OBJECTIF SOINS n° 0295 du 12/10/2023

 

Pratique hospitalière

DROIT

Gilles Devers  

Avocat à la cour de Lyon

Révocation disciplinaire pour harcèlement sexuel sur une collègue de travail handicapée ; recadrage hiérarchique n’excédant pas l’exercice normal de l’autorité ; incinération du corps d’un enfant décédé in utéro ; infection nosocomiale, absence de faute de diagnostic, et défaut d’information restant sans conséquences ; aux urgences, prise en charge défaillante d’un infarctus du myocarde ; faute du régulateur du Samu dans la prise en charge d’une défaillance cardiaque ; aux urgences, acte suicidaire aux décours d’une prise en charge malgré une prise en charge diligente : quelques éléments de jurisprudence pour le mois de septembre 2023.

1/ Révocation disciplinaire pour harcèlement sexuel

Des faits de harcèlement sexuel sur une collègue de travail handicapée, avec un agent qui minimise la gravité des faits, justifient une révocation disciplinaire (CAA de Bordeaux, 14 septembre 2023, n° 21BX01121).

Faits

Un agent hospitalier, ouvrier principal, s'est vu reprocher des comportements et actes à connotation sexuelle à l'égard d'une collègue handicapée, malentendante. Il a été traduit devant le conseil de discipline, qui a émis un avis de révocation. À la suite, le directeur du centre hospitalier lui a infligé la sanction disciplinaire de révocation.

Droit applicable

Il convient de rechercher d’abord si les faits reprochés à un agent public constituent des fautes de nature à justifier une sanction disciplinaire, et ensuite si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

Sont constitutifs de harcèlement sexuel des propos ou des comportements à connotation sexuelle, répétés ou même, lorsqu'ils atteignent un certain degré de gravité, non répétés, tenus dans le cadre ou à l'occasion du service, non désirés par celui ou celle qui en est destinataire et ayant pour objet ou pour effet soit de porter atteinte à sa dignité, soit, notamment lorsqu'ils sont le fait d'un supérieur hiérarchique ou d'une personne qu'elle pense susceptible d'avoir une influence sur ses conditions de travail ou le déroulement de sa carrière, de créer à l'encontre de la victime, une situation intimidante, hostile ou offensante.

Discussion

Faute

À la suite de la plainte de la jeune femme, une enquête interne a été diligentée. Dans le cadre de cette enquête, l’agent a reconnu des comportements inappropriés avec cette agente malentendante, notamment lui avoir tiré la blouse pour regarder ses seins, lui avoir baissé son pantalon au niveau des genoux, lui avoir tapé sur les fesses et avoir eu à son égard des gestes à connotation sexuelle. Témoin d'un comportement similaire de la part d'un autre collègue, qui tentait de baisser le pantalon de la même femme, l’agent n'est pas intervenu, soutenant que ce comportement relevait de l'humour et de la plaisanterie. La matérialité des faits est ainsi établie, et leur gravité ne saurait être ni excusée ni atténuée par la circonstance que d'autres collègues masculins aient également eu des gestes obscènes et tenu des propos déplacés. Contrairement à ce que soutient l’agent, ces faits ont créé, à l'encontre de la victime, une situation intimidante, hostile ou offensante, répondant à la définition du harcèlement sexuel. Aussi, ils constituent une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire.

Proportionnalité de la sanction

L’agent ne semble pas avoir pris conscience de la gravité des faits en réitérant que ceux-ci relevaient de l'humour et de la plaisanterie. Il ne peut sérieusement reprocher au centre hospitalier un défaut d'encadrement, alors qu'il n'est pas établi que la hiérarchie aurait eu connaissance des faits avant leur dénonciation par la victime, et que le respect envers des collègues de travail relève du minimum attendu d'un agent public. Eu égard à la particulière vulnérabilité de la victime, ni les circonstances qu'il n'avait pas d'autorité hiérarchique sur l'agente et qu'il n'avait pas bénéficié d'une formation aux risques psychosociaux, ni les conséquences alléguées sur sa vie familiale et professionnelle ne sont de nature à démontrer une erreur d'appréciation dans le choix de la sanction.

