OBJECTIF SOINS n° 0297 du 01/02/2024

 

ÉTHIQUE

Isabelle Fouet  

Cadre de santé

Toute entreprise devrait disposer d’un axe stratégique dans le domaine des ressources humaines. Les relations harmonieuses entre collègues et entre individus/cadre de santé sont essentielles pour vivre le bien-être au travail. Un travail de recherche s’est intéressé au management humain des cadres de santé hospitaliers dans deux établissements, pour mener une réflexion à partir de la réalité de terrain.

Le management est un objet de recherche très prolifique dans le domaine de l’entreprise et plus particulièrement dans le milieu de la santé entraînant une multitude de questionnements. Dans une période de crise hospitalière, les situations de fragilité individuelles affectant le travail restent multiples. Cet article est l’aboutissement d’une recherche qui s’est déroulée sur une année, permettant de récolter des informations à un instant « t ». Ce travail a été effectué grâce à la collaboration de personnels exerçant dans deux établissements publics, l’un à La Réunion et l’autre dans le Sud de la métropole.

Le cadre de santé, un être humain à part entière

Au fil de notre expérience professionnelle, nous nous sommes façonné une image de ce que devait être un cadre de santé. Celui-ci est avant tout un individu à part entière. Sa posture en tant que professionnel lui est propre : il revêtira sa fonction suivant ses valeurs personnelles, professionnelles, son expérience, sa culture, et tout ce qu’il aura acquis durant sa vie. Ce sont les parcours de chacun d’entre nous, de façon singulière et plurielle, qui permettent la prise de décision.

Afin de manager au mieux pour prendre soin d’une équipe, la proximité est un élément important : qu’est-ce qui nous permet d’affirmer que le cadre est « proche » ou non de l’équipe de soins ? Cette proximité est-elle favorable ou défavorable à un management efficient et à la  cohésion d’équipe ? En tant que cadre de santé, nous devons réinterroger ces faits qui posent les questions des relations professionnelles dans l’équipe. En particulier, en quoi un management éthique du cadre de santé impacte-t-il la cohésion d’équipe ?

L’humain dans le management

Le modèle « Cinq styles de management » de Blake et Mouton(1) est intéressant, avec l’introduction de la notion d’humain : suivant que le leader accorde de l’importance à ses employés ou à la tâche, il emploiera un style de management différent, en fonction de la situation et du contexte. Dans l’organisation des établissements de soins, il s’agit donc de questionner la place que nous voulons donner à l’humain, tant pour nos collaborateurs que pour les patients pris en soins. En cela, le concept de l’éthique est primordial.

Le management éthique : communication et proxémie

Une manière particulière de se conduire, d’agir, de raisonner conduit à un management éthique. Les éléments mis en exergue par les auteurs se rejoignent sur l’approche holistique dans les pratiques managériales. Le rapport entre communication et organisation du travail permet de donner le sens, la direction de l’action collective. Le cadre de santé est le garant de la qualité de la communication, dans son authenticité, sa transparence et sa bienveillance. En tant que médiateur, il traduit et réunit les informations à transmettre. Il occupe, par son statut, une position stratégique dans l’organisation. Il est à la frontière de trois axes : administratif, médical et soignant. Grâce à sa posture et à sa proxémie, il assure l’équité, source de satisfaction et de sérénité psychologique pour l’équipe soignante.

Selon Hall, créer la juste distance professionnelle ne va pas de soi. Celle-ci interroge différentes dimensions : la distance physique adaptée, qui pose la question de l’intime, les distances psychique et relationnelle appropriées, qui sollicitent la capacité de la personne à reconnaître ses émotions et à adapter sa posture et ses modes de communication à la situation et à l’interlocuteur, et surtout la juste distance éthique, qui nous interroge quant à elle sur notre capacité de nous décentrer de nous-mêmes et de porter une réelle attention à l’autre(2).

