Pratique hospitalière
DROIT
Avocat à la cour de Lyon
Institut de formation en soins infirmiers : exclusion pour des actes incompatibles avec la sécurité des patients ; statut : acte suicidaire après réception d’une sanction disciplinaire ; responsabilité pour faute et sans faute ; cas complexe : traitement dommageable mais non fautif, défaut d’information et prise en charge par l’Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam). Voici quelques éléments de jurisprudence en matière de statut et de responsabilité pour le mois de février 2024.
Au sein d’un Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi), la section compétente pour le traitement pédagogique des situations individuelles des étudiants se prononce sur les étudiants ayant accompli des actes incompatibles avec la sécurité des personnes prises en charge. Elle peut soit alerter l'étudiant sur sa situation en lui fournissant des conseils pédagogiques pour y remédier ou proposer un complément de formation théorique et/ou pratique, soit exclure l'étudiant de l'institut de façon temporaire, pour une durée maximale d'un an, ou de façon définitive (Arrêté du 21 avril 2007, Art. 15).
Méconnaissance répétée des bonnes pratiques et connaissances cliniques superficielles (CAA de Lyon, 29 février 2024, n° 22LY03414).
Le rapport établi le 27 novembre 2019 par la cadre de santé de l'unité d'endocrinologie diabétique au sein duquel l’étudiante a effectué un stage de 10 semaines relève que l’étudiante a méconnu les bonnes pratiques en effectuant un prélèvement d'insuline avec un matériel inadapté, a délivré des informations erronées à un patient sur le traitement administré, a utilisé une technique inadaptée et dangereuse pour dégonfler le ballonnet d'une sonde urinaire, a marché sur une poche de dialyse péritonéale connectée à un patient, a inscrit dans le dossier d'un patient des constantes prélevées sur un autre patient, a commis des manquements dans la transmission d'informations concernant un patient présentant des signes septiques et a commis des manquements aux règles d'hygiène. De plus, il ressort de ce rapport que les connaissances cliniques théoriques de l’étudiante sont superficielles et qu'un certain nombre de compétences telles que la pertinence du diagnostic de situation clinique, la justesse dans les modalités de mise en œuvre des thérapeutiques et de réalisation des examens et la conformité aux règles de bonnes pratiques ou la pertinence dans l'identification des risques et des mesures de prévention ne sont pas acquises.
L’étudiante fait valoir son incompréhension alors qu'elle avait validé cinq semestres sur six et qu'elle aurait pu bénéficier d'une décision moins sévère lui permettant de progresser dans sa formation. Toutefois, eu égard au degré de gravité des manquements et à leur caractère répété, alors que l'intéressée est en fin de formation et que des observations lui avait déjà été faites sur ses insuffisances professionnelles, la section n'a pas commis d'erreur d'appréciation, ni pris une mesure inadaptée en prononçant l'exclusion définitive de la formation d'infirmière.
Nombreuses lacunes sur des soins et des connaissances, avec des erreurs sur l’identité des patients (TA Paris, 21 avril 2024, n° 2217724).
Lors du stage de rattrapage en soins palliatifs de troisième année, qui a débuté le 19 avril 2022, l’étudiante a commis des actes incompatibles avec la sécurité des personnes prises en charge et elle a été exclue du stage à compter du 31 mai 2022. L’étudiante a présenté de nombreuses lacunes sur des soins ou des connaissances qu'elle devrait maîtriser, comme la préparation d'un pousse-seringue électrique ou la connaissance des normes de glycémie. Elle a commis une erreur dans l'administration d'une prescription médicamenteuse, ayant donné un traitement à une autre patiente sans vérifier l’identité et la prescription médicamenteuse. Elle a présenté des difficultés de compréhension à la lecture des prescriptions médicales et des difficultés à s'organiser et à prioriser les soins.
L’étudiante conteste l'ensemble de ces faits mais elle ne produit aucune preuve alors que ces faits apparaissent cohérents au regard des reproches qui ont pu être formulés tout le long de sa scolarité, au cours de laquelle ont été régulièrement relevés des lacunes dans ses connaissances théoriques et pratiques, un défaut de confiance en soi et de maîtrise de soi, un manque de dextérité, d'initiative et d'autonomie.