2/ Recadrage hiérarchique

Un recadrage hiérarchique, n’excédant pas l’exercice normal de l’autorité et sans effet médical direct, ne constitue pas un accident de service (TA Caen, 12 septembre 2023, n° 2102598).

Faits

Un agent qui a été recruté en 2007 par le centre hospitalier Aunay-Bayeux comme aide-soignant, exerce ses fonctions à l'unité psychiatrique sur un poste de nuit. Le 23 janvier 2017, il a été placé en congé maladie avec un diagnostic de syndrome dépressif réactionnel. Il soutient qu'il a été victime d'un accident de service le 17 janvier 2017 à la suite d'un courrier qui lui a été adressé le même jour par son employeur. Estimant que son état dépressif était lié au service, il a demandé, le 7 février 2017, au centre hospitalier, de reconnaître l'existence d'un accident de service survenu le 17 janvier 2017, ce qui lui a été refusé.

Droit applicable

Constitue un accident de service, un événement survenu à une date certaine, par le fait ou à l'occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci. Sauf à ce qu'il soit établi qu'il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien, notamment d'évaluation, entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service, quels que soient les effets qu'il a pu produire sur l'agent.

Discussion

Par un courrier du 17 janvier 2017, le centre hospitalier a rappelé de manière ferme à l’agent ses obligations en matière d'exercice de son droit de grève, l’agent n'ayant pas observé le délai de prévenance pour faire grève les nuits des 11 et 12 janvier 2017, et l'a, en outre, informé qu'il travaillerait de jour à compter du 1er mars 2017.

L’agent a été placé, à la suite de cet épisode, en congé maladie du 23 janvier au 4 septembre 2017. Toutefois, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que le syndrome anxio-dépressif dont il souffre présenterait un caractère de soudaineté. L’agent est entré en conflit avec la direction du centre hospitalier à partir du mois de mars 2016, en raison des conditions d'exercice de son droit de grève. Le courrier du 17 janvier 2017 n'a pas excédé l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Il n’est pas à l'origine du développement de la pathologie dès lors que l’agent a réceptionné le courrier le 18 janvier 2017, soit le lendemain et non le jour même, et qu'il n'a été en arrêt de travail que le 23 janvier suivant.

Les attestations de médecins établies les 4 mars 2017 et 30 juin 2017 indiquant, pour la première, que son état dépressif est « directement consécutif aux événements survenus sur son lieu de travail » et évoquant, pour la seconde, « une souffrance au travail », de même que la circonstance que l’agent serait suivi par le psychologue du service de santé au travail depuis le 20 janvier 2017, ne sauraient suffire pour établir que les troubles présentent un lien direct et certain avec le service.

3/ Incinération du corps d’un enfant décédé in utéro

Le centre hospitalier, après avoir avisé les parents, ne commet pas de faute en procédant, conformément aux textes, à l’incinération du corps d’un enfant décédé in utéro (CAA de Douai, 28 août 2023, n° 22DA02693).

Faits

Une femme née en 1986 a débuté en 2015 une grossesse dont le terme était prévu vers le 20 décembre 2015. Elle a été prise en charge par le CHU de Rouen Normandie et a accouché, le 17 décembre 2015, d'un enfant décédé in utéro la veille. Le même jour, les parents ont donné l'autorisation au CHU de Rouen Normandie, d'une part, de pratiquer sur le corps de l'enfant des examens à visée diagnostique, une autopsie et des prélèvements pour étude génétique et, d'autre part, de prendre en charge le corps pour crémation. Puis le père a indiqué à l'établissement hospitalier qu'il interdisait la crémation du corps de l'enfant « dans l'attente de la décision du procureur de la République » et une plainte pénale a été déposée le 18 décembre 2015 à la gendarmerie d'Yvetot pour non-assistance à personne en danger ayant entraîné la mort d'un enfant sur le point de naître.

Le 24 décembre 2015, le CHU de Rouen Normandie a fait réaliser une autopsie scientifique de la dépouille de l'enfant, dont les résultats ont été communiqués le 11 mars 2016 aux parents.

Les 21 et 22 août 2018, le procureur de la République près le tribunal de grande instance du Havre a informé les parents du classement sans suite de l'enquête pour absence d'infraction.

