Le ministère de la Santé a présenté fin septembre un plan pour s’attaquer aux violences subies au quotidien par les soignants. L’initiative était attendue de longue date, mais elle attend encore une traduction concrète dans les faits.
« Il n’est pas acceptable que celles et ceux qui nous soignent soient menacés dans l’exercice de leurs missions. Les conséquences de ces violences sont majeures. C’est pourquoi nous avons fait de la sécurité des professionnels de santé un chantier prioritaire. » Tels sont les mots par lesquels le ministre de la Santé Aurélien Rousseau, cité dans un communiqué de l’avenue Duquesne, a justifié le « plan pour la sécurité des professionnels de santé » concocté par ses services. Présenté le 29 septembre dernier, celui-ci s’appuie sur le rapport « pour des soins en sécurité » qu’avaient remis au mois de juin dernier Nathalie Nion, cadre supérieure à l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), et le Dr Jean-Christophe Masseron, président de SOS Médecins France.
« Je suis contente de voir ce rapport sortir, il y a eu quelques difficultés, sans compter le remaniement, qui ont freiné sa finalisation », réagit Nathalie Nion. Il est vrai qu’au printemps, lorsqu'elle et son co-auteur avaient présenté leurs conclusions, le ministre de la Santé de l’époque, François Braun, avait promis que des mesures seraient prises dès le mois de juillet. Il a fallu patienter quelque peu. Mais, le résultat est bien là, et bien là. « Je trouve que ce plan balaie assez largement les propositions que nous avions faites en juin, se satisfait Nathalie Nion. Je trouve qu’il est assez représentatif du travail qu’on a fourni, et les propositions sont très concrètes. »
En l’espèce, le plan comprend 42 mesures structurées autour de trois axes : sensibilisation du public et formation des soignants, prévention et sécurisation de l’exercice professionnel, et enfin déclaration des faits et accompagnement des victimes. Le cadre du premier axe fixe, l’organisation d’une « campagne nationale de sensibilisation du grand public au respect dû aux soignants » et d’une « campagne de formation avec un tronc commun dédiée aux agents et à leurs encadrants ». La communication est, en effet, selon Nathalie Nion, primordiale autour de ce sujet. « C’est important qu’on en parle, souligne-t-elle. En ce qui concerne la formation des soignants, il y a selon moi deux directions principales, pour la formation initiale comme pour la formation continue : la formation à une communication plus fluide, qui permet de ne pas générer l’agressivité de l’autre, et la formation à détecter les prémisses de la violence afin de se protéger et d’agir, sur laquelle nos collègues de psychiatrie, par exemple, sont probablement en avance. »
Parmi les mesures les plus saillantes du deuxième axe, qui concerne la prévention et la sécurisation de l’exercice professionnel, figurent la création d’un « un délit d’outrage sur les professionnels de santé », ainsi qu’une « aggravation des peines » encourues pour des faits de violence au sein des établissements. Nathalie Nion voit dans cet axe une occasion « de penser la sûreté de la même façon que l’on pense, par exemple, la sécurité incendie : en l’intégrant dans l’organisation des locaux, dans l’organisation des soins, en ville comme à l’hôpital ». Enfin, le dernier axe, sur la déclaration des faits et l’accompagnement des victimes, prévoit notamment une réorganisation de la manière dont agents et établissements peuvent déposer plainte. « Il me semble important de noter la possibilité qui sera donnée aux établissements de déposer plainte à la place du personnel, ainsi que le fait que les libéraux seront considérés comme des agents du service public », commente Nathalie Nion.
Les mesures gouvernementales ont été assez bien accueillies, notamment par l’Ordre national des infirmiers (ONI). « Ce plan de sécurité pour les personnels soignants était devenu une nécessité absolue et particulièrement pour la profession infirmière – qui est souvent le premier et seul contact avec le patient – et qui est donc la plus exposée face aux violences », a notamment déclaré son président, Patrick Chamboredon, cité dans un communiqué.
Pour le Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI) en revanche, certaines mesures sont plus complexes à accepter. Sur le réseau social X (ex-Twitter), l’organisation pointait notamment la mesure 3, celle qui entend « rappeler aux soignants que les principes de base de la politesse sont toujours à observer ». Le SNPI y voit une « insulte envers la bienveillance des soignants », voire une forme de « culpabilisation » visant à chercher ce qu’un soignant a pu faire pour susciter l'agression.