Confusion parmi les médicaments, défaut d’asepsie, absence de maîtrise des actes et travail désorganisé (TA Cergy-Pontoise, 21 février 2024, n° 2300934).
Il ressort du rapport de stage que l’étudiante a commis une erreur dans la préparation du pilulier d'un patient en confondant les médicaments du matin et ceux du soir, a confondu la spécialité Dépamide® avec la spécialité Dépakine® et est passée d'une chambre sous isolement septique à une chambre non septique sans désinfection du matériel. Elle a commis une erreur dans le dosage de la spécialité Lepanthyl®, n'a pas respecté les règles d'antisepsie dans la réalisation d'un pansement de prothèse, a préparé un antibiotique en utilisant une aiguille intramusculaire à la place d'un set de transfert et a omis de réaliser un bilan de coagulation à l'occasion d'un bilan préopératoire. Globalement, elle manque de rigueur dans son organisation au travail et elle n'assure pas aux collègues qui lui succèdent, une transmission fiable, exhaustive et exploitable des informations relatives aux patients.
L’étudiante n'est pas dépourvue de qualités humaines et professionnelles, notamment dans l'accomplissement des gestes techniques de soins, mais les actes relevés sont incompatibles avec la sécurité des patients, justifiant l’exclusion définitive de l'Ifsi.
Un acte suicidaire après réception d’une sanction disciplinaire peut être reconnu comme un accident du travail par une analyse sur le lien de causalité, sans qu’il soit nécessaire de rechercher une faute de la hiérarchie (CA Amiens, 13 février 2024, n° 22/04318).
Le 29 juillet 2016, un conducteur d'engins a déclaré un accident du travail survenu le 4 juin 2016 mentionnant : « Tentative de suicide suite à choc psychologique lors de la réception d'une sanction disciplinaire injustifiée. Pratique de harcèlement moral depuis de nombreux mois. Enquête de l'inspection du travail ». Cette déclaration était accompagnée d'un certificat médical initial du 6 juin 2016 indiquant « F.43.25 et Z.73.5 » correspondant respectivement à « réaction à un facteur de stress sévère et trouble de l'adaptation », et « conflit sur rôle social ».
Le 31 octobre 2016, après enquête administrative, la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) a notifié au salarié une décision de refus de prise en charge de l'accident au motif que l'accident déclaré n’est pas d'origine professionnelle. Par jugement en date du 4 août 2022, le pôle social du tribunal judiciaire a dit que l'accident survenu le 4 juin 2016 devait être pris en charge par la CPAM au titre de la législation professionnelle.
Est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise (Code de la Sécurité sociale, Art. L. 411-1). En application de ces dispositions, constitue un accident de travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail dont il en est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci.
Il appartient au salarié qui allègue avoir été victime d'un accident du travail d'établir autrement que par ses seules affirmations, les circonstances de l'accident et son caractère professionnel. Le salarié bénéficie d'une présomption d'imputabilité pour tout accident survenu au temps et au lieu de travail. À défaut, il incombe au salarié de rapporter la preuve que l'accident est survenu par le fait ou à l'occasion du travail.
Constitue un accident du travail la tentative de suicide ou le suicide d'un salarié ayant pour origine une dégradation de ses conditions de travail. Ainsi la tentative de suicide, qui trouve sa cause dans la réception d'une sanction perçue comme injuste par le salarié, constitue un événement accidentel soudain, identifiable, ayant date certaine et à l'origine d'une lésion.
Le salarié a fait une tentative de suicide le 4 juin 2016 à son domicile alors qu'il était en arrêt de travail. La présomption d'imputabilité ne peut s'appliquer, la tentative d'autolyse n'étant intervenue ni au temps ni au lieu du travail et le salarié ne se trouvant pas sous la subordination de son employeur. Pour rapporter la preuve du lien direct entre le geste suicidaire et le travail, le salarié invoque la réception le 3 juin 2016 d'un courrier de sanction l'informant d'une mise à pied de trois jours et des faits de harcèlements au travail. Il produit un compte rendu d'enquête de l'inspection du travail, faisant suite à une dénonciation par le salarié de faits de harcèlement reprochés à son employeur. Le document conclut à l'absence de harcèlement moral mais retient une souffrance au travail avérée qui aurait pu aboutir à un drame humain.
