spécialiste de la douleur, a, quant à lui, réalisé un focus sur certains médicaments, insistant sur les prescriptions de morphiniques et de psychotropes « parce que bien souvent, les médecins généralistes sont démunis face aux patients douloureux chroniques qui ne trouvent pas de débouchés dans les centres douleur chronique ». Selon lui, la prise en charge face à la douleur n’interroge pas suffisamment le mode de vie (travail, moral, famille) qui pourrait pourtant permettre de mieux comprendre et donc mieux traiter certaines douleurs. L’offre de soins est aussi, selon lui, trop « hospitalo-centrée », les consultations douleur en médecine de ville ne sont pas favorisées car la nomenclature n’est pas adaptée. Il faudrait revaloriser les actes, revoir la prise en charge non médicamenteuse et évaluer les résultats de certains traitements. Ainsi le Pr Martinez a rappelé que l’expérimentation sur le cannabis initiée en mars 2021 consiste en l’examen de sa faisabilité, de sa prescription et de sa élivrance, mais ne comporte pas de contrôle placebo, le Dr Lévêque soulignant de son côté que ce cannabis thérapeutique risque de « semer le trouble dans la douleur chronique » : « La demande du patient est-elle sincère, justifiée ? ». Reste maintenant à voir de quelles mesures sera constitué le prochain plan décennal.

*Commission des affaires sociales du Sénat. Prise en charge de la douleur, 28 juin 2023. https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/commissions/commission-des-affaires-sociales/actualite/default-c8742ff336965568ae5a92419ad516d6.html