Management humaniste : confiance et valeurs communes

Le préalable d’un mode de management humaniste réside dans la confiance et dans l’estime que le manager se porte à lui-même, pour être, ensuite, capable d’en témoigner à ses collaborateurs. La confiance est également le résultat du respect de valeurs que tous les individus partagent(3). Elle est un élément de réciprocité : nous devons faire confiance afin que nos interlocuteurs nous fassent confiance en ayant conscience de ce que nous sommes intrinsèquement. La confiance est un chaînon fondamental du management. Chaque équipe est unique, travailler en équipe n’est ni facile ni évident. Le cadre de santé, grâce à ses qualités humaines et managériales, facilite la coopération des soignants pour une prise en soins efficiente du patient.

Toute équipe possède ses propres normes, valeurs et codes moraux dans lesquels chacun se retrouve le plus souvent, ce qui soude ses membres et crée un véritable esprit d’équipe. L’association des qualités professionnelles et personnelles de chacun au service de l’autre sert un objectif et une finalité communs à tous(4). Ainsi, le management humain du cadre de santé permet à l’équipe de se fédérer autour de valeurs communes et auxquelles elle croit. Ces valeurs partagées et l’hétérogénéité sont source de créativité et de « vie » dans l’équipe au profit du patient.

L’exploration de la littérature permet de façon plus précise de poser les postulats suivants :

- le management éthique du cadre de santé, par sa proxémie avec l’équipe soignante pourrait constituer un levier pour la cohésion d’équipe ;

- l’équité, dans le management humain du cadre de santé, pourrait favoriser la confiance.

Matériel et méthode

Une méthodologie qualitative a été utilisée pour l’étude du management éthique, la posture, la confiance et la cohésion d’équipe. « En permettant aux gens d’exprimer librement leurs opinions, points de vue et expériences, les méthodes qualitatives visent à cerner la réalité telle que la définit le groupe à étudier, sans imposer un questionnaire ou un cadre prédéfini »(5). L’utilisation de l’observation participante périphérique est une démarche selon laquelle le chercheur trouve « un équilibre subtil entre le détachement et la participation »(6). L’observation a été menée sur le cadre de santé en situation de management dans son service, puis sur l’équipe elle-même en situation de travail. Cette double observation nous a ainsi permis d’appréhender les attitudes des soignants et la posture du cadre de santé dans les relations interpersonnelles. La population enquêtée était formée de 19 infirmières (IDE), 6 aides-soignantes et 6 agents de service hospitalier qualifiés.

Ensuite, un entretien semi-directif a permis un approfondissement de la réflexion. Nous avons sélectionné des services en fonction de leur typologie diverse (médecine, chirurgie, radiologie, enfant) et avons rencontré 7 cadres de santé et 9 soignants. L’échantillon intentionnel a été construit en sélectionnant des participants selon un principe de variation maximale pour documenter la diversité des situations possibles et identifier des points communs. Les entretiens se sont déroulés pendant les semaines qui ont suivi la séquence d’observation. Une analyse thématique a été choisie (figure 1) et un codage des données en vue de construire et d’enrichir une grille d’analyse avec le logiciel QDA Miner a été établi.

L’observation : une approche ethnographique

La proxémie physique du cadre de santé est à distinguer de la proxémie subjective. Chaque membre de l’équipe a ses propres représentations de la proximité et celles-ci dépendent très fortement du contexte socioculturel propre à chaque individu. De plus, la posture professionnelle est essentielle : la cohérence entre les paroles et la communication non verbale est importante.

L’esprit d’équipe avec ses valeurs communes, s’il est palpable, constitue un point fort dans la relation interpersonnelle entre l’équipe et le manager. « Les valeurs qui se profilent au sein d’une équipe seront le reflet de ce qui est jugé comme important par les membres de cette équipe, chacun leur donnant vie avec une intensité qui lui est propre »(7).

Les rôles du cadre de santé : entre management et relations interpersonnelles

Des entretiens semi-directifs sur les rôles du cadre de santé (figure 2) ont été réalisés, permettant une méthode d’expression propre à chaque individu. L’importance accordée par les répondants au verbatim « management » suggère qu’il s’agit d’un axe fondamental de leur fonction de cadre, reconnu par les soignants.

