INNOVATIONS MANAGÉRIALES
Anne-Gaëlle Briand Marion Danse Propos recueillis par Anne Grinfeld
Cadre de santé, service de neuropédiatrie, DMU INOV, CRMR épilepsies rares, CHU Robert-Debré, GHU AP-HP Nord, ParisIPA PCS, service de neuropédiatrie, DMU INOV, CRMR épilepsies rares, CHU Robert-Debré, GHU AP-HP Nord, Paris
La question qui se pose depuis l’arrivée de la pratique avancée dans les services de soins est celle de sa place dans le schéma organisationnel. La fonction d’infirmière en pratique avancée (IPA) modifie l’ensemble des relations interprofessionnelles à l’hôpital et demande de nouveaux ajustements. Les tensions créées sont aussi dues à des incompréhensions ou à des représentations erronées du rôle de l’IPA. Dans le même temps, le management lui-même doit évoluer pour prendre en compte ce changement. Le management descendant a sans doute vécu, pour laisser plus de place à un management participatif. La pratique avancée serait-elle finalement un levier pour faire évoluer les pratiques managériales ?
Comment prenez-vous en compte cette situation dans votre management ? Et plus particulièrement, dans celui de l’IPA ?
Anne-Gaëlle Briand. Une de mes missions principales en tant que manager est de développer les compétences des agents. La politique de développement des compétences est soutenue par l’institution. Et Marion avait cette volonté individuelle d’évoluer et d’entreprendre la formation d’IPA. Un protocole d’organisation a été écrit avec elle et l’équipe médicale avant son départ en formation. Seulement, au niveau des ressources humaines, le poste d’IPA à venir n’existait pas encore. Pour moi, il n’était pas de question que Marion revienne une fois diplômée en pratique avancée sur son ancien poste d’infirmière de coordination. Le chef de service a été un soutien auprès de la direction des ressources humaines ; la personne qui avait pris le poste de coordinatrice occupé par Marion est restée, et Marion a pu, dès son retour de formation, prendre pleinement son poste d’IPA.
Comment avez-vous managé son retour auprès de l’équipe soignante pour lui faire une place dans ses nouvelles fonctions ?
AGB. Un des éléments qui a facilité le retour de Marion en tant qu’IPA a été la fonction d’infirmière de coordination qu’elle occupait déjà en hôpital de jour (HDJ) épilepsie. L’équipe d’HDJ avait participé au protocole d’organisation. L’accompagnement des équipes sur le parcours de soins et les projets de formation permettent à Marion de trouver sa place et de créer du lien. Ces ajustements se font au quotidien. Que ce soit en hospitalisation conventionnelle ou en HDJ, la communication a été plutôt informelle pour expliquer cette évolution professionnelle, cette nouvelle identité de Marion, ses missions et son champ d’intervention. En ce qui concerne l’équipe médicale, la communication a été plus formalisée. Marion avait fait une présentation de ses missions aux internes et aux médecins du service. Elle la refait à chaque changement d’internes. Son implication est visible aussi lors des staffs médicaux et paramédicaux, en identifiant les situations pour lesquelles elle pourrait apporter son soutien.
Marion, comment qualifieriez-vous votre relation à Anne-Gaëlle, cadre de santé ? Comment vous sentez-vous managée ?
Marion Danse. Quand j’étais infirmière de coordination, je bénéficiais déjà d’une certaine autonomie et de la confiance d’Anne-Gaëlle. Si je compare avec d’autres collègues IPA qui ont des relations moins évidentes avec leurs cadres de proximité, Anne-Gaëlle sait qu’il est important que je poursuive certaines de mes missions IPA à l’extérieur de l’hôpital. Par ailleurs, je suis aussi infirmière référente à la Ligue française contre l’épilepsie ; et cela empiète parfois sur mon temps de travail. Anne-Gaëlle respecte cette répartition de mon planning. Par ailleurs, nous échangeons très régulièrement autour des pratiques de soins ou des difficultés rencontrées.
Pouvez-vous illustrer votre propos ?
