ÉCRITS PROFESSIONNELS
Jérôme Blanstier Véronique Lescop Mathilde Garry-Bruneau
Cadre supérieur de santé, ingénieur pédagogique, GHT d’ArmorDirecteur des soins en institut, présidente du collège des directeurs du GCS Ifsi BretagneDoctorante en sciences infirmières, Ulaval
Le modèle d’école d’infirmières, devenu institut de formation en soins infirmiers, a pleinement rempli sa mission. Il a permis de former des professionnels de santé qui ont répondu aux besoins des populations et aux stratégies nationales. L’infirmier a bénéficié des connaissances et compétences déclinées selon le Code de la santé publique sur une période qui semble désormais en phase d’essoufflement et qui s’illustre par le souci de l’attractivité et de la fidélisation des infirmiers dans leur exercice.
Universitariser la discipline infirmière est un moyen d’admettre qu’il existe un objet disciplinaire et un corpus de savoir, celui des soins infirmiers. Celui-ci ouvre à une reconnaissance sociale et financière adéquate pour la profession au regard de la valeur et de l’importance des services fournis par les infirmiers pour la société.
Les mutations sociétales (désertification médicale, épidémies, rapport à sa santé, à la consommation de prestations de soin, accès à différentes sources d'information à fiabilité variable, innovations numériques en santé, intelligence artificielle – IA, etc.) sont la toile de fond des évolutions du système de santé et de ses transformations à venir, à l’intérieur duquel se trouvent les appareils de formations des professionnels de santé, universités, instituts publics et privés. Ils doivent, sous la pression, concilier les impératifs structurels et conjoncturels afin de conduire et d’accompagner ces changements.
Le principe de qualification des infirmières a pris son essor dans la première moitié du XXe siècle. Dès 1907, l'Assistance publique des hôpitaux de Paris structure sur le site de la Salpêtrière un enseignement professionnel de qualité. En 1945, une étape importante est franchie dans la reconnaissance législative de la profession, avec l'établissement de la première définition officielle qui pose le principe d’une formation menant à une qualification. Le tournant des années soixante entraîne une augmentation significative des capacités tout en laissant en suspens la question du statut et de la reconnaissance des compétences. En 1988, cette situation suscite un mouvement qui reste ancré dans la mémoire collective des infirmières, avec le slogan mémorable « Ni bonnes, ni connes, ni nonnes ».
Si la « subversive »(1) tentative de L’école de Lyon(2), qui a formé en trente ans (1965-1995) trois cents infirmières à l’Université, a fermé sous la pression des médecins, les accords de Bologne et de Berlin, qui posent le principe de l’universitarisation, viennent réinterroger les cursus de formation infirmière.
Il faut attendre 2019, en France, pour la création de la section 92 en sciences infirmières du Conseil national des universités (CNU).
La majorité des programmes se sont construits dépendamment des époques, de l’évolution de la société, des résultats de recherche. La profession a son propre savoir public. Celui-ci est encore trop rarement discuté, controversé, analysé et critiqué. Le savoir enseigné en France est influencé par les autres disciplines (sciences contributives), mais sans bases épistémologiques en science infirmière. L’ancrage universitaire en France permet enfin de l’envisager différemment. Le décret de 2018(3) pose un acte majeur avec la reconnaissance de la pratique avancée infirmière. La stratégie « Ma santé 2022 » accélère le processus d’universitarisation, levier de la reconnaissance attendue, au regard d’une utilité politique, sanitaire et sociale(4, 5) de la profession.
Dans les dix prochaines années, le nombre de Français âgés de 75 à 84 ans va augmenter de 49 %(6). Les besoins croissants en prestations de santé liés au vieillissement de la population (affections de longue durée, pathologies chroniques, etc.), les épidémies, les questions relatives du rapport que les individus entretiennent avec le travail par la recherche de l'équilibre entre vie professionnelle et personnelle, ou encore les conditions de travail, la reconnaissance professionnelle... ont et auront un impact significatif sur les besoins en professionnels de santé.
Il est essentiel de trouver des solutions rapides et efficaces pour répondre à ces différents types de changement, que ce soit dans l’efficience allocative en trouvant des ressources humaines alternatives(7) ou dans des réorganisations palliatives, en réponse aux déserts d’offre médicale et parfois paramédicale, tant des hôpitaux que du secteur ambulatoire.
