QUALITÉ
Directrice d’établissementMdzHADé, Hôpital à domicile, Mamoudzou, Mayotte
En 2022, une structure d’hospitalisation à domicile a vu le jour à Mayotte. L'organisation et le suivi des patients se sont mis en place progressivement, dans cet archipel marqué par des difficultés d’accès aux soins et de fortes influences culturelles et religieuses.
La population de Mayotte est estimée à environ 280 000 habitants selon le dernier recensement de 2017. Dans ce département le plus jeune de France, l’offre de soins se résume à l’hôpital public, un secteur « domicile » avec un service de soins infirmiers à domicile (Ssiad), des services d’aide à la personne et des centres privés de dialyse pour la prise en charge de l’insuffisance rénale. À ces structures s’ajoute le secteur libéral avec lequel nous travaillons pour les patients hospitalisés à domicile. L’économie de la santé sur l’ile de Mayotte n’est que peu investie : peu de moyens sont alloués par rapport aux besoins de la population.
En termes de personnel de santé, l’archipel souffre d’une pénurie constante de soignants. À cela s’ajoute la pénurie de l’eau qui s’aggrave d’année en année. Depuis juillet 2023, l’organisation des tours d’eau a été aménagée : en effet, l’eau est coupée toutes les nuits, 7 jours sur 7, de 16 h à 8 h le matin.
La question de la sécurité est omniprésente et récemment marquée par l’opération Wuambushu, intervention policière française réalisée à Mayotte, entre avril et juillet 2023, visant à expulser les étrangers en situation irrégulière et à détruire les bidonvilles.
Le contexte géographique, culturel, économique et social impactent donc le secteur de la santé à Mayotte, ainsi que la mise en place de nouveaux établissements de santé. Pour autant, en avril 2022, avec l’aide de collaborateurs détachés d’une HAD de Tours (Groupe LNA Santé), l’HAD MdzHADé se met en place sur tout le territoire de Mayotte et devient le premier opérateur d’HAD privé.
Aujourd’hui, il nous semble fondamental d’établir un état des lieux, un peu plus d’un an après l’ouverture de notre structure, et de réfléchir aux missions de chacun, en ayant comme toile de fond la situation géopolitico-économique mahoraise.
L’équipe de notre HAD se compose de :
- deux médecins praticiens à temps plein, très impliqués car les patients n’ont pas toujours de médecins traitants (peu nombreux sur l’île) ;
- quatre infirmiers diplômés d’État de coordination (Ideco)
- un logisticien ;
- une assistante sociale ;
- une secrétaire médicale ;
- une assistante de direction ;
- une directrice d’établissement ;
- un responsable assurance qualité.
Le niveau d’activité actuel varie autour de 40 patients, tous assurés sociaux.
La mise en place récente de la télémédecine, du fait de l’absence de visite à domicile (VAD) des médecins libéraux à Mayotte (pénurie, trajets complexes, etc.), permet d’assurer des surveillances cliniques à distance.
L’organisation de travail est ponctuée par des temps de « mini-staffs » tous les matins où l’équipe est réunie pour faire le point sur l’astreinte, les évaluations en cours et l’organisation de la journée avec les VAD.
En tant que directrice d’établissement, j’ai la chance d’accompagner une équipe soudée, avec deux priorités : assurer une prise en charge de qualité pour les patients, et maintenir notre belle dynamique d’équipe.
Nous avons souhaité partager notre expérience si riche et si différente de celles d’autres régions françaises, et valoriser notre pratique professionnelle particulière. Ainsi, chaque membre de l’équipe propose, dans cet article, d’évoquer son vécu et de mettre en avant les variables psychosociales prégnantes qui lui permettent de trouver la motivation et l’implication dans cet exercice professionnel mahorais. Laisser la parole à chacun est, sans aucun doute, le meilleur moyen d’identifier et de mettre à l’honneur notre pratique éthique, professionnelle, notre projet collaboratif et notre place dans le système de santé mahorais.
« Après avoir travaillé pendant 8 ans au sein de l’HAD LNA Val-de-Loire sur différents postes, je suis arrivée à Mayotte en décembre 2021, initialement pour une année, afin de préparer l’ouverture de l’établissement. C’est une chance de participer à un tel projet dans une carrière professionnelle, et ici, le challenge a été encore plus grand du fait de spécificités de territoire non négligeables.
