OBJECTIF SOINS n° 0294 du 31/08/2023

 

sur le terrain

DOSSIER

Propos recueillis par Claire Pourprix

  

Riche d’une expérience de 28 ans dans le secteur de la santé, Katya Corbineau s’est formée au coaching pour accompagner les managers. Lorsqu’elle était directrice des ressources humaines, elle a constaté l’isolement et le risque d’épuisement professionnel de certains managers. En 2020, elle s’est formée au coaching professionnel à HEC, à la médiation professionnelle à l’IFOMENE (ICP) et au codéveloppement professionnel, afin d’accompagner au mieux les managers, les équipes et les établissements de santé. Elle utilise plusieurs outils et particulièrement ceux issus de l’approche neurocognitive et comportementale (neurosciences) et de la communication non violente. Ils constituent selon elle de bonnes clés de lecture et des outils d’accompagnement efficaces. Katya Corbineau intervient essentiellement dans le secteur de la santé et du médicosocial, notamment auprès de directeurs, de comités de direction et de professionnels d’Ehpad.

Comment définissez-vous le coaching ?

Le coaching professionnel est un processus d'accompagnement personnalisé qui permet aux individus de développer leurs compétences professionnelles, d'atteindre leurs objectifs et de réaliser leur potentiel.

Malheureusement, ce terme est galvaudé de nos jours et il recouvre beaucoup de réalités très différentes : on parle de coach bricolage, de coach beauté… Le mot « coacher » vient du terme « cocher », celui qui conduit la voiture et emmène la personne d’un endroit à un autre :  le coach conduit une personne d’un état actuel à un état désiré. Il permet à la personne d’éclairer les angles morts, de comprendre certains mécanismes, d’effectuer des prises de conscience et de trouver ses propres solutions.

En effet, dans le coaching humaniste que je pratique, le postulat de départ est que la personne sait ce qui lui convient et ce qui fait sens pour elle. Chaque personne a la capacité de développer ses potentiels et de trouver ses solutions, dès lors qu’elle est dans des bonnes conditions de respect et de confiance. Le coaching est un espace sécurisé et confidentiel qui permet au coaché de prendre du recul et un temps de réflexion. Pour autant, ce n'est ni du conseil, ni de la formation, ni de la psychothérapie. En aucun cas le coach ne dit à la personne ce qu’elle doit faire. Il mobilise une boîte à outils variée et personnalisée, qu’il utilise selon les objectifs du coaching et les émotions en font partie. Il est important de choisir un coach certifié, supervisé, qui respecte le code de déontologie et surtout, avec lequel la personne se sent en confiance.

Par quoi débute l’accompagnement ?

Dans un premier temps, le coach aide la personne à définir ses objectifs de coaching. Celle-ci fait appel à un coach dans un contexte particulier : une prise de poste, une évolution professionnelle, une résolution de problème, la gestion de ses peurs, ses émotions, son stress, le manque de confiance en soi… La première séance a pour enjeu de bien comprendre la situation, les raisons pour lesquelle la personne vient, vers quoi elle veut aller et ce qu’elle souhaite travailler. Cette séance est essentielle : elle donne le fil conducteur du coaching. Ensuite, entre chaque séance, le coaché va mettre en œuvre ses « petits pas » et tester de nouvelles manières de faire (communiquer, faire du feed-back, s’organiser…). Le coach peut également proposer des outils comme des questionnaires à remplir (drivers, retour d’image, valeurs…) et qui peuvent servir de base à la séance suivante. Le coaché apprend à mieux se connaître, à décrypter ses émotions et ses mécanismes.

Comment mesurez-vous les progrès ?

Nous définissons ensemble, avec le coaché, des indicateurs de changement, de réussite du coaching : par exemple, quelqu’un qui souhaite travailler l’affirmation de soi, peut se fixer comme indicateur de réussite d’oser dire non ou de prendre la parole lors d’un comité de direction (Codir) ou une autre réunion. Un manager qui souhaite plus déléguer peut choisir comme indicateurs de prioriser et de déléguer au moins une tâche par semaine, ou de prendre le temps de rencontrer les personnes avec lesquelles il travaille, à un rythme à définir afin de suivre l’évolution de leurs tâches… Les indicateurs doivent être concrets et mesurables.

À qui s’adresse le coaching ?

