DOSSIER
Geneviève Perennou Chantal Galès-Darrieu
MsEd, formatrice en hypnose, hypnothérapeute (Dublin), membre de l’Institut Milton Erickson du QuébecCadre supérieure de santé, formatrice en communication thérapeutique et en autohypnose à l’Institut Émergences de Rennes
Si management et encadrement vont de pair, la référence à l’hypnose peut paraître étrange, voire incongrue. Pourtant, pourquoi toutes ces techniques de communication issues de l’hypnose médicale, dont se servent les personnels soignants formés, seraient-elles réservées aux seuls patients pour leur mieux-être ? Les soignants, médicaux ou paramédicaux, ont également besoin d’être aidés dans leurs tâches auprès des patients et dans leurs diverses relations, hiérarchiques ou non, au sein des services de soins. Les connaissances et compétences sont nécessaires mais ne peuvent suffire sans une communication adaptée avec tous les acteurs du monde hospitalier.
Le meilleur outil que nous connaissons et avons eu la possibilité d’utiliser au bénéfice des équipes hospitalières, correspond aux techniques de communication issues de l’hypnose médicale. Cela nécessite que les cadres de santé bénéficient d’une formation adaptée à leur fonction et leur permettant d’être performant. Décider de soigner les patients et ensuite d’encadrer une équipe relève d’une autre démarche triangulaire qu’il nous faut comprendre : pourquoi ce besoin ou cette envie ? Les raisons peuvent être diverses. Une seule est à notre sens justifiée : participer, par de nouvelles connaissances et des apprentissages, à améliorer le séjour des patients dans les services de soin ou à domicile, par un désir de qualité et un management adapté des équipes.
Le positionnement du cadre est parfois inconfortable car le regard des équipes peut être cruel. La présence du cadre est souvent invisible ou non perçue par le personnel soignant qui considère qu’il n’est « jamais où on l’attend » (Bourret P., 2006)(1). L’institution attend de la rentabilité de la part du cadre de santé, en limitant le nombre d’arrêts de travail et en répondant favorablement aux injonctions qui peuvent être parfois paradoxales. Ce fonctionnement s’est instauré à partir de la mise en place progressive de la T2A(2). L’équipe médicale, subissant elle aussi cette contrainte comptable, évolue davantage aujourd’hui vers une coopération plus étroite, comme le souhaitent certaines agences régionales de santé (ARS).
Le cadre occupe un rôle clé grâce à sa posture de « marginal sécant »(3). Grâce à ce positionnement et en utilisant la communication, il peut travailler à l’élaboration et au maintien du lien social entre les différents professionnels de son unité, et au sein de l’institution. Ce travail relationnel permet de favoriser une cohésion des équipes et certaines parviennent à mettre en place une réelle coopération qui ne peut s’instaurer que dans une confiance mutuelle. Jacques Lecomte(4), psychologue du travail, indique que la compétition est infructueuse alors que « La coopération est un facteur-clé d’excellence professionnelle ». Le cadre a un rôle primordial pour amener le groupe à se positionner dans cette coopération, permettant de contribuer au bien-être au travail et à l’efficacité des professionnels. Cette coopération s’instaure si la conception du soin est partagée au sein de l’équipe avec une reconnaissance mutuelle des compétences (encadré 1). Une communication fluide et efficace dans le cadre d’un esprit d’équipe est indispensable pour favoriser la confiance et une ambiance satisfaisante au travail.
Ainsi, dans tous les domaines d’activité, la hiérarchie n’a de raison d’être que si elle est aidante. Un management trop directif, en supprimant toute notion de créativité, ne permet pas au soignant de s’épanouir, d’être heureux au travail et bienveillant avec les patients. C’est une réaction en chaîne : il n’y a pas de management efficace dans l’autoritarisme.
La communication fonctionne en boucle, l’émetteur devenant à son tour récepteur et inversement. Il est nécessaire pour se comprendre d’utiliser un canal commun : si je ne comprends pas l’anglais et que mon interlocuteur ne parle que cette langue, notre communication verbale s’en trouvera difficile. Nous aurons recours à d’autres moyens comme la communication non verbale, c’est-à-dire nos gestes et expressions volontaires, et la communication paraverbale : notre intonation et nos mimiques. Nous communiquons grâce à nos cinq sens : la vue, l’audition, le toucher, l’odorat et le goût. Ceux-ci sont également sollicités dans les soins sous hypnose. Pour chacun d’entre nous, chaque sens peut être plus ou moins performant, avec l’utilisation d’un vocabulaire spécifique au sens prioritaire. Ainsi, « le visuel » indiquera « Je vois », tandis que « l’auditif » dira « J’entends ». Il est important que le cadre repère son propre canal privilégié de communication et qu’il puisse, afin de mieux communiquer, utiliser consciemment les autres canaux pour être davantage en lien avec son ou ses interlocuteurs.
Attardons-nous maintenant sur un paramètre de notre communication(5), la mémoire, afin de mieux nous comprendre, saisir le fonctionnement de chaque membre de l’équipe et l’équipe dans son ensemble.
La mémoire émotionnelle ou implicite est une mémoire à long terme, puissante car elle correspond à nos émotions (positives ou négatives). Elle ne s’efface pas, contrairement à certaines connaissances pour lesquelles nous devons opérer des mises à jour régulières. Il existe une grande différence entre la réalité extérieure et ce que nous percevons et retenons, car notre cerveau assimile seulement 20 % de cette réalité extérieure. Nous reconstruisons 80 % de notre propre réalité à partir de nos croyances et de nos paramètres de communication liés à nos sens(6). C’est ce que nous nommons notre réalité intérieure, notre « créalité » ou encore notre construction mentale. Nous devons être conscients de ce mécanisme car au sein d’une équipe, en toute bonne foi, plusieurs réalités peuvent cohabiter et cela peut entraîner des conflits.
