LE SENS DES MOTS
Infirmier anesthésiste, cadre supérieur de santé
Du courage, il en faut pour vivre, assurément jusqu’au dernier soupir où parfois nous craignons d’en manquer. Admirable et honorable qualité humaine dont chacun devrait être pourvu à bon escient. Être courageux, c’est faire front à la peur, braver le péril, oser, au nom de ce qui va dans le sens du bien, avec la conscience du risque mais dans l’espérance.
Élevé à la dignité de vertu, le courage ne vaut pas pour audace, hardiesse ou intrépidité qui ne le sont pas. Il dit autre chose. N’est point vertueux celui dont l’action, d’apparence courageuse, est malfaisante. La vertu du courage est dans son fondement et ses fins. Manquer de courage, est-ce être lâche ? Non, pas toujours. Le courage a ses limites que la raison commande.
Qui n’a point de courage se fait une vie de renoncement, de soumission, de désaveu et de désespérance. Il en faut pour affronter le réel, les injustices de naissance, les infortunes du fatum (la fatalité, le destin), le naufrage de la vieillesse, l’angoisse des derniers instants, etc. La symbolique du courage est indissociable de la notion de peur, de risque, de danger, mais aussi de force, de résistance, d’endurance, de sagesse, d’honneur ou de vérité.
De l’Antiquité à nos jours, le courage est admiré et le courageux héroïsé. Vertu de héros, mais pas seulement, le courage est une forme d’excellence de l’être, de l’agir et du dire dont chacun peut faire l’apprentissage et expérimenter au quotidien dans l’adversité, parfois sans éclat ni gloire, mais avec mérite et noblesse.
À égale distance de la lâcheté et de la témérité, le courage se nourrit de générosité, de prudence, de tempérance, de raison, qu’il fortifie à rebours de ses bienfaits. Il ne peut se confondre avec la hardiesse, la trempe, le cran et d’autres apparentés qui ne sont que des brouillons ou simulacres de courage. Il inaugure une qualité de cœur, un fait de bonne volonté, des valeurs morales et l’énergie d’un élan vital. Son principe et ses fins sont alors honorables, estimables et universalisables.
Il serait fort instructif, mais bien trop long de dérouler ici la science et la culture du courage. Nous limiterons notre propos à un survol historique et des propositions de sens avant de dire ce qui le distingue d’autres mots porteurs de force d’âme.
De l’Antiquité aux Temps modernes en passant par le Moyen Âge et la Renaissance, le courage est l’une des qualités humaines les plus admirées et des plus nobles, en dépit des disputes de sens à son propos(1, 2).
L’embarras à définir le courage de façon consensuelle est souligné dès l’Antiquité, tant la notion concentre de caractéristiques, de conditions, de possibilités, de formes et degrés d’expression.
Le dialogue du Lachès, entre Socrate et ses interlocuteurs – mis en scène par Platon – illustre les difficultés de l’exercice(3). Le courage, pour autant qu’il se conçoit comme vertu ou sous ensemble de vertu, est débattu à la fois comme capacité à tenir bon, être résistant, tenir son rang, être endurant, notamment à la guerre. Le courage est envisagé dans ce dialogue successivement comme une fermeté d’âme, une réflexion, une position inflexible de nature morale. Du courage, il en faut face aux vicissitudes de la vie, de la maladie, des périls de la mer, face à la pauvreté, pour résister aux plaisirs et tentations coupables… Socrate envisage le courage aussi comme une science de ce qu’il faut craindre ou souhaiter. Il y a courage à vivre comme à mourir. Il en fera l’expérience. Le lien avec la prudence est nécessaire, mais le courage ne peut se confondre avec la témérité, l’audace ou l’impavidité, vecteurs d’imprudence voire d’inconscience et de turpitudes. Au terme de ce dialogue aporétique du Lachès, aucune définition de concorde n’est cependant retenue. Mais l’approche définitionnelle du courage ne s’arrête pas là.
Platon, dans La République(4) intériorise le concept comme une force et une fermeté vertueuses guidées par le jugement. Le courage est l’effort d’entreprendre fermement une action dont les risques sont rationalisés et la peur contrôlée. Être courageux, pour Platon, c’est agir volontairement en situation de danger, en surmontant sa peur et ayant fait avec lucidité le calcul du risque encouru.