À tout le monde et à tous les moments de la vie ! Il est bénéfique même à un jeune professionnel. Le seul prérequis est d’être volontaire, d’avoir la volonté de s’engager dans une démarche d’apprentissage et de changement. Le coaching n’est pas seulement un formidable outil pour les managers, il s’avère également bénéfique pour ceux qui cherchent à passer à l’action, notamment en période de transition professionnelle, ou même à l’approche de la retraite.

Combien de temps dure un coaching ?

Cela dépend. Il existe des coachings dits « flash » qui durent une à trois séances et qui sont ciblés sur une problématique très précise. Sinon, un coaching individuel s’étend généralement sur six à dix séances, chacune durant en moyenne une heure trente, la fréquence variant selon le professionnel et les objectifs. Même dans un secteur comme la santé où tout est perçu comme urgent, ce travail d’accompagnement via le coaching ne peut pas être réalisé dans l’immédiateté. Au contraire, le coaching offre une bulle d’oxygène, une occasion de prendre une pause pour réfléchir. Durant cette période, on observe des changements notables chez les individus : ils prennent du recul par rapport à leur routine quotidienne, leur approche habituelle, testent de nouvelles manières de faire et parviennent à voir les choses sous un angle différent. Ils font le « pas de côté ».

Que faut-il en attendre quand c’est l’employeur qui est à l’initiative d’un coaching ?

Il existe plusieurs cas de figure. Par exemple, dans le cadre d’une promotion professionnelle, lorsqu’un salarié doit superviser ses anciens collègues et adopter une nouvelle posture, ou encore si son N+1 estime que son style de management un peu trop « rigide », ou qu’il doit gagner en assurance. Dans ces situations, j’échange avec la personne coachée – en respectant la confidentialité de nos échanges, je ne fais pas de rapport à l’entreprise – et j’explore avec elle ses objectifs de coaching, nous en discutons et validons avec son N+1. La dernière séance est également tripartite pour établir le bilan de l’accompagnement. L’employeur peut aussi être à l’initiative d’un coaching collectif au sein d’une équipe ; dans ce cas, les objectifs sont collectifs. Le coaching collectif est un puissant outil de transformation et de cohésion.

Quelle place pour le coaching dans le monde de la santé ?

Aujourd’hui, dans le contexte de recherche de sens, de guerre des talents que l’on connaît, les employeurs ne peuvent plus prendre le risque de perdre de bons éléments ou de faire face à des conflits d’équipes : si un manager n’a pas la bonne posture, il peut faire fuir les personnels que l’on peine à recruter et donner une mauvaise image du service ou de l’établissement ! Dans leur majorité, les établissements de santé me semblent encore trop hésitants. J’ai pu entendre: « Je n’ai pas besoin de coaching, je manage depuis très longtemps ! », « Je n’aurai pas le temps » ou encore « Je n’ose pas demander un coaching car cela peut être interprété comme une marque de faiblesse ». À l’inverse, certains viennent me voir avec un motif très précis : « Avant qu’il ne soit trop tard, car je suis épuisé dans mon quotidien de directeur et j’ai besoin de retrouver de l’énergie et prendre du recul », « Parce qu’il doit bien y avoir d’autres façons de faire, je vois bien que mon management n’est plus adapté avec mes nouvelles équipes » ou encore « Parce j’ai un bon manager qui aurait besoin d’être accompagné, et je ne veux pas le perdre ». Pour moi, le coaching dans le monde de la santé a du sens s’il s’inscrit dans une stratégie de management bienveillant et aligné avec les valeurs de l’établissement. Car avant tout, offrir un coaching à un salarié, c’est un investissement… cela veut dire que l’on croit en lui !

Barbara Robert : « Le est totalement intégré au plan de formation »

Barbara Robert a rejoint le CHD Vendée comme coordonnatrice générale des soins il y a 4 ans. Elle déploie un projet managérial visant à accompagner le développement des compétences individuelles et collectives des cadres de santé afin de servir au mieux le projet médicosoignant de l’établissement. Pour impulser cette dynamique, qui nécessite de la part des cadres supérieurs et des cadres de santé une capacité à gérer des projets, de la créativité et de l’autonomie, elle s’appuie sur la formation autant que sur le coaching individuel.