Le 18 février 2019, les parents ont sollicité la restitution du corps de leur enfant. Le 1er avril 2019, la direction du CHU les a informés que l'incinération du corps de l’enfant avait eu lieu le 6 juillet 2016 et que les cendres avaient été déposées dans un espace dédié du cimetière monumental de Rouen.

Les parents ont engagé un recours contre le CHU pour le préjudice moral subi dans la prise en charge de la dépouille mortelle de leur enfant.

Droit applicable

La famille ou, à défaut, les proches, disposent d'un délai de dix jours pour réclamer le corps de la personne décédée dans l'établissement. La mère ou le père dispose, à compter de l'accouchement, du même délai pour réclamer le corps de l'enfant pouvant être déclaré sans vie à l'état civil (CSP, Art. R. 1112-75).

Dans le cas où le corps du défunt ou de l'enfant pouvant être déclaré sans vie à l'état civil est réclamé, il est remis sans délai aux parents, et en cas de non-réclamation du corps dans le délai de dix jours, l'établissement dispose de deux jours francs pour prendre les mesures en vue de procéder, à sa charge, à la crémation du corps de l'enfant pouvant être déclaré sans vie à l'état civil ou, lorsqu'une convention avec la commune le prévoit, en vue de son inhumation par celle-ci (CSP, Art. R. 1112-76).

Discussion

Les parents, informés par le CHU qu’il procéderait à la crémation du corps de leur enfant en l'absence de décision de leur part dans un délai de dix jours suivant le décès, ont signé, le 17 décembre 2015, un « document d'accord parental pour la prise en charge du corps (décès prénatal) » dans lequel ils confiaient le corps de leur enfant à cet établissement pour crémation. Puis, le même jour, le père a porté une mention manuscrite sur ce document, interdisant la crémation « dans l'attente de la décision du procureur de la République ». Toutefois, cette mention ne pouvait paralyser le jeu des textes réglementaires. Aussi, en l'absence de réclamation par les parents du corps de leur enfant dans les dix jours suivant le décès, et en l'absence de toute décision de l'autorité judicaire concernant une retenue de corps à la disposition de la justice, le CHU était tenu de procéder à la crémation du corps de l'enfant (CSP, Art. R. 1112-76).

En l'absence de toute réquisition judiciaire malgré l'enquête pénale en cours, aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait à l'établissement hospitalier de prendre l'attache du procureur de la République quant à une éventuelle autopsie judiciaire ou de contacter les parents sur le sort à réserver à la dépouille de leur enfant.

Par ailleurs, s'il est exact que la durée pendant laquelle le CHU a conservé le corps de l'enfant a finalement excédé la période de douze jours, ce dépassement du délai n'est pas de nature à démontrer une volonté de respecter les instructions des parents de conserver le corps de leur enfant jusqu'à l'issue de l'enquête pénale et ne présente aucun lien avec les préjudices dont il est demandé réparation.

4/ Infection nosocomiale, absence de faute de diagnostic et défaut d’information sans conséquences

Analyse d’une prise en charge complexe avec la combinaison d’une infection nosocomiale, de l’absence de faute de diagnostic, et d’un défaut d’information restant sans conséquences (CAA de Bordeaux, 14 septembre 2023, n° 21BX03319).

Faits

Un jeune homme, alors âgé de 18 ans, a consulté le 21 février 2007 au CHU de Bordeaux pour une lésion tumorale de l'extrémité inférieure du fémur droit, mise en évidence par une IRM réalisée le 19 février 2007. Le diagnostic d'ostéosarcome a été évoqué, puis confirmé le 9 mars 2007 après une biopsie. Du 19 mars au 2 juillet 2007, le patient a subi une chimiothérapie pré-opératoire dans un établissement privé, puis il a été hospitalisé au CHU du 10 au 24 juillet 2007 pour l'exérèse de la tumeur et la reconstruction prothétique.

Lors de l'intervention, réalisée le 11 juillet 2007, le chirurgien a procédé à la résection en bloc de l'articulation du genou droit, à la pose d'une prothèse massive de reconstruction d'extrémité inférieure de fémur sur mesure, et à la réalisation d'un lambeau de couverture de jumeau médiale.

