OBJECTIF SOINS n° 0297 du 01/02/2024

 

Pratique hospitalière

DROIT

Avocat à la cour de Lyon

Statut du personnel : révocation pour motif disciplinaire, attitude conflictuelle et agressive ; responsabilité en soins généraux : perte du dossier médical, intervention chirurgicale fautive ; pratique des soins palliatifs ; gangrène de Fournier ; diagnostic d’une dissection aortique ; responsabilité en psychiatrie : suicide lors d’une sortie à l’essai. Voici quelques éléments de jurisprudence en matière de statut et de responsabilité pour les mois de décembre 2023 et janvier 2024.

I/ Statut du personnel

Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale (loi du 13 juillet 1983, art. 29). Il appartient au juge de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire sont établis, s'ils constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

Révocation pour motif disciplinaire

Des faits caractérisés d’insubordination, avec mise en cause de la hiérarchie et ce malgré l’existence de précédents disciplinaires, justifient une sanction de radiation (CAA de Lyon, 10 janvier 2024, n° 22LY03758).

Faits

Un agent d’entretien d’un CHU était titulaire depuis 2004. Le 8 avril 2020, il a harcelé ses supérieurs hiérarchiques au téléphone, en proférant des menaces. Le 1er septembre 2020, il a contesté les ordres du chef d'équipe et a eu de nouveau une attitude menaçante, avant de quitter son poste en se déclarant gréviste. Le 23 septembre 2020, alors qu'il était en état d'ébriété, il s'est montré insistant auprès d'une collègue féminine, ne portait pas de masque, puis a quitté son poste de travail en se déclarant gréviste. Enfin, de janvier 2019 à septembre 2020, il a fait preuve d'un absentéisme récurrent et d'un manque de ponctualité, se traduisant par onze jours d'absence irrégulière et trente-quatre retards de plus de dix minutes. Il s’est vue infliger la sanction disciplinaire de la révocation.

La preuve des faits

Il ressort des messages électroniques échangés le 8 avril 2020 entre les supérieurs hiérarchiques de l’agent et de l'entretien s'étant tenu le 23 octobre 2020 entre ce dernier, la directrice de la direction transversale « pharmacie stérilisation » et l'un de ses encadrants, que l’agent a contacté ses supérieurs le 8 avril, à neuf reprises, par téléphone, pour avertir de son absence, expliquant avec une grande confusion qu'il se déclarait gréviste, alors même qu'il convenait qu'aucune grève n'avait lieu, et qu’il a finalement proféré des menaces envers l'un de ses supérieurs.

Il ressort d'un message électronique d’un agent de maîtrise du 1er septembre 2020 que l’agent, sous l'emprise de l'alcool et mécontent de la commande dont l'exécution lui avait été assignée, a réclamé qu'elle lui soit retirée, a proféré des menaces à l'adresse de l'agent de maîtrise, puis s'est déclaré en grève pour la journée. L’agent dénonce le caractère injuste de la répartition des tâches à la pharmacie centrale, mais son attitude irrespectueuse et menaçante est établie.

Par un message adressé le 23 septembre 2020 à la directrice de la direction transversale de la pharmacie centrale et stérilisation, une cadre de cette direction a signalé qu'une femme en charge de la propreté lui avait rapporté que l’agent, sous l'emprise de l'alcool, lui avait tenu des propos insistants, et ne portait pas de masque. Il lui avait été fourni deux masques de types différents, mais il les a refusés et a quitté son poste en se déclarant en grève.

Au cours de son entretien avec la directrice de la direction transversale de la pharmacie centrale et désinfection le 23 octobre 2020, l’agent n'a pas nié avoir accusé des retards de plus de dix minutes à trente-quatre reprises depuis janvier 2019, se bornant à souligner qu'il s'agissait de retards de moins d'un quart d'heure. En outre, il a été noté absent sans autorisation préalable ni autre motif, le 11 janvier 2019, le 18 mars 2019, du 8 au 14 avril 2019 et le 19 décembre 2019, et il ne justifie pas d’un motif. Les griefs sont donc établis.