S’inscrire dans une continuité historique, comme un maillon fort d’un continuum qui vise à atteindre le but visé, permet de conduire les défis d’accompagnement du changement. Michel Foucault décrit les étapes de la construction professionnelle (des médecins) comme la « conquête d’un territoire propre, production et monopolisation d’un savoir, contrôle de l’autonomie professionnelle »(8). Le même itinéraire est suivi par les infirmiers : le territoire sera prioritairement celui du rôle autonome (en opposition au rôle prescrit) et la production d’un savoir inscrit dans la discipline infirmière. Une hiérarchie spécifique de la filière infirmière et la création d’un ordre infirmier sont venus porter l’ambition d’une autonomie professionnelle.
Cette autonomie est à appréhender avec précaution dans la mesure où cette aspiration légitime est freinée par la réalité d’un champ d’exercice toujours dépendant d’une prescription : prescription médicale pour engager le bilan de soins infirmiers en exercice libéral, contrôle de l’accès des IPA(9), protocoles « article 51 » sous délégation médicale « jusqu’à ce que nécessité fasse loi »(10).
Pour autant, il ne s’agit pas d’avancer par mimétisme du corps médical mais bien de définir le périmètre de la discipline infirmière, « une façon distincte et spécifique de considérer les phénomènes… »(11) en produisant des modèles conceptuels, des théories infirmières à l’image de celles produites par nos collègues européennes et nord-américaines. La production d’un savoir propre à la discipline par la recherche en science infirmière(12) est la condition sine qua non à sa reconnaissance. L’ouverture des expérimentations permet d’accélérer l’avancée de la visibilité de notre discipline.
La visée collectivement définie lors de l’expérimentation de l’Université de Rennes avec les Ifsi des Côtes d’Armor, d’Ille-et-Vilaine et du Morbihan(13) est la suivante : « La France est un pays d’excellence de soins prouvée. Cependant il est aujourd’hui nécessaire de repenser son organisation du fait de l’évolution des besoins en santé de la population et de la crise du système de santé. [...] Concernant la place des infirmiers dont le métier est au cœur du système de soins, nous, les instituts de formation et l’UnivRen, sommes convaincus que cette nouvelle organisation requiert un changement en profondeur de la place des professionnels, ceci en favorisant dès la formation initiale le déploiement de la discipline (universitaire) en science infirmière [...] en interprofessionnalité ».
Dès 2012, un Groupement de coopération sanitaire d’instituts de formation en soins infirmiers (GCS-Ifsi)(14) constitué d’une cellule « collège des directeurs » a été mise en place. Son objet est de veiller à la mutualisation des expériences pédagogiques et à l’équité entre les étudiants, qu’ils soient des instituts de métropoles ou de sites périphériques.
En lien avec la mise en place du référentiel de 2009, une priorité, initialement centrée sur les Ifsi, a été de définir les domaines des sciences et les unités d’enseignements concernés par la réingénierie, et d’en optimiser la diffusion au sein des instituts avec la caution universitaire. Cette organisation a généré les premiers liens opérants entre les Ifsi du regroupement et l'université de Rennes.
À partir du référentiel de compétences, les Ifsi se sont retrouvés autour de GHE(15) composés des représentants de formateurs de chaque institut, un directeur des soins, un universitaire du champ concerné, pour construire et valider la déclinaison des attendus et des contenus pédagogiques. Il s’agissait de s’accorder sur les architectures pédagogiques (modalités, volumes horaires et contenus) à destination de l’ensemble des instituts du périmètre.
Une deuxième étape clé de la collaboration entre les Ifsi du regroupement et l’université de Rennes a été le déploiement des antennes délocalisées Pass(16) au sein des instituts de Saint-Brieuc et Vannes dès 2019, puis au sein des instituts de Lorient et Pontivy en 2021. Ce pari du doyen Belissant de s’appuyer sur nos instituts pour l'aménagement du territoire(17) dans l’offre de formation en santé a été une forme d’arrimage fonctionnel qui a développé des liens et interfaces entre les services administratifs, techniques et pédagogiques de la faculté de santé de l’université de Rennes et les instituts de sa subdivision. Nous pensions donc avoir passé la phase d’« acculturation » réciproque.