L'analyse anatomo-pathologique ayant conclu à la persistance de lésions d'ostéosarcome, le patient a été à nouveau pris en charge dans l’établissement privé les 30 juillet, 6 août et 14 août 2007 pour la poursuite de la chimiothérapie. Le 19 août 2007, il a été admis en urgence dans ce dernier établissement pour une fièvre et une altération de son état général. Des prélèvements locaux sur la plaie opératoire ayant mis en évidence un Staphylococcus aureus, il a été transféré au CHU de Bordeaux, où il est resté hospitalisé du 21 août au 24 octobre 2007. Après trois interventions chirurgicales les 22 août, 3 septembre et 10 septembre, et une antibiothérapie jusqu'au 26 novembre 2007, l'évolution a été favorable, tant en ce qui concerne l'infection que la pathologie cancéreuse, pour laquelle l'oncologue a conclu à une rémission complète à partir du 11 juillet 2008.

Sur l’infection nosocomiale

Droit applicable

Les établissements sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère (CSP, Art. L. 1142-1). Par exception, les dommages résultant d'infections nosocomiales ayant causé un taux d'incapacité permanente supérieur à 25 % sont pris en charge par l’Oniam (CSP, Art. L. 1142-1-1).

Doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge. Il n'y a pas lieu de tenir compte de ce que la cause directe de cette infection a le caractère d'un accident médical non fautif ou a un lien avec une pathologie préexistante.

Discussion

Les experts orthopédiste et infectiologue ont conclu que l'infection du site opératoire, qui n'était pas préexistante à l'intervention réalisée le 11 juillet 2007, avait pour seule origine possible cette intervention. Ils ont expliqué que le risque infectieux était majoré du fait de la chirurgie orthopédique délabrante avec reconstruction massive et de l'immunodépression engendrée par la pathologie tumorale et la chimiothérapie, mais cette donnée médicale ne modifie pas l’analyse juridique, car il n'y a pas lieu de tenir compte de ces liens avec la pathologie préexistante.

Le CHU produit un rapport critique selon lequel « la chronologie de la symptomatologie du genou droit traduit une infection causée par des troubles cicatriciels et un hématome post-opératoire, tout en étant favorisée par le cancer et son traitement » : il retrace des données médicales qui n’influent pas sur l’analyse juridique.

Sur le diagnostic et la prise en charge de l'infection

Droit applicable

Les professionnels de santé et tout établissement de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (CSP, Art. L. 1142-1).

Discussion

Une fièvre avait été notée à plusieurs reprises au cours de la chimiothérapie pré-opératoire de juillet 2007, avec un pic fébrile à 39 °C le 4 juillet et un état subfébrile à 38 °C le 30 juillet, mais ces signes ne révélaient pas l'apparition précoce d'une infection du site opératoire.

Le patient étant sous antibiothérapie depuis le 4 juillet. Une désunion cicatricielle a été constatée dès le 30 juillet, mais les premiers signes d'une infection, soit un « genou chaud » avec un écoulement séro-hématique, ne sont apparus que le 6 août 2007, et ont été pris en charge le même jour par l'évacuation d'une collection séro-sanglante et des soins locaux. Ce n'est que le 19 août que le patient a présenté une fièvre à 39 °C associée à une altération de son état général. Cela a conduit à son hospitalisation le 21 août devant le constat d'un écoulement « sale ». Lors du lavage chirurgical réalisé dès le 22 août, des prélèvements multiples et profonds ont permis de diagnostiquer une infection à Staphylococcus aureus sensible et Enterobacter cloacae, et de mettre en place une antibiothérapie adaptée. Ainsi, aucun retard de diagnostic ou de traitement de l'infection ne saurait être reproché à l’équipe du CHU de Bordeaux.

Sur le défaut d'information

Droit applicable

Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (CSP, Art. L. 1111-2).

Doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement, les risques connus qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.

En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération.

Il n'en va autrement que s'il résulte du dossier, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.

Discussion

Le risque de complication infectieuse après l'implantation d'une prothèse du genou dans un contexte néoplasique est élevé, de 10 à 30 % selon les études, et le patient soutient, sans être sérieusement contredit, qu'il n'a pas été informé de ce risque. La faute est établie.

Toutefois, il résulte de l'instruction que le choix d'un processus long et complexe de sauvetage de la jambe avait été retenu en raison du refus de principe d'une amputation par le patient, exprimé alors même que l'infection avait déjà été constatée.