L'inspecteur du travail indique que cette souffrance est multifactorielle et il cite :
- la réorganisation de l'entreprise dans un contexte tendu, génératrice de stress, et une modification des tâches pouvant conduire à une dévalorisation du poste de travail,
- un renouvellement de l'encadrement,
- la multiplication des journées à zéro (journées non travaillées) au-delà du seuil de 20 par an fixé par accord de modulation,
- l'irrespect des restrictions médicales d'aptitude.
Le salarié produit des attestations des membres de sa famille et d'amis indiquant qu’il ne parlait que de son mal-être au travail. Ils avaient constaté une dégradation progressive de son état psychologique et un état dépressif associé, indiquant : « La seule conversation possible concerne son mal au travail ». Ainsi, l'existence de conditions de travail détériorées, voire conflictuelles, et le mal-être du salarié du fait de son activité professionnelle, sont établis par les attestations produites et par le compte rendu de l'enquête de l'inspecteur du travail. Le courrier de sanction reçu le 3 juin 2016 a ainsi été le déclencheur de la tentative de suicide survenue le lendemain, soit dans un temps proche de la réception du courrier. L’épouse du salarié atteste à ce sujet qu'à réception du courrier notifiant la mise à pied, son époux était particulièrement perturbé dès lors qu'il ne comprenait pas cette sanction et qu'il pensait qu'il serait licencié à l'issue de sa mise à pied. Ainsi la tentative de suicide, qui trouve sa cause dans la réception d'une sanction perçue comme injuste par le salarié, constitue un événement accidentel soudain, identifiable, ayant date certaine et à l'origine d'une lésion, comme le démontrent le certificat médical initial et les certificats du psychiatre, et en lien avec l'activité professionnelle. Ces éléments concordants permettent de démontrer l'existence d'un événement précis survenu par le fait du travail.
Les professionnels et les établissements de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (CSP, Art. L. 1142-1 I). Dans le cas où la faute commise a compromis les chances du patient d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise n'est pas le dommage corporel constaté mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu.
Lors d’une prise en charge aux urgences d’une chute chez un enfant aux lourds antécédents médicaux, la non-prescription d’un traitement antihémorragique et l’absence de prescription d’un scanner sont des fautes ayant privé de toute chance de prodiguer les soins nécessaires (CAA de Lyon, 20 février 2024, n° 22LY00014).
Un jeune homme, né en 2002, est atteint d'une afibrinogénémie constitutionnelle, diagnostiquée en juin 2003. À la suite d'une double chute survenue à domicile le 18 novembre 2003, alors qu'il était âgé d'à peine 11 mois, il a été conduit le lendemain au service des urgences d’un centre hospitalier, d'où il est ressorti le 20 novembre. Il a été de nouveau pris en charge en urgence par cet établissement le 23 novembre suivant et encore le 29 novembre, date à laquelle un examen par scanner révèle de multiples hématomes intra-parenchymateux hyperdenses. L'enfant a alors été transféré au service de réanimation infantile d’un CHU où l'implantation d'un drain ventriculaire huit jours durant a permis de diminuer les pressions intracrâniennes. Retourné au centre hospitalier le 26 décembre, il a regagné le domicile familial le 1er janvier 2004. Il conserve des séquelles sérieuses de ces hématomes, et il a engagé un recours en responsabilité.
Lors de la prise en charge de l'enfant, le 23 novembre 2003, et contrairement à ce qui avait été pratiqué le 19 novembre précédent, l'équipe médicale du service des urgences du centre hospitalier ne lui a pas administré le médicament Clottagen®, destiné à prévenir les saignements liés à l'afibrinogénémie constitutionnelle dont il était atteint, lesquels peuvent conduire à des hémorragies intracérébrales suivies d'hématomes, et n'a pas fait pratiquer d'examen par scanner. Pourtant, cinq mois auparavant, en juin 2003, une médecin hématologiste du même établissement avait indiqué qu'en cas de traumatisme crânien, il fallait injecter le Clottagen®, toutes les 48 heures, et réaliser un scanner. Une telle abstention est fautive. Au vu des pièces du dossier, le taux de perte de chance a été évalué à 70 %.
