pratique hospitalière
DROIT
Avocat à la cour de Lyon
Triplement en institut de formation en soins infirmiers (Ifsi), débat contradictoire concernant un accident de service, responsabilité en matière d'infection nosocomiale et fautes complémentaires, défaut de contrôle de l'activité anticoagulante au cours d'une intervention, bilans biologique et psychiatrique aux urgences, prise en charge hâtive aux urgences psychiatriques, qualité des soins et respect des directives anticipées en fin de vie : voici quelques éléments de jurisprudence pour les mois de juin et juillet 2023.
Ifsi : il n’existe pas de droit au triplement mais seulement une possibilité, que la commission compétente apprécie au regard des critères pédagogiques (CAA de Nancy, 6 juillet 2023, n° 22NC02451).
Une aide-soignante en fonction depuis 1984 a réussi le concours d'entrée dans un Ifsi ouvert aux aides-soignantes ayant plus de trois années d'ancienneté, et elle a entamé sa formation en septembre 2018. Ayant obtenu 55 crédits ECTS (European Credit Transfer and Accumulation System) sur les 60 de la première année de formation et 50 sur les 60 crédits de la deuxième année de formation, elle a été admise à redoubler sa deuxième année au cours de l'année scolaire 2020/2021. N'ayant toutefois pas réussi à valider les stages des semestre 2 et 3, et ne pouvant accéder à la troisième année de formation, elle a, le 10 septembre 2021, sollicité l'autorisation de redoubler à nouveau sa deuxième année. Par une décision du 16 septembre 2021, la section compétente pour le traitement pédagogique des situations individuelles des étudiants a refusé de faire droit à cette demande.
Le droit applicable résulte des articles 11 et 26 de l'arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d'État d'infirmier et de l'article 15 de l'arrêté du 21 avril 2007 relatif aux conditions de fonctionnement des instituts de formation paramédicaux.
L’étudiante demande l’autorisation d’un triplement, soit de redoubler une deuxième fois sa 2e année, du fait de la non-validation d'un stage de semestre 2 de la première année de formation et pour insuffisance de crédits ECTS en deuxième année pour accéder à la 3e année.
Pour refuser, à l'unanimité de ses membres, la section compétente pour le traitement pédagogique des situations individuelles des étudiants a retenu l'absence de progrès dans l'apprentissage en stage au cours des trois années de formation, en dépit de résultats théoriques honorables, l'absence de validation des compétences minimales requises pour réaliser les soins de nursing alors que l'intéressée exerce par ailleurs la profession d'aide-soignante, et le fait qu'en dépit des stages de rattrapage, elle ne parvient pas à valider les compétences attendues.
Elle a également précisé que les équipes et formateurs qui l'avaient suivie relevaient une incapacité à s'inscrire dans un schéma d'apprentissage, que l'étudiante ne parvenait pas à prendre conscience des écarts d'apprentissage, en dépit de l'accompagnement personnalisé dont elle avait bénéficié, et enfin, qu’un entretien approfondi n'avait pas permis de déceler de début d'analyse réflexive propice à une possibilité de prise de conscience de ses difficultés.
Par la suite, la décision de la section compétente refusant l'autorisation de redoubler une nouvelle fois sa 2e année de formation est maintenue.
Aux termes d’une procédure contradictoire, qui doit permettre la discussion sur tous les éléments médicaux, la commission de réforme se prononce sur l’imputabilité d’un accident au service, en l’occurrence de la tentative de suicide d’une infirmière relativement à la pression exercée par la hiérarchie (CAA de Douai, 27 juin 2023, n° 22DA02396).
Une infirmière a demandé à son employeur de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie qui l'a conduite à tenter de se suicider à son domicile le 30 septembre 2018. Par une décision du 17 septembre 2020, le centre hospitalier a rejeté sa demande. Par jugement du 19 septembre 2022, le tribunal administratif a annulé cette décision, et le centre hospitalier a fait appel.
