OBJECTIF SOINS n° 0294 du 31/08/2023

 

DOSSIER

Muriel Ribert   Pascale Roche  

Cadre de santé Ibode, master en sciences de l’éducationCadre de santé, master en sciences de l’éducation

Des formateurs du Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec) Occitanie Est ont entrepris une recherche sur l’accompagnement du projet professionnel des étudiants infirmiers. Ce dernier présente une pluralité de pratiques d’accompagnement, au sein des instituts de formation. Les résultats d’une recherche descriptive qualitative, réalisée à l’aide d’entretiens, montrent que le suivi pédagogique, l’évaluation des compétences en stage et des savoirs non techniques ciblés lors de la relation pédagogique, sont essentiels pour accompagner l’étudiant dans son projet. La discussion s’articule autour du portfolio, de l’évaluation des soft skills et de deux fonctions émergentes du formateur révélées par le contexte de la crise sanitaire et la transition numérique : coach et ingénieur pédagogique.

Depuis une décennie, la formation infirmière s’ancre dans la continuité d’une formation professionnelle et se construit avec l’universitarisation. Cette évolution sous-tend la notion d’un accompagnement différent, par le formateur, de l’étudiant en soins infirmiers (ESI) au cours de son projet professionnel. Il accompagne l’apprenant à sa professionnalisation, à l’élaboration de son identité professionnelle, pour que se construise son projet. Merton(1) définit le lien entre professionnalisation et universitarisation : « La professionnalisation désigne le processus historique par lequel une activité (occupation) devient une profession du fait qu’elle se dote d’un cursus universitaire qui transforme les connaissances empiriques, acquises par l’expérience, en savoir scientifique appris de façon académique et évaluées de manière formelle sinon incontestable ».

Le projet professionnel est interrogé aux différents temps de la formation infirmière tel un « fil rouge » lors du suivi pédagogique et des parcours en stage de l’étudiant. En fin de formation, plus précisément durant le semestre 6, le stage préprofessionnel clôture la formation avec l’idée d’une projection professionnelle.

Selon Vial(2), « Le projet de formation est au service du projet professionnel. Il faut donc mettre en place le suivi de l’évolution du projet professionnel, puisqu’on attend que la formation fasse changer le projet initial, le fasse évoluer. »

Boutinet(3) considère le projet comme une incarnation du temps. Il représente une valorisation de l’individu car c’est une réponse psychologique concernant la représentation qu’ont les personnes de leur avenir. Pour permettre cette évolution et cette valorisation, l’étudiant a besoin d’être accompagné par les formateurs et les professionnels, dans une temporalité propre à chacun, pendant les trois années de formation.

Treize formateurs du Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec) Occitanie Est ont engagé une réflexion, suivie d’une recherche fin 2018, sur l’accompagnement par le formateur du projet professionnel de l’étudiant. Notre problématique a été la suivante : « De quelle manière le formateur accompagne-t-il le projet professionnel de l’étudiant en soins infirmiers ? » Les résultats montrent des représentations distinctes et des pratiques diverses, selon les interlocuteurs, dans l’accompagnement du projet professionnel de l’étudiant.

LE CONTEXTE DE LA FORMATION INFIRMIÈRE

Le contexte actuel : plusieurs générations au travail

Le public étudiant est constitué principalement de deux groupes générationnels :

- la génération Z, composée de jeunes individus menant leur existence dans une société du risque et de l’incertitude, avec un accroissement des processus d’individualisation. Ils cultivent leur rapport au temps dans l’immédiateté et ne peuvent, pour la plupart, envisager le long terme. Ils sont en recherche de modélisation et de sens ;

- la génération Y, trentenaire, mobile, changeant volontiers de « cap » pour sécuriser un emploi. En recherche d’efficacité et de pragmatisme, ses membres séparent pour la plupart vie professionnelle et vie privée. Certains sont en reconversion professionnelle, d’autres n’ont jamais quitté le milieu scolaire ou universitaire.