La réponse de l’Unité de formation et de recherche (UFR) Médecine de Rennes et la validation du projet d'expérimentation déposé à la suite de l’appel à manifestation d'intérêt(19) qui invitait à « proposer des modalités renforçant les échanges entre les formations de santé, la mise en place d’enseignements en communs et l’accès à la formation par la recherche », a été le catalyseur pour engager les 10 Ifsi(20) de la subdivision de l’UFR médecine, et l’Ifpek(21) de Rennes, dans la déclinaison d’une proposition qui vise à :
- promouvoir l’exercice professionnel coordonné en intégrant dès la formation des mutualisations d’enseignement et d’activités interprofessionnelles,
- développer une stratégie territoriale en formation initiale et continue,
- garantir une formation à et par la recherche et une plus-value académique,
- maintenir un caractère professionnalisant spécifique.
La voie d’entrée dans cette expérimentation collégialement choisie a été de considérer que la formation infirmière pouvait conduire à une licence en santé pour tous les étudiants des Ifsi. Il s’agissait aussi de créer de nouvelles passerelles entre les filières de santé.
Au cœur de l'expérience pilotée par l’UFR Santé de l’université de Rennes(22), la collaboration et le partenariat ont une réelle déclinaison opérationnelle qui s’objective par une réingénierie globale des annexes III, IV, V de l’arrêté du 31 juillet 2009 relatif à l’obtention du diplôme d’État d’infirmier, une rénovation en profondeur pour l’ingénierie d’un tronc commun.
Aujourd’hui, les étudiants de première année des Ifsi partenaires peuvent choisir le parcours LAS(23) avec l’option santé, proposée à l’université de Rennes, et donnant une possibilité d’accès à la 2e année d’études des filières Médecine et Maïeutique. Réciproquement, les étudiants du Pass de l’université de Rennes peuvent bénéficier d’une option sciences infirmières, laquelle ouvre la possibilité, pour un étudiant de ce parcours, d’une réorientation précoce en semestre 2 ou une entrée directe(24) en 2e année de licence de l’un des Ifsi du regroupement.
Sur ces principes de réciprocité et à « parité d’estime », le premier palier de la co-construction d’un parcours en transfiliarité est posé. La formation infirmière au sein d’un cursus licence mention Sciences pour la santé parcours Sciences infirmières devient réalité. Il s’agit de coconstruire un cursus à double diplomation (diplôme d’État et licence)(25). Des unités d’enseignement regroupées au sein d’un « tronc commun »(26) sont partagées au sein du parcours sciences infirmières et du parcours des métiers de la rééducation(27).
Le GCS-Ifsi Bretagne, dans sa configuration liée aux instituts des Côtes d’Armor, d’Ille-et-Vilaine et du Morbihan engagés dans l'expérimentation portée par l’université de Rennes, met en place fin 2020 un comité de pilotage pédagogique interne constitué des coordinateurs pédagogiques désignés par chaque directeur des soins en institut(28). Le pilotage de ce comité est assuré par un cadre supérieur de santé, ingénieur pédagogique(29), élu par les membres, et qui assure depuis la conduite du projet, l’animation des réunions mensuelles, collige le travail du groupe et veille à la cohérence de la réingénierie globale. Les membres du Copil, en réels ambassadeurs, coconstruisent, portent et diffusent le projet aux formateurs et aux promotions d'étudiants de leur institut(30).
L’université de Rennes assure le pilotage d’un tiers des crédits d’enseignement qui composent la licence Sciences pour la santé. Pour l'expérimentation, les GHE sont constitués en interfiliarité pour les unités du tronc commun de la licence mention Sciences pour la santé (23 unités sur 56). Les groupes d’harmonisation concernant les enseignements propres aux savoirs infirmiers sont composés de formateurs volontaires de chaque Ifsi partenaire. Ces temps de partages, d’échanges de pratiques, d’harmonisation, de rénovation de contenus du référentiel de 2009 (après 14 années de déploiement) sont appréciés des formateurs.