La sanction

Ces faits constituent un manquement aux obligations de dignité, d'intégrité et d'obéissance hiérarchique. Ils ont ainsi un caractère fautif et sont de nature à justifier une sanction disciplinaire. L’agent justifie souffrir d'un état dépressif, mais aucune pièce n’établit que son discernement aurait été aboli ou altéré par sa maladie, ou qu'il existerait un lien entre son état de santé et le comportement qui lui est reproché.

Par ailleurs, il avait fait l'objet en 2005 d'une sanction d'exclusion temporaire de quinze jours dont douze avec sursis pour le vol d'une clé USB, son utilisation à des fins personnelles et la détérioration des fichiers qu'elle contenait, et en 2019 d'une nouvelle sanction d'exclusion temporaire d'une durée de quinze jours, dont huit jours avec sursis, pour des menaces et insultes adressées à un chef d'équipe lors d'appels téléphoniques, des propos irrespectueux et sexistes concernant une pharmacienne et un manque de ponctualité et d'assiduité, soit pour des faits similaires à ceux qui ont été retenus par la décision en litige du 25 mars 2021. Eu égard à la répétition des fautes, dans un contexte où ce comportement a perturbé gravement le fonctionnement du service public de santé auquel il était affecté, en période de crise sanitaire, la sanction de la révocation ne présente pas un caractère disproportionné.

L’attitude conflictuelle et agressive d’une aide-soignante est une faute disciplinaire qui, vu la persistance du comportement, justifie une sanction de trois mois de suspension (CAA de Douai, 9 janvier 2024, n° 22DA02369).

Faits

Une aide-soignante exerçait au service d’un établissement public de santé dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée depuis le 1er mai 2017. Le directeur de cet hôpital l’a exclue de ses fonctions pour une durée de trois mois par un arrêté du 4 juillet 2018.

Discussion

L’aide-soignante a adopté régulièrement une attitude conflictuelle et agressive à l'égard de ses collègues. En effet, un courriel envoyé le 18 décembre 2017 au nom de l'équipe de garde du samedi 2 décembre 2017 après-midi mentionne un « comportement agressif, mensonger et menaçant ». Dans un courriel adressé à sa hiérarchie le 14 janvier 2018, une infirmière de nuit rapporte que cette aide-soignante « provoque et cherche constamment des conflits avec ses collègues et les autres équipes et se laisse facilement emporter ».

Une altercation est survenue entre l’aide-soignante et ses collègues le 2 décembre 2017, à propos de l'administration d'un traitement antiparkinsonien. Une seconde algarade l'a opposée à une autre de ses collègues le 13 janvier 2018, dans des conditions ayant justifié qu'il en soit immédiatement référé à l'administrateur de garde. Enfin, nonobstant son changement d'affectation dans l'intérêt du service à compter du 17 janvier 2018, ses collègues indiquent ne plus souhaiter travailler à ses côtés.

Il résulte par ailleurs du courriel de l'équipe de garde du samedi 2 décembre 2017 après-midi, de celui du 14 janvier 2018 d'une infirmière de nuit et enfin du rapport d'enquête établi en mai 2018 par la cadre paramédicale de pôle et coordinatrice de l'équipe de nuit, que l’aide-soignante a témoigné à plusieurs reprises d'une attitude brusque et agressive à l'égard des patients, plusieurs d'entre eux ayant même fait savoir qu'ils ne souhaitaient plus être pris en charge par elle.

En outre, l’aide-soignante méconnaît régulièrement les règles d'hygiène lors de la toilette des patients et lors de la préparation de leurs repas. Enfin, elle reconnaît avoir affublé au moins un des patients d'un surnom à connotation raciste. En conséquence, les faits sont établis.

La sanction

Eu égard, d'une part, à leur nombre, à leur répétition, à leur gravité et aux incidences qu'ils sont susceptibles d'avoir sur le fonctionnement du service et la sécurité des soins et, d'autre part, à l'absence d'amélioration de l'attitude de l’agent malgré les démarches préalablement entreprises par l'établissement, notamment son entretien avec la directrice des soins, de la qualité et des relations avec les usagers le 17 janvier 2018 et son affectation dans un nouveau service à la même date, les faits doivent être regardés comme justifiant l’exclusion de trois mois, qui n’est pas disproportionnée.

esponsabilité en soins généraux

Tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (CSP, Art. L. 1142-1 I).