Actuellement, des étudiants de la génération Z interrompent la formation infirmière en début comme en fin de cursus, les amenant à un enseignement dit « à la carte », prolongeant ainsi le temps de formation.

Une grande partie des formateurs en soins infirmiers appartiennent à la génération X (entre 40 et 60 ans). Ces professionnels présentent la particularité d’avoir traversé l’ère du progrès scientifique et de la rationalité, œuvrant pour des causes au service du collectif, menant des actions qui prennent leur essence dans les valeurs, l’intention, le sens, et guidées par le projet professionnel(4). Ces formateurs accompagnent un profil d’étudiants de générations différentes de la leur, en continuant à déployer leurs différentes fonctions : d’organisation, d’encadrement, d’évaluation et d’ingénierie pédagogique afin de savoir, vouloir, et pouvoir former un tandem avec l’étudiant durant les années de formation, pour cheminer ensemble dans la même direction.

La genèse et la mise en route du projet

Pour comprendre le processus d’accompagnement d’un projet professionnel, le groupe Cefiec a réalisé un état des lieux sur les 13 Ifsi de la région.

Le choix d’étude a porté sur les caractéristiques de la construction du projet professionnel en formation infirmière.

Plusieurs questions nous ont accompagnées :

- En quoi le contexte de la formation influence-t-il la construction du projet professionnel ?

- Avec quels dispositifs le projet professionnel de l’étudiant est-il investi lors des enseignements en Ifsi ?

- De quelle manière le formateur accompagne-t-il cette construction à l’Ifsi et sur le terrain ?

L’universitarisation de la formation infirmière a changé le regard de facto des protagonistes de la formation. Notre problématique s’est alors articulée de la manière suivante : Quel accompagnement le formateur propose-t-il à l’étudiant afin de développer son projet professionnel ? Nous avons choisi d’interviewer les formateurs, les professionnels et les étudiants des trois années de formation (encadrés 1 et 2).

LES RÉSULTATS

Les représentations concernant le projet professionnel

Pour les étudiants, quelle que soit l’année de formation, le projet professionnel est majoritairement synonyme d’avenir.

En première année, il est orienté vers les buts, les finalités, le métier. Il est relié aux valeurs avec l’idée d’un bénéfice personnel. 

En deuxième année, il est axé sur l’exercice du métier. Il est moins relié aux valeurs, mais plus aux conditions de sa réalisation.

En troisième année, il s’articule autour des buts et des conditions d’exercice du métier. Les ESI ont une vision plus personnelle basée sur les motivations, l’engagement. La responsabilité et la posture évoquées sont en lien avec la notion d’identité professionnelle.

Pour les formateurs, le projet professionnel représente l’avenir, une projection et globalement, des moyens, des méthodes. Ils insistent sur l’accompagnement à mettre en place pour participer à la construction d’une identité professionnelle.

Pour les professionnels des services, le projet professionnel représente le métier, les motivations et l’implication. La réalisation de ce projet professionnel par l’étudiant les sous-tend. Ces deux principales caractéristiques contribuent à la réalisation de soi au travers du métier et en fonction de valeurs personnelles.

L’engagement de l’ESI dans la formation

Les termes « responsabilité » et « posture » renvoient à la notion d’identité professionnelle et de professionnalisation. Pour Dubar(5), sociologue, « Les identités professionnelles sont des manières socialement reconnues, pour les individus, de s’identifier les uns les autres, dans le champ du travail et de l’emploi. »

Pour les étudiants de première année, l’engagement répond majoritairement à une conception de l’homme et des soins. Il est question d’agir pour le bien de l’autre, sans volonté de profit personnel, en favorisant la confiance et la reconnaissance mutuelle. Les visées sont en lien avec des valeurs personnelles d’altruisme. Elles correspondent à des motivations personnelles, telles que : apprendre de soi et se dépasser.

Pour les étudiants des deux autres années, les visées sont similaires. L’engagement lié au projet professionnel suscite des notions telles que devenir adulte, autonome et responsable. Cet engagement s’exprime entre autres par le besoin de se réaliser, de s’épanouir, d’exercer une profession nourrissant un sentiment d’utilité et de reconnaissance. À cela s’ajoute une visée professionnelle évoquée par les étudiants : acquérir des connaissances, combiner le relationnel à la technicité des soins.

