LE SENS DES MOTS
Infirmier anesthésiste,cadre supérieur de santé
La confiance est cette insaisissable capacité humaine sur laquelle repose l’édification de toute communauté sociale et civilisée. Ciment pour l’unité familiale, déterminant vital de l’amour, ferment nourricier de l’amitié, moteur de l’économie, reliance dans le monde du travail, de la spiritualité… Elle est au fondement de toute relation humaine, vecteur d’harmonie et gage d’optimisme. Mais la confiance ne va pas de soi. Elle est contingente, multiforme, fragile, risquée, objet de trahison. Parfois théorisée, souvent explicitée mais sans consensus, à l’évidence polysémique, elle recouvre un champ sémantique disparate et discuté. Par excès ou par réduction, la confiance se dit foi, croyance, espérance, adhésion, mais aussi risque, pari, calcul, pour qui la donne. Elle est une opportunité, un honneur, une responsabilité, une attestation de soi et de foi pour qui la reçoit et lui fait devoir.
Aucune société, aucun groupe ou être humain ne peut se constituer et habiter le monde sans coopération, partage et lien. Le cheminement pour y parvenir est réglé par le paradigme de la confiance. Les institutions le requièrent, la démocratie en dépend, autant que l’amour et l’amitié. La confiance humaine est un déterminant fondamental pour se construire, s’arrimer aux autres et s’épanouir. Mais elle ne se décrète pas, elle est conditionnée et se mérite ; élastique, elle peut se rompre. Elle est un concept hétérogène, multimodal, polysémique. L’architecture de son mécanisme et son approche définitionnelle, objets de nombreux travaux, sont diversement interprétées. Les problématiques de la confiance sont le plus souvent étudiées dans le contexte interpersonnel, communautaire, institutionnel, ou dans des catégories privées, telles les situations d’altérité, la relation soignant-soigné, mais aussi dans le domaine religieux avec un sens consacré. Utilisée dans un vaste réseau lexical, elle se prête à différentes approches sémantiques dont la diversité et les variations rendent incertaines toute définition tranchée et définitive. La confiance est indéterminée et insaisissable.
En parcourant les nombreux chemins de sens alloués à la confiance, des récurrences apparaissent. Le concept fait corps avec celui d’espérance, de croyance, de pari, de vulnérabilité, se confond avec la foi. Elle se veut tacite ou explicite ; s’impose comme nécessité, s’appuie sur des considérations cognitives, affectives, normatives, renvoie à des logiques d’intérêt et ainsi, demeure dans ce foisonnement de filiations, d’une complexité notoire. Nous tenterons, humblement, d’explorer quelques éléments de sens, s’agissant de la confiance à autrui et des termes qui lui sont associés. La confiance en soi est un présupposé pour donner sa confiance, elle sera parfois mentionnée mais sans développement. En préalable, nous évoquerons brièvement son sacre par la religion. Notre travail restera sans doute dans un état d’imperfection que nous tenterons d’amender dans un prochain propos.
L’homme a été créé en état de confiance, soutient Patrick Laudet, auteur de Ce que dit la Bible sur… la confiance(1).
Inspirée de la fides romaine, mais dans un sens plus mystique que morale, la foi chrétienne traduit la nature, la valeur et la force de la relation à Dieu. Notion sacralisée par la religion, la foi (fides en latin signifie confiance) s’entend dans les textes fondateurs comme confiance, associée à croyance, espérance et fidélité. Le concept de confiance trouve ainsi droit et place précocement dans l’univers religieux, et s’inscrit dans une filiation sémantique confondante avec la foi. L’identité de sens entre les deux mots est particulièrement assumée dans le vocabulaire religieux chrétien, mais pas seulement. La confiance et la foi sont intimement associées à la croyance parce qu’il n’y a pas de confiance sans croyance.
Pour Barus-Michel, la croyance est une nécessité pour échapper aux incertitudes, aux angoisses de l’existence : « Elle donne un but, une raison de vivre »(2). Croire avec ou sans la raison, l’important est de croire pour habiter le monde, se donner une orientation, trouver et donner du sens à sa vie. Chacun enracine ses croyances là où il trouve à espérer. Les religions le savent et, comme d’autres instances de pensée, proposent un chemin à suivre, une perspective, l’espoir d’échapper au mal… à condition de croire, d’avoir confiance.