« Je ne souhaite pas stigmatiser des situations de management difficile, mais plutôt construire lors d’espaces de discussion avec les cadres, la façon de leur apporter des leviers, des outils, des méthodes, des synergies qui les aident dans l’organisation de leur travail et la prise de décision. Nous travaillons au sein d’une direction commune et du GHT85, c’est un large périmètre qui complexifie la mission de l’encadrement amené à manager des équipes sur différents sites et conduire des projets territoriaux. C’est donc dans un climat de confiance que nous avons constitué des temps de formation délivrés par des professionnels internes et par deux organismes de formation. Au fil des années, nous avons développé des contenus de plus en plus riches sur la posture managériale, la négociation, l’animation d’équipe, le développement de compétences collectives, ou encore l’intelligence émotionnelle… Les « soft skills » sont un axe important de ces formations. D’autres, complémentaires, sur le management visuel, positif, participatif complètent le dispositif. En effet, pour assumer son leadership, il faut être armé, renforcer sa capacité à analyser les situations, avoir des compétences humaines et sociales pour s’adapter.

En complément, des temps de coaching individuel sont systématiquement mis en place pour accompagner les cadres supérieurs lors de leur prise de poste, ainsi que les cadres de santé qui expriment un besoin d’accompagnement. La demande de coaching est rédigée par le supérieur hiérarchique, avec le professionnel concerné, pour identifier les objectifs et mettre en place un accompagnement personnalisé. En tant que coordonnatrice générale des soins, je valide le document et je n’interviens pas dans le coaching jusqu’au bilan, où je m’assure que l’attendu a bien été atteint. Le coaching est donc mené confidentiellement, en général pendant 10 séances d’une heure trente et peut être prolongé.

De fait, le coaching est totalement intégré au plan de formation. Si cette démarche a été accueillie avec un peu de scepticisme au départ dans l’établissement, elle s’est bien ancrée dans nos pratiques au fil des réussites. En trois ans, huit cadres supérieurs sur douze et une vingtaine de cadres de santé sur quatre-vingt-quinze en ont bénéficié. »

Audrey Mandin : « le m’a permis de sortir de situations de blocage »

Infirmière puéricultrice, cadre de santé depuis 2014 après avoir fait fonction pendant plusieurs années, Audrey Mandin souhaitait quitter l’hôpital mais ne parvenait pas à se décider. Le coaching l’a aidée à sauter le pas afin de s’épanouir dans un nouveau métier de la santé.

L’environnement hiérarchique et bureaucratique de l’hôpital ne lui convenait plus. « J’aime faire des projets, aller vite, je me sentais freinée. Lors d’un différend avec ma hiérarchie, j’ai ressenti une profonde injustice. Cela a été un déclencheur. » En contact avec des coachs en formation qui avaient besoin de s’exercer pour valider leur certificat, Audrey Mandin décide, à l’été 2022, d’engager un coaching avec Jérôme Thean, aujourd’hui coach professionnel installé à Nantes chez CK-Partners. « Je n’avais rien à perdre, et je sentais que cela pouvait m’être utile. » Le coaching sera réalisé en quatre séances, en visioconférences espacées chacune d’un mois. « Nous avons travaillé sur mes valeurs, mes besoins, mes forces et mes faiblesses, sur les blocages, explique Audrey Mandin. Cela m’a permis de comprendre ce qu’il y avait d’essentiel pour moi, que je savais inconsciemment mais sur lequel je ne mettais pas de mots. Je suis « promoteur » : j’aime le challenge, j’ai la volonté de toujours évoluer, aller de l’avant. Tout l’enjeu pour moi était d’apprendre à utiliser mes forces plutôt que de subir mes faiblesses pour me sortir de situations bloquantes. Jérôme, par ses méthodes en PNL [programmation neurolinguistique], m’a permis d’ancrer durablement des ressources pour m’aider à surmonter les épreuves. » Ce coaching lui a été très bénéfique : elle a depuis quitté l’hôpital pour prendre un poste de responsable zone ouest chez Imagerie Cardinet, basé à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). « Je m’éclate dans ce poste à responsabilité, il répond à mes attentes, confie-t-elle. Le coaching m’a aidée à sauter le pas pour essayer de faire autre chose, toujours dans l’encadrement. Je conseille vivement de tenter l’expérience car en tant que cadre hospitalier, nous passons nos journées à gérer des problèmes, à chercher et trouver des solutions, la tête dans le guidon. Or, prendre le temps de réfléchir sur soi est important ! La psychologie positive permet de voir ce qui va bien au lieu de subir des situations difficiles. »

Julie Ballais :

L’Ehpad Le Logis des Jardins (groupe VYV) est l’un des sept établissements à avoir bénéficié d’un coaching de groupe dans le cadre d’un projet de recherche de l’Université de Nantes, soutenu par l’agence régionale de santé et porté par le cabinet Resecum : Quiétude (Qualité de vie pour les intervenants, les équipes au travail et les usagers des Ehpad). Julie Ballais, infirmière coordinatrice de parcours d’accompagnement et de soins, témoigne de l’intérêt de ce dispositif qui a démarré mi-2021 et s’est déroulé sur 18 mois.