Pour les formateurs et les professionnels, l’engagement des étudiants dans la formation, avec le projet professionnel, est lié à leurs valeurs personnelles, à leurs motivations. Il est attaché à une recherche de sécurité, de facilité d’accès à l’emploi, à la perspective d’une évolution professionnelle et de carrière, d’autant plus que certains sont dans un projet de reconversion professionnelle.

Aussi, l’idée de l’intérêt pour l’autre, s’agissant du formateur vis-à-vis de l’étudiant, ou de l’étudiant vis-à-vis du patient, implique la notion de confiance, indispensable lors de l’accompagnement. Ce dernier est également lié à des motivations personnelles, telles que : apprendre de soi et se dépasser.

Nous constatons que l’engagement des étudiants, quel que soit leur niveau de formation, est guidé par une motivation initiale permettant d’envisager un accomplissement personnel. Le Boterf(6) précise que seules les personnes manifestant (entre autres) une réelle motivation peuvent se professionnaliser. Les étudiants rejoignent sur ce point les formateurs : la motivation est le moteur de l’accomplissement personnel et, de fait, le lien du processus de professionnalisation.

Cependant, au fil de la formation, cet engagement évolue : la notion de responsabilité est de plus en plus prégnante dans cette quête de professionnalisation.

Le projet professionnel

Les éléments suivants ont été identifiés comme constitutifs du projet professionnel.

Pour tous les étudiants, deux éléments essentiels contribuent à leur projet professionnel : l’acquisition des dix compétences techniques et les compétences non techniques. Cette acquisition se développe en Ifsi grâce aux échanges avec le formateur, et en stage par la formation clinique encadrée par les professionnels de terrain.

Concernant la formation clinique, les situations professionnelles permettent la mobilisation des savoirs théoriques, procéduraux et expérientiels et aussi, les échanges avec les professionnels.

En lien avec la définition de Merton(1), c’est la tension entre les savoirs pratiques et théoriques qui fonde la professionnalisation de l’étudiant. Ces échanges stimulent la réflexivité lors des analyses de pratiques professionnelles appelées souvent « débriefing » par les encadrants après une activité de soin. Le choix du lieu de stage, les cursus et l’expérience acquise en lien avec les typologies de stage, ont leur importance. Les ESI témoignent de la qualité de l’encadrement, du tutorat, de l’accompagnement à la démarche clinique et de l’évaluation des compétences en formation clinique.

Les échanges avec le formateur de suivi pédagogique sont déterminants pour la construction du projet professionnel de l’étudiant. Ils sont des moments privilégiés de partage et d’interaction. La relation pédagogique singulière, fondée sur le principe de bienveillance et sur la confiance, est essentielle pour accompagner l’étudiant à sa professionnalisation.

Pour les formateurs, l’alternance intégrative est essentielle à la construction du projet professionnel. Selon Malglaive(7), l’alternance intégrative est une expérience partagée, entre les deux lieux de formation : l’Ifsi et le terrain de stage. Leur coopération est forte, leur synergie permet l’élaboration de dispositifs co-construits. L’apprenant bénéficie d’un apprentissage qui articule à la fois théorie et pratique, dans une continuité pédagogique entre la réflexion, l’expérience où la rétroaction prend tout son sens.

Pour les professionnels, la qualité de l’encadrement implique l’évaluation des compétences et l’accueil de l’étudiant.

Pour les formateurs et les professionnels, la confrontation au terrain est un élément essentiel et commun à la fois, disposant des caractéristiques suivantes : la diversité des stages, l’identification aux professionnels et la pluralité des expériences professionnelles

Pour les trois populations, la notion de sens est évoquée comme étant un élément fondateur du projet professionnel de l’étudiant.

