OBJECTIF SOINS n° 0294 du 31/08/2023

 

Michel Foucault

HISTOIRE

Benjamin Becker

  

Né le 15 octobre 1926 à Poitiers et mort le 25 juin 1984 du sida à Paris, Michel Foucault est un philosophe « postmoderne » dont les apports ont indiscutablement nourri la médecine, et particulièrement le champ disciplinaire de la psychiatrie.

Michel Foucault était connu pour certaines de ses positions radicales, notamment en termes de critique des institutions sociales, au devant desquelles le système de santé, le milieu carcéral ou l’approche de la sociologie dans sa très large accréditation. Ses apports marqueront la philosophie de la deuxième moitié du XXe siècle par ses théories générales sur le pouvoir, et notamment les relations complexes qui le lient à la connaissance. Ainsi, de 1970 à sa mort, il sera titulaire de la chaire de recherche intitulée « Histoire des systèmes de pensée » au Collège de France.

À l’instar d’Hervé Guibert, artiste et proche de Michel Foucault, il sera l’une des premières personnalités à mourir du sida en France. Son compagnon Daniel Defert fondera en 1984 l’association Aides en son honneur(1).

Biographie

De son vrai nom Paul-Michel Foucault, il naît dans une fratrie de trois, dont les relations l’unissant auront très tôt marqué son œuvre. Relativement bon élève en français, en histoire ou en grec, Michel Foucault peut aussi s’illustrer bien pus médiocrement dans des disciplines qu’il n’affectionne que très peu, comme les mathématiques. C’est à l’entrée au collège qu’il découvre la philosophie et s’y complait, notamment à travers les apports d’Emmanuel Kant(2). Progressivement, et alors qu’il prépare puis réussit son baccalauréat en 1943, il se tourne résolument vers Descartes, ce qui lui permet alors l’introspection indispensable à l’appréhension de toute philosophie, qui plus est politique ou relative à l’ipséité, c’est-à-dire à l’étude de l’être. C’est en intégrant les classes préparatoires littéraires du lycée Henri IV de Poitiers qu’il tourne définitivement le dos au philosophe Pascal dont il s’inspirait jusqu’alors ; lui reprochant ses travaux par trop portés sur l’alimentation d’une inquiétude existentielle.

Réputé pour sa ténacité et son dur travail, Foucault échouera pourtant à intégrer l’École normale supérieure (ENS) en 1945. C’est à cette même date qu’il quittera Poitiers pour Paris où il intègrera le lycée Henri IV et fera la rencontre de Jean Hyppolite à qui il consacrera une passion sans limite, et à qui il succèdera au Collège de France en 1975(3). Il sera reçu quatrième au concours de l’ENS en 1946.

De 1946 à 1951, son parcours à l’ENS est marqué par une difficulté à trouver la sérénité, renforcée par des déséquilibres psychiatriques que certains lieront à son homosexualité récemment découverte. Il témoignera quelques années avant sa mort que cette découverte et la gestion des sentiments à cet égard auront façonné l’idée puis nourri son projet doctoral qui sera à l’aune de son premier ouvrage : Histoire de la folie à l’âge classique. « C’est tout de même un problème impressionnant quand on le découvre pour soi-même [qu’on est homosexuel]. Très vite, ça s’est transformé en une espèce de menace psychiatrique : si tu n’es pas comme tout le monde, c’est que tu es anormal, si tu es anormal, c’est que tu es malade », déclarera-t-il à la fin des années 1970(4). En 1948, il obtient à la Sorbonne une licence de philosophie, puis de psychologie l’année d’après, discipline qu’il découvre poussé par une soif de connaissances. Il fait en 1950 une nouvelle tentative de suicide alors qu’il échoue à l’agrégation de philosophie. Il y sera finalement reçu deuxième l’année suivante.

Entre 1951 et 1955, il enseignera la psychologie à l’ENS, suite à l’obtention de son diplôme de psychologie pathologique en 1952. En 1955, il migre en Suède et devient conseiller culturel à l’université d’Uppsala, puis vers la Pologne et Hambourg. Il rentre définitivement en France en 1960 et soutient sa thèse en 1961. Succéderont alors réussites, publications, enseignements jusqu’en 1969 où il est élu au Collège de France et où il animera des séminaires jusqu’à son décès(5).

De l’histoire de la folie à la naissance de la clinique

Comme il était d’usage jusqu’à la fin des années 1980, Michel Foucault soutiendra deux thèses en même temps. La première, Anthropologie du point de vue pragmatique de Kant, constitue une traduction de l’œuvre de celui-ci. La deuxième, Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge classique, sera sa thèse principale et recevra immédiatement des critiques dithyrambiques. L’accueil de cet ouvrage lui permettra de reconsidérer, puis de rééditer Maladie mentale et personnalité qu’il avait initialement rédigé à la fin des années 1950, et qui s’est nourri des apports universitaires et scientifiques de l’auteur, inhérents aux deux champs disciplinaires de la psychologie et de la philosophie. Il consistait initialement en une ébauche, un premier jet de réflexion et de maturation des deux idées principales qui construiront le lit et jalonneront les fondations de sa thèse quelques années plus tard. Notamment, il y questionnera déjà la place de la folie et des malades mentaux dans la société, ainsi que les techniques de soin utilisées en regard(6).