Le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s'aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s'il y a lieu, de concours appropriés (CSP, Art. R. 4127-33).

Perte du dossier médical

La perte du dossier médical ne conduit pas à présumer la faute de l’hôpital, et le juge doit apprécier la portée des autres éléments disponibles, en l’occurrence les correspondances établissant la carence des parents dans les soins nécessités par leur enfant (CAA de Douai, 9 janvier 2024, n° 22DA01111).

Faits

Le 25 octobre 1988, une enfant est née à la maternité d’un centre hospitalier. À l'âge de deux ans, elle présentait une boiterie de la marche et elle a été prise en charge au centre hospitalier en raison d'une luxation de sa hanche droite qui a nécessité plusieurs opérations dans cet établissement, intervenues du 26 avril au 7 juin 1991, du 12 juillet au 4 septembre 1991 et du 7 mai au 21 juin 1992, afin de repositionner la tête fémorale dans son emplacement naturel et de l'immobiliser par la pose d'un plâtre.

Insatisfaite de la prise en charge de sa fille à Lens, la mère de l'enfant a consulté un CHRU où, outre un traitement à base de physiothérapie au cours des mois de février et mars 1993, des interventions chirurgicales ont été réalisées en novembre 1993, juin 1994, juin 1995, juin 1996, décembre 1996, mars 1997, ainsi qu'une rééducation de la hanche à compter du mois de janvier 1997. En dépit des multiples interventions chirurgicales réalisées, l'évolution de la pathologie s'est révélée défavorable en raison d'une dégradation de l'articulation coxo-fémorale nécessitant de procéder à la pose d'une prothèse totale du bassin réalisée du 24 septembre au 2 octobre 2006 au CHRU.

Les phénomènes douloureux persistant, la patiente a été hospitalisée au sein de cet établissement du 29 décembre 2014 au 6 janvier 2015 pour un changement de l'implant. À compter de cette date, elle a présenté des séquelles consistant en une marche limitée avec boiterie, des lombalgies ainsi que des douleurs au niveau des cuisses irradiant jusqu'aux genoux, représentant un déficit fonctionnel permanent de 20 %.

Non-production du dossier

Le centre hospitalier n'a pas été en mesure de produire le dossier médical de naissance, ni aucune autre pièce, avant l'année 1991, alors qu'il avait l'obligation de conserver ce dossier jusqu'au vingt-huitième anniversaire de la patiente (CSP, Art. R. 1112-7).

Toutefois, l'incapacité d'un établissement de santé à communiquer aux experts judiciaires l'intégralité d'un dossier médical n'est pas, en tant que telle, de nature à établir l'existence de manquements fautifs dans la prise en charge du patient. Il appartient au juge de tenir compte de ce que le dossier médical est incomplet dans l'appréciation portée sur les éléments qui lui sont soumis pour apprécier l'existence des fautes reprochées à l'établissement dans la prise en charge du patient.

Discussion sur la faute

En l'absence de ce dossier médical de naissance et compte tenu des éléments disponibles, l’expert a estimé que l'existence d'une erreur de diagnostic de la luxation congénitale de la hanche de l'enfant n'est pas établie. Aucun manquement n'a été commis par le centre hospitalier dans la prise en charge à partir de l'année 1991. Il résulte en particulier d’une lettre du 14 septembre 1992 adressée par un praticien du service orthopédique à un institut spécialisé que le diagnostic de luxation de la hanche a été posé dès la naissance de l'enfant mais que les parents n'ont alors pas estimé utile de la faire prendre en charge.

Ainsi, cette luxation a été « négligée », selon un autre courrier du 6 janvier 1991, en raison d'une « mauvaise surveillance familiale » ayant nécessité plusieurs changements de plâtre et la reprise du traitement initial. Par un jugement du 13 novembre 1991, le tribunal pour enfants a d’ailleurs ordonné le placement de l’enfant auprès des services du département en raison de négligences parentales, en mentionnant que « la mère semble aujourd'hui avoir pris la mesure des problèmes de santé de l’enfant ». Dès lors, malgré la faute qu’est la perte du dossier, la responsabilité du centre hospitalier est écartée.