MD. La dernière discussion en date porte sur la façon de motiver les professionnels à communiquer sur ce qu’ils font. Nous sommes parties du constat que les infirmières transmettent peu par écrit, alors que les patients restent parfois plusieurs semaines et que, forcément, il existe des actions infirmières qui sont mises en place. Il n’y en a quasiment aucune trace dans le compte rendu médical. Il est dommage qu’on ne puisse pas mettre en valeur ce travail infirmier. Cela peut concerner l’installation du patient, le lien mère-enfant… De plus, ces écrits bénéficieraient à la continuité et à la qualité des soins.
AGB. Je sollicite Marion pour son expertise, que ce soit en HDJ ou en hospitalisation. Par exemple, elle m’a fait remonter un sujet sur les troubles de l’alimentation et de l’oralité à partir d’échanges qu’elle avait eus avec des patients en consultation et ceux de son réseau extérieur. Son constat permet de travailler sur cette pratique de soin et de mobiliser les compétences de l’équipe.
Pouvez-vous définir le leadership clinique de l’IPA ? Est-il en concurrence ou en complémentarité avec celui du cadre de santé ?
MD. Je ne sépare pas le leadership de la dimension clinique. Par exemple, voici une situation toute simple : un enfant est venu en HDJ récemment. Je ne le trouvais pas bien, malgré une tension artérielle correcte. Il se trouve que le brassard du tensiomètre n’était pas adapté à son âge. J’ai donc repris sa tension qui était alors plus en lien avec son état clinique. J’ai exercé mon leadership clinique auprès de mes collègues aides-soignantes pour améliorer la prise de constantes. Je le fais avec diplomatie et je me rends toujours disponible pour répondre aux questions de l’équipe. En HDJ, je me sens légitime à l’exercer.
Pour parvenir à ce résultat, quelques ajustements ont dû être opérés pour que je trouve ma place entre le médecin et les infirmières, l’interne et le médecin, auprès des infirmières de coordination. Dès que j’ai eu ma consultation IPA avec mes patients attitrés, ces ajustements ont été encore plus simples. Dans ma pratique, je me rends compte combien la consultation de l’IPA se distingue de celle de l’IDE de coordination en s’ouvrant à d’autres champs d’intervention.
Pour en revenir au leadership clinique, je ne l’exerce pas de la même manière en dehors de l’HDJ. Si je remarque quelque chose en hospitalisation, j’en réfère à Anne-Gaëlle. Je n’ai envie ni de « marcher sur ses plates-bandes » ni de faire toute seule dans mon coin. D’une manière plus générale, je reviens systématiquement vers elle, soit pour solliciter son aide, soit pour lui faire des retours sur des axes d’améliorations possibles dans les pratiques de soins.
La fonction d’IPA vient-elle réinterroger la question des frontières professionnelles ? Et si oui, dans quelle mesure ?
AGB. Il faut être très au clair sur la pratique avancée et son champ d’intervention. Et le protocole d’organisation contribue à le clarifier et à l’articuler avec ceux des autres professionnels. À aucun moment je n’ai eu le sentiment d’être en danger sur le mien. Au contraire, le service a tout à gagner à ce que Marion trouve sa place dans la mesure où ses interventions ont une répercussion sur l’efficience même du service. Je m’explique. La prise en charge globale ainsi que le travail sur le parcours de soins de Marion ont permis de diminuer le nombre de passages aux urgences et d’hospitalisations précoces de nos patients.
Le cadre doit, au contraire, encourager l’équipe dans son ensemble à faire appel à l’IPA. Sa connaissance des patients et de leur famille lui permet d’apporter des informations supplémentaires. En neurologie, Marion est une vraie personne ressource et elle fait autorité. Ce terme n’est pas un « gros mot ». Et la complémentarité cadre de santé - IPA se situe justement dans la mise en œuvre des plans d’action et de formation.
Avez-vous le sentiment que l’équipe soignante dans son ensemble connaît bien les missions d’une IPA ?