Les valeurs humaines jouent un rôle essentiel dans notre relation à l’autre : l’équité et la bienveillance, notamment, semblent constituer des piliers pour un management humain (figure 3).

La complexité de la communication managériale

La communication peut être écrite ou orale, s’adresser à une ou plusieurs personnes, être plus ou moins formelle, de nature organisationnelle ou interpersonnelle. Le manager adapte son support en fonction des objectifs du message et des situations dans lesquelles celui-ci est transmis. La communication, favorisant les échanges, crée un climat propice à un travail de qualité. Le rôle du cadre est de maintenir un climat de confiance avec bienveillance.

Proxémie : frontière entre le lointain et le proche dans la relation

Trouver la juste distance peut être un exercice difficile pour le cadre de santé. Être proche, tout en préservant l’intimité de chacun et son rôle, est complexe. La posture adoptée, visant la juste distance « ni trop près ni trop loin », est une condition nécessaire pour un regard « aiguisé » et un partage authentique entre le cadre et son équipe, afin d’instaurer une relation de confiance. Établir une relation de confiance constitue donc un enjeu pour le cadre de santé.

Pour les cadres de santé interviewés, le lien de confiance et le bien-être au travail permettraient une prise en soins optimale des patients et une cohésion d’équipe (figure 4) : une équipe qui « va bien » est une équipe qui est unie et donc, qui soigne bien. Les professionnels se sentent bien au travail et cela engendre une répercussion bénéfique sur le patient.

Le travail d’équipe

Le travail en équipe apparaît comme un élément primordial. Les entretiens font distinctement ressortir une épistémologie « cadre de santé », et nous pouvons d’ores et déjà en déduire que cet élément entraînera des effets positifs sur les processus de cohésion d’équipe. La cohésion d’une équipe serait portée par un individu, singulier, qui lui-même se réfère à une culture métier.

Nous garderons alors à l’esprit que le management vise à fournir une organisation par un individu envers une équipe. Blake et Mouton portaient déjà une attention du manager pour l’humain dans leur matrice managériale(1).

Le style de management dépend donc de la personnalité intrinsèque du cadre de santé, ses valeurs, sa formation, sa culture, son histoire personnelle et professionnelle, notion mentionnée dans notre étude empirique.

L’organisation hiérarchique et institutionnelle est aussi un élément moteur ou un frein pour un management de qualité. Pour Barjou et al., le management du cadre de santé est conditionné par les règles explicites et implicites institutionnelles de ce qu’il peut dire, faire ou pas(8).

S’intéresser à l’être humain dans le travail en écoutant chaque personne et être disponible prend du temps dans nos organisations de santé actuelles. Le mode de management éthique implique du cadre de santé une réflexion sur soi et une remise en question régulière. « Être pleinement soi pour pouvoir écouter pleinement l’autre, tel qu’il est »(9). Ce n’est pas être fusionnel, mais être proche de l’autre.

Être éthique demande d’avoir confiance en soi afin de pouvoir avoir confiance en l’Autre : ce concept réciproque de Mayer et al.(10) a été mis en exergue dans les entretiens et les observations. Pour manager, il faut « maîtriser l’art de la subtile symbiose entre les hommes, les techniques et les enjeux économico-stratégiques »(11).

L’action quotidienne dans le partage des valeurs permet une co-construction du bien-être au travail. Cela est perceptible dans les discours des répondants et dans les observations.

Le management tourné vers l’humain n’a pas pour objectif d’éviter les conflits. Sa finalité est de permettre la compréhension et la résolution des éventuelles difficultés pour une reconnaissance des besoins et des valeurs de chacun, en maintenant un équilibre fragile qu’il faut tenter de sauvegarder à chaque instant de la journée.

Les valeurs donnent du sens au travail, un cap : elles permettent aux individus d’atteindre leurs objectifs non seulement pour eux mais aussi pour le collectif de l’équipe. Nous avons la responsabilité d’exceller en action, dans tous les différents rôles qui nous sont dévolus, en fonction du contexte situationnel, en observant notre propre façon de réagir et notre posture.

Une logique de bienveillance et d’humanité permet d’installer l’autorité du cadre de santé autour de l’écoute et de l’authenticité, sur une base réciproque avec son équipe.