Foi et confiance sont célébrées dans les trois monothéismes avec des nuances de sens. Par un nombre élevé de versets et plusieurs centaines de citations, l’Ancien et le Nouveau Testament font de la confiance la centralité des rapports entre le fidèle et le Tout-puissant.
À l’exhortation pour la foi en Dieu du christianisme correspond le bita’hone (confiance) du judaïsme porteur d’assurance, d’optimisme, et fondée sur la émounah (la foi), disposition innée et rendant capable, au-delà de la raison, d’accéder à la vérité. L’islam commande d’être confiant en Allah et de s’en remettre à lui par at-tawakkul (confiance et action). La foi en Allah ne peut être passive, elle est active. Elle a besoin de preuves pour étayer et crédibiliser sa sincérité. C’est par la manière d’agir et de se comporter que l’on témoigne de sa foi ou de sa confiance envers le Tout-puissant.
Les religions ont concentré très tôt une part importante du champ lexical de la confiance et, chemin faisant, ont consacré le mot dans sa grammaire, son sens moral et sa visée prophétique.
Tenter de définir la confiance expose à un résultat inachevé et insatisfaisant. De nombreux auteurs l’attestent : l’étendue et l’hétérogénéité de ses caractéristiques dissuadent de lui imposer une définition(3). Nous réunirons au mieux ici quelques déterminants et éléments de sens les plus fréquemment convenus pour une synthèse provisoire, aidé en cela par l’étymologie, pour le coup plutôt consensuelle.
Le Gaffiot relie la confiance au latin confidentia signifiant « ferme espérance en », qu’il élargit aux concepts d'« assurance », d'« audace » et de « confiance en soi ».
Il retient aussi la fiducia pour signifier la confiance, celle faite à autrui et en soi.
L’Académie française signale en outre l’emploi de confience vers le XIIIe siècle, née de confidentia dérivée de confidere signifiant « confier » et qui, selon le Gaffiot, est issue de confido (fido : se fier, mettre sa confiance ; cum : avec).
Les sources étymologiques de la confiance (confidentia) lui font un lien de parenté avec celle de la foi (fides en latin, pistis en grec). Vertu de la fiabilité et de la loyauté dans la Rome antique, elle est au fondement de la vie personnelle et communautaire ; elle convie à la probité de l’action. Elle fait aussi la force et la qualité des relations avec les dieux. La foi aujourd’hui, d’essence spirituelle ou profane, affleure dans un ensemble de terminologies et de synonymes partagé avec la confiance, mais sans se confondre avec elle. Notons que la confiance au sens de fiducia ne fait pas de lien avec la foi.
Une liste étendue de locutions et d’affiliations réfèrent à la confiance et lui offrent un large spectre de valeurs connotatives.
Le Larousse, le Littré et le Robert font de la confiance une notion fondée sur la fiabilité : « Sentiment ou état traduisant que l’on se fie entièrement à quelqu'un ou à quelque chose ». La confiance a aussi pour équivalent la foi, l’assurance, le crédit. Notons que ces dictionnaires accordent à la « foi » une puissance d’expression et un degré de certitude que ne recouvre pas « la confiance » dans sa définition. Enfin, il faut être pourvu d’assurance, de hardiesse et de courage pour faire confiance. Autrement dit, la confiance en soi prédispose, sécurise, met en état de relever le défi de celle que nous mettons en autrui.
Dans sa première édition, en 1694, le Dictionnaire de l’Académie française associe confiance et espérance. La confiance est d’amplitude, de consistance et de qualité variables : elle peut être grande, extrême, ferme, sotte, vaine, aveugle... Elle honore qui la reçoit et vaut pour son mérite. Elle peut aussi être mal placée, trahie, rompue pour abus. Agir en confiance peut dénoter également une forme d’audace ou de hardiesse.
Dans son édition contemporaine, le Dictionnaire de l’Académie française envisage désormais le phénomène de la confiance comme une démarche ferme, de conviction ou de certitude. Dieu, un ami ou l’avenir peuvent être dignes ou non de confiance, totale, absolue ou modérée. L’honnêteté, le dévouement, la loyauté, la bonne réputation inspirent la confiance. Comme le devrait le médecin, un proche, un ami, une institution… Ainsi, la confiance peut-être graduée, fondée sur des prérequis moraux, cognitifs, des logiques de relation, de bonnes mœurs.