En application de l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière, le secrétariat de la commission convoque les membres titulaires et l'agent concerné au moins quinze jours avant la date de la réunion (Art. 11) et la commission doit être saisie de tous témoignages, rapports et constatations propres à éclairer son avis (Art. 16). Dix jours au moins avant la réunion de la commission, le fonctionnaire est invité à prendre connaissance, personnellement ou par l'intermédiaire de son représentant, de son dossier, dont la partie médicale peut lui être communiquée, sur sa demande, ou par l'intermédiaire d'un médecin. Il peut présenter des observations écrites et fournir des certificats médicaux. La commission entend le fonctionnaire, qui peut se faire assister d'un médecin de son choix. Il peut aussi se faire assister par un conseiller.
Le centre hospitalier avait omis de convoquer l’infirmière à la séance de la commission de réforme et de l'inviter à prendre connaissance de son dossier. Il est de jurisprudence constante qu’un vice de forme n'entache d'illégalité la décision prise que s'il a été susceptible d'exercer une influence sur le sens de cette décision ou s'il a privé les intéressés d'une garantie. Or, ces droits constituent une garantie pour les fonctionnaires hospitaliers et leur méconnaissance entache ainsi d'illégalité la décision du 17 septembre 2020.
En application de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986, une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduise à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
La pièce probatoire centrale est le procès-verbal de séance du 11 janvier 2019 du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui avait pour objet la restitution de l'enquête diligentée à la suite de la tentative de suicide de l’infirmière.
L’agent exerçait ses fonctions dans le pool des infirmières de nuit et elle pouvait être appelée à effectuer des remplacements non prévus dans son emploi du temps. Des demandes répétées de sa hiérarchie d'effectuer des heures supplémentaires ont d'ailleurs conduit la médecine du travail à recommander à la direction du centre hospitalier de respecter l'emploi du temps initialement prévu de l’infirmière, et de ne pas la solliciter au-delà de trois nuits de permanence d'affilée.
Indépendamment de toute situation de harcèlement moral, la pression exercée par son encadrement pour assurer ces remplacements et les difficultés relationnelles en résultant pour l'infirmière permettent d'établir le lien direct entre les conditions de travail et la pathologie qui l'affecte, comme l'ont estimé l'expert psychiatre dans ses avis rendus les 8 novembre 2019 et 3 février 2020 et les membres de la commission de réforme dans les avis émis les 3 décembre 2019 et 30 juin 2020. Dès lors, en refusant de reconnaître l'imputabilité au service de cette maladie, le centre hospitalier a commis une erreur d'appréciation.
La responsabilité de l’hôpital est engagée de plein droit du fait de l’apparition d’une infection nosocomiale, et de manière complémentaire pour les fautes commises dans la prise en charge (CAA de Bordeaux, 6 juillet 2023, n° 21BX02341).
Une femme âgée de 49 ans s'est présentée aux services des urgences d’un CHU le 11 février 2013 pour de vives douleurs abdominales, avec des vomissements et un arrêt du transit intestinal. Lui a alors été diagnostiquée une hernie épigastrique, accompagnée d'un syndrome occlusif. Une laparotomie médiane sus-ombilicale exploratrice a été pratiquée le jour même au sein du service de chirurgie générale et viscérale, suivie d'une dissection de la hernie par simple raphie. Quelques jours après être rentrée à domicile, un suintement de la cicatrice médiane abdominale a été observé.
Le 21 février 2013, la patiente s'est rendue au service des urgences pour une dyspnée, une toux, une hypocapnie et une tachycardie. La réalisation d'un scanner abdomino-pelvien a permis de constater un abcès profond, et un prélèvement bactériologique a mis en évidence la présence d'un staphylocoque doré. Après traitement de l'abcès et mise en place d'une antibiothérapie, elle a pu regagner son domicile.
Elle a été toutefois à nouveau hospitalisée le 25 août 2013 en raison d'un nouvel écoulement purulent, associé à un abcès fistulisé sur un point de suture de la cicatrice. Une antibiothérapie lui a alors été prescrite. Au mois de mars 2014, son médecin traitant a constaté une fistulisation avec écoulement de pus au niveau de la cicatrice, et un scanner abdominopelvien a permis de conclure à une éventration de la paroi abdominale antérieure, à contenu colique. Une intervention chirurgicale a été réalisée le 21 mars 2014 consistant en une cure d'une récidive d'éventration, avec mise en place d'une prothèse.