Dans nos enquêtes de terrain, deux nouvelles notions sont apparues : le « servant leadership » et le « slow management ». Le premier est un paradigme innovant dans la notion de bien-être au travail managérial. Il met l’accent sur l’écoute active, le consensus créatif et la recherche d’un équilibre des points de vue et l’équité. Nous remarquons que ces éléments, reconnus dans notre enquête empirique, sont communs au management éthique : il s’agit de créer un climat de confiance, d’être authentique et exemplaire en tant que cadre, tout en restant humain et simple.

Quant au concept de « slow management », selon Roche(12), il comprend une démarche d’introspection sur soi permettant à la personne d’apprécier les valeurs qui l’animent dans le travail et la démarche de sens qu’elle donne à son métier. Ce concept mise sur les forces et compétences des personnes afin de constituer des atouts pour le service de soins. Confrontés à la revue de la littérature, nos résultats empiriques établissent une confirmation : le management humain est un levier pour la cohésion de l’équipe. Ils corroborent l’importance de cet élément dans les actes de soins et dans l’organisation.

Conclusion

Plusieurs situations vécues nous ont amenée à réfléchir sur les valeurs professionnelles du cadre de santé. De nombreux facteurs interagissent sur l’environnement professionnel des soignants, faisant fluctuer la façon de manager. Nos recherches, qui se sont intéressées à un grand nombre d’approches conceptuelles sur les différents objets abordés, ont été riches de sens, en particulier celles sur la proxémie et la cohésion d’équipe avec la vision spécifique de E.T. Hall(2) et R. Mucchielli(4).

Les points suivants sont à retenir : la proxémie instituée par le cadre de santé est variable selon chaque individu et la juste distance n’a pas de définition spécifique. Elle est souvent issue de notre personnalité, de notre vécu et du contexte social dans lequel nous évoluons. La relation humaine est primordiale dans notre fonction : cette relation à l’Autre fait la grandeur et la difficulté de notre profession de manager en santé, et reste un équilibre fragile, dépendant des acteurs et du lien que nous co-construisons ensemble. Enfin, bien que le quotidien du cadre soit tourné vers une logique de gestion, il est nécessaire et urgent de mettre de l’humanité dans notre management. Il semble intéressant d’utiliser des outils de développement personnel et individuel, notamment par la formation continue, comme le bien-être au travail de la Fabrique Spinoza(13) développant le concept « agir ensemble pour plus de bonheur au travail ».

Bibliographie

1. Blake R.R., Mouton J.S, The managerial grid : key orientations for achieving production through people, Gulf Pub, 1964.

2. Hall E.T., La dimension cachée, Ed Seuil, collection Points Essais, 1978.

3. Mestre A., Management par la confiance, Éditions transmettre, 2018.

4. Mucchielli R., Le travail en équipe, éditions ESF, 2009.

5. Maier B., Göergen R. et al., Assessment of district Health system : using qualitative

methods, Institute of tropical hygiene/GTZ, eds London Mac Millian,1994.

6. Hughes E.C., Le regard sociologique : essais choisis, textes rassemblés et présentés par

Chapoulie J-M., Paris, Éditions de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, 1996.

7. Dupuis M., Gueibe R., Hesbeen W., (dir.), L’Éthique du management et de l’organisation dans le système de soins, Seli Arslan, 1996.

8. Barjou B., et al., Réussir dans ses nouvelles responsabilités, Prise de fonction : mode d’emploi, Eyrolles, 2012.

9. Rogers C., Le développement de la personne (On Becoming a Person), Dunod, 2005.

10. Mayer R.C., Davis J.H., Schoorman F.D., An Integrative Model of Organizational

Trust, Academy of management review, 1995 ; 20(3) : 709-734.

11. Fernandez A., Le chef de projet efficace, 12 bonnes pratiques pour un management humain, Eyrolles, 2014.

12. Roche L., Le slow management, antidote au stress, L’Expansion Management Review, 2011 ; 141(2), 42-49.

13. https://www.fabriquespinoza.org/