OBJECTIF SOINS n° 0297 du 01/02/2024

 

DOSSIER

Stéphane Pasquet  

Cadre infirmier anesthésiste, Caresp, CHU Rennes (35)

La formation peut générer du stress et de la vulnérabilité chez les élèves aides-soignants. Lors des stages, certains d’entre eux vivent des expériences émotionnellement intenses, déstabilisantes, voire traumatisantes. L’hypnose est un outil qui peut leur permettre d’exprimer et de réguler leurs émotions, tout en prévenant les risques d’échec liés au stress.

La profession aide-soignante a récemment évolué(1,2). Elle est reconnue comme étant très exigeante et à haut niveau de stress(3). Les études d’aide-soignant, comme celles en sciences infirmières(4), sont source de stress pour les élèves aides-soignants (EAS) qui évoquent des objectifs de performance intellectuelle et technique(5). Cette problématique du stress en formation suit d’ailleurs les aides-soignants lorsque ceux-ci poursuivent des études en sciences infirmières(6). Ce stress peut les conduire au burnout, y compris en lien avec des éléments d’ordre personnel(7). Parmi ces élèves, les plus jeunes se situent dans une période de transition entre l’adolescence(8) et l’âge adulte, avec des problématiques identitaires(9) et de construction de soi(10). L’articulation entre la vie personnelle et les études est souvent problématique, notamment lorsque les EAS sont parents(11). En parallèle des dispositifs proposés par les instituts de formation(12–14), les EAS développent des stratégies de coping(15) qui sont souvent insuffisantes pour lutter contre les effets du stress, pouvant aller jusqu’à l’échec. Certains dispositifs, comme la méditation de pleine conscience, sont proposés aux étudiants de différentes filières qui vivent des événements difficiles lors de leur parcours académique(16). L’hypnose et l’apprentissage de l’autohypnose semblent également constituer des moyens tout indiqués pour lutter contre ce stress(17).

Méthode

À partir de la sollicitation du coordonnateur de deux instituts de formation (Ifas), qui avait identifié des problématiques de stress chez les EAS, notamment en lien avec les examens, les équipes pédagogiques de ces Ifas ont proposé un programme de « préparation mentale » (comme ils l’avaient nommé) à des EAS volontaires sous forme d’hypnose ou de sophrologie en groupe. L’opportunité de la disponibilité d’un formateur formé à l’hypnose ericksonienne a été saisie, sachant qu’une expérience similaire était conjointement proposée à des étudiants en sciences infirmières, avec ce même praticien, selon une approche individuelle(18).

À la suite de cette expérience, une analyse rétrospective à visée exploratoire a été menée. L’objectif principal de cette démarche était d’évaluer les effets de la pratique de l’hypnose sur le stress et la régulation émotionnelle des EAS au cours du processus de formation. L’objectif secondaire visait à évaluer l’acceptabilité et la faisabilité de l’implantation de l’hypnose dans le curriculum de formation aide-soignante.

Résultats

Pendant un an, environ 40 EAS ont bénéficié d’une sensibilisation et d’un accompagnement en hypnose avec le formateur, praticien en hypnose ericksonienne. Un premier temps d’information aux promotions a été organisé. Il comprenait la présentation du programme, des échanges à propos des connaissances, des croyances et représentations de l’hypnose. Des groupes de 6 à 10 participants ont été composés sur la base du volontariat. Au total, chaque EAS volontaire a bénéficié de 2 à 4 séances d’une durée d’une heure (selon les contraintes du calendrier de formation). Les participants étaient âgés de 18 à 50 ans et en majorité des femmes (80 % environ),

Déroulement des séances

Des séances collectives d’hypnose ericksonnienne(19) étaient proposées aux EAS volontaires. La participation à chaque séance était libre, ce qui faisait varier la composition des groupes de 6 à 10 participants. Ces séances se déroulaient dans une salle de cours ou de détente de l’institut, sur les heures de cours. Il s’agissait pour la quasi-totalité des EAS d’une première expérience avec l’hypnose(20).

Importance de la première rencontre

Ce premier temps consistait d’abord à réaliser l’anamnèse. Il permettait aussi d’évaluer leur niveau de motivation et de coopération(21), bien qu’il s’agisse théoriquement d’une démarche volontaire. Toute hypnose formelle était proscrite à ce stade.