Je suis arrivée convaincue du bien-fondé du projet, pleine d’enthousiasme, mais rapidement, je me suis rendue à l’évidence : ma motivation n’était pas partagée de tous. Il a fallu se faire accepter et faire tomber certains préjugés et a priori sur le secteur privé.
Aujourd’hui, nous sommes de plus en plus reconnus comme un opérateur fiable et compétent, deux qualités qui sont nos priorités pour nos patients.
Je suis heureuse de voir l’établissement évoluer malgré les difficultés de l’habitat insalubre, des coupures d’eau, de l’insécurité, des horaires de soins adaptés, et du manque de professionnels sur le territoire.
La plus grande difficulté que j’ai eu à surmonter concerne la gestion du temps. Ici, la plupart des professionnels ne se déplacent plus dès la tombée de la nuit, à cause de l’insécurité. Une astreinte téléphonique infirmière et médicale est assurée la nuit afin de garantir la continuité de la prise en charge. Il est nécessaire de savoir anticiper et prévenir les complications de santé possibles et de pouvoir compter sur la participation de la famille du patient.
Les familles mahoraises sont très accueillantes. J’ai grandi dans une famille en métropole, et travailler en HAD à Mayotte, c’est découvrir et s’adapter à la culture, aux traditions, aux codes sociaux et à d’autres langues.
Nous sommes une équipe qui grandit, qui se soutient, et c’est une force indispensable. Nous sommes des mahorais et des métropolitains, nous nous complétons. Je suis fière de nos prises en charge. »
« J’ai eu une première expérience à Mayotte en décembre 2021. Lors de la crise de Covid-19, la réserve sanitaire s’est rendue régulièrement sur le territoire afin d’aider les professionnels de santé en grande pénurie. De nombreuses missions ont été proposées, notamment dans le cadre de la vaccination. Durant deux semaines, au contact de la population de la commune de Koungou (au nord de la capitale Mamoudzou), j’ai collaboré à la vaccination et effectué mon premier pas sur une île pleine de ressources.
Depuis décembre 2022, je fais partie de l’équipe de coordination de l’HAD MDZHADé du groupe LNA. Un établissement récent, plein d’ambition et avec l’envie d’apporter sa contribution à l’offre de soins. Mon rôle dans cet établissement est d’organiser l’ensemble des soins qui sont spécifiques à chaque patient à son domicile.
L’infirmier de coordination (Ideco) possède un rôle essentiel au sein de l’HAD. Il supervise et coordonne les soins liés aux besoins de chaque patient. La coordination est une véritable expertise qui assure une prise en charge complète des patients, de l’évaluation initiale des besoins de santé à la mise en place d’un suivi attentif. Nous collaborons au quotidien avec les infirmiers libéraux, les kinésithérapeutes libéraux, les médecins généralistes, les officines de villes, les partenaires du Centre hospitalier de Mayotte (CHM) et des organismes sociaux.
Mayotte est un territoire trop souvent pointé du doigt pour les problèmes d’insécurité quotidienne, les coupures d’eau récurrentes, le trafic routier constamment perturbé et saturé, l’accès aux logements sous taule (bangas) et leur insalubrité.
L’adaptabilité et la patience sont les maîtres mots de ce poste d’infirmier coordinateur. En plus de ses responsabilités de coordination, il a également un rôle déterminant dans l’éducation à la santé des patients et des familles, concernant par exemple la prise des traitements et le respect des mesures d’hygiène. Cette approche holistique contribue à renforcer l’autonomie des patients tout en améliorant leur compréhension globale de leur état de santé. »
« J’ai rejoint l’équipe MdzHADé en mars 2022, avant l’ouverture de l’établissement. Tout était à faire, nous n’avions pas encore de locaux et nous devions rencontrer nos futurs partenaires pour nous faire connaître. Cette démarche n’a pas été simple car il n’est pas toujours évident de prendre sa place, là où le système hospitalier est l’unique acteur de soins. Nous avons dû faire preuve de patience et de persévérance pour présenter notre projet, mettre en avant la plus-value de l’hospitalisation à domicile tout en tenant compte des valeurs que nous défendons chez LNA Santé.