Le patient fait valoir désormais qu'il aurait préféré l'amputation à la reconstruction s'il avait été informé du risque infectieux, mais cette affirmation repose sur l'hypothèse erronée selon laquelle les séquelles dont il reste atteint seraient imputables à l'infection, alors que, comme l'ont indiqué les experts, les séquelles sont liées à la pathologie tumorale et aux traitements imposés par sa prise en charge. Au demeurant, l'amputation est également une chirurgie lourde et présente, comme toute autre intervention invasive, un risque d'infection nosocomiale. Dans ces circonstances, le défaut d'information n'a fait perdre au patient aucune chance d'échapper à l'infection.

5/ Prise en charge défaillante d’un infarctus du myocarde

Dans la prise en charge aux urgences d’un infarctus du myocarde, la sous-estimation des signes cliniques et des antécédents constitue une faute, entraînant une perte de chance d’éviter le décès (CAA Douai, 28 août 2023, n° 22DA00251).

Faits

Le 25 mars 2018, une patiente alors âgée de soixante-huit ans, a été admise aux urgences du CHU d'Amiens après avoir signalé des douleurs thoraciques, dorsales, des vertiges, dans un contexte d'asthénie et d'essoufflement évoluant depuis trois semaines. Autorisée à quitter le service le jour même, elle a de nouveau été hospitalisée en urgence le 29 mars 2018 dans un état de coma sur infarctus du myocarde, et elle est décédée le 31 mars 2018.

Discussion

Fautes

La patiente a téléphoné, le 25 mars 2018, au centre d'appel du Samu en raison de douleurs thoraciques, cervicales, dorsales ainsi que des vertiges. Alors que ces douleurs thoraciques avaient été mentionnées tant dans le compte-rendu du médecin régulateur du Samu que dans celui des ambulanciers qui l'ont conduite au service des urgences, cette information n'a pas été relevée par l'infirmière d'accueil et d'information, de sorte qu'aucun électrocardiogramme n'a été effectué alors que de telles douleurs pouvaient être révélatrices de difficultés cardiovasculaires. Ce défaut de communication d'informations constitue une faute de nature à engager la responsabilité.

Les douleurs thoraciques dont souffrait la patiente se sont atténuées et avaient disparu lors de sa prise en charge par des praticiens hospitaliers, six heures après son arrivée aux urgences, mais cette circonstance ne remettait pas en cause la nécessité d'un électrocardiogramme compte tenu des antécédents de cette patiente qui présentait plusieurs facteurs de risques cardiovasculaires tenant à une consommation active de tabac, un passé alcoolique et une hypertension artérielle, et pour lesquels un traitement lui avait été prescrit. Par conséquent, en l'autorisant à rentrer à son domicile sans procéder à un électrocardiogramme, l’équipe a commis une erreur de diagnostic constitutive d'une faute.

Perte de chances

L’expert urgentiste estime que la réalisation d'un électrocardiogramme, le 25 mars 2018, n'aurait pas permis de dépister une pathologie cardiaque aiguë dès lors que le taux des lactates artériels constaté lors des examens biologiques effectués le 29 mars 2018 conduisait à exclure un début d'infarctus avant le 29 mars 2018, car ce taux aurait été plus élevé si l'infarctus avait débuté le 25 mars 2018. Toutefois, le rapport d’expert d’un cardiologue explique que le taux de lactates ne permet pas de dater un infarctus mais témoigne d'un choc cardiogénique qui est postérieur à l'infarctus.

Dans ces conditions, compte tenu de l'incertitude médicale entourant la date de début de l'infarctus de la victime, le défaut de prise en charge ayant conduit à l'absence de réalisation d'un électrocardiogramme lors de l'admission aux urgences le 25 mars 2018, doit être regardé comme ayant privé la patiente d'une chance de prévenir ou d'éviter la survenue de l'infarctus du myocarde ayant entraîné son décès, par la surveillance adaptée dont elle aurait pu faire l'objet dans l'unité de soins intensifs en cardiologie. Cette perte de chance doit être évaluée à 20 %.

6/ Faute du régulateur du Samu

Saisi d’une pathologie cardiaque, le régulateur du Samu commet une faute dans un interrogatoire ne posant pas les bonnes questions, et en envoyant sur place un médecin généraliste et non un équipage Smur (TA Lyon, 12 septembre 2023, n° 2107088).