La défaillance d’un matériel engage la responsabilité de l’établissement, sans qu’il ne soit nécessaire de prouver la faute. En revanche, s’agissant du geste chirurgical, la survenance du dommage n’est retenue que si ce dommage provient d’une faute du praticien (CAA de Nantes, 23/02/2024, n° 23NT00949).
Un patient a été pris en charge par un centre hospitalier le 5 mai 2017 en raison d'une sigmoïdite perforée. Le 16 mai 2017, à la suite d'une évolution défavorable de cette pathologie, il a subi dans ce même établissement une intervention de Hartmann, consistant en une résection colorectale sans rétablissement, dans l'immédiat, de la continuité digestive. Le 11 septembre 2017, il a été réhospitalisé afin de procéder au rétablissement de cette continuité. Au cours de l'intervention chirurgicale du 12 septembre 2017, une brèche de l'anastomose est survenue, qui a conduit le chirurgien à réaliser un renforcement de l'anastomose par des points de suture ainsi qu'une iléostomie de protection, provisoire.
Par la suite, une nouvelle intervention chirurgicale a été réalisée le 5 décembre 2017 en vue de fermer cette iléostomie. Le patient a présenté, au décours de cette dernière intervention, un état de choc septique et un scanner réalisé en urgence a mis en évidence un épanchement abdominal et une perforation du grêle. Il est décédé le 18 janvier 2018 dans un contexte de sepsis gravissime, à l'origine d'une nécrose étendue des quatre extrémités, dont il a dû être amputé, et d'une défaillance multi-viscérale.
Le service public hospitalier est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise (CSP, Art. L. 1142-1 I). Lorsque la responsabilité pour faute d'un professionnel n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam) (CSP, Art. L. 1142-1 II).
Au cours de l’intervention chirurgicale faite pour rétablir la continuité digestive est survenu un dysfonctionnement de la pince. Le chirurgien a observé, en effet, que lors du desserrage de la pince, la tête de celle-ci ne s'est pas axialisée, ce blocage entraînant un retrait forcé du dispositif et causant en conséquence une brèche dans l'anastomose qui venait d'être réalisée. Selon les experts, il s’agit d'un dysfonctionnement très rare mais connu de ce type de matériel médical. Aucune faute chirurgicale n'a été commise dans le retrait forcé de la pince, et la responsabilité du centre hospitalier est engagée à raison de la défaillance du matériel.
La brèche a eu pour conséquence, une fois assurée sa réparation chirurgicale, la réalisation au cours de la même intervention d'une iléostomie de protection, que l'intervention ultérieure du 5 décembre 2017 a eu pour objet de refermer. C’est lors de cette fermeture que la perforation de l'intestin grêle est survenue. Selon les experts, une telle perforation est constitutive d'un accident médical non fautif, résultant probablement d'une libération d'adhérences liées aux interventions antérieures. Dans les suites du choc septique très grave entraîné par cette perforation et d'un enchaînement de complications, le patient est décédé. Ainsi, le dommage en litige, qui s'inscrit dans la continuité d'une même prise en charge, a été causé de manière directe et déterminante par la survenance de la brèche anastomotique au cours de l'opération du 12 septembre 2017.
Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier est responsable, au titre de l'utilisation d'un matériel médical défectueux. L’indemnisation par l'Oniam ne joue qu’en l'absence d'engagement de la responsabilité d'un établissement de santé pour les mêmes conséquences dommageables, et l’Oniam ne peut donc être mis en cause.
L’administration d’un antipsychotique aux effets secondaires suicidaires n’est pas une faute, mais en sont une l’absence d’information du patient et des proches, et l’absence de surveillance adaptée (CAA Versailles, 6 février 2024, n° 20VE01604).
