Femmes de santé
ACTUALITÉS
Sandie Boulanger
Le mouvement de dénonciation des violences sexuelles à l’encontre des femmes aux États-Unis, #metoo, en octobre 2017, déclenche une vague de libération de la parole des victimes en France avec #balancetonporc. C’est la première étape d'un changement des mentalités de notre époque. Les espaces familiaux, publics et professionnels se retrouvent profondément modifiés. Depuis, les pouvoirs publics accompagnent ces changements de codes sociaux avec des lois, des actions de prévention, de formation et d'éducation pour tous. Une autre étape consiste à développer la prévention et le traitement de ces violences dans les institutions de santé, tant pour les agents que pour les usagers.
À la racine de ces violences se trouve le mot sexe. Un terme aussi tabou que vecteur d’humour. Le sexe, dans notre société, est partout, qu’on le veuille ou non. De nos politiques à la publicité, il est pointé du doigt, comme sur-représenté. L’essor de la psychanalyse au XXe siècle a fini de le couronner : « Tout est sexuel », disait Freud, des chanceux porteurs de phallus érectiles aux pauvres et faibles femmes, jalouses, réduites au sexe creux. La notion de sexe aujourd’hui regroupe le sexe assigné à la naissance (à la vue des organes génitaux), le sexe biologique (chromosomes, gènes, attributs), l’identité de genre (la façon dont on se ressent femme, homme, les deux ou aucun des deux) et les sexualités (orientations, fantasmes et pratiques). Dans ses multiples facettes, le sexe attire notre attention depuis le moyen-âge par les différences, les jugements et le rapport à la norme sociale du moment. C’est aussi pour cela qu’on en parle beaucoup !
Malgré la volonté de changement initiée depuis 2017, il est complexe d’établir une harmonie entre les sexes. Ce qui se faisait, et était banal hier, n’est plus approprié aujourd’hui et peut même être puni par la loi : le sexisme est un terme qui accuse, qui soulage les victimes, mais qui trouble aussi car nous pouvons avoir la sensation de « marcher sur des œufs » dans nos relations avec les autres. Aussi est-il important de distinguer différents grades de sexisme.
Le sexisme de premier grade concerne les remarques à caractère sexuel, « sur la particularité genrée d’une personne ayant pour objet ou effet de porter atteinte à sa dignité »*. Elles sont souvent dites sous couvert de plaisanterie, pour créer du lien en groupe, faire rire au détriment d’une personne. Mais ce n’est pas rien. Cela peut être blessant, dévalorisant, humiliant et réducteur, même si la cible en rit de bon cœur (« Je suis vraiment une blonde, j’ai oublié de… », « Mes gros muscles sont appelés à la rescousse pour gérer ce conflit avec le patient… », « Je vous laisse entre les mains expertes du mignon brancardier », « Je suis tendu avant cette intervention, j’aurais bien besoin qu’on me soulage », « Heureusement que la nature a été généreuse avec vous parce que le reste… »). Une seule remarque formulée par un groupe à l’encontre d’une personne peut constituer une violence et être punie par le code du Travail depuis 2021, en représentant un risque pour la santé mentale et physique de la personne visée. Une remarque sexiste, répétée, devient du harcèlement et est punie par ce même code.
Le sexisme de second grade, qui regroupe les agissements sexuels, consiste à « faire pression de façon physique ou morale, sur une personne pour obtenir des rapports sexuels »* (« Vous savez ce qui vous reste à faire si vous voulez rester dans l’équipe, ma porte est ouverte », « Il va falloir que tu sois bien gentille pour que je ne diffuse pas la photo de la dernière soirée d’équipe », « Autant donner raison aux rumeurs sur votre promo, surtout si vous souhaitez la conserver »...). Ils sont punis par la loi.
Le troisième grade concerne les violences sexuelles : « le fait d’avoir des rapports sexuels par la force ou la surprise »*. Elles sont condamnables par la loi.
La loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires cite les obligations des collectivités publiques en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles :
- prévenir les violences ;
- mettre fin aux violences identifiées ;
- protéger la victime ;
- sanctionner l’auteur.e des faits.
La loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique renforce ces obligations :
- mettre en place dans la structure un dispositif de signalement (recueil et orientation) ;
- réaliser un plan d’action « égalité professionnelle » (actions de prévention, traitement des situations de violences sexistes et sexuelles)**.
Le code du Travail régit les remarques et agissements constituant une violence sexiste ou sexuelle en interne, en assurant la sécurité de la santé de ses collaborateurs, agents et étudiants. La médecine du travail est impliquée dans la gestion de la cellule de gestion des violences sexistes et sexuelles***.
Il faut bien distinguer la différence entre les comportements qui relèvent de l'humour (rire de soi avec les autres), de la séduction (respect et écoute des ressentis des deux personnes) et de la violence (imposer à une personne son humour, ses désirs et convictions à son détriment). Les codes sociaux actuels nous demandent de questionner notre façon de communiquer avec les autres, de vérifier comment cela est perçu, en somme, de retravailler nos manières d’être en lien. C’est dans cette voie que l’équilibre peut être trouvé sereinement. C’est aussi en faisant confiance aux autorités (l’employeur et le gouvernement), que la parole peut se libérer et que nous pouvons éviter d’envenimer les situations (en pensant par exemple : « De toute façon, l’agresseur est couvert par la direction, vu son poste »).
Tant la position de victime que celle de témoin sont délicates. Il est souvent mal perçu d’être en position de fragilité (victime) et de le dire, comme de dénoncer et de se voir jugé comme un « Judas ». C’est à travers le dispositif de signalement et d’accompagnement des violences sexistes et sexuelles que tous les partis pourront trouver une porte de sortie. Par exemple, changer de service une victime alors qu’elle y est très attachée est vécu comme une double peine, tout comme pénaliser un témoin dans son ascension professionnelle par un jugement de délateur ou un parti pris. L’auteur des violences a également besoin d’un accompagnement (coaching, psychologique, etc.) pour prendre conscience des conséquences de ses actes, et évoluer vers d’autres comportements. Une accusation, avérée ou non, induit toujours des répercussions psychologiques.
Il est conseillé à la victime ou au témoin de parler de ses ressentis : « Ce que vous me/lui dites me met mal à l’aise, j’aimerais que vous cessiez », « J’aimerais rire avec vous, mais cette remarque me fait me sentir vraiment mal ».
C’est au niveau du premier grade des violences sexistes et sexuelles (remarques déplacées) que notre société nécessite une sensibilisation en milieu professionnel, tant pour les agents, salariés et étudiants, que pour les usagers. Et comme nous savons que nos vies professionnelles et personnelles possèdent une mince frontière, la prévention du sexisme et des violences sexuelles sera bénéfique dans toutes les sphères.
La formation en institution de santé se révèle cruciale, même obligatoire, tant sur l’élaboration de codes sociaux que sur la gestion de signalement et d’accompagnement des déclarants (victimes) et déclarés (harceleur présumé). L'objectif est de créer un nouveau collectif et d'accompagner les actes pour les réduire à néant. Toute personne de l’institution est à même, après une formation, d’être référente de la cellule de signalement et de gestion des violences : cette égalité hiérarchique sécurise le traitement des recueillements et de la gestion des faits.
Tout changement sociétal génère un choc, un trouble, avant de fédérer de nouveau dans l’harmonie. La clé de la réussite de toutes ces mutations est de rester ouvert, souple, et communicant !
- Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes. Rapport annuel 2023 sur l'état du sexisme en France. https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_-_rapport_annuel_2023_etat_du_sexisme_en_france.pdf
- Signalement au quotidien des violences en milieu de santé : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/N19681
- Centre Hubertine Auclert. Agir contre les violences sexistes et sexuelles au travail. Livret à destination de l'employeur public territorial, version actualisée en juillet 2020. https://www.centre-hubertine-auclert.fr/sites/default/files/medias/egalitheque/documents/cha-livret16p-employeur-a4-maj2020web.pdf
- Ministère chargé l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chances. Prévention et lutte contre les violences sexistes et sexuelles. 2022. https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/prevention-et-lutte-contre-les-violences-sexistes-et-sexuelles
- Donner des elles à la santé : association qui aide le monde de la santé à changer son regard sur le sexisme et les discriminations. https://www.donnerdesellesalasante.org/
- Le Numéro gratuit 3919 assure un premier accueil téléphonique.