La responsabilité est engagée pour une intervention chirurgicale suite à une fracture de l’épaule mal choisie, mal réalisée et mal suivie, mais la cour ne retient qu’une perte de chance, car la fracture était complexe (CAA de Douai, 9 janvier 2024, n° 21DA00206).

Faits

Le 12 novembre 2011, un homme né 1954 a été victime d'une chute à son domicile qui lui a occasionné une fracture de l'épaule droite. Il s'est présenté le lendemain dans un centre hospitalier où une fracture complexe à plusieurs fragments avec déplacement intra-articulaire de l'extrémité supérieure de l'humérus droit a été diagnostiquée. Il a subi, le 15 novembre 2011, une intervention d'ostéosynthèse par clou centromédullaire verrouillé. En l'absence d'amélioration de l'état de son épaule, il a subi, le 13 juin 2012, une intervention visant à poser une prothèse.

Discussion

Avant de procéder à une ostéosynthèse, et compte tenu de l'existence d'un doute sur le nombre précis de fragments de la tête humérale fracturée lors de la chute et le déplacement intra-articulaire de l'extrémité supérieure de l'humérus, le chirurgien aurait dû réaliser un scanner préopératoire. Par ailleurs, le geste chirurgical réalisé le 15 novembre 2011 n'était pas adapté aux particularités de cette fracture, le praticien hospitalier ayant réalisé une ostéosynthèse par clou centromédullaire verrouillé en omettant de recourir à la méthode dite du « bilboquet ». L’action du chirurgien a eu pour effet de perforer la tête humérale, ce qui l'a fragilisée davantage et a diminué les chances de tenue des vis d'ostéosynthèse et, faute d'avoir entièrement enfoncé le clou dans la partie osseuse, sa partie émergée a porté atteinte au muscle situé au-dessus de la tête humérale, lequel joue un rôle essentiel dans la mobilité de l'épaule.

Compte tenu de ces manquements, le patient a développé un cal vicieux, qui se manifeste par la consolidation de l'os dans une position anormale. Cette situation exigeait une reprise chirurgicale rapide et non, comme l'a recommandé à tort le praticien, une rééducation qui ne permettait en aucun cas de remédier au cal vicieux.

Un chirurgien libéral, exerçant dans une clinique, a procédé le 13 juin 2012 à l'ablation du matériel d'ostéosynthèse réalisé par son confrère hospitalier et il a procédé à la pose d'un implant d'interposition en pyrocarbone. Cette intervention a permis d'améliorer la mobilité de l'épaule, de soulager la douleur et de diminuer le déficit fonctionnel. Une infection par bactérie Cubibacterium Acnes a été diagnostiquée lors de la prise en charge du patient à la clinique, et elle a été contractée lors de l'opération du 15 novembre 2011. Néanmoins, elle a fait l'objet d'un traitement adéquat et n'a pas aggravé l'état de santé du patient.

Cet état de santé est imputable aux fautes commises lors de sa prise en charge au centre hospitalier, dont la responsabilité est engagée. Toutefois, compte tenu de la gravité et de la complexité de la fracture de l'épaule, une prise en charge dans les règles de l'art du patient n'aurait pas permis une réparation totale de la tête humérale et l'aurait conduit à conserver des séquelles, de sorte que seuls 90 % des dommages subis sont imputables à l’établissement.

Dans une prise en charge de soins palliatifs, la Cour retient une faute de l’infirmière à ne pas avoir appelé un médecin, qui était disponible, mais elle écarte toute faute dans l’administration des traitements (CAA de Lyon, 20 décembre 2023, n° 22LY02651).

Une patiente, née en 1943, a été prise en charge en soins palliatifs par un centre hospitalier à compter du 15 octobre 2018. Elle y est décédée le 23 décembre 2018 à 17 h 05.

Permanence médicale non sollicitée

Le premier grief est que l'organisation des permanences et astreintes des médecins n'a pas permis d'assurer la continuité des soins de la patiente dès lors qu'aucun médecin, de garde ou d'astreinte, n'a été mobilisé les 22 et 23 décembre 2018 avant le décès.