À ce jour, nous sommes une petite équipe de douze collaborateurs, très soudée, cosmopolite, engagée dans le même objectif. Il est très agréable de venir au travail chaque matin, et de se retrouver entourée de professionnels investis, tant au niveau social, médical qu’administratif, malgré des prises en charges souvent difficiles et qui demandent de l’énergie et de l’adaptation.
Aujourd’hui, après plus d’une année d’installation sur l’ile de Mayotte, MdzHADé est reconnu comme un établissement de santé privé bien implanté. Nous recevons des témoignages de familles de patients, de professionnels libéraux, de prestataires qui nous remercient d’être présents, et nous encouragent à nous investir encore plus pour prendre soin de la population mahoraise. »
« En tant qu’infirmière coordinatrice en HAD, j’ai pour mission principale de coordonner les soins et actions entre les différents professionnels de santé. Cela se traduit essentiellement par une grande coopération avec les infirmiers libéraux car nous n’avons pas d’infirmier de terrain au sein de la structure. Nous assurons la mise en place des soins à domicile, la gestion des commandes de matériel. Nous réalisons une évaluation clinique des patients au retour des infirmiers libéraux et nous évaluons aussi la nécessité d’une prise en charge en kinésithérapie, en ergothérapie, en diététique, en aide sociale et pour la vie quotidienne. Nous collaborons ainsi régulièrement avec les différents services à domicile.
Notre quotidien est rythmé par les échanges avec les infirmiers libéraux, la gestion des différentes urgences et changements de protocoles de soins, les évaluations des demandes en cours et les commandes. Mais bien évidemment, l’HAD c’est bien plus que ça, plus particulièrement sur le territoire mahorais. Dans ce département français, où le taux de pauvreté est le plus élevé de France, les patients, mêmes assurés sociaux, peuvent se trouver en grande difficulté sociale et dans un parcours de soins qui se heurte au manque de moyens et de médecins spécialisés sur l’île.
À Mayotte, les conditions sont souvent difficiles au domicile, mais les patients souhaitent très souvent quitter l’hôpital au plus vite pour rentrer chez eux, notamment dans un contexte de fin de vie. Les familles sont nombreuses, les enfants sont souvent présents pour s’occuper de leurs aînés. Travailler au domicile du patient, c’est s’immerger complètement dans sa culture et sa croyance : cela nous apporte une grande ouverture d’esprit. »
« À Mayotte, la prise en soins des patients est bien plus complexe qu’en métropole. Les moyens techniques n’étant pas aussi développés, certains examens ou analyses ne peuvent être réalisés sur place. La barrière de la langue ajoute aussi une part de complexité dans la prise en soins. Les patients sont d’origines diverses et trouver un traducteur n’est pas toujours une tâche facile.
À cela, s’ajoutent les aspects culturels, cultuels et sociaux qu’il faut prendre en compte afin d’avoir une vision globale des soins à Mayotte. En effet, le rapport aux soins est ici bien différent de ce que nous pouvons connaître en métropole. Très souvent, les patients manquent de ressources (financières principalement) et rien que le fait de penser à demain est difficile. L’aspect religieux prend également une part importante et nous nous devons d’en tenir compte en adaptant les soins quand cela est possible.
L’éducation à la santé se développe peu à peu avec la mise en place de campagnes de sensibilisation, mais il reste énormément de travail à fournir à ce niveau. Il faut également tenir compte des ressources de chacun et ne pas perdre de vue que les critères de métropole ne sont pas tous applicables sur le territoire mahorais. D’une façon globale, la prise en soins dans le 101e département français demande une grande capacité d’adaptation et de résilience.
Le maintien au domicile des patients, et particulièrement des aînés, est un élément important dans la culture mahoraise. Le développement de structures telles que l’HAD favorise ce maintien au sein du cercle familial.
Bien que les situations rencontrées soient parfois difficiles, les liens créés avec le patient et son entourage restent, à mon sens, l’axe majeur de la prise en soins. Au domicile, particulièrement en tant qu’Ideco, les patients et/ou les familles se confient souvent à nous. Nous prenons le temps de découvrir leur environnement et de nous intégrer.
