OBJECTIF SOINS n° 0298 du 12/03/2024

 

Fin de vie

ACTUALITÉS

Anne Lise Favier

  

Après des mois d’hésitations, c’est lors d’une interview à la presse quotidienne que le Président de la République s’est prononcé pour une « aide à mourir » dont le projet de loi sera présenté en avril. Une annonce attendue qui continue pourtant de diviser.

Aux dernières nouvelles, le dossier devait être présenté courant février 2024. C’était à tout le moins ce qu’Agnès Firmin Le Bodo, éphémère ministre de la Santé, avait annoncé mi-décembre concernant la loi sur la fin de vie. Depuis, Élisabeth Borne, Premier Ministre, a été remerciée, et avec elle, tout son gouvernement, dont Agnès Firmin Le Bodo, pour laisser la place à une nouvelle ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, Catherine Vautrin, et à son ministre délégué chargé de la Santé et de la Prévention, Frédéric Valletoux. Ce jeu de chaises musicales au ministère de la Santé semblait assez peu favorable à la question d’une loi sur la fin de vie. C’est finalement lors d’une interview dans la presse quotidienne avec Libération et La Croix que le Président de la République, Emmanuel Macron, a tranché la question. Il a en effet annoncé « une aide à mourir » dans une loi tripartite qui concernera tout d’abord « les soins d’accompagnement », puis « le droit des patients et des aidants » et enfin cette aide à mourir : une loi en trois volets « pour ne pas laisser penser que l’on fait l’aide à mourir parce que la société n’est pas capable de prendre soin », pour reprendre les termes de l’interview. Cette nouvelle loi devrait, selon le Président de la République, permettre d’apporter « une réponse aux cas les plus limites qui n’étaient pas encore pris en charge ».

Un chef de l’État qui prend le temps de la réflexion

Le chef de l’État s’était prononcé à plusieurs reprises pour qu’une nouvelle loi voie le jour, une promesse de campagne « pour ouvrir aux patients majeurs incurables un droit à l’aide active à mourir ». La convention citoyenne, mise en place par Emmanuel Macron l’an dernier pour y voir plus clair et plus largement, avait abouti à la conclusion de la nécessité d’une ouverture vers une forme d’aide à mourir, assistance au suicide ou euthanasie médicalement assistée, selon les termes. Restait que ces discussions continuaient de faire débat : d’un côté, la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) complètement opposée à ce qu’elle désigne comme une « démarche euthanasique » dans laquelle elle ne souhaite pas voir de soignants associés à la « préparation et l’administration d’une substance létale », et de l’autre l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) qui réclame à cor et à cris la possibilité pour chacun de bénéficier d’une « mort consentie, sereine et digne ». Le sujet est tellement clivant que le Président de la République a pris le temps de la réflexion.

Dispositions précises

Selon lui, la nouvelle loi serait pensée « comme une loi de fraternité, qui concilie l’autonomie de l’individu et la solidarité de la nation ». Elle ouvre non pas un nouveau droit, mais « trace un chemin qui n’existait pas jusqu’alors et ouvre la possibilité de demander une aide à mourir sous certaines conditions ». Et les conditions, le Président de la République les a clairement édictées : cette aide à mourir sera exclusivement réservée aux personnes majeures et « capables d’un discernement plein et entier », ce qui exclut les patients atteints de maladies neuro-dégénératives de type Alzheimer. Les patients devront également être atteints d’une maladie incurable et avoir un pronostic vital engagé à court ou moyen terme, avec des douleurs physiques ou psychologiques réfractaires. Une fois ces conditions réunies, le patient pourra être éligible à une demande d’aide à mourir. La décision finale reviendra à l’équipe médicale qui analysera de manière collégiale et en toute transparence la demande du patient : « À partir du moment où la demande est posée, il y a un minimum de deux jours d’attente pour tester la solidité de la détermination. Ensuite la réponse doit intervenir dans un délai de quinze jours maximum ». Concernant l’acte en lui-même, d’un point de vue pratique, c’est la personne faisant la demande qui s’administrera elle-même la substance létale, si elle le peut, ou le cas échéant, « une personne volontaire qu’elle désigne lorsqu’aucune contrainte technique n’y fait obstacle, soit par le médecin ou l’infirmier qui l’accompagne ». Le chef de l’État a par ailleurs précisé qu’en plus de ces dispositions sur l’aide à mourir, la nouvelle loi visera un meilleur accompagnement des patients en fin de vie, avec un renforcement des soins palliatifs, notamment dans le domaine pédiatrique et dans les 21 départements toujours dépourvus de structures.

