DOSSIER
MsEd, formatrice en hypnose, hypnothérapeute (Dublin), membre de l’Institut Milton Erickson du Québec
La communication avec les personnes souffrant de troubles cognitifs dans le cadre des soins représente un défi fréquent pour les équipes soignantes. Les incompréhensions et les réactions négatives qui en résultent peuvent épuiser le personnel, engendrer de l’agitation chez les patients âgés et créer des tensions au sein des familles. Cet article explore l’intégration de l’hypnose comme outil efficace auprès des personnes âgées, soulignant son potentiel pour apaiser et améliorer les soins, tout en mettant en évidence les méthodes et les résultats observés dans divers contextes hospitaliers.
Les équipes soignantes rencontrent régulièrement des difficultés de communication avec les personnes ayant des troubles cognitifs liés aux maladies neurodégénératives. Cela entraîne des tensions de part et d’autre, de l’agacement, voire de l’agressivité. Ces énergies négatives épuisent les équipes, provoquent de l’agitation chez la personne âgée et de l’incompréhension au sein des familles.
Sous l’impulsion de certains cadres de santé, des équipes hospitalières ont commencé à intégrer des outils hypnotiques lors de la réalisation d’interventions chirurgicales, d’examens ou de soins divers afin de limiter l’appréhension des patients et de faciliter la gestion de la douleur. Les résultats sont probants. L’hypnose est pourtant jusqu’à présent peu utilisée auprès des personnes âgées, bien qu’elle soit efficace avec une personne ayant un MMS(1) relativement bas, ainsi qu’en témoignent les équipes ayant intégré cet outil au sein de leurs pratiques.
L’hypnose est un état modifié de conscience naturel que le soignant(2) peut amplifier afin d’apporter un apaisement au résident et permettre ainsi la réalisation d’un soin douloureux ou initialement refusé, pourtant essentiel pour son confort ou le maintien de sa dignité. Pour cela, une formation adaptée aux particularités de la population âgée est indispensable.
Des recherches en neuro-imagerie(3) ont révélé qu’il existe, durant l’état de transe, une modification du débit sanguin dans les zones corticales occipitales, frontales, et dans le cortex cingulaire antérieur droit, ainsi qu’une diminution de celui-ci dans les cortex temporaux et pariétaux. Les travaux d’Ernest Rossi ont démontré que l’hypnose modifie l’expression génomique et agit directement sur la plasticité cérébrale. Dans le cadre de la prévention ou du traitement la douleur, ces modifications cérébrales induites permettent de diminuer, voire de stopper la perception de l’intensité ou du caractère inconfortable de celle-ci. Ces techniques classiques sont à adapter en fonction des capacités cognitives de la personne âgée.
Le soignant peut ainsi créer une analgésie par :
- des suggestions (technique du gant magique où un patient est invité, dans l’imaginaire, à mettre un gant sur la zone inconfortable ou celle où le soin va être réalisé, réification(4) ou utilisation de métaphores),
- la diminution de l’attention à la douleur, par l’invitation de la personne à rechercher dans sa mémoire un endroit ou une situation où elle se sent en sécurité, par exemple des souvenirs heureux vécus alors qu’elle avait entre 10 et 30 ans (cette période reste mémorisée plus tardivement en cas de déficit mémoriel),
- la distraction, en posant une question comme : « Est-ce que vous aimez compter ? », si elle en a les capacités cognitives, ou en lui proposant de chanter, ou encore tout simplement de discuter d’un sujet qui l’intéresse,
- la modification de la perception de la douleur (déplacement de la douleur, distorsion du temps, action sur l’intensité de la perception avec un bouton régulateur d’intensité).
Les premiers travaux de recherche, effectués à Liverpool par S. Duff et D. Nightingale(5) en 2007, ont démontré l’efficacité de l’hypnose auprès des personnes âgées ayant des troubles cognitifs. Ces deux chercheurs ont réparti 18 patients âgés vivant en structure en trois groupes qui ont bénéficié soit d’une séance hebdomadaire d’hypnose, soit d’une heure de discussion, soit d’une simple rencontre pour le troisième groupe. Leurs observations ont porté sur 7 critères : concentration, relaxation, motivation, activités quotidiennes, mémoire immédiate, mémoire d’événements significatifs de la vie et socialisation. Au terme des travaux qui se sont déroulés sur trois trimestres, les chercheurs ont observé une amélioration de tous les critères, sauf celui de la relaxation. Ce résultat était toujours positif une année plus tard. Ils ont émis l’hypothèse que cette progression cognitive était liée à une réduction de l’anxiété et de la dépression, entraînant de fait une meilleure utilisation des ressources disponibles.
Il est impératif que le soignant utilisant l’outil hypnotique travaille uniquement dans son champ de compétence. Cet accompagnement spécifique doit être réalisé par des personnes spécifiquement formées et disposant des compétences nécessaires. Toutefois, les équipes soignantes peuvent intégrer en seulement trois jours quelques outils directement utilisables dans le champ des soins techniques et de nursing.