AGB. Pour les infirmières de coordination, oui, mais pour les infirmières d’hospitalisation, je ne pense pas qu’elles soient très au clair.
MD. J’ai effectivement plus de questions sur la pratique avancée dans les autres services qu’en neurologie. Peut-être que cela tient à un manque d’intérêt pour cette profession en termes d’évolution de carrière ou d’opportunités de mieux se connaître à travers des projets communs. J’ai remarqué dans ma pratique professionnelle que la participation d’une équipe à un projet améliore la communication au sein du groupe.
Face à ce changement dans l’organisation des soins, quelles sont vos préconisations ?
MD. La relation de confiance entre l’IPA et le cadre de santé est un préalable. S’y ajoutent pour le cadre de santé un management non autoritaire, une connaissance des différents métiers et du protocole d’organisation, une ouverture d’esprit, un soutien et un accompagnement de l’IPA lors de sa formation et au quotidien.
À mon retour de formation, mon poste d’IPA m’attendait. Anne-Gaëlle a été attentive aux conditions matérielles et organisationnelles de mon arrivée. Je n’avais plus qu’à me mettre au travail. Et la question de l’encadrement direct n’est pas un sujet : Anne-Gaëlle était ma cadre avant mon départ en formation, il était naturel qu’elle le soit encore à mon retour. En revanche, pour tout ce qui concerne la coordination des pratiques avancées et mes missions transversales, la direction des soins prend le relais. Au regard de ces activités, s’est posée la question de l’entretien annuel.
AGB. Réaliser l’entretien annuel de l’IPA ne me pose aucun problème et me semble logique quand c’est en lien avec l’activité du service. En revanche, j’aimerais être aidée par des outils institutionnels mieux définis. En ce qui concerne mon management, il est résolument participatif. Si je conduis un projet dans le service, je le fais avec assertivité en donnant une ligne de conduite, mais pour moi c’est inconcevable de ne pas impliquer les équipes. Ce management s’étend à l’équipe médicale pour que l’ensemble de des professionnels soit impliqué dans les projets médicaux et paramédicaux.
Anne-Gaëlle, vous avez dit au début de l’entretien que pour vous, manager, c’est développer les compétences des agents. Le cadre a-t-il aussi un rôle de coordinateur dans les transformations de l’organisation du travail et des pratiques de soin ?
AGB. L’essentiel est d’être en accord avec les valeurs même du soin sachant que celui-ci évolue, les techniques changent et les professionnels qui pratiquent les soins aussi. En ce qui concerne la pratique avancée, il serait intéressant de questionner la prise de poste d’une IPA dans une structure inconnue d’elle ou qui n’a pas participé à l’élaboration du protocole d’organisation. Quid de son intégration et de son champ d’intervention ? La relation de confiance que nous entretenons avec Marion ainsi que celle établie entre l’équipe et elle en amont de ce projet est un des facteurs de réussite de sa prise de poste, me semble-t-il.
MD. Mon intégration a bénéficié de nombreux facteurs favorables, contrairement à l’expérience d’autres IPA. Il me semble que la cadre de santé et l’IPA se rejoignent sur la coordination et l’amélioration des pratiques de soins. Ma formation m’aide à mieux comprendre les problématiques qu’Anne-Gaëlle gère dans l’organisation des soins. De plus, la communication et la mise en place de projets sont des compétences conjointes à nos deux formations. Ce sont des points de rencontre supplémentaires sur lesquels nous pouvons échanger. Je pense qu’on fait le métier avec ce dont on est fait. Quand je crée un outil pour l’éducation thérapeutique, je veux avoir l’avis du patient. S’il trouve que l’outil n’a pas de sens pour lui, je ne m’acharne pas. Anne-Gaëlle fait son métier en demandant l’avis des professionnels, puis elle les fédère autour d’un projet. Nous agissons toutes les deux de la même manière pour avancer ensemble vers un but commun.
AGB. Ce lien participe énormément à la qualité de vie au travail. C’est agréable de pouvoir échanger professionnellement sans retenue ni crainte.
MD. Nous sommes au travail et nous travaillons bien !