DISCUSSION

À l’issue de notre recherche, nous souhaitons développer quatre éléments : le portfolio, les compétences non techniques évoquées par les étudiants appelées soft skills, la notion de sens et la fonction émergente du formateur lors de cet accompagnement : celle de coach. Pour nous, ces quatre éléments sont des valeurs ajoutées à l’accompagnement de l’étudiant dans son apprentissage, à condition que chacune d’elles puissent s’inscrire comme faisant partie d’un tout au service du développement du projet professionnel.

Le portfolio

Nous remarquons que le portfolio n’a pas été évoqué par les étudiants, les formateurs et les professionnels de terrain. Cet oubli nous questionne sur l’intérêt et le sens portés à ce portfolio, à son usage par les étudiants et les encadrants. Comme le souligne le référentiel de formation(8) : « Le portfolio est un outil qui sert à mesurer la progression de l’étudiant en stage ». Nous pensons que c’est par une étroite collaboration entre formateurs, professionnels de terrain et étudiants que ce portfolio peut devenir le fil d’Ariane lors du processus de professionnalisation de l’apprenant.

Nous ciblons notre réflexion sur l’appropriation du portfolio par l’ensemble des acteurs de la formation en le considérant comme étant :

- une carte d’identité professionnelle,

- un support de mémoire du parcours de l’étudiant,

- un outil de co-évaluation, nécessitant l’auto-évaluation de l’étudiant,

- un outil permettant l’appropriation des activités et des compétences,

- un passeport pour l’employabilité.

Nous rejoignons Derycke(9) : « utilisé lors du suivi pédagogique, le portfolio est donc un outil qui retrace fidèlement l’apprentissage de l’étudiant ». Les étudiants sont responsables du contenu de leur portfolio et de sa présentation aux professionnels de terrain ainsi qu’aux formateurs.

De nombreux outils d’encadrement et d’évaluation sont élaborés par les équipes. Est-ce à dire qu’ils sont davantage significatifs pour les professionnels, au détriment du portfolio ? Le portfolio est présenté lors de la formation des tuteurs, cependant tous les professionnels ne sont pas formés au tutorat, ni à cet outil. De ce fait, le rôle du formateur est d’accompagner ces professionnels à l’appropriation du portfolio.

Ainsi, il nous semble que la pluralité et la spécificité des documents de suivi de l’ESI en stage, propres à chaque service, expliqueraient le fait que le portfolio ne soit pas cité comme nous l’attendions. Cet outil de traçabilité de l’apprentissage des trois années de formation introduit ainsi, les notions d’espace et de temporalité évoquées par Boutinet(3) : la construction d’un projet fait appel au passé, au présent et au futur. Ces trois niveaux temporels sont mis en relation pour mieux « anticiper » l’avenir.

La notion de sens

Les étudiants, les professionnels de terrain et les formateurs mettent en évidence la notion du sens.

À partir de l’activité et de l’expérience vécue, la « dialogie » entre le maître et l’élève permet de donner du sens à sa pratique. La recherche de sens de la pratique professionnelle évoquée par Vial(2) est animée par la motivation et l’anticipation. La parole est centrale pour saisir les situations et percevoir notre posture.

Dans notre enquête, majoritairement, les étudiants donnent de l’importance aux échanges avec les professionnels. La réflexivité, la recherche de sens et la motivation sont suscitées. L'idée est en partie reprise par Le Boterf(6) qui, outre la motivation, précise l’importance de « l’agir » et de l’ingénierie pédagogique comme autre élément clé. Donner du sens permet de mieux comprendre et de mieux savoir faire. D’où l’intérêt de pouvoir conceptualiser dans l’action.

In fine, comme le précisent Meyer et al.(10), le formateur et le professionnel de terrain invitent à la pratique réflexive, par le biais d’un questionnement telle la maïeutique, suscitant l’évocation et l’explicitation lors de l’entretien de suivi pédagogique ou de l’évaluation en stage.

La place des dans la formation

Ces compétences non techniques sont des indicateurs lors du suivi pédagogique et de l’accompagnement de l’étudiant. Les soft skills sont des compétences relevant du « savoir être »(11), de la personnalité. Pour d’autres auteurs tels que Mauléon, Bourret, Hoarau(12), ces compétences non techniques sont nommées compétences comportementales, humaines, sociales, relationnelles, émotionnelles.