Aristote, comme son prédécesseur et maître, fait du courage une vertu, à mi-chemin entre la lâcheté et la témérité, et dirigée par la raison(5). À distance de Platon, il pense le courage(6) comme un idéal face à la peur. Mais on ne peut faire œuvre de courage quel que soit l’objet de la peur. Il existe des luttes perdues d’avance. N’est pas courageux celui qui agit sans réfléchir et prend un risque inconsidéré. Le courage est une disposition morale dont on fait l’apprentissage et l’expérience en continu, dans des faits honorables ou pour la beauté de l’acte. Le courage est rangé dans l’ordre du beau.
Les stoïciens(7) élèvent le courage au premier rang des vertus, la tenant pour celle qui donne de la force à toutes les autres. Qualité et bien suprême, le courage est nécessaire à la condition humaine, à sa réalité, à ses défis, à ses moments de désespoir qu’il ne faut pas fuir mais affronter. « Tirons notre courage de notre désespoir même », suggérait Sénèque, affirmant par ailleurs que même vivre peut être un acte de courage(8). Il est une nécessité existentielle.
Le Moyen Âge est « l’âge d’or du courage », selon l’académicien et philosophe médiéviste Michel Zink(9) ; celui de l’esprit chevaleresque. L’expression la plus significative, la plus héroïque, la plus admirable du courage consiste à défendre sa cause l’arme à la main. La vaillance physique vaut pour prouesse. Est preux celui qui œuvre avec vaillance. Il existe aussi le courage moral, celui qui vient du cœur, de la volonté, qui ne cède en rien jusqu’à l’oubli de soi et au sacrifice. Celui qui est preux et fait œuvre de prouesses fait preuve aussi de force morale, reprend l’auteur. L’idéal chevaleresque au Moyen Âge fait de l’honneur la valeur suprême dont le courage est la condition. Est courageux et héroïque celui qui ne fuit ni ne se rend, fort de souffrir, de vaincre ou de mourir au nom de la loyauté à son chef, à son seigneur ou à son Dieu. À la bravoure ultime de Roland, aux épopées de Jean sans Peur, s’ajoutent mille autres récits de chevalerie dans lesquels le courage s’illustre et ressort comme un idéal de vie.
La Renaissance conserve la tradition chevaleresque du courage et y rattache les qualités de justice, de loyauté et de foi chrétienne. Ce qui prend l’ascendance, dans les fondements du courage, c’est l’honneur : celui, sans égal, que l’on gagne ou préserve par le fait des armes. Les honneurs mémoriels réservés à Bayard et à Charles le Téméraire renvoient à leur courage moral et physique montré au combat. Il faut vaincre ou mourir pour gagner ou garder son honneur. La peur est défiée et la mort n’est pas crainte dès lors que l’honneur est en jeu. Il faut montrer son courage pour éviter la honte et la déchéance. Plutôt mourir que passer pour lâche. La noblesse de la Renaissance doit allier aussi le savoir au courage : « Héros dans les combats, mais homme de salon lorsqu'il est au repos… »(10). L’historien Jean Delumeau montre que le courage à la Renaissance est d’expression physique, morale et spirituelle. Le preux chevalier gagne aussi en prestige et en mérite en faisant provision de culture dans les écoles et auprès de bons auteurs(11). La science des belles lettres, un bel esprit, l’art oratoire… élèvent la noblesse et le mérite du héros.
Descartes retient le courage comme une passion « qui dispose l’âme à se porter puissamment à l’exécution des choses qu’elle veut faire »(12) et sans considération du Bien.
Pour Stendhal, la raison et la volonté participent au courage dont la dimension morale est de loin supérieure. Il entendait que « Le courage consiste à choisir le moindre mal, si affreux qu’il soit encore »(13). Ainsi, l’auteur résume dans cette définition la valeur vertueuse du courage et sa filiation avec la prudence et la tempérance notamment.
Kant enseigne que le vrai courage est celui de penser par soi-même(14). Courage moral, éthique, social et de la psyché. Il faut oser s’exprimer, aller à contre-sens si besoin, assumer ses jugements, être fidèle à soi-même et dire vrai. Réapparait ici la notion de paresia, associée jadis au procès de Socrate, reprise plus tard par Foucault dans son enseignement sur le courage de la vérité(15).
Selon le Trésor de la langue française informatisé(16), le courage est « fermeté de cœur, force d'âme qui se manifestent dans des situations difficiles obligeant à une décision, un choix, ou devant le danger, la souffrance » C’est « une qualité physique qui se manifeste instinctivement chez certains individus devant un danger matériel et qui leur permet de lutter contre ». Le courage contient aussi l’endurance née de l’habitude des situations difficiles et de l’apprentissage de défis, autant qu’il constitue une fermeté de l’esprit et demande un effort sur soi-même pour résister à une épreuve, un aléa… ou reconnaître une vérité désagréable.