Mayotte est une île pleine de ressources, où tout reste à construire et développer. Les opportunités professionnelles sont nombreuses si l’on se donne les moyens de progresser, et chaque expérience vécue ici est enrichissante. »
« Installé à Mayotte avec ma famille depuis 10 mois, je vis une belle aventure. La richesse de la culture permet le partage des savoirs et des expériences. Chaque jour, je prends la barge de l’île de Petite Terre pour aller travailler à Mamoudzou, sur Grande Terre, profitant de la nature magnifique qui me donne l’énergie positive pour commencer ma journée de très bonne humeur.
À Mayotte, l’offre de soins se développe, et nous nous devons de garantir le même niveau de qualité des soins qu’ailleurs en France. MdzHADé est engagé dans une démarche d’amélioration continue de la qualité tout en assurant l’accès aux soins à domicile et en s’attachant à la satisfaction des patients.
En collaboration avec notre équipe dynamique, je mets en place plusieurs objectifs en lien avec la qualité :
- assurer le suivi des bonnes pratiques de soins,
- piloter la gestion des risques,
- analyser les événements indésirables,
- réaliser des audits en vue de la certification,
- mettre en place un plan d’actions afin d’améliorer la qualité des soins et la sécurité du patient.
La diversité de mes missions, la proximité avec le terrain et l’absence de routine sont vraiment des facteurs positifs de travail avec, en plus, la satisfaction de parvenir à débloquer telle ou telle situation grâce au travail et à la dynamique d’équipe. Ce sont des attraits du métier qui me séduisent et m’encouragent à continuer sur ce chemin avec MdzHADé. »
Je m’appelle Foudoyla, je suis née à Mayotte mais j’ai dû quitter l’île à l’âge de 5 ans. J’ai donc vécu et étudié en France. J’ai souhaité retourner à Mayotte afin de mettre mes compétences au service des mahorais. C’est une façon pour moi de contribuer au développement de mon île.
Je suis assistante de service social à l’HAD Mdzhadé depuis sa création il y a plus d’un an. Ma mission principale est de garantir une intervention sociale d’aide à la personne au bénéfice du malade et de ses proches. Mon rôle consiste à faire le lien entre le patient et l’équipe pluridisciplinaire, en accord avec la prise en charge du patient. Je dois prévenir les difficultés sociales et économiques liées à la maladie. Pour cela, j’interviens de la prescription (évaluation des conditions de retour à domicile) à la fin de la prise en charge HAD (anticipation de la fin de prise en charge et orientation).
Au sein de cette nouvelle offre de soins, mon rôle va bien au-delà de l’aspect « santé » : je suis là pour apporter un soutien émotionnel, social et administratif aux patients et à leur famille tout au long de leur parcours de soins à domicile.
L’ile fait face à des défis particuliers en matière de santé et de bien-être, notamment en raison de son éloignement géographique. En tant qu’assistante sociale en HAD, je crois en un avenir où les soins seront plus accessibles et centrés sur le patient ; où les établissements de santé seront répartis sur l’ensemble de l’île afin d’en faciliter l’accès aux familles en situation de précarité ; où l’ensemble de la communauté pourra collaborer pour garantir un soutien complet en matière de soins à ceux qui en ont besoin.
Avec l’équipe pluridisciplinaire, je m’efforce de rendre l’HAD, qui est une période de vulnérabilité, plus supportable pour chaque patient et sa famille, et de contribuer à bâtir une société où la solidarité et le bien-être sont au cœur de nos préoccupations. »
« Après avoir travaillé en HAD puis en équipe mobile de soins palliatifs sur l’île de la Réunion, je suis arrivé à Mayotte fin août 2022 pour un poste en CDI en tant que médecin praticien à l’HAD MDZHadé.
À mon arrivée, le projet représentait un beau défi, pour plusieurs raisons. En effet, il s’agissait de :
- participer au développement d’une HAD née quelques mois auparavant, première HAD privée de l’île, sur un territoire où l’offre de soins publique est largement majoritaire, à l’exception des structures de dialyse ;
- découvrir une autre culture, d’autres langues, une autre approche de la maladie et de la mort ;
- être en capacité de s’intégrer dans le paysage sanitaire mahorais avec ses spécificités de fonctionnement et ses écueils, comme l’important turn-over des soignants et les difficultés récurrentes d’accès à certaines spécialités.