Pour l’étudiant, le suivi pédagogique a pour visée, entre autres, l’identification, la valorisation des compétences non techniques appelées « soft skills », littéralement traduites de l’anglais par « compétences douces ». Nous constatons que ces compétences ne sont pas formalisées en tant que telles pendant la formation alors qu’aujourd’hui elles figurent déjà sur le curriculum vitae (CV), pour répondre à l’offre et à la demande du marché du travail. Par exemple, sur certains sites professionnels, le CV met en valeur en premier lieu les compétences du candidat, dont les soft skills. Selon Nathalie Chusseau(13), économiste, professeure à l’Université de Lille : « Une étude récente réalisée par Pôle Emploi et France Stratégie sur les compétences [publiée en 2018], montrait que pour une majorité d’employeurs (59 % des interrogés) le diplôme ne constitue plus un critère essentiel du recrutement. Ils déclarent rechercher des compétences particulières sans s’intéresser au diplôme. En mettant en avant les soft skills, les employeurs cherchent des profils adaptables, agiles, pouvant s’adapter et réagir aux changements. »

Les soft skills sont le témoin de l’intérêt porté par les employeurs à ces compétences, le diplôme d’État infirmier légitimant de facto les compétences techniques. Malgré le fait que la compétence 6 du référentiel de formation concerne les soins relationnels et la communication, il n’existe pas pour le moment de critères ni d’indicateurs des compétences non techniques sur les bilans intermédiaires et le bilan final de stage. De ce fait, les professionnels éprouvent le besoin de clarifier ces soft skills par le biais des appréciations de mi-stage et de fin de stage. Faudrait-t-il encore les formaliser dans le projet pédagogique de l’institut, afin de les officialiser et de les ancrer dans la pratique d’évaluation ? Dans cette perspective, la relation pédagogique duelle serait plus singulière encore qu’elle ne l’est aujourd’hui. Le travail du formateur contribuerait à l’émergence de ces soft skills par leurs identifications, leurs évocations en suivi pédagogique amenant ainsi le futur diplômé à la prise de conscience de ses qualités sociales, relationnelles et émotionnelles. Les acteurs du terrain participeraient à l’identification de ces compétences sociales lors de l’encadrement et de l’évaluation en stage. Sur cette feuille d’évaluation, un espace est dédié pour l’appréciation littérale du stage. Chaque professionnel a la liberté d’apprécier, selon ses propres critères d'évaluation, les compétences non techniques de l’apprenant. Aussi, l’appréciation du formateur en fin d’année et en fin de formation, pourrait mettre en valeur ces soft skills. Identifiées, formalisées, elles feraient toute la différence par leur spécificité. Elles seraient le témoin d’une évaluation pédagogique d’autant plus singulière.

Nous faisons donc l’hypothèse que la formalisation de ces soft skills sur la feuille d’évaluation de stage de l’étudiant, dans le portfolio et sur la fiche de synthèse des résultats du diplôme d'État, ferait partie, entre autres, des indicateurs de son processus de professionnalisation. Inscrites de manière plus objectives, ces compétences non techniques amèneraient à une évaluation plus singulière pour servir l’apprenant. À ce titre, leur inscription dans le projet pédagogique de l’Ifsi, les légitimeraient.

De plus, lors de la sélection d’entrée dans les Ifsi par Parcoursup, la sélection comporte entre autres des soft skills à évaluer parmi les différents éléments du dossier du candidat : qualités humaines et capacités relationnelles, compétences organisationnelles et savoir-être.

Il nous semble donc essentiel de les mettre en relief dès le début de la formation, lors des premiers entretiens du suivi pédagogique avec l’étudiant.

Nous émettons l’hypothèse que les soft skills permettraient davantage de singulariser le projet professionnel de l’apprenant et son parcours d’apprentissage.