Un jeune homme, né en 1993, a été hospitalisé sans consentement à la demande de son père du 4 décembre 2011 au 6 janvier 2012 à la suite d'une décompensation d'allure psychotique. À sa sortie de l'hôpital, un traitement lui a été prescrit, modifié par la suite à plusieurs reprises, puis en novembre 2012, un antipsychotique, l'Abilify®, lui a été prescrit. Le 28 décembre 2012, le patient s'est rendu à la gare d'Argenteuil et il s'est suicidé en s'allongeant sur une voie ferrée.
L'administration de l'Abilify® entraîne un risque suicidaire et sa prescription doit être accompagnée d'un suivi psychologique régulier du patient. La prescription et la posologie de l'Abilify® à 20 mg par jour était adaptée. Toutefois, la modification de la prise en charge médicamenteuse n'a pas été accompagnée d'une information du patient, ni de ses parents, sur le potentiel suicidogène de l'Abilify®.
Un suivi des éventuels effets secondaires et de l'activité thérapeutique était à réaliser tous les quinze jours, et les consultations psychiatriques ont été maintenues espacées de trois semaines. Dans ces conditions, et alors même qu'aucune anomalie dans la prise en charge psychiatrique de l'intéressé ne peut être retenue, et qu'aucun antécédent ne permettait de prévoir ce suicide, ces manquements dans la surveillance et le suivi du patient dans sa prise en charge médicamenteuse et l'absence d'information des parents sur le risque suicidogène du traitement prescrit sont constitutifs de fautes de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier. Ils ont fait perdre une chance au patient de se soustraire au suicide. Il résulte du rapport d'expertise que le patient était atteint d'une pathologie psychotique chronique, laquelle présente déjà un risque suicidaire. Dans ces conditions, les fautes commises dans la prise en charge ont fait perdre au patient une chance d'éviter son décès qui a été évaluée à 30 %.
Après la chute d’un enfant, qui va mal et qui a vomi, l’absence de scanner crânien par le service des urgences, qui aurait révélé la présence d'un hématome sous-dural d'origine hémorragique, est une faute même si les signes n’étaient que peu évocateurs (CAA de Lyon, 13 février 2024, n° 22LY00804).
Un enfant, âgé d’un an, a été victime d'une chute à domicile. La chute arrière, de sa propre hauteur, survenue le 21 mai 2001 vers 19h00, sur un sol dur, a eu un impact au niveau de l'occiput. Le lendemain, l'enfant a vomi à trois reprises, à partir de 16h00, puis encore le matin du 23 mai, avant d'être conduit par ses parents au centre hospitalier, où il a été admis vers 18h30. Il a quitté l'établissement au matin du 24 mai, muni d'une prescription à visée antidiarrhéique, un médecin pédiatre ayant retenu un diagnostic de gastroentérite, alors que le secteur était frappé par une telle épidémie. Le 29 mai suivant, atteint de crises convulsives, ayant perdu connaissance, l'enfant a été de nouveau admis au service des urgences, où un scanner a révélé la présence d'un hématome sous-dural à gauche, qui a été évacué par trépanation fronto-temporo-pariétale gauche ostéoplastique, pratiquée le même jour au service de neurochirurgie des hôpitaux universitaires de Genève, vers lequel l'enfant avait été transféré.
À sa majorité, le patient conserve, consécutifs à sa chute du 21 mai 2001, une hémianopsie latérale homonyme droite et des troubles neuropsychiques.
L'enfant n'avait pas vomi durant la nuit du 23 au 24 mai passée à l'hôpital, et les examens, dont une radiographie du crâne, n'avaient rien révélé d'anormal. Toutefois, conformément aux recommandations générales de la Société de réanimation de langue française (SRLF) datant de 1990, les vomissements itératifs de l'enfant, associés à son changement de comportement signalé par sa mère, infirmière en secteur pédiatrique, auraient dû conduire le praticien hospitalier à faire pratiquer un scanner crânien, examen qui aurait révélé la présence d'un hématome sous-dural d'origine hémorragique, suspecté d'ailleurs par l'interne de garde.