La question clé est celle de la stratégie à mettre en place afin d’intégrer cet outil. C’est le rôle du cadre. Deux méthodes se présentent et peuvent se combiner entre elles :
- former quelques membres de l’équipe lors d’une formation longue, à charge pour ces personnes de transmettre leurs acquis aux autres professionnels et d’être référent en cas de situation complexe. Cependant, trop souvent, sans dynamique de projet institutionnel, ce groupe s’épuise et abandonne progressivement ses acquis. Dans certaines structures, une partie de l’équipe ne comprend pas l’intérêt de l’outil et une personne formée peut s’entendre dire, par exemple : « Va faire ton truc à Madame X. pour la calmer »… Si le cadre de santé n’est pas partie prenante dans ce projet, la personne formée se sent rapidement en porte-à-faux et dénigrée dans ses nouvelles compétences qu’elle ne maîtrise pas encore suffisamment. L’abandon se profile ;
- former un groupe plus important de professionnels, dont le cadre lui-même, sur une durée de trois jours afin de leur permettre d’acquérir quelques techniques rapidement opérationnelles. Dès le deuxième jour de formation, ces stagiaires peuvent mettre en place leurs premiers acquis lors d’un soin réalisé quotidiennement et donc maîtrisé.
Ces techniques portent sur l’apprentissage de certains outils hypnotiques :
- le pacing(6) avec un travail sur la respiration, la voix et la posture non verbale, puis la recherche d’un lieu de sécurité temporel pour induire une hypnose conversationnelle. Pour cela, sous l’impulsion du cadre, les équipes sont invitées à réaliser pour chaque résident une fiche de taille A4 dénommée « Photo Sécure© »(7) qui présente quelques photos de périodes heureuses de sa vie antérieure. Chaque soignant pénétrant dans la chambre peut ainsi capter, d’un regard sur cette fiche, un thème qu’il pourra utiliser en hypnose conversationnelle (figure 1). Cette fiche peut également être rajoutée au dossier de liaison unique (DLU) lorsque la personne est hospitalisée, facilitant ainsi son accompagnement ;
- l’utilisation de métaphores grâce à la créativité des soignants : par exemple, flaques et vagues à la plage, bruine chaude et confortable, lac, ruisseau… illustrent le contact avec l’eau lors de la toilette.
Les stagiaires reviennent généralement de leur mise en situation avec les yeux scintillants : le résident ordinairement rétracté s’est détendu, limitant ainsi les efforts lors de manutentions ; la personne insultante et proférant des menaces de mort lors de sa toilette intime, a caressé son chat en peluche et laissé le soignant effectuer le geste sans réagir violemment ; le résident réfractaire à sa glycémie capillaire a parlé avec plaisir de vacances qu’il passait sur les routes espagnoles au volant de sa deux-chevaux. Il a oublié l’agacement ressenti lors de ce soin quotidien et, de plus, il ne perçoit plus la sensation inconfortable de la ponction. L’infirmière a évoqué des buissons de roses ou une cueillette de mûres au moment où la lancette transperçait la pulpe du doigt. Ainsi, le lien avec « l’histoire » racontée donne du sens à la perception de la piqûre.
Comme le rappelle Paul Watzlawick, « On ne peut pas ne pas communiquer »(8). Chaque membre de l’équipe doit donc être conscient qu’il émet en permanence un message que la personne âgée va capter malgré ses difficultés cognitives.
Par ailleurs, il arrive exceptionnellement que le soin se soit moins bien déroulé. Dans ce cas, il est utile de s’interroger sur les raisons qui ont conduit à une impasse (figure 2). Bien souvent, après analyse, le stagiaire comprend qu’il a adopté une posture non verbale inadéquate : par exemple, il a réveillé brutalement la personne âgée, ou est arrivé trop rapidement, induisant immédiatement chez la personne un état de panique ; ou bien il a parlé trop fort... Dans ces situations, le « pacing » n’a pas été respecté. Cette étape permet aux stagiaires de percevoir l’importance de la communication non verbale qui, selon Paul Watzlawick(8), correspond à 75 % des messages émis.
Certaines réactions de personnes âgées peuvent être mieux comprises grâce aux travaux du Pr. Stephen Porgès(9) qui a modélisé la « théorie polyvagale » selon laquelle les êtres humains utilisent trois modes de fonctionnement liés au système nerveux autonome :
- l’engagement social, dans lequel l’individu peut échanger de manière paisible lorsqu’il se sent en sécurité. Le nerf vagal ventral étant aux commandes, la personne est en totale confiance lors des soins ;
- la mobilisation lors de perception de danger, régulée par le système sympathique. La personne entre en mode « combat » ou « fuite » devant un danger apparent. Le risque de maltraitance est accru ;
- l’effondrement, régulé par le nerf vagal dorsal, quand la personne se sent impuissante. Celle-ci risque alors de se déconnecter encore davantage de son entourage.