Dans le monde du travail de plus en plus complexe en termes : d’innovations technologiques, des techniques de l’information et de la communication (TIC), de soins techniques et relationnels propres au métier d’infirmier, le futur professionnel a intérêt à faire valoir ses compétences singulières afin d’optimiser son employabilité et sa socialisation professionnelle.

Dans leur ouvrage, Mauléon, Bouret et Hoarau soulignent que : « Ces compétences permettent de mieux gérer les compétences humaines, de mieux appréhender l’environnement et d’intégrer le bien être des salariés, trois besoins fondamentaux de l’entreprise du XXIe siècle. Les soft skills, « compétences douces », sont une réponse concrète à ces besoins. »(12)

Le formateur joue un rôle de facilitateur, il doit évoluer en s’adaptant aux nouvelles générations d’étudiants, à de nouveaux contextes d’apprentissage induits par la crise sanitaire l’enseignement hybride témoin de la transition numérique.

Ainsi se formalise un nouveau profil de formateur : celui de « coach » et le coaching tout comme les soft skills sont des réponses pour accompagner l’ESI à son projet professionnel.

Formateur, et ingénieur pédagogique

Les formateurs combinent la complexité du métier d’infirmier avec les exigences universitaires. Cette combinaison potentialise davantage leurs compétences pour accompagner l’étudiant vers la professionnalisation. La professionnalisation définie par Wittorski(14) a pour finalité la montée en compétences des individus au service des besoins du monde du travail. Toutefois, ces éléments sont à apprécier et à reconsidérer dans notre contexte actuel. Ces pratiques évoluent afin de proposer une formation au plus près des besoins de notre société. Les formateurs disposent d’outils, de méthodes d’accompagnement, adoptent des postures qui sont des atouts pour mener à bien leurs missions auprès des étudiants. Ardoino(15) souligne que lors de l’accompagnement, il en résulte « l’altération », la transformation des deux protagonistes. Cette altération est bénéficiaire pour un changement plus adapté lors d’une relation duelle pédagogique.

Lors de la crise sanitaire liée au Covid-19, une autre forme d’altération s’est effectuée. Cette crise a révélé le manque d’infirmiers et l’apparition d’un stress délétère, causé par une tension soutenue sur plusieurs mois lors de leurs exercices quotidiens. Cela les a rendus vulnérables, pouvant les conduire au « burnout », voire à l’abandon de leur métier.

L’encadrement des étudiants s’en est trouvé ainsi altéré, ce qui a permit de faire émerger la posture du formateur coach dans l’accompagnement de ces apprenants. D’autant plus, que le contexte de la formation a évolué brutalement : il s’est complexifié vers un enseignement hybride, alliant distanciel et présentiel.

Les formateurs ont dû développer, en peu de temps, de nouvelles compétences pour l’enseignement hybride. Cette réactivité s’est opérée grâce à des compétences créatives et innovantes. Cet enseignement hybride a nécessité à l’évidence une adaptation rapide, mais aussi une transformation des enseignements dispensés jusqu’à présent.

À l’instar des planifications et programmations de contenus synthétisés, le formateur a prouvé ses talents d’ingénieur pédagogique.

Il accompagne l’étudiant en identifiant, en optimisant ses aptitudes, ses valeurs, ses qualités, dans un contexte de travail encore plus difficile car plus éprouvant qu’il ne l’était. Pour qu’ils soient préparés à ce contexte de travail sous tension, les étudiants devront être « coachés » pour être soutenus et mieux appréhender l’avenir.

Le coaching est reconnu en France depuis 1993 par la Société française de coaching qui le présente comme « l’accompagnement d’une personne à partir de ses besoins professionnels pour le développement de son potentiel et de ses savoirs faire »(16).

Le coaching

Ce vocable révèle une fonction jusqu’alors implicite du formateur. Le fait de le considérer comme un coach, le place dans une posture « avantageuse » pour l’accompagnement de l’étudiant à son projet professionnel. Le coaching valorise la fonction du formateur en développant de nouvelles compétences.