En complément, des jurys de licence, des groupes de suivi des flux administratifs et techniques, animés par l’université, un comité de gouvernance et un comité de pilotage pédagogique universitaires, qui réunissent l’ensemble des parties prenantes, sont donc mis en place. L’usage des réunions en ligne optimise les temps de rencontres.
Les directeurs d’instituts, outre des temps collégiaux, intègrent, en complément des commissions de suivi de l’universitarisation co-présidées par l’Agence régionale de santé (ARS) et le Conseil régional de Bretagne, différentes instances, jurys ou groupes de travail. Ils animent, veillent à la diffusion des évolutions et partagent les besoins de régulations qui sont identifiés.
La mise en œuvre de cette expérimentation se révèle complexe. Nous constatons de manière récurrente la méconnaissance profonde et réciproque de nos réglementations et principes institutionnels.
C’est un risque pour la pérennisation de l'expérimentation. Nous y sommes confrontés à chaque étape de validation du projet et en raison de certains effets de bord induits par cette ambitieuse innovation. Que ce soit pour aborder les règles de validation de semestre, pour traiter les cas de réorientations « passerelles », ou encore pour programmer les dates des évaluations mutualisées, statuer et prévenir l’incidence de l'expérimentation sur les mutations d'étudiants, régler les problèmes d’interopérabilités de nos systèmes d’information, s’assurer de la congruence attendue des CAC(31) des votes de la CFVU(32) et des jurys de licence, pour tenir compte du circuit de validation des décisions universitaires… Et nous ne sommes qu’au milieu du déploiement du dispositif.
Nous préparons une deuxième rentrée (septembre 2023) avec le choix pour l’étudiant de licence 1 de suivre une LAS ou une licence de « droit commun », la mise en œuvre de la première année de licence 2, tout en débutant la construction de la licence 3.
Afin de respecter nos engagements, il est essentiel que nous établissions une structure plus solide et lisible, de manière à éviter de devoir recourir de manière parfois fébrile à des palliatifs organisationnels. Ce projet énergisant est également énergivore. Il met en évidence le besoin d’une organisation structurée et décisionnaire avec des processus identifiés par tous. La future organisation devra renforcer l'engagement de tous les acteurs impliqués, que ce soit les professionnels des instituts ou les opérateurs universitaires, et de rendre sécures et opposables les décisions et les modalités mises en œuvre. Les techniciens de la réingénierie pédagogique en sont les premiers demandeurs.
Le Département universitaire de sciences infirmières (Dusi), organe pilote centralisé permettant de mener une politique territoriale coordonnée, se dessine comme le soubassement incontournable pour une partie de l’assise des ambitions de ce projet. L’autre partie est la promotion du savoir infirmier érudit pour l’implantation de la discipline infirmière.
Nous soulignons que c’est l’université de Rennes qui nous a proposé ce département, au sein de l’UFR santé. En filigrane bien sûr, se trouvent la mission Ammirati(33), les signaux forts de l’intégration organique de la formation infirmier de bloc opératoire et de la maïeutique. Les parties prenantes sont dans un intérêt et une confiance partagés. L’ARS de Bretagne est attentive, intéressée et soutenante, le conseil régional présent et vigilant sur le soutien financier du projet. Les facteurs de réussite sont alignés. Il reste à s’engager résolument sur la mise en œuvre de la discipline infirmière en France pour une formation qualifiante, évolutive et attractive.
Le ministre François Braun, le 10 mai 2023(34), rappelle qu’il s’agit de « rénover le cadre d’exercice et d’avancer sur le nécessaire repositionnement des professionnels dans le système, d’avancer sur la voie du renouvellement et de la diversité des pratiques… » Nous y sommes.
Pour reprendre les propos introductifs de Stéphane Le Bouler et Pauline Lenesley(35) : « La réforme des organisations de santé est un agenda perpétuel. Les formations en santé en sont un large pan », au sein duquel les nombreux acteurs impactés se voient face à « un invraisemblable écheveau de normes et d’organisation ». Il faut répondre par un savoir agir managérial qui s’inscrit dans les quatre balises à suivre que sont « la qualité » de l’appareil de formation, sa « soutenabilité » financière, sociale et stratégique, « l’équité » de la répartition territoriale, et la « simplification » organisationnelle et décisionnelle pour garder le cap de son intérêt.
