DOSSIER
MsEd, formatrice en hypnose, hypnothérapeute (Dublin), membre de l’Institut Milton Erickson du Québec
L’hypnose est progressivement acceptée comme un outil bénéfique dans le domaine des soins, même si certaines conceptions négatives persistent encore. Il reste donc crucial de promouvoir une culture favorable et une sensibilisation accrue des professionnels de santé afin de dépasser les préjugés existants. L’intégration naturelle de l’hypnose dans le soutien bienveillant des équipes et des étudiants en soins infirmiers constitue également une piste pertinente pour les cadres de santé.
L’hypnose, encore parfois entourée de représentations négatives, émerge de plus en plus comme un outil puissant dans le domaine du soin. Des recherches récentes ont démontré ses effets positifs lors de son utilisation au cours de thérapies cognitivo-comportementales (Ramondo et al., 2021)(1), dans l’analgésie (Patterson et al., 2021)(2), la gestion de la douleur (Milling et al., 2021)(3), l’amélioration du sommeil (Elkins et al., 2021)(4), la réduction du stress (Slonena & Elkins, 2021)(5), et dans le traitement de troubles médicaux et psychologiques (Elkins, 2022)(6). Toutefois, pour développer son usage, une « culture hypnotique » doit être développée afin de surmonter les idées préconçues à son sujet (Carvello et al., 2021)(7). Une étude française récente (Cano Romero et al., 2022)(8) a en effet révélé des résultats quelque peu décourageants, montrant qu’une minorité des infirmières interrogées considérait l’utilisation de l’hypnose comme « indiscutablement acceptable » dans la prise en charge de la douleur après une intervention chirurgicale. Ces conclusions suggèrent qu’il est impératif d’accroître la sensibilisation des professionnels de santé aux données probantes en faveur de l’hypnose clinique pour la réduction de la douleur et la gestion des procédures de soin (Eaton et al., 2021)(9).
En ce qui concerne l’application de l’hypnose chez les personnes âgées, là où certaines croyances suggéraient que cela n’était pas envisageable, les résultats indiquent une réceptivité à l’hypnose allant de modérée à élevée. Bien qu’une amélioration des symptômes ait été observée, des ajustements ont été nécessaires en raison de troubles de l’attention (Wawrziczny et al., 2021)(10).
De même, il serait pertinent d’informer davantage les patients sur les bénéfices de cet outil. Une étude menée par Montgomery et al. (2018)(11) portant sur 509 sujets a interrogé les opinions et préférences concernant l’hypnose. Les résultats suggèrent qu’il serait pertinent de susciter un intérêt accru pour cette pratique au sein de la population. Ceci pourrait être réalisé en corrigeant les idées préconçues que les patients peuvent avoir à son sujet et en renforçant leurs convictions positives à l’égard de l’hypnose.
En France, déjà utilisée au 19e siècle en psychiatrie, l’hypnose rencontre un succès grandissant depuis les années 1980. Pourtant, elle reste encore parfois considérée comme sulfureuse à cause des associations avec l’hypnose de spectacle.
L’état hypnotique a toujours existé, bien qu’il ait été désigné sous différentes appellations au fil du temps. Il y a près de 3000 ans, en Égypte, sous Ramsès XII, une stèle gravée montre la transcription d’une séance d’hypnose. Plus tard, les moniales celtes utilisent le chant autour du patient pour favoriser la guérison, une pratique reprise ultérieurement par le Pape Grégoire sous le nom de chants grégoriens. Les chamans, druides et sorciers, en utilisant la suggestibilité, emploient également naturellement cet outil depuis des temps immémoriaux.
Sous le nom de « magnétisme animal », l’hypnose atteint son apogée peu avant la Révolution française, grâce à Anton Messmer. En Angleterre, James Braid développe la technique de fixation d’un point pour induire l’état hypnotique et forge le terme « hypnose ». Le docteur Parker, à Dublin, réalise de nombreuses interventions sous état hypnotique. Cependant, dans les années 1850, l’utilisation du chloroforme met un terme à ce type de pratique.
Les années 1850 sont marquées par l’avènement de l’école de Nancy, dirigée par le médecin Ambroise-Auguste Liébeault et le psychologue Hippolyte Bernheim. Ces pionniers contribuent à définir l’hypnose comme un état naturel et développent des approches thérapeutiques fondées sur la suggestion. Leurs travaux diffèrent de ceux de l’école de La Salpêtrière, dirigée par Jean-Martin Charcot, qui considérait l’hypnose comme un phénomène pathologique. Pierre Janet, figure importante de la psychologie française, introduit le terme de subconscient et fait progresser la thérapie du trauma en utilisant l’hypnose.