Le dictionnaire de l’Académie française, dans sa première édition (1694), définit le courage comme une disposition de l’âme (sentiment, passion) qui porte à entreprendre, à repousser, à souffrir… quelque chose. L’édition actuelle en fait une force morale « qui fait entreprendre des choses difficiles, hardies, et détermine à supporter la souffrance, à braver le danger »(17). C’est aussi une « énergie », une « ardeur » pour « faire un effort sur soi-même », accomplir un acte difficile(17)… Le courageux est une personne qui se distingue par sa noblesse d’âme ou par une grande force de caractère.
D’autres dictionnaires comme le Littré(18), le Robert(19) et Le Larousse(20) abordent le courage comme un état de passion, une force morale, la fermeté de la volonté. Il naît de la peur qu’il domine, pour libérer une énergie apte à braver le danger et la souffrance.
Définir le courage reviendrait à réunir et à signifier un ensemble de capacités, de valeurs et de qualités auxquelles il renvoie et qui le constituent. C’est une disposition humaine composite, plurielle, complexe, énigmatique, en partie observable, inspirante et admirable.
Élan de cœur et de l’esprit, manifestation de profonde liberté, le courage est aussi une œuvre d’effort, de vérité, de justice, de dignité, d’espérance, de vitalité...
Le courage s’apprend et son expérience façonne le caractère, souvent le destin. Être courageux c’est – par-delà la peur, la conscience du danger, face à un péril – transcender avec raison les limites habituelles pour s’opposer au mal, à l’inique, au mensonge, à l’imposture, au désespoir. C’est une ressource d’adversité et de vie vertueuse. Ce qui lui donne sens, c’est sa visée, la noblesse de ses fins : celle d’agir pour le bien, au nom de la morale, de la raison.
Le défaut apparent du courage n’est pas toujours un état de lâcheté, mais une prudence de l’entendement. Quand un combat est perdu d’avance, la raison commande d’y renoncer. La témérité est une forme de vanité et un vice.
Longtemps élevé au premier rang des quatre vertus cardinales, avant la justice, la prudence et la tempérance, le courage fait aussi écho aux trois vertus théologales : la foi, l’espérance et la charité dont nous ressentons les influences dans l’acte courageux. Les motivations et les expressions du courage ont évolué de nos jours mais sur un fond culturel historique stable. Le courage n’a pas perdu de sa nature, de sa nécessité ni de son fondement d’hier. Il a en partie changé d’objet et s’est adapté aux réalités sociales, politiques et éthiques du monde contemporain. Il y a toujours courage à endurer des combats de tranchées ici et là, mais nul besoin de vaillance physique pour la guerre technologique. Le courage d’aujourd’hui vaut pour défendre son identité, son appartenance, ses valeurs, sa dignité, résister à l’oppression… et tout autant pour préserver la planète, le climat, sa santé, sa fin de vie : toute chose existentielle, noble, nécessaire, juste et bonne. Ainsi, le militantisme écologique contemporain a valeur de dépassement et de force d’âme. Il se veut altruiste, solidaire, moral et éthique. Déterminé et volontaire, il ne renie pas la peur, il s’en nourrit, se donne une volonté persévérante, endurante, cultive une forme de désobéissance réfléchie(21) pour gagner ses combats, au nom du bien commun.
Le courage est une disposition humaine nécessaire, bonne et inspirante. Œuvre de volonté et de liberté, il célèbre les capacités morales, éthiques, psychiques, autant sinon plus, que physiques. Honorable et glorieux hier, le courage est toujours une qualité existentielle admirable que requièrent les enjeux et les grands défis d’aujourd’hui et de demain. De toutes les qualités, c’est souvent de courage que nous manquons le plus.
La plupart des auteurs font du cœur métaphorique et existentiel la matrice nourricière du courage, siège de l’âme, des sentiments nobles et de la force de caractère. De l’ancien français corage, le courage, au XIe siècle, est rattaché au latin cor (cordis), signifiant cœur, suivi du suffixe age.
Selon le dictionnaire latin-français Le Gaffiot(1), le courage a d’autres accointances latines, telles que animus, au sens de faculté de l’âme, volonté, esprit, cœur… et fortitudo signifiant force physique, volonté, vaillance, énergie.