Michel Foucault s’intéresse également à l’épistémologie de la médecine, et publie en 1963 Naissance de la clinique : une archéologie du regard médical. Il fertilisera cet ouvrage de l’ensemble des connaissances issues des champs disciplinaires qu’il a étudiés tout au long de sa vie, ainsi que des fruits de ses propres recherches. À l’aune du XXIe siècle, cet ouvrage continue d’être incontournable auprès des étudiants en médecine, en psychologie et en psychanalyse, replaçant l’intérêt d’une relation patient-médecin (soignant) construite sur une casuistique affinée au chevet du malade. L’on comprend dès lors l’importance qu’il revêt en termes d’humanité médicale et d’« humanitude » axiale.

Ouvrage principal

L’ouvrage central et fondamental de l’œuvre de Foucault que nous nous proposons à présent d’aborder constitue le premier ayant revêtu une importance notable, et constitué la thèse principale de son doctorat d’État obtenu en 1961 : Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge classique. Ouvrage particulièrement humaniste s’il en est, il y étudie le développement de l’idée de la folie à travers l’histoire des hommes. Une première version de l’ouvrage sera publiée en Suède en 1954 sous le titre Maladie mentale et psychologie. Histoire de la folie, qui présageait déjà de la thématique fondamentale directrice de l’ouvrage, puis des écrits plus généraux de Foucault. Georges Canguilhem(7) et le psychiatre Daniel Lagache accepteront d’en être les principaux rapporteurs(8).

L’idée remarquable qu’il développe dans sa thèse est la question de l’exclusion de certains par la société – y compris médicale – inhérente à une maladie quelconque ; exclusion sociétale qui, à bien des égards, en pourchasse une autre. À titre d’exemple, il met en avant les 19 000 léproseries construites à travers la chrétienté, transformées puis réutilisées à d’autres desseins au cours des siècles, mais toujours à visée de retranchement, voire de bannissement. C’est à partir de cette considération que Foucault raconte l’histoire de la maladie mentale qu’il ancre au XVe siècle et qu’il prolonge jusqu’au XVIIe siècle, avec la création par décret d’un « hôpital général » en 1656, ayant également vocation à interner les « fous », les criminels, les indigents, les malades… L’hôpital devenu « public » est alors un lieu à la fois de répression des « fous » mais aussi de charité. Cet ouvrage de Foucault bâtit son analyse sur cette antinomie, ce paradoxe qu’il nommera « confusion ». Aussi, il apporte cette précision permise par une philosophie contributrice de l’âge classique qui consiste à distinguer les établissements réservés aux seuls aliénés (essentiellement les « Hôtel-Dieu » de l’époque) de ceux mélangeant tous les autres. Cela permettant dès lors d’opérer une distinction décisive entre la principale répression des criminels, et la charité issue de l’obédience chrétienne et ayant construit les soubassements des valeurs actuelles de la fonction publique hospitalière(9).

Enfin, Foucault accordera une grande importance à l’étude des évolutions médicales, philosophiques et sociétales qui ont transformé le statut des « fous » comme acceptés et occupant une véritable place dans la société, à celui de totalement exclus et enfermés entre quatre murs. Il étudiera précisément les apports de William Tuke et de Philippe Pinel qui lui permettront d’orienter ses études vers l’humanité permise par l’élaboration des soins, et la singularité de prise en charge des malades mentaux. 

Réflexions pour aujourd’hui

Les apports de Michel Foucault, notamment les réflexions qu’il a menées tout au long de sa vie sur la place identitaire des malades atteints de troubles mentaux, permettent de positionner indubitablement l’ensemble de son œuvre aux portes d’un courant humaniste hérité des XVIIe et XVIIIe siècles. Non qu’il ne considérât dans ses études que la seule place accordée aux malades mentaux par la société : il y décortique également, parfois avec fougue mais aussi avec discernement, les différentes manières et tentatives de traitements des « fous », défendant dès lors l’idée fondamentale de sa thèse : les malades mentaux passent inexorablement du statut de « tolérés » puis « acceptés » par la société à celui de « pestiférés » et profondément marginalisés.

Également, l’effervescence inhérente à la publication de sa thèse ébranle les soubassements de la pensée humaniste qui – jusqu’au milieu du XXe siècle – caractérisaient comme tel les apports de William Tuke ou Philippe Pinel. Analysant et reconsidérant leurs différentes méthodes de traitements comme punitives pour l’un et inadaptées pour l’autre (utilisation de douche glacée, de camisoles de force…), Foucault met en exergue des pratiques résolument contraires à une bienveillance et une bientraitance constitutives des principes fondamentaux actuels de la bioéthique. Foucault n’y verra là que différentes formes de « brutalisation » des patients, souvent témoin d’un rapport de force évident et quasi inéluctable, succédant au déséquilibre induit par toute relation de soin(5).

Au total, son œuvre reposera sur deux idées remarquables pour l’époque, mais qui ont participé à façonner la philosophie de la santé de la deuxième moitié du XXe siècle : l’intérêt majeur de reconsidérer la place des malades mentaux dans la société et au cœur même du système de santé, ainsi que la réflexion partagée autour de pratiques thérapeutiques, que nous sommes dorénavant en mesure de fondamentalement requestionner.

Infos

Nom complet :

Paul-Michel Foucault

Date de naissance :

15 octobre 1926

Lieu de naissance :

Poitiers

Date de décès :

25 juin 1984

Postérité :

Folie et déraison