Selon les écrits de Barreau(17), « Le père du coaching est Socrate qui, selon Platon, prônait la maïeutique. Le but de Socrate est « d’éveiller et d’accoucher les âmes du savoir pré-formé qu’elles portent en elles ». La maïeutique est le fondement d’une pratique orientée vers le dialogue réflexif et le raisonnement sur les affaires humaines ». Ainsi se tisse le lien entre la pratique réflexive et la fonction de coach du formateur.

Selon Machouart(18), le coaching est un véritable processus de changement qui favorise le réveil des talents. Le formateur coach aide l’étudiant à atteindre entre autres, le plein potentiel de ces « compétences douces » ou soft skills.

Grâce à ces définitions, nous comprenons davantage le fait que le coaching puisse contribuer à la pratique réflexive, au service de l’humain. Il permet d’accéder à des objectifs visant à singulariser l’étudiant par la connaissance qu’il a de lui-même, de ses aptitudes et de sa capacité à les optimiser en vue d’une professionnalisation attendue.

Le formateur coach aide alors l’étudiant à se découvrir et à développer ses compétences, y compris les soft skills, dans le respect d’un cadre éthique et déontologique. Ainsi, il l’invite à une réflexion sur soi : ses besoins en termes d’apprentissage, ses envies, le développement de l’estime de soi, de l’affirmation de soi, participant à sa transformation aussi bien personnelle que professionnelle. Le coach développe des capacités relationnelles afin de dynamiser la relation pédagogique, dans un contexte où la confiance est instaurée. Du fait de la connaissance des « compétences douces » de l’étudiant, le coaching constitue un outil amenant le formateur à acquérir plus de justesse dans son appréciation concernant ses stratégies d’apprentissage.

In fine, le développement de ces soft skills et le coaching du référent de suivi pédagogique confèrent à l’étudiant un atout supplémentaire pour optimiser ses performances et son employabilité. Il faciliterait également l’accompagnement des étudiants à la transition numérique, se traduisant entre autres par l’enseignement hybride.

PERSPECTIVES

Ce travail de recherche nous a permis de partager nos expériences, d’identifier différents modes de fonctionnements et de pratiques mis en œuvre lors de l’accompagnement du projet professionnel de l’étudiant. Il se co-construit tel un « maillage à trois fils », entre l’étudiant, les professionnels de santé et les formateurs.

Concernant le projet professionnel, notre enquête a révélé que tous les étudiants évoquent un intérêt pour leur avenir : le recrutement, les conditions d’exercice et les perspectives professionnelles. La quête du sens donné à l’action est un élément commun aux trois parties interviewées. Celui-ci participe à la fondation de ce projet professionnel (encadré 3).

CONCLUSION

Aujourd’hui, la pandémie a modifié les organisations du travail, par conséquent celle des infirmiers et par là même, la formation des étudiants. La crise sanitaire a inscrit la formation infirmière dans un nouveau paradigme, en lien avec la transition numérique, amenant le formateur à acquérir de nouvelles compétences, en tant qu’ingénieur pédagogique et coach. Elle engage davantage l’étudiant à la pratique réflexive, pour acquérir une posture professionnelle et construire des compétences à la fois techniques et non techniques. Enfin, elle engage aussi le formateur à être accompagné pour développer de nouvelles compétences en termes de coaching et d’ingénieur pédagogique.

Encadré 1

Méthode de l’étude

L’étude descriptive qualitative a été réalisée à l’aide d’un guide composé de trois questions inaugurales. Les critères d’inclusion retenus sont cinq personnes par catégorie de population choisie. Les critères d’exclusion ont été les entretiens réalisés par e-mail. Ils ont concerné cinq Ifsi. Chaque formateur a conduit l’enquête dans son environnement professionnel, sur rendez-vous.

L’étude des données de l’enquête a été réalisée à l’aide d’une analyse discursive des résultats des trois questions. Les entretiens ont été retranscrits, ce qui a été un critère limitant l’exhaustivité des propos des interviewés. Cette enquête a été menée en 2018, l’analyse et la rédaction de l’article ont été réalisées en 2019/2022.