Ce temps permettait d’instaurer l’alliance EAS/praticien, sachant que ce dernier ne connaissait pas les EAS antérieurement. L’hypnose était présentée aux EAS comme un état de conscience modifié(22) favorisant la mobilisation de ressources internes(23). Enfin, ce premier entretien permettait au praticien d’identifier le problème, de s’assurer de la possibilité de collaboration et d’établir un objectif stratégique(24) le plus personnalisé possible.

Il permettait également au praticien de repérer des éléments de souffrance personnelle et d’identifier la capacité/risque des EAS à participer, en particulier des personnes présentant déjà des signes de dissociation psychique (ex : douleur chronique).

Contenu des séances

À la fin de la première séance, le praticien prescrivait une à deux tâches (la même pour tous), afin d’évaluer la coopération des EAS et d’évaluer des effets précoces d’un processus de changement. Pour cela, la méthode des dessins de Joyce Mills(25) a été utile.

Au cours des séances suivantes, différents outils ont été utilisés. La cohérence cardiaque était systématiquement proposée aux EAS. Elle était présentée via une application gratuite, installée sur leur smartphone (outil maîtrisé et apprécié par les EAS). Le niveau d’observance était important, sur la base de deux séances quotidiennes. L’utilisation de l’application (sans musique) faisait systématiquement l’objet d’une éducation de la part du praticien à la fin de la première séance.

L’hypnose conversationnelle était systématiquement employée par le praticien lors des échanges. Les autres techniques utilisées étaient majoritairement : le lieu de sécurité et l’ancrage corporel, la réification ou la projection dans l’avenir, etc.

Principaux symptômes ou motifs de participation

Les principaux motifs de participation évoqués par les EAS étaient le stress, le manque ou la perte de confiance, la pression de la réussite aux examens, les difficultés de concentration, des croyances limitantes (« Je ne suis pas fait pour … »), les troubles du sommeil. Si aucun d’entre eux ne formulait la demande d’augmenter ses performances en formation, la pression de la réussite aux différents examens, dont l’obtention du diplôme d’État, était réellement présente chez tous.

Le praticien n’avait pas pour objectif d’augmenter les performances individuelles des EAS, mais plutôt de permettre à chaque personne de mobiliser ses propres ressources, afin de diminuer le niveau de stress et d’augmenter le niveau de confiance.

Effets psychologiques du processus d’apprentissage

Cette expérience a confirmé que le processus d’apprentissage était source de vulnérabilité (qu’il s’agisse des enseignements théoriques ou des stages). Parmi les facteurs de vulnérabilité liés à l’environnement, figuraient au premier plan : la peur de l’échec aux examens, les relations avec les professionnels et le vécu émotionnel durant les stages, le vécu difficile de l’écart entre l’idéal et la réalité du métier.

Liens avec la vie personnelle

Tous les EAS rapportaient des éléments et des événements de leur vie personnelle. Ils expliquaient comment ceux-ci interagissaient avec le processus de formation. Ainsi, le stress s’exprimait de façon synergique et difficilement dissociable entre les éléments personnels et professionnels. Des événements traumatisants personnels et liés à des vécus en formation ont été rapportés par plusieurs personnes. Dans tous les cas, des troubles du sommeil et des difficultés de concentration étaient présents et à l’origine de la demande de ces étudiants.

Discussion

Limites

Notre propos consistait ici à évoquer et partager une expérience. Aucune question de recherche n’a été posée au préalable. Il s’agissait avant tout de répondre à une problématique pratique.

L’objectif principal de cette démarche était d’évaluer les effets de la pratique de l’hypnose sur le stress et la régulation émotionnelle des EAS au cours du processus de formation. Sur ce premier point, les observations et les résultats recueillis suggèrent des effets positifs de l’hypnose sur le stress et la régulation émotionnelle des EAS au cours du processus de formation. L’objectif secondaire, qui visait à évaluer l’acceptabilité et la faisabilité de l’implantation de l’hypnose dans le curriculum de formation aide-soignante, est atteint également, tant du point de vue des participants que du formateur praticien.

Les résultats de cette expérience permettent d’envisager la mise en place de dispositifs d’accompagnement des étudiants plus formalisés, qui favorisent à la fois le bien-être et la qualité de vie en formation, puis la résilience des EAS(26). À ce moment, il sera souhaitable d’adopter une démarche scientifique, de façon à obtenir des résultats basés sur des données probantes en utilisant des outils validés. Une approche méthodologique mixte semble pertinente.