Tout cela constitue pour moi une difficile mais magnifique expérience, l’objectif étant d’apporter à la population mahoraise des soins à domicile de qualité et d’enrichir ainsi l’offre de soins pour un territoire qui en a bien besoin.
Il faut faire preuve de résilience et d’adaptabilité, tant les besoins en santé sont importants et les ressources limitées. À cela s’ajoutent des évènements sociaux d’ampleur (insécurité, opération Wuambushu, coupures d’eau…) qui ne facilitent pas la tâche au quotidien.
Je travaille au sein d’une équipe formidable, soudée, solidaire en toutes circonstances et toujours dans la bonne humeur. Il y a bien sûr comme dans tout groupe, des moments de tension, qui sont vite effacés car nous avons appris à faire face à l’adversité et à l’imprévisibilité quotidiennes.
J’ai intégré HAD MDZHadé en mars 2022, avant l’ouverture de l’établissement. Mon poste de secrétaire médicale comprend un rôle majeur : je suis l’interlocutrice directe de tous les patients, des familles, des différents intervenants médicaux et paramédicaux. J’assure l’accueil physique et téléphonique ; je donne des informations aux patients et je relaie les données à mon équipe.
Le métier de secrétaire médicale est indispensable pour le bon fonctionnement d’un établissement médical. J’assure le suivi administratif des patients de l’admission à la sortie ainsi que leurs rendez-vous médicaux et leurs transports. Je numérise tous les documents administratifs (carte vitale, pièce d’identité, titre de séjour, etc.) afin de les stocker dans le logiciel correspondant et de pratiquer la dématérialisation. Tout comme le personnel médical et paramédical, je suis soumise au secret professionnel.
Mahoraise, je suis fière de mon métier et de la bonne entente avec toute l’équipe, malgré la grande distance que je dois parcourir au quotidien. En effet, habitant le nord de l’île, mon trajet est de 2h30 minimum pour arriver sur le site, car les embouteillages sont un problème majeur à Mayotte.
« J’ai débuté mon emploi en tant que logisticien à l’HAD MDZHadé de Mayotte en avril 2022. Je m’occupe de l’approvisionnement des dispositifs médicaux, comprenant le suivi régulier des entrées et sorties des produits. Je suis en contact avec les fournisseurs pour bénéficier d’offres commerciales intéressantes. Je gère tout ce qui concerne l’organisation et l’installation au domicile du patient, ainsi que le matériel qui est prévu dans le cadre d’une livraison urgente.
Une particularité de mon métier de logisticien, est de devoir toujours tenir compte de l’environnement dans lequel je travaille. En effet, à Mayotte, nous sommes régulièrement confrontés à des problématiques liées aux difficultés d’approvisionnement, à des ruptures totales de certains produits, et à des délais d’attente souvent longs
Je collabore avec différents fournisseurs pour la logistique et assure les maintenances et l’entretien des véhicules de tous les collaborateurs.
Mon travail s’inscrit dans celui d’une une équipe. Nous travaillons dans une bonne ambiance, et chacun est attentif à l’autre. En tant que mahorais, j’apprécie de participer à ce nouvel établissement de santé, et lorsque je passe au domicile des patients ou que j’accompagne les infirmiers pour assurer la traduction avec les familles, je constate leur satisfaction d’être soignés à domicile. »
« Et pourquoi pas Mayotte ?… Cette question prononcée, un soir d’hiver Québécois, de manière ingénue mais réfléchie par Fanny, ma collègue infirmière du service de chirurgie d’un hôpital de la Rive Sud de Montréal, où nous travaillions tous deux et, surtout, ma conjointe et la mère de nos jumeaux de 6 ans, raisonne encore en moi presque un an après notre arrivée ici. Après la France, la Tanzanie, la Nouvelle Calédonie…, nous étions en pleine réflexion pour voguer vers d’autres horizons, loin du Québec qui nous avait pourtant adoptés plus de 10 ans auparavant.