Le 7 avril suivant, elle a été à nouveau hospitalisée au service des urgences pour un écoulement purulent et opérée pour une mise à plat d'un abcès. Les examens bactériologiques du liquide purulent ont confirmé la persistance de l'infection à staphylocoque doré résistant à tous les antibiotiques prescrits. Malgré les soins infirmiers qui se sont poursuivis à domicile, l'écoulement péri-ombilical a été permanent.
Un scanner abdominopelvien, effectué le 12 mars 2016, a montré une collection intra-péritonéale. En raison de la perte de confiance de la patiente dans cet établissement, celle-ci a subi une nouvelle opération, le 27 septembre 2016, à l'hôpital du Kremlin-Bicêtre afin de réséquer la prothèse intra-péritonéale, l'ombilic et une partie de l'intestin grêle. Lors de deux consultations effectuées les 13 juillet et 12 décembre 2018, une récidive paramédiane de l'éventration pariétale, jugée minime et peu symptomatique, a été constatée, et le port d'une ceinture de contention abdominale préconisé. L'état de santé a été considéré consolidé le 16 novembre 2018.
Les professionnels de santé et les établissements de soins dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. Toutefois, les établissements sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère (CSP, Art. L. 1142-1 I).
La patiente a contracté une infection à staphylocoque doré au décours de l'intervention chirurgicale du 11 février 2013 réalisée au CHU.
Par ailleurs, dans les suites de l'opération, est survenue une succession de manquements fautifs de l'hôpital, soit un défaut de soins consciencieux dans les suites de l'opération, qui aurait permis de s'assurer de la guérison de l'abcès pariétal, une absence de suivi chirurgical digestif après la nouvelle hospitalisation du 25 août 2013, une absence d'antibiothérapie à la suite de l'intervention du 21 mars 2014.
Alors que la patiente présentait un risque très élevé d'infection de la prothèse pariétale abdominale qui lui a été posée, l’intervention chirurgicale du 9 avril 2014 a été non conforme aux données acquises de la science en raison du défaut de retrait de la prothèse infectée, d’une absence de soins post-opératoires consciencieux, et d’un retard de diagnostic s'agissant de la prothèse infectée et de la fistule entéro-cutanée.
La persistance de l'infection nosocomiale, qui a rendu nécessaire une nouvelle intervention chirurgicale le 27 septembre 2016 à l'hôpital du Kremlin-Bicêtre, démontre également un retard dans une prise en charge chirurgicale adaptée, permettant de venir à bout de cette infection.
Les dommages subis sont imputables à l'infection nosocomiale, soit une responsabilité sans faute prouvée, et aux manquements fautifs du CHU de Martinique, soit la responsabilité pour faute.
Le défaut de contrôle de l'activité anticoagulante au cours de l'intervention qui a duré deux heures est une faute, mais au cas d’espèce, le patient ne prouve pas le lien de causalité entre cette faute et le préjudice corporel dont il se plaint (CAA de Paris, 5 juillet 2023, n° 21PA04983).
Un homme alors âgé de 63 ans a été opéré le 4 février 2015 pour une artériopathie oblitérante des membres inférieurs, un anévrisme de l'aorte sus- et sous-rénale de 68 millimètres au Centre hospitalier Henri-Mondor de Créteil, dépendant de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP). Les suites postopératoires immédiates ont été marquées par une thrombose des deux artères rénales qui, malgré une reprise chirurgicale, a abouti à une insuffisance rénale terminale nécessitant un recours définitif à l'hémodialyse.
Les suites postopératoires ont également été marquées par la survenue d'une ischémie aiguë des deux membres inférieurs conduisant le 23 février 2015 à une amputation des membres à mi-cuisses, ainsi qu'à des troubles sphinctériens avec incontinence anale.
Le patient a saisi la Commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) d'Ile-de-France qui, après avoir diligenté une expertise médicale rendue le 2 novembre 2017, a rendu un avis le 14 juin 2018 selon lequel il incombait à l'AP-HP d'adresser une offre d'indemnisation dans un délai de quatre mois.