Encadré 2

Près de 200 participants

Huit Ifsi sur treize ont répondu totalement aux critères de l’étude, soit un total de 200 personnes interviewées, réparti comme suit :

- 120 étudiants infirmiers sur les trois années de formation,

- 40 cadres de santé formateurs en Ifsi,

- 40 infirmiers tuteurs de stage et infirmiers de proximité confondus.

Chaque formateur a réalisé une synthèse non quantifiée de l’analyse des résultats. Dans un dernier temps, la synthèse de l’ensemble des résultats a été partagée, analysée et validée par l’ensemble des formateurs de chacun des Ifsi.

Le constat du groupe souligne une pluralité de pratiques d’accompagnement des formateurs dans les Ifsi.

Encadré 3

Trois axes de perspectives

Dans les perspectives de cette recherche, nous retenons de ce travail trois axes essentiels :

- valoriser l’usage du portfolio auprès des étudiants et des professionnels de santé,

- développer les soft skills et les formaliser dans des documents pédagogiques officiels, pour une évaluation commune avec les professionnels,

- singulariser davantage l’accompagnement de l’étudiant grâce à la fonction coach du formateur, compte tenu de la crise, de ses effets sur les infirmiers et sur les apprenants.

Références

1. Merton RK. The studiant physician. Introductory studies in the sociology of medical education. Cambridge : Harvard University Press ; 1957.

2. Vial M. Le travail en projets, Voies livres, Se former+. Pratiques et Apprentissages de l’éducation, Lyon ; 1995. http://www.michelvial.com/boite_91_95/1995-Le_travail_en_projets.pdf

3. Boutinet JP. Anthropologie du projet, Coll. Quadrige Manuels, 3e éd. Paris : PUF ; 2015.

4. Conférence de l’organisme Form’Action Partenaires du 19 juin 2008 à l’Ifsi d’Alès.

5. Dubar C. La crise des identités. L’interprétation d’une mutation. 2e éd. Paris : PUF ; 2001. p. 95.

6. Le Boterf G. L’ingénierie de la formation : quelles définitions et quelles évolutions ? In P. Carré & P. Caspar, Traité des sciences et des techniques de la formation, 2e éd. Paris : Dunod ; 2004. pp. 365-82.

7. Malglaive G. Alternance et compétences. Les cahiers pédagogiques. 1993 ; 320 : 26-28.

8. Annexe III de l’arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État modifié par l’arrêté du 26 septembre 2014. Chapitre 6, Formation clinique - Évaluation des compétences en stage.

9. Derycke M. La grille critériée et le portfolio à l’épreuve du suivi pédagogique. Revue Française de Pédagogie. 2000, n°132 : 23-32.

10. Meyer Y., Lemay C., de Labrusse C. De midwifery à maïeutique : perte d’une traduction. Revue canadienne de la recherche et de la pratique sage-femme. 2019, volume 18, n°2.

11. Bellier S. Le savoir être dans l’entreprise : utilité en gestion des ressources humaines, 2e éd. Paris : Vuibert ; 2004.

12. Mauléon F., Bouret J., Hoarau J. Le Réflexe Soft Skills. Les compétences des leaders de demain, Coll. Stratégies et management, Paris : Dunod ; 2014.

13. Chusseau N, In : Tison E. Les soft skills au service de l’employabilité. Radiographie de la révolution des compétences. Notes, Institut Sapiens, juillet 2021.

14. Wittorski R. La Professionnalisation. Savoirs 2008, n°17 : 9-36.

15. Ardoino J. Les avatars de l’éducation. Coll. Pédagogie théorique et critique, Paris : PUF ; 2000.

16. Queuniet V. Le coaching acquiert sa légitimité. Entreprises et carrières. 2001 ; 597 : 12-17.

17. Barreau P. Le coaching : une forme d’accompagnement à part entière. I2D - Information, données & documents 2017/4 ; Vol. 54 : 30-32.

18. Machouart M. Réveil des talents à l’université et place de l’enseignant-coach. Revue Internationale de Pédagogie de l’Enseignement Supérieur. 2020 ; 36(1).