Ces approches définitionnelles sommaires de la confiance méritent d’être associées à d’autres éléments de sens proposées dans la littérature dont nous tirerons arbitrairement quelques courts exemples.
En préalable, il est bon de rappeler ce qu’elle n’est pas.
Dans l’Antiquité romaine, la fides est entendue comme foi, fidélité, loyauté et génératrice de confiance. Ce sont les romains qui l’élèvent à la dignité de vertu, l’attribuent comme crédit et valeur à celui qui respecte sa promesse(4) : celui qui fait foi et à qui on doit s’en remettre. La foi est au fondement de la relation (de fiabilité). Elle est incarnée dans une divinité qui se fait garante du respect de la parole donnée, de l’engagement convenu.
Avec le christianisme, par la foi sanctifiée, on s’inscrit dans la relation de confiance avec Dieu. Mais foi (fides) n’est pas synonyme de confiance. La confiance (fiducia) n’est pas soluble dans la foi. La foi réfère à la fiabilité et contient l’idée d’absolu, de croyance pleine et totale. Avoir foi en quelqu’un, c’est s’en remettre à lui sans réserve. La foi passe outre la raison. D’essence spirituelle ou profane, observons que la foi souffre d’un déficit d’objectivité et de crédibilité. Elle confine à une forme de croyance et de certitude naïve qui se joue de la véridicité mais qui est portée par un ressenti, un vécu perceptif et sensible. Elle serait objectivable aujourd’hui par les neurosciences.
La confiance résulte, elle, de processus psychiques et cognitifs pourvus d’objectivité, de raison et de limite. La confiance est, par nécessité, relative, réfléchie, jamais définitive, sans dévotion ni ferveur ; elle intègre une part d’incertitude et de risque dont elle évalue, si possible, le coût et la probabilité ; elle envisage la vérité seulement dans ses conditions de possibilité. La foi préface l’idée d’abandon, la confiance ne s’y inscrit pas au risque d’être un état de crédulité ou de soumission. Ce qu’elle n’est pas. Enfin, l’amalgame entre les deux termes conduit certains à élever la confiance au rang de vertu théologale, ce qu’elle n’est pas non plus.
La confiance n‘a pas pour contraire la méfiance – qui signifie que l’on ne se fie pas – mais l’absence de confiance, parfois traduite par « inconfiance ».
La « défiance » n’exclut pas la possibilité de confiance. Elle est un effet de doute et de crainte – selon le Littré – qui pèse sur la confiance sans l’annihiler. La défiance, comme la prudence, conduit au contrôle, à l’évaluation, à la réflexion et conditionne la confiance en degré et en qualité. Elle est bonne pour la confiance.
La confiance est un idéal à cultiver autant qu’une ressource pour stimuler l’agir humain. C’est une nécessité existentielle. Elle règle et expérimente notre rapport au monde. Sans confiance, pas d’interaction humaine, de coopération, de vie sociale(5). Elle est savoir et pouvoir de l’homme sur soi et pour se relier. Faire confiance à autrui, c’est croire avec raisons que son action, sa parole, son comportement, seront conformes à ce qui est convenu, même avec en filigrane l’idée qu’il peut faire autrement.
La confiance recouvre un mécanisme complexe où se combinent et se confrontent des qualités humaines, des ressources cognitives, des affects et des valeurs autour d’enjeux et sur un fond d’incertitude d’épaisseur et de poids variables. La confiance charrie toujours une part de risque. Pour Ricœur, cité par Assayag(6), « La confiance sera toujours teintée d’incertitude, de contingence, d’imprévisibilité ». L’homme est un être faillible, et « La possibilité du mal est inscrite dans la constitution humaine (...) Il n’y aura jamais de garantie absolue que l’engagement soit honoré (...) Le risque de trahison est logé au cœur de l’être (…) ». Le risque est un invariant de la confiance qui vaut autant qu’un pari. Mais l’inconstance et la fragilité humaines ne réduisent pas la nécessité de la confiance : « Elles la rendent au contraire possible et désirable ». La confiance garantit la possibilité d’être et de faire malgré la présence du Mal.