En l'absence d'offre de l'AP-HP, le patient a engagé une procédure devant la juridiction administrative.
Les établissements hospitaliers ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.
L’indication opératoire était peu discutable compte tenu du diamètre de l'anévrisme aortique présenté le 4 février 2015 et des risques de complications évolutives.
Il n'est pas habituel de traiter des anévrismes étendus en sus-rénal sous assistance circulatoire fémoro-fémorale, cette technique de circulation extracorporelle partielle n'étant proposée que pour les anévrismes aortiques d'extension plus proximale au niveau de l'aorte thoracique descendante. Toutefois, des difficultés opératoires inhérentes à l'anatomie des lésions, à la fragilité des tissus aortiques et au temps nécessaire pour la restauration aortique, ont pu faire retenir cette indication.
La dose d'héparinisation de 50 Ul/kg en début d'intervention sous ECMO (Extra-Corporeal Membrane Oxygenation) était conforme aux doses préconisées par l'Extracorporeal Life Support Organization (ELSO) en 2014, mais le défaut de contrôle de l'activité anticoagulante par mesure de l'Activated Clotting Time (ACT) ou dosage de l'héparinémie au cours de l'intervention, qui a duré deux heures, était fautif dès lors qu'il ne permettait pas d'ajuster la dose d'héparine nécessaire et était de nature à conduire à une insuffisance d'anticoagulation du patient.
Cette faute ne saurait être regardée ni comme la cause directe et certaine de la thrombose aiguë postopératoire des deux artères rénales, à l'origine d'une perte de fonction complète de ses deux reins, ni comme à l'origine d'une perte de chance d'éviter la réalisation de ce dommage dès lors que cette thrombose a pu résulter du geste de réimplantation de ces artères sur un patient dont l'état antérieur était caractérisé par une intoxication tabagique importante et qui était pris en charge pour un anévrisme thoraco-abdominal englobant les artères rénales, rendant l'opération très difficile.
Par ailleurs, l'ischémie aiguë dont a souffert le patient, conduisant à l'amputation de ses deux membres inférieurs le 23 février 2015 et à des troubles sphinctériens avec incontinence anale, et dont la date de survenue est incertaine, doit être regardée comme d'origine multifactorielle impliquant l'artériopathie oblitérante des membres inférieurs initiale du patient, la survenue d'une thrombopénie induite par l'héparine de type II et l'utilisation de drogues vasoactives lors du séjour en réanimation.
Par suite, en l'absence de démonstration du lien de causalité direct et certain entre les dommages subis et la faute résultant du défaut de surveillance de la coagulation au cours de l'intervention du 4 février 2015, la responsabilité de l'AP-HP ne saurait être engagée.
Service des urgences : pas de faute dans les bilans biologique et psychiatrique réalisés aux urgences alors même que le décès est survenu à domicile, dix jours plus tard (CAA Marseille, 2 juin 2023, n° 20MA02990).
Une femme a été hospitalisée le 27 septembre 2016, à 20h39, au sein du service des urgences d’un centre hospitalier à la suite de l'intervention des services du Smur (Structure mobile d'urgence et de réanimation), alertés par les voisins inquiets qu'elle ne réponde plus.
Alors consciente et cohérente, elle a subi les examens biologiques, somatiques et psychiatriques nécessaires et adaptés à l'état de santé qu'elle présentait, sans qu'aucun d'entre eux ne mette à jour de défaillance organique objective ou de troubles psychiatriques patents qui, relevant d'une situation dans laquelle la vie du patient est en danger, auraient justifié une hospitalisation en urgence.
Or, son décès est survenu dix jours plus tard, à domicile.
Selon l'autopsie, la cause vraisemblable du décès est un trouble ionique avec défaillance cardiaque en rapport avec une carence aiguë alimentaire et hydrique.
Les professionnels de santé et les établissements, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins, ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins, qu'en cas de faute (CSP, Art. L. 1142-1 I).
Selon l’expert, il n'a pas été retrouvé d'élément pouvant évoquer au moment de l’hospitalisation une dénutrition, les résultats des examens biologiques étant tous revenus normaux.