Dès l’Antiquité, l’exaltation de la force physique, de l’esprit héroïque et de la fougue guerrière est associée à la nature et aux qualités de l’homme, faisant du courage une disposition et une valeur masculines. L’adjectif latin virilis (viril en français), de la racine vir (qui est de l’homme) a pour synonyme courage, force, vigueur(2). Ainsi, l’origine et les attaches latines du courage en font une qualité d’homme, en même temps qu’une vertu masculine. Virtus, dérivé de vir, signifie force d’âme, « qualités qui font la valeur de l’homme moral et physique », toujours selon Le Gaffiot. Ajoutons que le courage en grec est aussi étymologiquement une qualité d’homme. Le terme andreia dérivé de aner – le mâle – désigne à la fois le courage et la virilité : force et état d’âme propre à l’homme. Bien évidemment, ce lien ne vaut plus aujourd’hui.
Le courage n’est pas la témérité, la hardiesse, l’audace, l’intrépidité, le cran, la bravoure… Les dictionnaires de la langue française associent au courage plus de quarante synonymes dont certains introduits ci-dessus. Il est utile de noter leur proximité sémantique mais de se garder d’un usage indifférencié. En effet, le courage a rang de vertu, ce que n’a point témérité, hardiesse, audace… Il fait montre de raison et de sagesse alors que la témérité, l’audace et les autres manquent souvent de rationalité et d’égard pour les convenances. Le courageux n’ignore ni la peur, ni les risques qu’il tente de transcender et de calculer ; le téméraire, le hardi, montre peu ou pas de crainte, agit de façon inconsidérée. Le premier veille à la moralité de son acte, s’assure d’agir pour le bien ; l’autre s’expose à des faits où la moralité et le bien commun ne prévalent pas toujours. Le courageux a conscience de ses limites ; le téméraire, l’audacieux… se pense invulnérable. Le courageux fait preuve de modestie quand l’audacieux ou l’intrépide se met en scène, veut briller, fait montre de vanité.
Le courage n’est pas le fanatisme. « […] Le courage peut servir à tout, au bien comme au mal… Méchanceté courageuse, c’est méchanceté »(21). Le terroriste qui attente à la vie des autres en sacrifiant la sienne n’est ni courageux, ni vertueux, mais fanatique. Ce qui l’anime est un idéalisme forcené, une passion haineuse et aveugle, un dessein morbide et punitif et non une bonté d’âme. Le courage est une médiété, le fanatisme un extrémisme. Il y a la même distance entre le fanatisme et le courage qu’entre le vice et la vertu.
1. Dictionnaire Gaffiot, Animus. p. 129. https://www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php?q=animus
2. Ibid. Virilis. p. 1682.
3. Rodrigue L. La définition du courage dans le Lachès et son illustration dans l’Apologie. Kentron 2009 ; 25 : 127-144.
4. Platon. La République, livre IV. Flammarion ; 2016.
5. Aristote. Éthique à Nicomaque. Livre II. La vertu. Flammarion ; 1997.
6. Platon. Op cit. Livre III.
7. Persechini B. Le courage : une vertu fondamentale du stoïcisme. https://www.ameliorersavie.com/principes-stoiciens/les-vertus-cardinales/le-courage-une-vertu-fondamentale-du-stoicisme/
8. Sénèque le Jeune. Lettres à Lucilius. Lettre 78. https://remacle.org/bloodwolf/philosophes/seneque/lucilius2.htm#LXXVIII
9. Zink M. Prouesse du fort, courage du faible. Institut de France, séance publique annuelle des cinq Académies, 2005. http://seance-cinq-academies-2010.institut-de-france.fr/discours/2005/zink.pdf
10. Delumeau J . Le discours sur le courage et sur la peur à l’époque de la Renaissance. Revista de História 1974 ; 50 (100) : 147-161.
11. Ibid, p. 152.
12. Descartes R. Les Passions de l’âme. Art 171 : Du courage et de la hardiesse. Le Livre de Poche ; 2012.
13. Stendhal. La Chartreuse de Parme. Gallimard ; 1972.
14. Kant E. Qu’est-ce que les Lumières ? Flammarion ; 2020.
15. Foucault M. Le Courage de la vérité. Le gouvernement de soi et des autres II. Cours au Collège de France, 1984. EHESS, Gallimard, Seuil ; 2009.
16. Trésor de la langue française informatisé. Courage. http://stella.atilf.fr/Dendien/scripts/tlfiv5/affart.exe?19;s=2991448605;?b=0;
17. Dictionnaire de l’Académie française, 9e édition. Courage. https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9C4604
18. Le Littré. Courage. https://www.littre.org/definition/courage
19. Le Robert. Courage. https://dictionnaire.lerobert.com/definition/courage
20. Le Larousse. Courage. https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/courage/19872
21. Comte-Sponville A. Petit traité des grandes vertus. PUF ; 1995. pp. 59-79.