Pour Ricœur, c’est la capacité à tenir la promesse qui fonde la confiance. Tenir sa promesse, pour le dépositaire de la confiance, c’est s’engager à rester soi : « J’engage qui je suis ». Faire une promesse et la tenir renforce son être, aide à grandir et à élever la confiance en soi. Hume, comme Kant(7), souligne qu’il y a une clause morale fortifiante qui engage à tenir sa promesse et confirme qu’il s’agit aussi toujours d’un engagement intéressé.
Confiance et espérance sont indissociables, parfois synonymes. L’espérance, autre vertu théologale, s’incarne comme disposition intrinsèque à l’homme le portant à avoir « foi » en l’avenir, en soi, en Dieu… Faculté immanente, c’est au fond un mécanisme de « survie ». Elle fait vivre. L’homme a besoin et raison d’espérer, pour ne pas désespérer et sombrer. Mais pas seulement. « L’espérance est une disposition de l’âme », écrit Descartes dans Les passions de l’âme, « à se persuader que ce qu’elle désire adviendra ». L’espérance est un ferment de la confiance qui vient quand elle est là. C’est l'un de ses attributs
La croyance est une réalité psychologique. Son étude par les neurosciences ajoute à la compréhension de la confiance et met à l’abri de confusion. Les croyances seraient attachées à des représentations mentales et états émotionnels (croyance en un être supérieur…) induites par le besoin fondamental de croire, d’expliquer et d’apaisement. « Certains états mentaux, dont la confiance, semblent liés intrinsèquement et conjointement à la croyance »(8). Mais faut-il bien distinguer la croyance comme connaissance de la supputation et autres pensées spéculatives forgées dans la rêverie, l’illusion, etc..
La confiance est souvent associée au concept de vulnérabilité. Faire confiance, c’est être à découvert. C’est accepter une position de dépendance. En s’en remettant à autrui, on se livre à ses forces et à ses faiblesses.
On ne peut séparer la confiance en soi de la confiance à autrui. La première règle la suivante et se définit comme le sentiment ou la perception assurée et consistante d’une personne, dans sa capacité à conduire sa vie. Avoir confiance en soi c’est connaître les ressources dont on dispose et penser en maiîriser les usages. L’absence comme l’excès pénalisent la relation de confiance.
Au terme de ce bref survol, nous pouvons dire que la confiance à autrui, innée ou acquise, est une disposition humaine volontaire et nécessaire qui, malgré un voile d’incertitude, consiste à croire et espérer objectivement qu’autrui agira avec intérêt conformément à son engagement (le propos envisage ici la confiance que l’on fait à autrui et non la confiance réciproque ou partagée. La réciprocité dans la confiance ne va pas de soi. Elle est souhaitable, mais jamais garantie).
La confiance est une nécessité existentielle. Elle fait vivre et grandir. Avoir confiance, c’est croire en la vie, en l’Homme, aux institutions et en ce qu’ils sont susceptibles de répondre à nos besoins. Il faut avoir confiance avec prudence, croire avec raison, accepter la contingence du risque et toujours honorer la confiance d’autrui.
La confiance est désirable et vitale, au-delà de l’ancrage dans l’espérance.
1. Laudet P. Ce que dit la Bible sur… la confiance. Bruyères-le-Chatel : Nouvelle Cité ; 2017. p. 128.
2. Barus-Michel J. Les raisons de croire. Nouvelle revue de psychosociologie, 2013 (2) ; 13 : 127-137.
3. Holland CP. The importance of trust and business relationships in the formation of virtual organisations. Organizational virtualness, 1998 (3) : 53-54.
4. Encyclopédie Universalis. « Fides » et « fœdus » dans l'Antiquité romaine. https://www.universalis.fr/encyclopedie/foi/2-fides-et-foedus-dans-l-antiquite-romaine/
5. Marzano M. Qu'est-ce que la confiance ? Études, 2010 ; 412 (1) : 53-63.
6. Assayag L. Penser la confiance avec Paul Ricœur. Études Ricœuriennes, 2016 ; 7 (2) :164-186.
7. Prieur N. Confiance et responsabilité, de l’éthique à l’esthétique. 2012. https://www.parolesdepsy.com/confiance-et-responsabilite/
8. Goldman S. La croyance : aux confins mystérieux de la cognition. Cahiers de psychologie clinique, 2005 ; 25(2) : 87-109.