Au début du 20e siècle, Milton Erickson(12) révolutionne l’approche de la psychothérapie en introduisant une nouvelle perspective de l’inconscient. Selon lui, celui-ci n’est pas une partie obscure de l’individu mais plutôt une ressource que Michel Kerouac (2016) qualifie de « Vieux Sage »(13). Cette conception positive représente une véritable richesse pour l’individu, lui permettant de trouver des réponses adéquates aux défis rencontrés. Si le patient a une difficulté, il a les ressources pour y faire face !
Progressivement, l’hypnose se diffuse en France à partir des années 1990, grâce aux travaux de Marie-Élisabeth Faymonville à Liège (Belgique). Sa méthode innovante a fait l’objet d’évaluations à travers des études cliniques rétrospectives et prospectives, donnant lieu à de nombreuses publications dans diverses revues professionnelles. Dorénavant, les professionnels du soin de nombreux établissements publics et privés, ainsi que les libéraux, intègrent de plus en plus cet outil.
L’hypnose consiste à induire, par la relation, une modification de la conscience du patient. Il s’agit d’un état de concentration dans lequel la personne focalise son champ de conscience sur un registre précis. Elle peut se définir comme « un état et/ou un processus de conscience modifiée, produit par une induction directe, indirecte ou contextuelle, ressemblant parfois au sommeil, mais physiologiquement distinct, caractérisé par une élévation de la suggestibilité et qui produit, à son tour, certains phénomènes sensoriels et perceptuels »(13).
L’hypnose a prouvé son efficacité au sein des hôpitaux et des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), dans la gestion de la douleur aiguë et chronique et la réduction du stress lors des soins. À titre d’exemple, l’étude KTHYPE(14) a montré que l’utilisation de l’hypnose avait permis une diminution de l’anxiété et une perception de confort accru après la pose d’un cathéter intraveineux périphérique. L’utilisation de l’hypnose est également efficace dans le traitement de certaines problématiques psychologiques, et dans l’accompagnement des personnes ayant des troubles neurocognitifs. Il est essentiel de rappeler que chaque soignant ne peut utiliser cet outil que dans son champ de compétences(15).
Des recherches en neuro-imagerie(16) ont démontré qu’il existe, durant l’état de transe, des modifications repérables dans le fonctionnement cérébral. Ainsi, les études de Jiang et Spiegel(17), en 2017, ont établi l’existence de trois réseaux cérébraux :
- le réseau central exécutif, qui prend en considération les anticipations et les tâches complexes ;
- le réseau de saillance, composé du cortex insulaire antérieur et du cortex cingulaire antérieur. Il coordonne les interactions entre la conscience interne et externe en se basant sur les informations provenant du corps et de l’environnement (Menon, 2010)(18). Cela permet d’identifier les éléments nécessitant une attention particulière ;
- le réseau du mode par défaut, activé lorsque la personne se trouve dans une rêverie : le cerveau est au repos mais actif. En état de transe, l’action et la conscience de cette action sont dissociées, permettant au patient de modifier sa perception de la difficulté à résoudre un problème. Ce réseau joue un rôle crucial dans le fonctionnement de la mémoire, des émotions et de l’introspection. Il mobilise plusieurs zones cérébrales, dont le cortex cingulaire postérieur, le cortex préfrontal médian et le gyrus angulaire.
L’utilisation de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) et du PET-scan a également permis d’identifier les modifications cérébrales induites par l’état hypnotique :
- une désactivation du cortex cingulaire postérieur, responsable de l’aspect émotionnel de la douleur ;
- une modification de l’activation de la zone du précunéus, une petite région corticale au centre du cerveau habituellement impliquée dans la perception et la conscience de soi (Cojan, 2009, 2013)(19, 20) ;
- une modification de l’activité du cortex cingulaire antérieur dorsal, qui intervient dans les processus affectifs et des fonctions cognitives telles que l’anticipation de la récompense, la prise de décision ou le contrôle cognitif. Cette zone permet à la personne de se concentrer sur la résolution d’une problématique, la plongeant ainsi dans sa tâche au point de devenir imperméable aux stimuli extérieurs ;
- une modification du fonctionnement de l’insula (Wolf, 2022)(21), impliquée dans la gestion des émotions, de l’intéroception, de la conscience, et du cortex préfrontal dorsolatéral. Ces zones régulent la flexibilité cognitive et la conscience de soi. Le cerveau contrôle mieux ce qui se passe dans le corps ;
- une modification de la connectivité entre le cortex préfrontal dorsolatéral et le réseau par défaut (Alves, 2019)(22), aidant le cerveau à contrôler ce qui se passe dans le corps. La personne peut ainsi suivre grâce à une dissociation entre action et réflexion, les propositions émises par le thérapeute.