Un médecin, qui n'était ni d'astreinte, ni de garde, a été contactée par téléphone le dimanche 23 décembre 2018 en fin de matinée puis à 14 h 30. Il a donné à l'infirmière de garde l'autorisation de mettre en place un pousse-seringue électrique pour l'administration de morphine en continu afin de soulager les douleurs, puis d'administrer un bolus de 10 mg de morphine et d'augmenter le débit du pousse-seringue, et a également recommandé d'appeler le médecin de garde pour entendre la fille de la patiente au sujet d'une procédure de sédation profonde par Hypnovel®. Cependant, aucun médecin de garde ou d'astreinte n'a été contacté par l'infirmière de garde le 23 décembre 2018 avant le décès de la patiente. Cette abstention doit être regardée comme une carence dans l'organisation du service de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier.

Administration de la morphine

Le deuxième grief est que les soins n'ont pas été conformes aux prescriptions médicales dès lors que l'infirmière de garde dans la nuit du 22 au 23 décembre 2018 a refusé l'administration de morphine en continu et a imposé le respect d'un délai de quatre heures entre deux administrations de morphine.

Le rapport de transmissions ciblées établit que le médecin avait prescrit l’administration de morphine toutes les 4 heures, ou de façon plus rapprochée en fonction de la douleur, et que l'administration de morphine en continu par pousse-seringue électrique n'a été prescrite que le 23 décembre en fin de matinée. Ce rapport, ainsi que celui du pharmacien du centre hospitalier, établissent que ces prescriptions ont été respectées, la patiente ayant reçu 10 mg de morphine en sous-cutané toutes les quatre heures du 21 décembre à 21 h au 23 décembre à 10 h, puis en perfusion sous-cutanée au pousse-seringue à compter du 23 décembre à midi. Par ailleurs, il ne résulte pas du dossier que l'état de la patiente aurait nécessité une administration supplémentaire de morphine entre 3 h 30 et 7 h le 23 décembre. Dans ces conditions, les prescriptions médicales ont bien été respectées.

Administration du Valium

Le troisième grief est que la patiente a subi une interruption dans l'administration de Valium® dans la nuit du 22 au 23 décembre 2018.

Le rapport du pharmacien du centre hospitalier établit que du Valium® 10 mg / 2 mL a été prescrit en intrarectal le 21 décembre si besoin le soir, puis le 22 décembre en systématique le soir et à avancer si besoin. L'administration d'une ampoule a été réalisée le 22 décembre à 17 h, deux ampoules étant prévues pour le 23 décembre au soir. Par suite, la patiente n'a eu à subir aucune interruption dans l'administration de Valium® et celle-ci, en l'espèce par voie intrarectale, a été faite selon les modalités résultant des prescriptions médicales.

Non-disponibilité de l’Hypnovel

Le quatrième grief est que la non-disponibilité d'Hypnovel® et d'une pompe à morphine contrôlée par le patient dans un service de soins palliatifs est fautive.

Si un dispositif analgésique contrôlé par le patient, qui permet d'assurer la meilleure prise en charge de la douleur selon l'expert, n'est pas disponible, la mise en place d'un pousse-seringue électrique, qui délivre également de la morphine en continu, les bolus étant réalisés par les infirmières, est conforme à la bonne pratique. Par ailleurs, l'usage de l'Hypnovel® demeurait rare en France à la date de la prise en charge, et l'usage du Valium® pour soulager les douleurs d'un patient en phase terminale ne constitue pas un manquement, même si le mode d'administration peut être regardé comme peu adapté en l'espèce. En tout état de cause, la prescription anticipée d'un protocole Hypnovel® n'est pas établie par les éléments du dossier et la prescription et les modalités d'administration de Valium® relèvent d'une prescription médicale.

Enfin, l'expert indique que si, de son point de vue, la prise en charge de la phase agonique de la patiente n'était médicalement pas la plus adaptée à la situation, les soins de vie de la patiente ont été dispensés dans les règles de l'art et les soins médicaux ont été administrés dans le respect des prescriptions du médecin. S'agissant des essais d'aspiration bronchique, s'ils ont pu aggraver l'inconfort de la fin de vie aux dires de l'expert, il résulte de l'instruction qu'ils ont été pratiqués à la demande et sur l'insistance de la fille de la patiente.