Les services, certes, n'ont pas mesuré le poids et la taille de la patiente, de sorte qu'il est impossible de connaître l'indice de masse corporelle (IMC) de celle-ci. Mais ces paramètres sont rarement relevés en urgence et la seule anomalie de cet indice n'entraîne pas d'hospitalisation en urgence en l'absence d'éléments de défaillance organique objective ou de trouble psychiatrique patent.
La consultation de psychiatrie réalisée le lendemain de l'hospitalisation de la patiente, qui n'avait fait l'objet d'aucune prise en charge psychiatrique antérieure, n’avait mis en évidence aucune pathologie aiguë justifiant une hospitalisation sous contrainte.
Les recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de santé émises en matière d'anorexie mentale font ressortir que le diagnostic de cette maladie ne saurait être posé à l'issue d'une seule consultation. Il doit être confirmé au cours de plusieurs consultations par la vérification de la présence de chacun des critères diagnostiques d'une des classifications internationales.
Le médecin psychiatre était informé de ce que sa patiente ne se serait alors plus alimentée depuis deux mois, mais il ne résulte pas du dossier que la patiente aurait, au cours de la consultation de psychiatrie et alors que les résultats des examens effectués la veille ne montraient pas d'état de dénutrition, présenté les signes évocateurs d'un arrêt complet et effectif de la nutrition. Elle s’est limitée à tenir des « propos proches du mysticisme », sans présenter d'état confusionnel.
Les examens somatiques pratiqués ne révélaient pas, en l'absence de confusion et de dénutrition de la patiente, d'élément d'une gravité telle qu'ils auraient requis de mettre en place un suivi médical postérieur à l'hospitalisation.
En tout état de cause, l'éventuelle omission à ne pas avoir mis en place un tel suivi, tout comme celle d'ailleurs à n'avoir pas adressé de lettre de liaison au médecin généraliste, n'auraient pu présenter, eu égard au délai qui s'est écoulé après sa sortie, un lien de causalité avec le décès de celle-ci.
Enfin, les services hospitaliers ont, à tout le moins, communiqué à la patiente, qui avait jusqu'à alors refusé de suivre une psychothérapie et présentait une situation sociale difficile, les coordonnées d'une assistante sociale.
Par la suite, la famille n’est pas fondée à engager la responsabilité pour faute du centre hospitalier.
Une prise en charge hâtive au service des urgences psychiatriques, avec un infirmier qui excède ses compétences, suivie du suicide du patient, est une faute qui engage la responsabilité de l’établissement (CAA Nantes, 3e, 02-06-2023, n° 22NT01947).
En raison de troubles anxieux conséquents constatés lors d'une consultation le 5 août 2017, un homme né en 1958 a été orienté par son médecin traitant vers le service des urgences du centre hospitalier où il a été admis le 6 août pour en ressortir le même jour avec un arrêt de travail de trois jours.
Le 11 septembre 2017, le médecin traitant a adressé un nouveau courrier au centre hospitalier pour une prise en charge de son patient afin d'établir l'origine organique ou psychique du « tableau complexe avec crispations incontrôlables du visage, cris et chutes » présenté.
Après une admission le jour même, les examens et bilans réalisés ont permis d'écarter l'étiologie neurologique des troubles présentés et le patient a été pris en charge par le service de médecine interne. Le 12 septembre, il a été examiné par l'infirmier de liaison du service de psychiatrie. Après avoir consulté l'interne en psychiatrie, l'infirmier a proposé une nouvelle prescription médicamenteuse et a communiqué les coordonnées du centre médicopsychologique compétent. Le patient est retourné à son domicile le 13 septembre.
Le médecin traitant a constaté que le traitement prescrit à la sortie du centre hospitalier n'avait pas d'effet sur les spasmes dont souffrait son patient et, dès le 13 septembre, il a contacté une clinique psychiatrique en vue de son admission, qu'il n'a pu obtenir avant le 19 septembre 2017. Le patient s'est suicidé le 18 septembre 2017 dans l'après-midi à son domicile.