« L’enjeu de ce dispositif était, dans un premier temps, d’effectuer un diagnostic autour de la qualité de vie au travail (QVT) dans l’établissement en vue d’élaborer un plan d’action pour répondre aux attentes des équipes. En période post-covid, celles-ci ressentaient de la fatigue, une charge mentale élevée, le collectif était déstabilisé par des arrêts maladie, des démissions, un turn-over des intérimaires… Elles souffraient d’un problème de reconnaissance et avaient besoin de soutien, de retrouver du sens au travail.

Je suis arrivée en janvier 2022 ; c’était mon premier poste de cadre après un parcours évolutif de 18 ans d’abord en tant qu’ASH, puis aide-soignante en 2008, infirmière en 2016 et cadre en 2021.

La phase de diagnostic était terminée, je me suis retrouvée plongée dans le cœur du sujet…

L’accompagnement collectif s’est organisé autour de temps de rencontres collectifs associant les membres du Codir – le directeur d’établissement, la responsable hôtelière et moi-même – et les personnels de l’Ehpad, soit une trentaine de personnes. Les séances démarraient par un « temps météo humeur du jour », et le coach rebondissait sur ce qui était dit à l’aide de jeux de cartes, de jeux de projection… Puis, on recentralisait les idées, on échangeait sur les axes d’amélioration, toujours dans un climat bienveillant, de transparence, d’authenticité. La première session, avec les infirmières, avait pour objectif de faciliter le travail ensemble pour le bien-être du résident, savoir comment améliorer notre communication Codir-infirmière. Cela a permis de retisser un lien de confiance avec les infirmières qui s’étaient peu à peu éloignées dans un contexte où le lien managérial était à consolider.

Puis une rencontre Codir-équipes pluridisciplinaires (aides-soignants, agents…) a porté sur la manière de travailler ensemble entre nouveaux salariés et plus anciens. Ces moments ont été très riches, les salariés se sont saisis du projet. Enfin, une rencontre Codir-salariés mono-métiers (ergothérapeute, psychologue, agents d’entretien, secrétaire, animatrice…) a été organisée. De temps en temps, nous avons également organisé des séances uniquement entre membres du Codir pour travailler sur des sujets de management et de coopération entre nous. C’était également l’occasion de remettre à jour notre plan d’action.

Fin mai, comme chaque trimestre depuis le début du projet, tous les établissements impliqués se sont retrouvés à Nantes pour faire leur retour d’expérience sur ce projet.

De notre côté, nous avons dressé un bilan très positif sur l’évolution du rôle des infirmières dans leur capacité à animer les équipes au quotidien et la QVT dans l’établissement. Depuis quelques mois, nous avons signé une dizaine de contrats à durée indéterminée (aides-soignants, agents de soins et hôtelier) grâce au bouche à oreilles sur la QVT au sein de l’établissement, ce qui nous a permis de combler l’ensemble de nos besoins en soins et de réduire considérablement le recours à l’intérim. Le baromètre réalisé en juin révèle que la satisfaction globale au travail des salariés est passée de 48 % en 2021 à 86 % en 2023.

Le fait que ce projet ait été porté par l’ensemble du Codir en y associant tout le personnel est la clé de sa réussite. Cela a permis d’avoir une vision plus large de la vie de l’établissement, une prise de conscience des difficultés de chacun, une cohésion et une entraide dans la réflexion. La responsable hôtelière, également une jeune cadre, a comme moi suivi des séances de coaching individuelles en parallèle. D’un point de vue personnel, cela m’a beaucoup apporté en termes d’outils managériaux et de communication avec mon équipe et mes collaborateurs. J’ai pu progresser pas à pas dans ma posture de manager par rapport à l’équipe infirmière, prioriser mes missions, apprendre à en déléguer certaines dans leurs champs de compétences. Cela demande du temps, de la préparation, car en tant que cadre on est dans la gestion des émotions.

Avec cet accompagnement, il faut s’autoriser à lâcher prise, à confier des choses, à se bousculer. Mais les résultats sont là : cela m’a apporté de la sérénité et m’a permis de gagner en maturité d’années d’encadrement. »