La qualité s’appuie sur :
- l’amélioration et l’harmonisation de la qualité de formation de tous les instituts associés au même Dusi par une plus grande expertise académique et une meilleure agilité à adapter la pertinence des programmes pédagogiques enseignés ;
- la rénovation et l’ajustement des programmes de formation en fonction des résultats de la recherche universitaire en science infirmière particulièrement, avec la contribution d’autres disciplines, pour répondre aux besoins des usagers des services de santé, de la profession et de la société ;
- la reconnaissance, l'accréditation et l’évaluation des programmes de formation proposés sur les plans national et international ;
- le développement de la recherche en science infirmière qui peut conduire à de nouvelles avancées dans la profession et renforcer sa reconnaissance et sa visibilité.
L’ensemble de ces intentions a comme finalité la participation à l’amélioration des prises en charges soignantes.
Lorsque l’on aborde le prisme de la qualité, il est important de prendre en considération la spécificité de l’encadrement pédagogique des instituts, particulièrement dans une période où les taux d’attrition sont scrutés avec vigilance. La formation ne peut, ni ne doit être conduite sous la seule vision des taux de diplomation. Ce serait la démonétiser. Il s’agit donc d’identifier que la spécificité de l’encadrement pédagogique des instituts produit des résultats plus qu’honorables si l’on se réfère aux taux de réussite de l’ensemble des formations de premier cycle. Il est nécessaire d’ailleurs de souligner que les instituts bretons produisent des résultats satisfaisants au regard des deux indicateurs de pilotage que sont les objectifs quantitatifs et qualitatifs.
En Bretagne, le taux d’encadrement est de 1/20(36). Les formateurs accompagnent systématiquement les étudiants dans leur processus de professionnalisation et de réussite. Ils sont régulièrement en relation directe avec les terrains de stage. Le métier de formateur de proximité de l’étudiant doit trouver son champ dans ce nouvel écosystème de formation combinant les compétences académiques et professionnalisantes. Il ne s’agit pas d’opposer ces formateurs aux futurs desseins d’enseignants chercheurs, mono- ou bi-appartenant, mais de veiller à une modélisation systémique opérationnelle de la formation des infirmiers qui répondent à son utilité publique et sociale.
De quelles compétences avons-nous besoin pour accompagner le développement des savoirs infirmiers dans un parcours de formation à haut engagement académique, émotionnel, relationnel et pratique ? La réponse à cette question est le préalable à la définition des missions et périmètres d’intervention de mono- ou bi-appartenant. La juste définition du champ de la discipline infirmière et de ses interfaces avec d’autres domaines disciplinaires est le fil d’Ariane du futur désiré et opérant. À ce stade, lors d’un sondage auprès des formateurs concernant les priorités de formation qui sont attendues dans le cadre de la mise en place de cette licence, il ressort que c’est la « science infirmière » qui est prioritairement identifiée. C’est le signe que la culture partagée de la discipline est attendue. L’intégration des enseignants chercheurs doit trouver sa modélisation et, encore une fois en ayant sa propre source de développement qui peut se démarquer des bi-appartenants tels que nous les connaissons, souvent en lien avec une spécialité médicale au sein d’un service.
Les instituts de formation doivent s’adapter à l'intégration d'un département universitaire. La structure doit clairement définir les rôles et responsabilités de chacun. Le directeur du département ne peut être issu que de la filière infirmière, idéalement qualifié à la section CNU 92. À défaut, ce département, au sein d’une UFR Santé, afficherait une dissonance contreproductive avec son appellation « sciences infirmières ».
La soutenabilité doit être vue sous l’angle financier et organisationnel. Les deux vont de pair. Plus l’organisation est complexe, plus les circuits sont doublonnés ou obscurs, plus ils mobilisent des ressources.
Nous devrons identifier et reconnaître des transferts d’activité, et même dans le cas d’activités incompressibles, éviter autant que possible les surcoûts liés à leurs mises en œuvre. L’articulation du Dusi avec les différents sites doit trouver la juste granularité dans sa modélisation. Le défi est donc de placer le curseur entre la centralisation de la politique et de la stratégie et la mise en place du principe de subsidiarité au bénéfice de sites périphériques.