- Une vigilance à l’observation permanente de l’équipe dans son ensemble est indispensable : « Observez, observez, observez ! » disait Milton Erikson(7), sans oublier l’observation de chaque membre de cette équipe. Il s’agit d’être attentif aux trois V : verbal, paraverbal et non verbal. Le passage quotidien dans le service, particulièrement à la prise de poste, permet une observation fine du « pouls » de l’équipe et une réactivité immédiate si nécessaire.
Cette observation permet également de repérer immédiatement un signe nommé « transe d’alerte », phénomène collectif au sein d’une équipe, paralysant les fonctions intellectuelles et donc la capacité à réfléchir et à agir rapidement si besoin. Cette notion de transe négative peut également apparaître individuellement lors d’évènements perçus comme stressants : entretien, réunion, évaluation, etc. En repérant immédiatement ce mécanisme dans lequel la personne se fige, le cadre a la capacité de ramener le ou les professionnels vers une réalité plus confortable à travers une communication sécurisante. Le professionnel ou l’équipe se sentiront ainsi soutenus et seront donc plus performants dans leurs missions. Ce repérage immédiat participera également à la prévention des arrêts de travail et du burnout, générés en partie par des transes d’alerte répétées. Le cadre peut lui-même vivre ces moments inconfortables. L’apprentissage de l’autohypnose peut l’aider à revenir rapidement à un ressenti plus satisfaisant.
- Une attention particulière doit être portée à l’utilisation de la négation. Si vous dites à votre interlocuteur : « Ne pense pas au camion rouge des pompiers », il va automatiquement visualiser un camion rouge de pompier, car le cerveau ne comprend pas la négation. Le cadre doit donc s’attacher à utiliser des phrases à connotation positive. Ainsi, la phrase « Ne passez pas votre temps devant les plannings » réactive le besoin de contrôler ceux-ci ! Il est conseillé de dire par exemple : « Rassurez-vous, je vous tiendrai régulièrement informés des changements éventuels des plannings, et nous en parlerons ensemble ».
- Le recadrage consiste à faire prendre conscience à l’interlocuteur de ce qu’il vient de dire ou de faire, de façon consciente ou inconsciente. Il permet d’apporter une compréhension autre sur un évènement qui pourra ainsi être vu de manière positive. Cela permet de détacher la personne de son problème. Plusieurs méthodes, utilisées à bon escient et hors situations de crise extrême, ont fait leurs preuves comme la technique d’orientation qui amène à développer « ce qui va bien » dans le service en invitant les équipes à lister et renforcer tous les aspects positifs pour ensuite proposer des solutions adaptées aux difficultés évoquées. La technique de l’échelle d’évaluation analogique, quant à elle, permet de s’appuyer sur les ressources propres à chacun pour se remettre en mouvement. Selon les problématiques, ces deux techniques peuvent être utilisées avec l’équipe ou en situation individuelle.
- Le mirroring(8), par le biais de nos neurones miroirs, nous permet de nous synchroniser de différentes façons avec notre interlocuteur. L’utilisation de cette technique doit être impérativement acquise et utilisée à bon escient.
En apprenant à activer et utiliser ses propres compétences, ressources et facettes de sa personnalité ainsi que celles de chaque membre de l’équipe, le cadre de santé place l’humain au cœur du système de soins. Il participe ainsi à redonner du sens et de la cohérence à sa fonction si déterminante. Nous savons qu’un soignant bien traité est un soignant bien traitant : c’est le rôle du cadre de santé d’y veiller.
Encadré 1
La qualité de l’Encadrement d’une équipe est liée à :
- la Motivation du cadre dans son rôle de manager ;
- la Confiance qu’il a su créer au sein de l’équipe ;
- la Coopération qu’il a su favoriser entre ses membres.
E=MC2 vient de la formule H=MC2 créée par une équipe d’anesthésie de Colmar.
1. Bourret P. Les cadres de santé à l’hôpital, un travail de lien invisible. Seli Arlan ; 2006.
2. T2A : tarification à l’activité, qui a succédé progressivement au budget global depuis 2004 dans le cadre du plan « Hôpital 2007 ».
3. Marginal sécant : « acteur qui est partie prenante dans plusieurs systèmes d’action en relation les uns avec les autres et qui peut, de ce fait, jouer un rôle indispensable d’intermédiaire et d’interprète entre des logiques d’actions différentes, voire contradictoires ». Crozier M, E. Friedberg E. L’acteur et le système. Seuil ; 1992.
4. Lecomte J. Les entreprises humanistes. Les Arènes ; 2016.
5. Tous les outils utilisés en communication hypnotique sont listés et explicités dans l’ouvrage : Perennou G, Galès-Darrieu C. Management, communication, hypnose à l’usage des cadres de santé et autres managers. Satas ; 2021.
6. Watzlawick P. La réalité de la réalité. Confusion, désinformation, communication. Points Essais ; 2014.
7. Erikson M. L’hypnose thérapeutique. ESF ; 2010.
8. L’effet miroir ou mirroring se produit lorsque deux personnes reproduisent involontairement ou volontairement l’attitude de leur interlocuteur, tout comme le font les jeunes enfants. Cet effet existe grâce à la présence dans notre cerveau de neurones miroirs. Il peut être verbal, par les mots utilisés, paraverbal par l’intonation, ou non verbal par les gestes et attitudes. C’est un allié dans la communication car il permet de faire alliance avec notre interlocuteur.