En 2015, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a publié une évaluation des pratiques hypnotiques(23). Ce rapport met en avant l’efficacité de l’hypnose dans diverses situations, notamment en tant que moyen d’hypnosédation lors d’interventions chirurgicales, d’hypnoanalgésie pour atténuer la douleur, et d’hypnothérapie facilitant le travail sur le psychisme. Cette approche offre la possibilité d’explorer des réponses à des comportements difficiles à accepter, tels que des peurs, des phobies ou des comportements compulsifs.
Dans certaines structures, les infirmiers et les cadres de santé intègrent de plus en plus ces nouvelles façons d’utiliser l’hypnose dans leur pratique quotidienne. Citant Barbier et al.(24), la Confédération francophone d’hypnose et de thérapies brèves (CFHTB) indique que « Parallèlement à ce développement de l’apprentissage puis de la pratique de l’hypnose par le corps infirmier, des infirmières, intégrées à un travail d’équipe et encadrées par un responsable médical, peuvent intervenir dans divers domaines comme celui des pathologies chroniques, de la douleur et des pathologies cancéreuses, qu’il s’agisse d’un rôle d’évaluation, de conseil, d’éducation thérapeutique, de relation d’aide ou de dispensation de soins techniques (soins de plaies par exemple) ».
Au-delà de l’utilisation de l’hypnose dans les situations cliniques, les principes hypnotiques peuvent être intégrés par l’encadrement pour développer un environnement bienveillant afin d’accompagner les équipes comme les étudiants au sein des instituts de formation.
Les professionnels de santé utilisant l’hypnose intègrent divers outils (encadré 1) pour induire et guider l’état hypnotique. Des techniques de relaxation profonde aux suggestions verbales spécifiques, ceux-ci sont adaptés aux besoins particuliers des patients comme des professionnels. Certains d’entre eux incorporent également la visualisation, des métaphores et des suggestions post-hypnotiques pour renforcer les effets bénéfiques de l’hypnose. D’après la vision de Milton Erikson, identifiant l’inconscient comme protecteur et réservoir de ressources, il est toujours possible d’accompagner les usagers de manière individualisée afin qu’ils puissent trouver une réponse adaptée à leurs problématiques psychiques ou physiques.
L’hypnose offre un terrain fertile pour l’innovation dans le domaine médical. En explorant les multiples facettes de cette pratique, les infirmiers et les cadres de santé peuvent contribuer à élargir les horizons thérapeutiques comme managériaux, offrant ainsi de nouvelles perspectives pour améliorer la santé et le bien-être des patients, comme la vie des professionnels.
Encadré 1
Quel que soit son statut, infirmier ou cadre, le professionnel peut en toute circonstance utiliser les outils hypnotiques liés à la communication :
- la communication positive avec une vigilance particulière aux mots utilisés et l’abandon de la négation car celle-ci est moins bien comprise par le cerveau. Ainsi, dire à un patient « Ça ne fait pas mal », sera entendu « mal » ;
- l’hypnose conversationnelle, qui s’installe à travers une conversation pouvant être d’apparence banale ;
- l’hypnose formelle, qui débute par une phase d’induction souvent liée à la focalisation d’un point ou d’un élément précis comme une tâche à réaliser, un imaginaire ou une émotion. Le patient peut ainsi vivre un voyage dans l’espace/temps qui sera ressenti comme réel.
1. Ramondo N, Gignac GE, Pestell CF, Byrne SM. Clinical hypnosis as an adjunct to cognitive behavior therapy: An updated meta-analysis. Int J Clin Exp Hypn. 2021 ; 69(2) : 169–202.
2. Patterson DR, Hoffman HG, Chambers G, Bennetts D, Hunner HH, Wiechman SA, Garcia-Palacios A, Jensen MP. Hypnotic Enhancement of Virtual Reality Distraction Analgesia during Thermal Pain: A Randomized Trial. Int J Clin Exp Hypn. 2021 ; 69(2) : 225-245.
3. Milling LS, Valentine KE, LoStimolo, LM, Nett AM, McCarley HS. Hypnosis and the alleviation of clinical pain: A comprehensive meta-analysis. Int J Clin Exp Hypn. 2021; 69(3) : 297–322.
