L’instauration cet été d’un parcours spécifique aide-soignant pour l'accès au diplôme d'infirmier a suscité de nombreuses réactions chez les professionnels de santé. Elle intervient alors que la refonte de la formation infirmière est au cœur des réflexions depuis que l’ancien ministre de la Santé, François Braun, a réaffirmé sa volonté de faire évoluer le métier et la formation, en mai dernier.
Trois mois. C’est la durée du parcours spécifique permettant aux aides-soignants expérimentés d’intégrer la deuxième année de formation socle infirmière, en lieu et place d’une année de formation. L’arrêté du 3 juillet 2023 précise que : « Les aides-soignants disposant d'une expérience professionnelle en cette qualité d'au moins trois ans à temps plein sur la période des cinq dernières années à la date de sélection et qui ont été sélectionnés par la voie de la formation professionnelle continue, peuvent, à la suite d'un parcours spécifique de formation de trois mois validé, intégrer directement la deuxième année de formation d'infirmier. » Un décret contesté par une partie de la profession, qui a fait couler beaucoup d’encre cet été. Six organisations professionnelles* ont ainsi déposé un recours devant le Conseil d’État pour demander son annulation, estimant que ce texte, non adapté aux exigences du métier, met en danger les patients. Sans compter son impact sur la reconnaissance du diplôme au niveau européen. « Les ESI [étudiants en sciences infirmières] en promotion professionnelle interrogés sont unanimes, la première année est indispensable. La profession infirmière ne se résume pas à l'exécution d’actes techniques, mais elle requiert un véritable raisonnement clinique. C’est lors de la première année que les bases de celui-ci sont acquises », rappelle la Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières (Fnesi). Si la possibilité d’évolution professionnelle n’est pas remise en question – elle joue un rôle moteur de motivation dans la carrière des soignants –, certains s’interrogent sur la capacité des aides-soignants sélectionnés à acquérir les compétences nécessaires en si peu de temps, et sur la capacité des établissements à les accueillir en stage alors même qu’une pénurie de lieux de stage est déplorée. « Le danger est de mettre ces aides-soignants en échec scolaire et de voir apparaître des prépas privées qui font miroiter une pseudo réussite aux étudiants, alerte Marion Morel, présidente de la Fnesi (jusqu’au renouvellement du bureau début octobre 2023). Nous allons mettre en place une évaluation rétroactive et un suivi pour analyser l’état des étudiants. »
L’annonce de ce dispositif pilote, déployé dans les Ifsi des régions Centre-Val de Loire, Île-de-France, Normandie et Pays de la Loire et dès la rentrée de février 2024, est intervenue alors même qu’une vaste réflexion sur la refonte de la formation infirmière est engagée. Elle est elle-même menée en parallèle de travaux sur l’évolution de l’exercice de la profession, en vue de repenser le décret d’actes de la profession d’infirmier. Les deux refontes sont évidemment intimement liées et sont d’autant plus attendues que la profession est en tension. Si, avec « environ 100 000 candidats chaque année, la forte attractivité des formations en soins infirmiers se confirme depuis l’intégration des Ifsi sur la plateforme Parcoursup en 2019 », comme le précise le rapport « Évolution de la profession et de la formation infirmières » de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) publié en octobre 2022, la pénurie de personnels n’est pour autant pas résolue. L’une des raisons est la « forte déperdition entre le nombre d’étudiants commençant la formation et le nombre de diplômés trois années plus tard. En moyenne, environ 5 100 étudiants d’une promotion de 30 000 ne sont pas diplômés (soit 17 %). » Erreur d’orientation ? Difficulté de la formation ? Précarité étudiante ? Lenteur de l’intégration universitaire ? Défaillance de l’encadrement en stage ? Les raisons invoquées sont nombreuses. Quant à la population infirmière active, elle quitte le métier plus rapidement qu’auparavant. « Près d’une infirmière hospitalière sur deux a quitté l’hôpital ou changé de métier après dix ans de carrière », a révélé la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) en juillet dernier. « L’évolution de l’offre de soins infirmiers à l’hôpital dépend notamment des décisions des infirmières hospitalières de poursuivre l’exercice de leur profession et de l’évolution de leur volume de travail. Sur une période d’observation de trente ans, entre 1989 et 2019, 54 % des infirmières hospitalières le sont toujours après dix années de carrière. Cette part est plus faible pour celles qui ont commencé à exercer à la fin des années 2000 (50 %) que pour leurs aînées entrées dans la profession au début des années 1990 (60 %) », détaille l’étude.
Côté formation, comme côté exercice, l’heure est donc venue de tout remettre à plat. Accélération de l’universitarisation, actualisation des enseignements en lien avec les compétences sur le terrain, formation des cadres au tutorat et valorisation spécifique, revalorisation des indemnités de stage des étudiants, révision du statut des Ifsi… figurent parmi les sujets sur la table. Quant au métier d’infirmier, doit-il être défini par des actes comme c’est le cas aujourd’hui ou plutôt par de grandes missions ?
Ces questions sont d’autant plus importantes que la population infirmière va devoir être renforcée pour faire face au vieillissement de la population dans les prochaines années**.