Les Ifsi comme l’université peuvent être amenés à identifier les coûts nouveaux associés à l'intégration(37). Il est donc important de s'assurer que les financements nécessaires soient disponibles et, a minima, que les flux financiers soient bien fléchés.
L’équité, qui demande un accès à une formation infirmière de qualité quel que soit le lieu d’étude, est un sujet prégnant. Le Dusi y répond de facto par une politique et une stratégie partagée. L’accès territorial à une formation s’appuie également sur le triptyque économie, ergonomie, écologie de la formation, aujourd’hui indissociable de la pensée stratégique.
En conséquence, nous nous assurons de l'identité et d’un écosystème adapté des instituts de formation. Chaque site est l’interlocuteur privilégié des partenaires sur son réseau territorial(38).
Par exemple, sont mis en œuvre :
- une fine connaissance de sa cartographie de stages et de ses spécificités ;
- une appropriation de la spécificité de la population accueillie en formation au sein de l’Ifsi selon qu’il soit en milieu urbain ou rural ;
- des réseaux et partenariats locaux dans le cadre de la formation et de l’apprentissage clinique ;
- une relation avec les maîtres et tuteurs de stage ;
- une relation directe avec l'établissement de santé support (service informatique, services ressources humaines et logistique).
Une simplification de l’organisation générale et des circuits décisionnels découle de la création du Dusi. Intégrer un tel département, pour les instituts de formation en science infirmière, est une opportunité pour améliorer la qualité de la formation, renforcer la reconnaissance de la profession, et offrir de meilleures opportunités de parcours aux étudiants. Ces derniers sont fortement intéressés et demandeurs de cette perspective. Le maillage de passerelles durant leur orientation professionnelle, puis tout au long de la vie, est une source d’attractivité dont nous sommes convaincus. Ce Dusi, coconstruit sur une convergence d'intérêts, sera selon toute vraisemblance la préfiguration d’une nécessité communément partagée.
L’intégration d’un Dusi, dans un entre-deux organique et fonctionnel représente un enjeu majeur pour les instituts de formation. Une nouvelle configuration fonctionnelle, entre le directeur du Dusi et les directeurs de site, a vocation à se coconstruire. Cela implique des changements importants dans les processus de gestion et d'administration, des impacts sur la structure organisationnelle et sur la politique de chaque site.
L'équipe de direction d'un institut, par son leadership, est un vecteur fondamental de la réussite de cette mutation. Les directeurs d’Ifsi doivent donc être convaincus de l'intérêt de cette perspective pour la porter et la diffuser auprès de l’équipe dont ils ont la responsabilité.
À travers le portage politique d’une formation, les pouvoirs publics affichent leur attention à la profession visée. C’est l’année des infirmiers ! Soyons au rendez-vous de cette évolution qui a tant tardé en France.
1. Divay S. Présentation de la thèse de Michel Poisson, L’École internationale d’enseignement infirmier supérieur (Lyon, 1965-1995). Fabrique d’une élite et creuset pour l’émancipation des infirmières françaises du XXe siècle. Formation emploi 2019/2 ; (146) : 199-206.
2. Poisson M. L'école Internationale d’enseignement infirmier supérieur (Lyon, 1965-1995) : fabrique d’une élite et creuset pour l’émancipation des infirmières françaises du XXe siècle. Thèse de doctorat en histoire, 2018.
3. Décret n°2018-629 du 18 juillet 2018 relatif à l’exercice infirmier en pratique avancée. http://www.legifrance.gouv.fr
4. Knibiehler Y (dir). Cornettes et blouses blanches. Les infirmières dans la société française (1880-1980). Hachette ; 1984.
5. Magnon R. Les infirmières : identité, spécificité et soins infirmiers. Le bilan d’un siècle. Masson ; 2003.
6. Bayrou F, Haut Commissariat au Plan. Vieillissement de la société française : réalité et conséquences. Ouverture N°13, 9 février 2023. https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2023/02/hcp_vieillissement_de_la_societe_francaise.pdf
7. Avec le projet en cours de diminuer le temps de formation infirmière pour des aides-soignants expérimentés, ou (enfin) l’accès direct à certaines professions paramédicales.