4. Elkins G, Otte J, Carpenter JS, Roberts L, Jackson LS, Kekecs Z, Patterson V, Keith TZ. Hypnosis Intervention for Sleep Disturbance: Determination of Optimal Dose and Method of Delivery for Postmenopausal Women. Int J Clin Exp Hypn. 2021 ; 69(3) : 323-345.
5. Slonena E, Elkins G. Effects of a brief mindful hypnosis intervention on stress reactivity: A randomized active control study. Int J Clin Exp Hypn. 2021 ; 69(4) : 453–467.
6. Elkins G. Clinical hypnosis in health care and treatment. Int J Clin Exp Hypn. 2022 ; 70(1) : 1-3.
7. Carvello M, Lupo R, Muro M, Grilli G, Ogorzalek K, Rubbi I, Artioli G. Nurse's knowledge and perceptions on communicative hypnosis: an observational study. Acta Biomed. 2021 ; 29;92(S2) : e2021027.
8. Cano Romero MD, Munoz Sastre MT, Sorum PC, Mullet E. Positions of french nurses regarding the use of hypnotherapy to relieve pain in postoperative settings. Int J Clin Exp Hypn. 2022 ;70(1) : 68-82.
9. Eaton L, Beck S, Jensen M. An audio-recorded hypnosis intervention for chronic pain management in cancer survivors: A randomized controlled pilot study. Int J Clin Exp Hypn. 2021 ; 69(4) : 422–440.
10. Wawrziczny E, Buquet A, Picard S. Use of hypnosis in the field of dementia: A scoping review. Arch Gerontol Geriatr. 2021 ; 96 : 104453.
11. Montgomery GH, Sucala M, Dillon MJ, Schnur JB. Interest and Attitudes about Hypnosis in a Large Community Sample. Psychol Conscious. 2018 ; 5(2) : 212-220.
12. Erikson M. L’hypnose thérapeutique. ESF ; 2010.
13. Kerouac M. Métaphore, manuel de communication métaphorique. Satas ; 2016.
14. Fusco N, Bernard F, Roelants F, Watremez C, Musellec H, Laviolle B, Beloeil H ; The effect of language and confusion on pain during peripheral intravenous catheterization (KTHYPE) group. Hypnosis and communication reduce pain and anxiety in peripheral intravenous cannulation: Effect of language and confusion on pain during peripheral intravenous catheterization (KTHYPE), a multicentre randomised trial. Br J Anaesth. 2020 ; 124(3) : 292-298.
15. Confédération francophone d’hypnose et de thérapies brèves (CFHTB). Livre blanc de l’hypnose clinique et thérapeutique. 2020. https://www.cfhtb.org/livre-blanc/
16. Faymonville ME, Boly M, Laureys S. Functional neuroanatomy of the hypnotic state. J Physiol. 2006 ; 99(4-6) : 463-9.
19. Cojan, Y. et al. The brain under self-control: modulation of inhibitory and monitoring cortical networks during hypnotic paralysis. Neuron. 2009 ; 62(6) : 862-875.
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21. Wolf TG, Faerber KA, Rummel C, Halsband U, Campus G. Functional Changes in Brain Activity Using Hypnosis: A Systematic Review. Brain Sci. 2022 ; 12 : 108.
22. Alves PN, Foulon C, Karolis V, Bzdok D, Margulies DS, Volle E, Thiebaut de Schotten M. An improved neuroanatomical model of the default-mode network reconciles previous neuroimaging and neuropathological findings. Commun Biol. 2019 ; 2 : 370.
23. Inserm. Évaluation de l’efficacité de la pratique de l’hypnose. 2015. https://www.inserm.fr/wp-content/uploads/2017-11/inserm-rapportthematique-evaluationefficacitehypnose-2015.pdf
24. Barbier E, Étienne R. (dir.). Aide-mémoire d’hypnose en soins infirmiers en 29 notions. Dunod ; 2016.
- Bioy A, Servillat T. Construire la communication thérapeutique avec l’hypnose. Dunod, 2e édition ; 2020.
- Célestin-Lhopiteau I, Wanquet-Thibault P. Hypnose et pratique paramédicale. Optimiser sa clinique, améliorer sa communication et prendre soin de soi. Lamarre ; 2018.
- Servillat T, Bioy A, Lavaud JC. La communication thérapeutique. Transes. 2020/3 ; n°12.
- Watelet L. La communication, ça soigne et ça se soigne. Satas ; 2023.