Les professionnels de santé et les établissements, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins, ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (CSP, Art. L. 1142-1 I).
Le tableau clinique atypique et intense présenté par le patient, caractérisé par un état anxio-dépressif aigu associé à des crises spastiques « spectaculaires » avec automutilation, commandait, après élimination de l'étiologie neurologique, un examen de celui-ci par un médecin psychiatre au cours de son hospitalisation au centre hospitalier afin, notamment, d'évaluer la possibilité d'une admission en soins psychiatriques à la demande d'un tiers et, le cas échéant, d’établir un certificat médical à cette fin en application de l'article L. 3212-1 du CSP, ou à tout le moins, une observation en milieu spécialisé, où l'intéressé se sentait protégé.
Lorsqu'il a été informé par la famille de la prise en charge en médecine interne, le médecin traitant a contacté le centre hospitalier afin de solliciter son admission en service de psychiatrie et le chef du service de médecine interne a contacté en ce sens le psychiatre de liaison de l'établissement.
En se bornant à organiser un entretien avec l'infirmier de psychiatrie de liaison et en laissant sortir le patient de l'hôpital sans examen par un médecin psychiatre à même de proposer un diagnostic psychiatrique étayé, et sans observation en milieu spécialisé malgré l'intensité des troubles présentés, le centre hospitalier a commis une faute dans la prise en charge médicale du patient.
Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
Le patient n'avait pas d'antécédent psychiatrique et ne présentait pas, lors de sa prise en charge par le centre hospitalier, d'idées noires, et encore moins d'idées suicidaires. Toutefois, à sa sortie du centre hospitalier qui avait permis d'éliminer la cause neurologique du tableau clinique complexe, ses troubles anxieux et ses crises spastiques étaient toujours présents et ils ont conduit le médecin traitant à engager des démarches le jour même de sa sortie de cet établissement en vue d'une admission en clinique, au sein de laquelle il a obtenu une place en urgence le lendemain du suicide, survenu à peine cinq jours après sa sortie du centre hospitalier.
Dans un tel contexte, la faute commise par le centre hospitalier dans le défaut de prise en charge du patient a fait perdre au patient une chance d'éviter son passage à l'acte, fixée à 80 %.
Fin de vie : examen de l’information donnée, de la qualité des soins et du respect des directives anticipées, la juridiction recherchant, en cas de faute, s’il existe un lien de cause à effet avec le décès (TA Rennes, 7 juillet 2023, n° 2004170).
Une patiente s'est vu diagnostiquer une tumeur carcinoïde iléale et pancréatique en 2001 qui a fait l'objet d'un traitement par chirurgie puis a récidivé en 2009 sous la forme de métastases ovariennes bilatérales avec carcinose péritonéale et hépatique. Cette récidive a nécessité une intervention chirurgicale d'ovariectomie, d'hystérectomie et de colostomie au CHRU de Brest, ainsi qu'une chimiothérapie en octobre 2010 (Afinitor®), en 2015 (somatostatine puis Folfox®) et en 2016 (Folfox®).
La patiente a consulté régulièrement un praticien de l'institut Gustave Roussy (IGR) à partir de 2012 et a subi une intervention de rétablissement de la continuité digestive en 2013.
Elle a été victime au cours des années 2014 à 2016 de syndromes occlusifs puis a été hospitalisée le 25 mars 2016 en service d'oncologie au CHRU afin de suivre un nouveau traitement par chimiothérapie (Folfox®). Par la suite, elle a été hospitalisée au mois d'avril 2016 en raison d'un syndrome occlusif résistant qui a nécessité la réalisation d'une colostomie transverse droit latérale sur baguette les 22 et 26 avril 2016.
Elle a été hospitalisée au service d'hépato-gastroentérologie du même CHRU du 3 au 6 janvier 2018 pour une anémie avec méléna intermittent et elle s'est vu diagnostiquer une œsophagite, du 5 au 12 avril 2018 en raison d'une altération de son état général avec perte importante de poids.