8. Foucault M. La naissance de la clinique. PUF ; 2015.
9. Infirmier de pratique avancée.
10. Loi n°2023-379 du 19 mai 2023 portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé. http://www.legifrance.gouv.fr
11. Missi P, Dallaire C, Giguère J. Science et science infirmière : quels liens, quels enjeux et quelle évolution future pour la discipline infirmière ? Recherche en soins infirmiers 2018 ; 134 : 6-15.
12. Au singulier si l’on considère qu’une science a un objet unique.
13. Groupe de travail “Dusi” du copil de l'expérimentation rennaise relative à l’arrêté du 9 septembre 2021 et approuvé par le collège des directeurs d’Ifsi 22-35-56 le 24/04/2023.
14. Circulaire interministérielle DHOS/RH1/DGESIP n°2009-202 du 9 juillet 2009 relative au conventionnement des instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) avec l’université et la région dans le cadre de la mise en œuvre du processus licence-master-doctorat (LMD).
15. Groupe d’harmonisation d’enseignement.
16. Parcours d’accès spécifique santé.
17. Avec également l’appui de la collectivité locale, principalement costarmoricaine, et les présidentes de communautés médicales des hôpitaux périphériques.
18. « Commencer par définir pourquoi » , c’est-à-dire : définir ensemble la raison profonde du projet et donner du sens à l’action. Sinek S. Start with Why: How Great Leaders Inspire Everyone to Take Action. Portfolio/Penguin ; 2011.
19. Décret n° 2020-553 du 11 mai 2020 relatif à l'expérimentation des modalités permettant le renforcement des échanges entre les formations de santé, la mise en place d’enseignements communs et l’accès à la formation par la recherche.
20. Ifsi de Dinan, Fougères, Lannion, Lorient, Pontivy, Rennes CHGR, Rennes CHU, Saint-Brieuc, Saint-Malo, Vannes.
21. Institut de formation associatif en pédo- ergo- masso-kinésithérapie.
22. Sous l’égide du doyen Éric Belissant, Pr Patricia Amé-Thomas, directrice du département des formations paramédicales, Dr Benoit Guillet, assesseur du doyen, Dr Aline Corvol, responsable de la licence sciences pour la santé parcours sciences infirmières.
23. Licence accès santé.
24. Sous condition de 60 ECTS (European Credit Transfer and Accumulation System) de L1 Pass et de l’Attestation de formation aux gestes et soins d’urgence (AFGSU).
25. Les 180 ECTS valident les deux diplômes.
26. « Anglais », « Sciences humaines et sociales », « Droit et vulnérabilité », « Promotion de la santé et santé publique », « Méthodologie de recherche », « Compétences numériques en santé ».
27. Trois filières.
28. Isabelle Malingre, Guillaume Hamon, Véronique Crozier, Gaétane Marsac, Christian Le Goff, Michel Dugot, Daniela Langlais Dupin, Mylène Tostivint, Vincent Guillou, Pascale Martin, Jérôme Blanstier (et Bertrand Merlin Kutter, Fréderic Hovaere Catherine Gallais présents au début du projet).
29. Jérôme Blanstier, coordinateur territorial GHT d’Armor, universitarisation de la formation infirmière, outils numériques et innovations.
30. 130 formateurs pour les Ifsi du regroupement et 2 600 étudiants pour le premier cycle de licence.
31. Commission d’attribution des crédits.
32. Commission de formation et de la vie universitaire.
33. Lettre du 7 octobre 2022 du ministre de la Santé au Pr Amiratti pour cadrer les volets diplomation / ingénierie / conventionnel / recherche et encadrement
34. Dépêche APM du 10 mai 2023 sur l’adoption définitive de la loi Rist.
35. Lenesley P, Le Bouler S (dir). Études de santé. Le temps des réformes. Presses universitaires François-Rabelais ; 2021.
36. Un formateur pour 20 étudiants.
37. Tels que les coûts de formation supplémentaires pour les enseignants et formateurs, comptes Sesame de l’université, formations diverses, et les coûts administratifs, techniques et logistiques (déploiement de réseaux informatiques, accès au Réseau Renater et de maintenance au sein des instituts).
38. Territoire de santé, ou zone de groupement hospitalier de territoire.