¨Pour Nathalie Nion, ce n’est pas parce qu’on souligne la nécessité pour les soignants de mieux se former à la communication que l’on culpabilise les soignants. « Je pense qu’il ne faut pas voir les choses comme cela, plaide-t-elle. Se former à la gestion de l’agressivité, retravailler sa posture, ce n’est pas se culpabiliser : quand on est confronté tous les jours à de nombreux passages, par exemple, il est important de se questionner sans pour autant se dire qu’on est responsable. »
Rappelons que la violence en milieu de santé est un phénomène presque quotidien. D’après l’Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS), on a recensé en 2022 18 768 signalements dans 368 établissements. Ce sont en tout 23 489 professionnels qui ont été victimes de ces faits, dont 45 % d’infirmiers. L’ONI rappelle par ailleurs que lors d’une consultation organisée par ses soins auprès de plus de 30 000 infirmiers, 66 % des professionnels interrogés déclaraient avoir été victimes de violences dans leur exercice professionnel, et 73 % déclaraient en avoir été témoins.
Des chiffres qui, de manière générale, souffrent d’une forte sous-déclaration, et qui doivent être interprétés dans le cadre plus général d’une montée de l'aggressivité dans l’ensemble de la société, précise Nathalie Nion. « On a en France une augmentation des 15 % des coups et blessures et de 11 % des violences sexuelles entre 2021 et 2022, pointe la cadre supérieure. Ce qui se passe dans la santé est donc à l’image de ce qui se passe ailleurs : on n’est plus dans un environnement préservé, comme on l’a longtemps pensé, et la violence est présente à tous les niveaux : elle touche les professionnels de santé et les autres personnels des établissements, les libéraux, les pharmacies, etc. »
Pour comprendre les racines des violences à l’encontre des soignants, il faut également se souvenir qu’elles sont forcément d’ordre multifactoriel, ajoute-t-elle. « Il y a probablement un changement des mentalités de la part du public, beaucoup de personnes attendent des résultats immédiats, et cela a certainement été exacerbé durant la crise sanitaire où les soignants ont été placés en situation de devoir répondre à tout, avance Nathalie Nion. Il y a bien sûr en parallèle la crise du système de santé, les difficultés de recrutement, les charges de travail excessives, qui font que les soignants se trouvent dans des conditions mentales difficiles. »
Reste que le plan du gouvernement a, selon Nathalie Nion, au moins un avantage : il amorce la conversation autour de ce sujet qui n’est pas toujours vécu comme prioritaire par les équipes. Elle précise d'ailleurs, « cela fait plus de 20 ans qu’il y a des législations, des actions mises en place, avec par exemple la création de l’ONVS en 2005, la création des conventions santé-sécurité dans les établissements, puis les conventions santé-sécurité justice », beaucoup de soignants ont encore tendance à se placer dans une attitude dite de « victimation ». « Ils considèrent que le patient, que son entourage a peut-être raison de s’énerver, que le fait qu’on ne puisse répondre à son problème justifie en quelque sorte la violence », constate-t-elle. Une attitude exacerbée « pour les patients présentant des troubles psychiatriques, pour lesquels on a encore plus de sous-déclaration, car les victimes considèrent que les violences sont dues à la pathologie de leur auteur », regrette-t-elle.
Sans aller jusqu’à parler de tabou, il faut donc prendre en compte la difficulté qu’il peut y avoir à évoquer le sujet dans les équipes, et c’est, selon Nathalie Nion un facteur que l’encadrement doit avoir en tête. « Il faut être capable de repérer des choses qui ne sont pas forcément dites ",conseille-t-elle. "Et il ne faut pas hésiter à débriefer ce genre d’évènement, comme on le fait pour les évènements indésirables." Au besoin, ajoute la cadre supérieure, les équipes peuvent recourir aux services de personnes spécialisées, « car on n’a pas forcément toutes les compétences en interne ».
La grande question, bien sûr, est de savoir si les mesures présentées par le ministère de la Santé fin septembre réussiront, au-delà de l’amélioration du cadre de travail des soignants, à redorer l’image des métiers de la santé, comme le ministère semble l’espérer. « Lutter efficacement contre ces agressions est donc de nécessité publique, à la fois pour la santé des professionnels de santé mais aussi pour l’attractivité des métiers », peut-on ainsi lire dans le dossier de presse concocté par l’avenue Duquesne pour accompagner la sortie du plan. Et c’est aussi ce que semble vouloir croire Nathalie Nion, avec un peu plus de prudence. « Le lien entre attractivité et violence n’est pas forcément direct mais il existe, analyse cette dernière. L’attractivité, comme la violence d’ailleurs, est un phénomène multifactoriel, mais la sécurité peut être un élément supplémentaire pour que des étudiants s’engagent dans les professions de santé, et cela peut aussi être un facteur de fidélisation de ceux qui sont déjà en poste. »
Mais comme toujours, l’important n’est peut-être pas le plan, mais son application. « Il faudra maintenant voir la façon dont se plan se décline », avertit Nathalie Nion. La cadre supérieure note que le plan mentionne en toutes lettres que certaines mesures, comme les dispositifs d’alerte, doivent être financés. Reste à savoir comment les textes législatifs actuellement en discussion, à commencer par le Projet de loi de finance (PLF) et le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) mettront en musique ces bonnes intentions.