Faits

Une patiente, née en 1926 et qui présentait un rétrécissement aortique serré, a été victime d'un malaise à son domicile, où elle résidait avec son fils, le 20 mars 2018 vers 2 heures du matin. Un médicament diurétique a été administré, mais un second malaise est survenu.

A 2 h 59, le fils a contacté le Samu, en informant son interlocuteur d'une perte de connaissance de sa mère et de l'antécédent de rétrécissement aortique. À l'issue d'une conversation d'environ deux minutes avec l'assistant de régulation médicale, il a été mis en relation avec un médecin régulateur, qui à 3 h 08 a décidé d'envoyer un médecin libéral. Ainsi, à 3 h 11, SOS Médecins a été missionné par le Samu pour se rendre au chevet de la patiente.

Vers 3 h 50, le médecin libéral est arrivé sur place. Constatant un arrêt cardiaque, il a contacté le Samu pour obtenir l'intervention d'une structure Smur, et il a débuté un massage cardiaque, qui est resté sans effet.

À 4 h 05, l'équipe du Smur est arrivée sur les lieux et le décès a été constaté à 4 h 15.

Faute

L'aide médicale urgente a pour objet de faire assurer aux malades, blessés et parturientes, en quelque endroit qu'ils se trouvent, les soins d'urgence appropriés à leur état (CSP, Art. L. 6311-1).

Un centre de réception et de régulation des appels est installé dans les services d'aide médicale urgente. Il est organisé avec les professionnels de santé du territoire, avec le concours de médecins d'exercice libéral (CSP, Art. L. 6311-2).

Les établissements de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (CSP, Art. L. 1142-1).

Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient par un établissement public de santé a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage advienne.

Lorsqu'une pathologie prise en charge dans des conditions fautives a entraîné une détérioration de l'état du patient ou son décès, c'est seulement lorsqu'il peut être affirmé de manière certaine qu'une prise en charge adéquate n'aurait pas permis d'éviter ces conséquences, que l'existence d'une perte de chance ouvrant droit à réparation peut être écartée.

Discussion

Le décès de la patiente, compte tenu de ses antécédents médicaux et du tableau clinique décrit par son fils, est en rapport avec une complication du rétrécissement aortique dont elle souffrait, qui peut entraîner une hypotension, un essoufflement voire un œdème pulmonaire.

La prise en charge par le Samu n'a pas été réalisée selon les règles de l'art.

D’abord, la conversation entre le médecin régulateur libéral et le fils de la patiente a été relativement longue, près de sept minutes, mais elle n'a pas été conduite de manière à obtenir des informations précises sur l'état de santé de la malade, avec laquelle le médecin n'a pas cherché à avoir un échange direct.

Ensuite, la décision de demander à missionner un médecin libéral pour se rendre au chevet de la patiente, et non une structure mobile d'urgence et de réanimation, alors que le médecin avait été informé d'une perte de connaissance de la patiente, du fait qu'elle souffrait d'un rétrécissement aortique serré et de la présence d'une substance mousseuse dans sa bouche, ne correspond pas aux bonnes pratiques de régulation et de prise en charge par le Samu. Ces manquements aux règles de l'art médical ont eu pour conséquence un retard de prise en charge par le service mobile d'urgence et de réanimation.

Un retard dans la prise en charge d'un tel malaise est susceptible de retarder l'administration d'un traitement susceptible de permettre de récupérer de ce malaise. Toutefois, il n’est pas certain que le décès ne serait pas tout de même survenu en l'absence du retard fautif, ni qu'une intervention plus précoce aurait empêché l'arrêt cardiaque ayant conduit au décès. Dans ces conditions, les manquements dans la prise en charge ont seulement fait perdre à la patiente une chance de bénéficier d'une intervention qui lui aurait permis d'éviter l'aggravation de son état ayant mené à son décès.

Eu égard à l'âge avancé de la patiente, au rétrécissement aortique serré présenté par celle-ci, à la présence d'une substance mousseuse dans sa bouche, laissant penser qu'un œdème aigu du poumon était déjà en cours au moment où son fils a contacté les secours, et au risque inhérent à toute manœuvre de réanimation, il y a lieu d'évaluer l'ampleur de la perte de chance à 3 %.