Alors que les signes cliniques n’étaient pas clairs, le diagnostic en cours d’hospitalisation d’une gangrène de Fournier a été fait à temps, compte tenu de l’évolution, et la sévérité des séquelles ne permet pas de déduire l’existence d’une faute (CAA de Nancy, 5 décembre 2023, n° 21NC00020).

Faits

Un homme, né en 1948, s'est rendu, le 29 avril 2017, au service des urgences d’un centre hospitalier en raison d'un ténesme rectal, accompagné de glaires jaunâtres dans la marge anale, de troubles du transit et d'une fébricule. Après un examen clinique n'ayant rien révélé d'anormal, il a fait l'objet d'un lavement évacuateur, qui a contribué à le soulager, puis a été autorisé à rentrer chez lui, avec la préconisation d'une consultation gastro-entérologique aux fins de la réalisation d'une rectoscopie.

Les douleurs ayant repris dès le lendemain, le patient a, le 2 mai 2017, consulté son médecin traitant, qui a constaté la présence d'un abcès à la fesse et l’a placé sous antibiothérapie. Le 3 mai, il a été pris en charge au service des urgences du centre hospitalier, où le médecin présent, avant d'autoriser le retour à son domicile, a procédé à un examen clinique, confirmant l'existence de cet abcès et décidant en conséquence d'adapter le traitement antibiotique initialement prescrit.

Face à la persistance des douleurs, le patient a été hospitalisé, dans la nuit du 4 au 5 mai 2017, dans un CHU. Présentant une orchi-épididymite gauche et un placard inflammatoire au niveau du scrotum, il a rapidement développé une gangrène de Fournier, diagnostiquée le 7 mai 2017 et opérée le jour même. Cette intervention a été suivie, le 9 mai 2017, d'une colostomie, d'une ablation de son testicule gauche et d'une mise en nourrice de sa verge.

Discussion

La gangrène de Fournier, pathologie inflammatoire d'origine infectieuse qui a altéré l'état de santé du patient, n'a été diagnostiquée que le 7 mai 2017, plus de quarante-huit heures après son admission au service des urgences du CHU, et elle a été immédiatement traitée. Selon les experts, il était impossible de la diagnostiquer plus tôt, d'autant plus qu'elle n'était probablement pas encore évolutive au moment de la prise en charge par le CHU dans la nuit du 4 au 5 mai 2017.

De même, eu égard aux symptômes présentés par l'intéressé, dont le tableau clinique s'est avéré alors peu informatif, et aux résultats des examens biologiques et cliniques pratiqués, les soins dispensés lors de ses passages au service des urgences du centre hospitalier, les 29 avril et 3 mai 2017, ont été attentifs, consciencieux et conformes aux bonnes pratiques médicales.

Ces conclusions ont été vivement contestées par le patient. Celui-ci a produit une « revue de littérature récente » sur la gangrène de Fournier, datée de 2009, que mentionnait le rapport d'expertise, en soutenant que le rapport serait en contradiction avec cette étude, en ce que les auteurs de cette dernière indiquent que « devant toute infection des tissus mous des organes génitaux, la possibilité d'une gangrène de Fournier doit être évoquée en premier ». Cette même étude souligne cependant aussi que celle-ci constitue une maladie particulièrement insidieuse, dont le taux de mortalité demeure élevé, de 16 à 40 %, et dont le délai moyen de diagnostic s'établit à six jours.

La faute n’est pas de ne pas avoir diagnostiqué une dissection aortique aigüe de type A mais d’avoir négligé des examens diagnostiques, à effecteur dans un cadre hospitalier, ce qui aurait renforcé les chances de traiter la dissection (CAA de Bordeaux, 21 décembre 2023, n° 21BX04732).