Contrairement à une approche individuelle, l’approche collective en hypnose nécessite de poser des objectifs différents et probablement moins personnalisés. Il est de fait moins évident d’évaluer les bénéfices individuels. Lors des futures expériences, il sera nécessaire d’affiner les objectifs afin d’évaluer la pertinence de l’approche individuelle et/ou collective.

Des effets psychiques et physiques du stress en formation

Tout comme le stress imprime le corps des EAS, l’hypnose agit beaucoup sur les manifestations corporelles du stress(27). C’est un axe important de cette expérience, qui met l’accent sur la nécessité d’observer attentivement les EAS lors des entretiens, des cours et des divers échanges, y compris sur les terrains de stage. Dans leur état, ceux-ci manifestent parfois leurs « âges clandestins »(8). Autrement dit, une personne âgée de 40 ans peut parfois parler ou se comporter comme un adolescent de 16 ans et inversement, en fonction de son histoire personnelle et de son état émotionnel.

De plus, les événements vécus en formation ravivent parfois des traumatismes psychiques qui peuvent impacter l’apprentissage et la santé des EAS.

Les évaluations génèrent du stress, qui lui-même peut altérer les performances. Des études ont montré le bénéfice de l’hypnose sur la réduction du stress en lien avec ces évaluations(28).

Une relation pédagogique et/ou thérapeutique ?

Le référentiel de formation actuel(2) permet aux EAS d’exprimer leur vécu expérientiel au cours de la formation grâce à des dispositifs favorisant un recul réflexif. Toutefois, et malgré leur intérêt, ces dispositifs sont-ils suffisants ? En effet, lors des stages, certains EAS vivent des expériences émotionnellement intenses, déstabilisantes, voire traumatisantes(29,30), pouvant aller parfois jusqu’à provoquer un syndrome de stress post-traumatique.

Si la finalité de l’accompagnement vise la réussite et l’obtention du diplôme, il n’en reste pas moins que la démarche d’accompagnement pédagogique est globale. Comme pour les étudiants en sciences infirmières (et certainement les autres étudiants en santé), celle-ci doit nécessairement prendre en compte les éléments de la vie personnelle qui interfèrent avec l’apprentissage et l’acquisition des compétences(18).

Cela souligne la nécessité de l’alliance dans la relation pédagogique. Les EAS ont parfois confié au praticien des informations qu’elles n’avaient jamais données auparavant à leur médecin, à leurs parents ou à d’autres personnes de confiance. Cela pose la question du statut et de la posture du praticien : peut-il être à la fois formateur et praticien en hypnose ? En quoi le statut de formateur peut-il impacter (dans un sens ou un autre) la relation de confiance avec les EAS et les effets de cette pratique ?

Une démarche de développement des compétences

Comme en thérapie, la pratique de l’hypnose en contexte de formation relève d’un acte intentionnel et relationnel(31). Lorsque le praticien est aussi formateur évaluateur, l’alliance thérapeutique, qu’Antoine Bioy décrit comme un processus(32), est primordiale car « Elle agit comme un médiateur du changement. Le cadre devient sécurisant et contenant ».

L’hypnose est un outil qui permet aux EAS de reconnaître, d’exprimer et de réguler leurs émotions. La pratique de l’auto-hypnose les aide à réduire leur niveau de stress(33). Bien qu’il ne soit pas envisagé comme une thérapie, cet accompagnement s’appuie sur la démarche d’hypnose ericksonienne et la thérapie brève et créative(24). Ainsi, cet accompagnement permet aux EAS de vivre une expérience hypnotique, source d’apprentissages et de changement. Cette chaîne d’expériences aide les EAS à développer des compétences personnelles, émotionnelles et professionnelles.

Il est évident que le bon sens du praticien et son expérience clinique sont indispensables, de façon à demeurer dans son champ de compétences et d’adresser les EAS dont la situation le nécessite à des professionnels de santé qualifiés et expérimentés.

Conclusion

Les EAS vivent des changements intenses en formation initiale. Le vécu émotionnel en formation est lui aussi intense et parfois difficilement gérable par les EAS. Comme le sportif(34) et les autres étudiants en santé, les EAS doivent être préparés, motivés et accompagnés. Avant tout, l’hypnose est un acte de relation, base de l’accompagnement des personnes et des professionnels en devenir. C’est pourquoi elle semble constituer un outil permettant de diminuer le stress et d’améliorer la régulation émotionnelle en formation. Les membres de l’équipe pédagogique jouent un rôle clé dans le dépistage précoce du stress. À ce titre, ils peuvent proposer des interventions adaptées comme l’hypnose(35).

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