S. Porgès a également remarqué que les êtres humains possèdent un système de détection inconscient qui interprète en permanence l’environnement afin de déceler toute indication de danger : la neuroception. Or, certains résidents âgés ont besoin de davantage de temps pour comprendre les informations qu’ils reçoivent. Si la personne est surprise quand le soignant entre trop rapidement dans sa « bulle », cela peut engendrer chez elle de la peur ou de la panique, déclenchant l’activation du système sympathique et entraînant une montée d’agitation. Dans d’autres situations perçues comme angoissantes par la personne âgée, celle-ci peut aller jusqu’à s’effondrer. Il est donc essentiel que les accompagnants sachent mettre en place une co-régulation (figure 3) pour que la personne âgée retrouve un engagement social (vagal ventral) qui soit confortable pour elle. Ne sachant plus réguler sa posture en fonction des situations, l’aide d’un soignant utilisant le pacing est essentielle pour l’aider à revenir à un engagement social dans lequel, se sentant en sécurité, elle pourra retrouver de la sérénité.
Le nombre de résidents ayant des troubles cognitifs est en hausse dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Dans le même temps, il existe une augmentation des difficultés rencontrées par les soignants lors de la réalisation des soins, une majoration de l’inconfort, de la douleur ou de l’angoisse chez le patient ou le résident. Le cadre de santé, dans le contexte d’un projet collectif, peut aider l’équipe à intégrer certains outils émanant de l’hypnose afin de faciliter l’accompagnement des personnes âgées, tout d’abord en mettant en œuvre un « Photo Sécure© », fiche apposée dans la chambre permettant de repérer immédiatement le « lieu de sécurité » de la personne. La communication est ainsi facilitée et permet de créer une alliance en utilisant le « pacing », technique de communication hypnogène. Ces outils contribuent à l’amélioration de la qualité de vie des résidents comme à celle des professionnels de santé.
Lors de leurs communications professionnelles, les soignants sont formés à utiliser des mots précis. Toutefois, ceux-ci sont aussi trop souvent employés pour expliquer les soins aux personnes âgées. Il faut imaginer ce que le résident peut ressentir lorsque, respirant un aérosol, il entend : « Inspirez, expirez » : ce dernier terme a également le sens de « décéder ». Connaissons-nous tous les détails de la vie de cette personne ? Elle a peut-être été confrontée, lors de son enfance, à des décès choquants ? Il est utile, aussi, de penser à cette phrase récurrente dite gentiment à la personne âgée attendant l’ascenseur : « Je vous descends »… et de limiter les mots induisant de la douleur comme « Attention, je vous pique », par exemple, lors d’une ponction. Une conversation informelle sur « l’endroit de sécurité » de la personne peut détourner son attention et l’aider à se décentrer du soin en cours.
Le cadre peut ainsi aider l’équipe à lister toutes ces phrases qui peuvent lever de l’inquiétude chez la personne âgée et trouver une alternative adéquate. Cela peut prendre la forme d’un jeu collectif lors d’une réunion d’équipe. Progressivement, le vocabulaire de communication se modifiera, devenant plus adapté à la personne âgée présentant des troubles cognitifs.
1. MMS : mini mental score pour l’évaluation des troubles cognitifs (mémoire à court terme et à long terme, troubles du langage, troubles de l’orientation spatiale). http://sgca.fr/outils/mms.pdf
2. Les psychologues peuvent également utiliser cet outil dans le cadre spécifique de leur champ de compétence.
3. Faymonville M-E, Boly M, Laureys S. Functional neuroanatomy of the hypnotic state. J Physiol 2006 ; 99 : 463-9.
4. Réification : technique qui consiste à donner les caractéristiques d’une chose à la douleur.
5. Duff SC, Nightingale DJ. Alternative Approaches to Supporting Individuals With Dementia: Enhancing Quality of Life Through Hypnosis. Alzheimer's Care Today 2007 ; 8(4) : 321-331.
6. Pacing ou accordage : aller au rythme de la personne, sa respiration, sa communication non verbale, etc.
7. Perennou G, Didelot C. Accompagner les résidents en Ehpad lors de soins complexes. Repères en gériatrie 2023 ; 214 (25).
8. Watzlawick P, Helmick Beavin J, Jackson DD. Une logique de la communication. Points ; 2014.
- Floccia M. Hypnose en pratiques gériatriques. Dunod, 2020.
- Perennou G. L’hypnose pour les personnes âgées. Satas, 2017.
- Perennou G, Sirvain S. Hypnose et personnes âgées. À paraître en mai 2024.
- Sirvain S, Perennou G. Hypnose et maladie d’Alzheimer. Revue de l’hypnose et de la santé 2023 ; 2.
- Sirvain S. L’hypnose, l’adhésion par la communication. Repères en Gériatrie 2021 (23) ; 193.