Faits

Un chauffeur routier âgé de 42 ans a été admis au service des urgences d’un CHU le 10 avril 2015, après avoir été victime, sur son lieu de travail, d'un malaise sans perte de connaissance, avec douleurs de la fosse lombaire. Au vu de la normalité de l'examen clinique, en particulier cardiovasculaire, des résultats de l'électrocardiogramme et du bilan biologique qui n'a mis en évidence qu'une hyperleucocytose, il a été diagnostiqué un simple malaise vagal avec douleurs lombaires. Le patient a été autorisé à regagner son domicile, avec une prescription pour réaliser un contrôle biologique.

Face à la persistance de ses douleurs, il a consulté, les 11, 14 et 18 avril au matin, son médecin traitant, qui lui a délivré des arrêts de travail et diagnostiqué un lumbago. Lors de la dernière consultation, il lui a prescrit une radiographie du rachis lombaire en raison d'une protéine C réactive (CRP) qui demeurait élevée. Le même jour, à 16 h, le patient a perdu connaissance à son domicile. Malgré les soins de réanimation, le décès a été constaté à 16 h 55. L'autopsie a par la suite conclu que le décès était secondaire à une dissection aortique aiguë de type A touchant l'aorte de la crosse jusqu'au carrefour aorto-iliaque.

Discussion

Le patient a présenté le 10 avril 2015 à 8 h 30 un malaise sans perte de connaissance, mais accompagné de bouffées de chaleur, de sueurs et de paresthésies dans les mains et suivi pendant environ deux heures d'une douleur de la cuisse droite, avec engourdissement du membre inférieur droit résolutif spontanément. À l'issue de l'examen clinique et biologique, qui ont été jugés comme normaux, le médecin a conclu à un malaise vagal accompagné de douleurs lombaires.

Selon l'expertise assurée par un chirurgien thoracique et cardiovasculaire, ce diagnostic ne repose sur aucun élément clinique de certitude, son auteur relevant qu'un malaise vagal s'accompagne d'une hypotension et survient le plus souvent après un repas ou lors d'un changement de position, alors que l’intéressé avait déjeuné légèrement, comme d'habitude, à 6 h, qu'il se trouvait au volant de son camion lors du malaise et qu'il présentait des chiffres tensionnels élevés.

Les douleurs dorso-lombaires chez une victime relativement jeune, qui ont justifié son transport au CHU par les pompiers, ainsi que les paresthésies et engourdissements douloureux des membres, témoignant d'une ischémie, auraient dû alerter le médecin urgentiste et le conduire à placer le patient en observation afin de réaliser d'autres explorations, en vue d'éliminer le diagnostic de dissection aortique qui est souvent un diagnostic par défaut, après avoir écarté d'autres pathologies. Une simple radiographie du thorax aurait montré un élargissement du médiastin qui aurait justifié la réalisation d'un scanner permettant de poser le bon diagnostic, et la consultation d'un confrère cardiologue, avec une échographie transthoracique, aurait pu éviter l'erreur de diagnostic.

Pour remettre en cause l'expertise, l’établissement s'appuie sur l'avis établi en 2018 par un professeur, chef de service de chirurgie vasculaire, qui affirme que la prise en charge a été conforme aux données de la science, dès lors que la victime ne présentait aucun antécédent, qu'il n'avait pas de douleur thoracique, « maître-symptôme » de la dissection aortique aiguë, mais seulement des paresthésies résolutives spontanément et une lombalgie, toutes deux peu intenses, et pouvant être rattachées au surpoids et au métier de chauffeur routier qu'il exerçait, et enfin qu'aucun signe clinique n'était évocateur d'un tel diagnostic d'une pathologie qui survient en général chez un homme de plus de 60 ans.

Toutefois, l'expert, qui a tenu compte de la difficulté de diagnostiquer cette pathologie, a précisé que la dissection aortique touche les personnes de tout âge, 30 % des patients ayant entre 17 et 59 ans, et que, si elle se manifeste principalement par une douleur thoracique, elle peut aussi occasionner des douleurs notamment dorsales ou abdominales. L'examen clinique était insuffisant, puisque que si les pouls périphériques étaient perçus, il n'a pas été vérifié qu'ils étaient symétriques, ni qu'ils étaient tous présents aux membres supérieurs, alors que l'asymétrie des pouls est un marqueur de cette pathologie. Aussi, l’arrêt des investigations est fautif.