7/ Acte suicidaire aux décours d’une prise en charge aux urgences

Un acte suicidaire aux décours d’une prise en charge aux urgences n’engage pas la responsabilité dès lors que la prise en charge a été diligente et que la patiente était coopérative (CAA de Nantes, 21 juillet 2023, n° 23NT00025).

Faits

Une femme, alors âgée de 38 ans, souffrant de troubles dépressifs depuis l'âge de 22 ans ainsi que de troubles bipolaires, a été admise le 12 mars 2015 à 9 h 23, en compagnie de son époux, au service des urgences médico-chirurgicales du CHU de Rennes, à la suite d'une tentative de suicide par voie médicamenteuse.

Son corps sans vie a été retrouvé le soir même à 22 h 23 sur une voie de chemin de fer située à proximité du centre hospitalier.

Droit applicable

Pour établir l'existence d'une faute dans l'organisation du service hospitalier au titre du défaut de surveillance d'un patient atteint d'une pathologie psychiatrique, le juge doit notamment tenir compte, lorsque l'état de santé de ce patient fait courir le risque qu'il commette un acte agressif à son égard ou à l'égard d'autrui, non seulement de la pathologie en cause et du caractère effectivement prévisible d'un tel passage à l'acte, mais également du régime d'hospitalisation, libre ou sous contrainte, ainsi que des mesures que devait prendre le service, compte tenu de ses caractéristiques et des moyens dont il disposait.

Discussion

Aussitôt après avoir été admise dans cet établissement, la patiente a été prise en charge par des infirmiers qui ont effectué à quatre reprises, au cours de la matinée, des examens paramédicaux entre 10 h 02 et 11 h 34, puis à trois reprises au cours de l'après-midi entre 15 h 21 et 19 h 54. Les infirmiers, eu égard au motif d'hospitalisation de l'intéressée, se sont rapprochés sans délai du centre hospitalier spécialisé Guillaume-Régnier et du centre médico-psychologique (CMP) dans lesquels la victime était suivie.

A 11 h 20, elle a été examinée par un médecin urgentiste qui n'a pas relevé de signe de gravité immédiat.

Le bilan de l'examen effectué à 12 h par une infirmière spécialisée en psychiatrie mentionne que des éléments d'inquiétude quant à l'état de santé de la patiente, décelés par le centre hospitalier spécialisé et le centre médico-psychologique, ont été portés à la connaissance du CHU.

La patiente sera ensuite vue à partir de 17 h 50 par un médecin spécialisé en psychiatrie adulte qui conclut son examen en observant que celle-ci est « calme, orientée, cohérente. Dit regretter son geste, avec néanmoins une minimisation de ses possibles conséquences ». Il note également que l'équipe du CMP a fait part d'inquiétudes devant un infléchissement thymique et un contexte d'insomnie ainsi qu'un syndrome dépressif sans ralentissement psychomoteur et que l'intéressée consent à une hospitalisation libre au centre hospitalier spécialisé de Rennes. Ce praticien a conclu que si l'état clinique de la patiente était stable, il nécessitait néanmoins des actes complémentaires à finalité diagnostique ou thérapeutique ainsi qu'une surveillance du risque suicidaire.

Après avoir été installée, à 20 h 09, afin de prendre un dîner avant l'arrivée de l'ambulance devant la transporter au centre hospitalier spécialisé Guillaume-Régnier, la disparition de la patiente a été constatée dans l'heure qui a suivi et les recherches pour la retrouver, immédiatement entreprises, ont malheureusement abouti au constat de son décès.

Ainsi, la patiente a bénéficié d'une surveillance attentive et d'une prise en charge régulière au cours de la journée du 12 mars 2015. L'évaluation des risques d'autolyse qu'elle pouvait présenter, à laquelle les praticiens du CHU ont procédé, n'était pas, compte tenu en particulier de son comportement coopératif au cours de cette journée, de nature à permettre de pouvoir raisonnablement envisager un risque pour sa vie suffisamment prévisible et imminent pour justifier la mise en œuvre de mesures de surveillance plus importantes que celles mises en place.

Aussi, il n’est pas prouvé de faute dans l'organisation du service ou la surveillance de la patiente.