Elle a été admise les 3 et 4 mai 2018 au service de nutrition du CHRU de Brest pour la pose d'une chambre implantable afin de mettre en place une nutrition parentérale. Toutefois, la pose n'a pas été possible en raison de l'état de santé de la patiente le 4 mai 2018 mais seulement le 28 mai 2018 lors d'une nouvelle hospitalisation dans le service de nutrition.
Cet état de santé a justifié la décision du 23 mai 2018 de reporter la 4e injection du traitement par radiothérapie (Lutathéra®). Le 20 juillet 2018, la patiente a été admise au service des urgences du CHRU en raison d'une hémorragie digestive causée par une œsophagite sévère avec rhagades ulcérées et a été transférée au service d'hépato-gastroentérologie.
Le 10 août 2018, elle a été de nouveau admise au service des urgences en raison d'une asthénie prononcée puis transférée au service d'hépato-gastroentérologie le lendemain. Au cours de cette hospitalisation, elle a rédigé ses directives anticipées le 16 août 2018 puis a été victime d'hématémèses à compter du 17 août, d'épanchements pleuraux bilatéraux le 24 août et d'une dyspnée importante le 26 août.
Elle est décédée le 27 août 2018 à 9h des suites du cancer évolutif dont elle était atteinte depuis 2001.
Toute personne malade dont l'état le requiert a le droit d'accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement (CSP, Art. L. 1110-9). Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage (CSP, Art. L. 1110-10). En toutes circonstances, le médecin doit s'efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l'assister moralement. Il doit s'abstenir de toute obstination déraisonnable et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie (CSP, Art. R. 4127-37).
L'équipe mobile d'accompagnement et de soins palliatifs a rencontré la patiente puis son époux les 17 et 22 août 2018. À l'occasion de ces rencontres, a été délivrée à la patiente une information quant aux modalités d'administration d'un antalgique en cas d'arrêt de l'Acupan® et à l'organisation d'une hospitalisation à domicile.
Des soins palliatifs (CSP, Art. 1110-10) ont été mis en œuvre à compter du 25 août 2018 par l'administration de morphine et d'anxiolytique en raison de la dégradation de l'état de santé, caractérisé par l'apparition d'hématémèses importantes, d'épanchements pleuraux bilatéraux et enfin d'une forte dyspnée. Ce traitement visant à apaiser la patiente était parfaitement indiqué, mais aucune information relative à sa mise en place n'a été transmise à la patiente ou à son époux. Toutefois, aucun risque en lien avec ces traitements ne s'est réalisé puisque le décès est imputable au cancer évolutif dont la patiente était atteinte depuis 2001.
Par suite, dès lors que la famille ne démontre pas qu'un risque induit par l'administration de morphine et d'anxiolytique s'est réalisé lors de la prise en charge, la méconnaissance par l'établissement de son obligation d'information n’engage pas sa responsabilité.
Par un courrier du 13 février 2018, le praticien spécialiste dirigeant la prise en charge a préconisé l'arrêt du traitement par Signifor® en raison des effets secondaires de nausées et vomissements. Ce courrier a été transmis au CHRU et ajouté au dossier médical, mais ce médecin a constaté, dans un fax du 20 juin 2018, la poursuite de ce traitement et rappelé la nécessité de l'arrêter. Dans ces conditions, en ayant poursuivi le traitement en méconnaissance des instructions médicales contenues dans le dossier médical, l’établissement a commis une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service public hospitalier. Toutefois, cette faute ne présente pas de lien avec la dégradation de l'état de santé de la patiente, qui est imputable au cancer évolutif dont elle souffrait. Par la suite, cette faute n'est pas de nature à engager sa responsabilité du centre hospitalier.
La patiente a rédigé le 16 août 2018 ses directives anticipées dans lesquelles elle indique, s'agissant de l'enlèvement du kyste sur la stomie : « Si c'est un carcinoïde, cela pourrait s'imposer tant que je suis encore à l'hôpital ». La patiente présentait des douleurs en lien avec la stomie réalisée en avril 2016, mais l'évolution de la stomie requérait une reprise chirurgicale ou une exérèse d'un kyste situé à proximité. Par suite, le CHRU de Brest n'a pas commis de faute dans la prise en charge de la stomie.