La pathologie présentée entraîne un risque fatal qui s'accroît au fur et à mesure du retard, puisqu'il est de 1 % par heure de retard pendant les premières heures avant d'atteindre 60 % à huit jours. Une prise en charge chirurgicale, en urgence, consistant en une intervention cardiovasculaire sous circulation extracorporelle et en hypothermie, n'est pas sans risque, la mortalité oscillant entre 10 et 30 %. Dans ces conditions, la perte de chance de survie a été estimée à 70 %.

III/ Responsabilité en psychiatrie

Pour établir l'existence d'une faute dans l'organisation du service hospitalier au titre du défaut de surveillance d'un patient atteint d'une pathologie psychiatrique, le juge doit notamment tenir compte, lorsque l'état de santé de ce patient fait courir le risque qu'il commette un acte agressif à son égard ou à l'égard d'autrui, non seulement de la pathologie en cause et du caractère effectivement prévisible d'un tel passage à l'acte, mais également du régime d'hospitalisation, libre ou sous contrainte, ainsi que des mesures que devait prendre le service, compte tenu de ses caractéristiques et des moyens dont il disposait.

Suicide lors d’une sortie à l’essai

Alors qu’un patient s’est suicidé par arme à feu à l’occasion d’une sortie à l’essai, la faute de l’équipe n’est pas retenue car la prise en charge était attentive, et rien n’orientait vers un risque suicidaire (CAA de Toulouse, 28 décembre 2023, n° 22TL21206).

Faits

Par arrêté du 14 avril 2009, le préfet a décidé l'hospitalisation d'office d’un homme dans un centre hospitalier spécialisé. Par arrêté du 27 juillet 2009, il a accordé à l'intéressé une autorisation de sortie d'essai prévue le 29 juillet 2009, au vu d'un certificat médical établi le 27 juillet 2009 par un médecin de l'établissement public de santé. À l'occasion de cette sortie, le patient, alors âgé de 40 ans, a mis fin à ses jours à son domicile avec une arme à feu.

Droit applicable

Afin de favoriser leur guérison, leur réadaptation ou leur réinsertion sociale, les personnes qui ont fait l'objet d'une hospitalisation sous contrainte peuvent bénéficier d'aménagements de leurs conditions de traitement sous forme de sorties d'essai (CSP, Art, L. 3211-11). La sortie d'essai comporte une surveillance médicale. Sa durée ne peut dépasser trois mois, et elle est renouvelable. Le suivi de la sortie d'essai est assuré par le secteur psychiatrique compétent. Dans le cas d'une hospitalisation d'office, la décision est prise par le préfet, sur proposition écrite et motivée d'un psychiatre de l'établissement d'accueil.

Discussion

Selon l’expertise, le patient a bénéficié durant son hospitalisation d'un suivi médical intense et rigoureux. Les évaluations régulières du psychiatre, corroborées par celles des soignants, ont mis en évidence une amélioration lente de l'état du patient, qui a conduit le psychiatre à proposer une première sortie d'essai, accordée par un arrêté préfectoral du 20 juillet 2009. À la suite de cette première sortie qui a eu lieu le 23 juillet 2009 et qui s'est bien déroulée, le psychiatre a rencontré à trois reprises le patient sans avoir relevé un quelconque signe clinique morbide ou signe mettant en évidence une situation de péril pour ce patient, dont l'état apparaissait stationnaire. Les informations détenues par le médecin psychiatre ayant établi le certificat préalable à la seconde sortie d'essai recoupaient les différentes données transcrites par l'équipe pluridisciplinaire et l’expert a conclu qu’il n'y avait pas lieu de suspendre la sortie d'essai du 29 juillet 2009. Par ailleurs, ni les médecins du centre hospitalier, ni la mère du défunt n'avaient eu connaissance de ce que la patient avait fait l'acquisition d'une arme à feu. Dans ces circonstances, en l'absence d'argument clinique laissant à penser qu'il existait un risque suicidaire, il n'y avait pas lieu de suspendre la sortie d'essai du 29 juillet 2009, ni de l'assortir de mesures de surveillance particulières. La faute est écartée.