« Au niveau du Douka Bé, tournez à droite du flamboyant, puis ensuite prenez le chemin en pente qui va vers les bangas sur la colline en face. On vous guidera pour la fin », nous explique au téléphone, sur un ton inquiet, la fille de notre patient sorti le jour même du seul hôpital de l’ile, seulement deux jours après une prise en charge complexe au retour de La Réunion, où après des tests sur-spécialisés non accessibles ici, le verdict de cancer incurable est tombé…
Après des hésitations sur la capacité de notre petit SUV à passer les ornières creusées face à nous par les régulières et très intenses pluies tropicales du moment, l’infirmier coordonnateur, en tant que conducteur désigné de ce safari momentané, s’exclame : « Cela devrait passer ! » Effectivement, après quelques mouvements plus ou moins contrôlés de la voiture, nous arrivons en 5 minutes au point de rendez-vous, où seuls quelques makis, à l’air désabusé, nous regardent en se déplaçant en famille sur l’enchevêtrement de fils électriques qui surplombe les lieux.
Toujours guidés par téléphones interposés, après une courte marche sur un chemin chaotique, mouillés de la chaleur humide de la mousson, avec nos sacs médicaux étanches sur le dos, naviguant alors entre chèvres, poules et autres animaux « domestiqués », nous arrivons au domicile de notre patient. Une grande terrasse de béton brut, ouverte comme unique pièce de vie et limitée au fond par de vieilles tôles rouillées, sert de chambre pour la plupart des membres de la famille.
Au mieux, pourrons- nous alors prendre un point GPS qui sera utilisé pour revenir lors des VAD de suivi et guider parfois les équipes de soignants libéraux déployées pour venir en aide à notre patient, lui assurant le meilleur confort possible pour ses derniers moments de vie auprès de ses proches, une variable fondamentale dans la culture mahoraise, primant souvent même sur ce confort attendu dans notre culture médicale.
C’est dans une de ces pièces du fond, borgne mais climatisée, à l’éclairage blafard d’une seule ampoule au plafond, que nous retrouvons notre patient au faciès souriant mais au corps déjà très creusé par la maladie, assis sur son lit médicalisé, entouré de l’équipement médical dernier cri, dont les pompes d’analgésie contrôlée par le patient (PCA) et les obus d’oxygène désormais nécessaires, livrés la veille par l’un des rares fournisseurs de la place. Équipements que notre patient, un tant soit peu méfiant lors de cette première rencontre à domicile, regarde d’un air dubitatif en nous lançant d’emblée en français : « Pas besoin de tout ça ici ! ».
Ce n’est qu’après une discussion intense et sincère que la confiance s’établit de nouveau rapidement, aidant le patient à mieux comprendre sa situation. Nous nous assurons, avec l’aide de la traduction simultanée de la fille de notre patient, de la bonne compréhension de la situation par toute la famille. Les visages sont graves mais restent ouverts.
L’Ideco se lance de nouveau dans un interrogatoire de la jeune fille. « Avez-vous accès à l’eau ? À l’eau courante ? Et l’électricité, elle vient d’où ? Pas de chez le voisin ? Et au niveau sécurité ? …» Autant d’informations déjà récupérées au préalable par l’Ideco, mais la vérification des informations devient un réflexe utile et salvateur ici, surtout pour nos patients fragiles, aux profils très variés. Après un long temps de parole, nous sentons que notre aide semble désormais vraiment comprise et appréciée. Avant de quitter ce lieu, que nous serons amenés à visiter plusieurs fois désormais au gré de l’évolution clinique de notre patient, on nous offre même de l’eau embouteillée et fraîche, servie dans des verres décorés… L’eau potable a une très grande valeur symbolique mais aussi pratique sur cette île.
Quelques temps après, nous recevons un appel de la jeune fille. « Mon père vient de décéder. Est-ce possible d’avoir rapidement le papier pour la mairie ? » La culture mahoraise demande le strict respect des règles funéraires dictées par l’Islam, dont celle de devoir agir très rapidement pour les ablutions et autres rituels impossibles à l’hôpital. L’équipe réagit très rapidement, et en une heure tout est réglé.
« Merci pour votre aide. Nous avons pu accompagner notre père confortablement de notre maison vers sa dernière demeure… C’était vraiment son souhait de ne pas mourir loin de sa famille, et surtout pas à l’hôpital. Merci à toute l’équipe ! »