Des réactions qui annoncent un débat tendu

Cette déclaration – que d’aucuns n’espéraient plus – était attendue depuis que la Président de la République avait annoncé qu’il ferait bouger les choses sur la question de la fin de vie. Les réactions n’ont pas à tarder à se faire savoir. Ainsi, dans un communiqué commun avec d’autres sociétés savantes*, la Sfap s’est montrée consternée, triste et en colère : « Avec une grande violence, le chef de l’État annonce un système bien éloigné des besoins des patients et des réalités quotidiennes des soignants, avec en perspective de graves conséquences sur la relation de soins ». Les signataires fustigent l’absence d’écoute des soignants, un calendrier indécent et un mépris du travail des soignants : « Il prend comme exemple l’obligation d’aller à l’étranger des patients atteints de cancer en phase terminale, sans reconnaître l’engagement quotidien auprès de ceux qui vont mourir des professionnels de santé […] pour mieux masquer l’insuffisance de moyens en soins palliatifs », rappelant qu’un patient sur deux n’a pas accès à un accompagnement adapté. De son côté, la Ligue nationale contre le cancer s’inquiète d’un texte dans lequel « la fin de vie n’est désormais plus perçue comme l’une des étapes de l’expérience humaine », arguant que certains patients, se sentant inutiles parce que malades, pourraient se sentir incités à demander cette aide à mourir. Elle aurait préféré une politique ambitieuse de déploiement de la loi Claeys-Leonetti et la garantie d’un accès aux soins palliatifs. Si l’Ordre infirmier n’a pas spécifiquement réagi aux annonces du Président, rappelant simplement sa position sur la prise en charge de la fin de vie, l’Ordre des médecins s’est montré plus circonspect : « Ce texte constitue une avancée significative pour la prise en charge des patients en fin de vie […] Cependant l’Ordre reste sur ses positions et sera extrêmement vigilant quant au respect du Code de déontologie, ainsi qu’au choix des personnes intervenant dans la réalisation de l’acte, si la loi en dispose ainsi ». Pour l’ADMD, « La France sort de la valse-hésitation de ces derniers mois et les Français voient se profiler une possible loi de liberté ». Pour autant, elle estime que le texte tel que le Président en a dessiné les contours « n’est pas celui qui permettra de répondre le plus parfaitement aux demandes légitimes des personnes en fin de vie, il en est une première étape », rappelant par exemple que les personnes souffrant de maladie d’Alzheimer en sont exclues et que du fait de la mention de pronostic vital engagé à court ou moyen terme, les patients atteints de la maladie de Charcot le sont aussi. Ces dissonances annoncent des débats encore très nourris autour de cette question de l’aide à mourir, là où celle des soins palliatifs semble encore passer au second plan.

Le calendrier du texte

Selon le Président de la République, le texte a été transmis au Conseil d’État avant de rejoindre le Conseil des ministres en avril. Une première lecture du texte par les parlementaires interviendra en mai avec des débats qui risquent d’être animés : « C’est un texte sur lequel il faut avoir l’humilité de cheminer, de bouger, d’accepter que ses convictions puissent être bousculées. […] J’ai à cœur que cet équilibre soit tenu mais il faut que le débat parlementaire l’enrichisse », a expliqué le chef de l’État, saluant au passage « le travail transpartisan » de son ex-ministre de la Santé, Agnès Firmin Le Bodo, qui avait construit un avant-projet de la loi. Pour la suite du calendrier, Emmanuel Macron se montre prudent : « Je ne veux pas préempter ce calendrier. Nous ferons au mieux dans le parfait respect du temps parlementaire », a-t-il déclaré lors de son interview.

  • *Afsos, Anfipa, Claromed, SMCG-CSMF, CNPG, Ffamco-Ehpad, Fnehad, M3P, Mcoor, SFGG, SMP, SNGC, SNPI, 2SPP.