Le praticien hospitalier devait, à défaut, décider de poursuivre la surveillance hospitalière, habituellement de 48 heures et qui, en l'espèce, débutée dans la soirée du 23 mai, n'a pas excédé la matinée du lendemain 24 mai. L'insuffisance des examens pratiqués, ainsi que la pose du diagnostic de gastroentérite, présentent ainsi un caractère fautif et cette faute engage la responsabilité à l'égard du patient.
Le lien de causalité. Le traumatisme crânien consécutif à la chute a généré une hémorragie sous-durale et un hématome qui, du fait de la pression osmotique intracrânienne, a peu à peu augmenté de volume, jusqu'à provoquer, le 29 mai, un nouveau saignement, à l'origine des convulsions de l'enfant et d'un coma avec une mydriase, ce qui a nécessité une trépanation en urgence. Ce nouveau saignement intracérébral ne trouve pas son origine dans un nouveau choc, dont témoigneraient de multiples hémorragies rétiniennes en fond d'œil. Il s'ensuit que la subite aggravation de l'état de santé de l'enfant, le 29 mai 2001, d'où résultent ses séquelles et ses préjudices, trouve son origine dans la chute du 21 mai précédent qui avait occasionné un hématome sous-dural, non diagnostiqué. Le lien de causalité est établi.
La perte de chance. Un scanner, réalisé soit dès l'admission de l'enfant, soit ultérieurement durant la surveillance hospitalière qui aurait dû être effectuée, aurait révélé la présence d'un hématome sous-dural. Cet hématome aurait alors été évacué par une procédure chirurgicale, qui est simple selon les experts. Une souffrance cérébrale serait-elle apparue, telle une crise convulsive, des soins auraient été immédiatement apportés à l'enfant, sous surveillance hospitalière. Il s'ensuit que le manquement du centre hospitalier, résidant dans l'absence de réalisation d'un scanner et de poursuite de la surveillance, a totalement compromis les chances de l'enfant d'échapper aux conséquences de l'aggravation, le 29 mai 2001, de son état de santé. Le taux de perte de chance s'élève ainsi à 100 %.
Une radiothérapie intensive, efficace pour juguler une mauvaise tumeur cancéreuse, et se trouvant à l'origine d'une dermo-hypodermite grave et d’autres complications lourdes, n’est pas fautive vu la priorité qu’était de combattre la tumeur. Le défaut d’information, établi, n’engage pas la responsabilité, vu la nécessité des soins. Les séquelles sont graves, mais l’alternative était le décès : toutefois, cette évolution est très rare, et l’Oniam doit alors en répondre (CAA de Bordeaux, 15 février 2024, n° 21BX04739).
Un patient, alors âgé de 44 ans, a été pris en charge dans un centre hospitalier pour un mélanome lombaire gauche métastasé au niveau ganglionnaire iliaque gauche, diagnostiqué en décembre 2013. Après une première exérèse chirurgicale et un curage ganglionnaire en février 2014, suivis d'une chimiothérapie, la récidive du mélanome a nécessité une seconde exérèse en juin 2014, suivie d'une immunothérapie en août 2014. En raison de la progression des métastases sous-cutanées, une radiothérapie associée à une immunothérapie a été réalisée entre le 8 septembre et le 30 octobre 2015, ce qui a permis une rémission complète du mélanome, constatée à partir du 24 février 2016.
Toutefois, la radiothérapie a été à l'origine d'une dermo-hypodermite grave, d'abord infectieuse puis nécrosante avec perte de substance de la fesse et de la cuisse gauches, nécessitant de nombreuses greffes et de multiples hospitalisations à partir du 18 novembre 2015, notamment dans le service des grands brûlés du CHU de Bordeaux du 8 décembre 2016 au 20 juin 2017, ainsi qu'un lourd traitement antalgique à base de morphine. Des épisodes de leuco-encéphalopathie postérieure réversible, dite posterior reversible encephalopathy syndrome (PRES), sont survenus en avril et mai 2018 à la suite du changement de cette pompe. Ce syndrome, qui a causé à deux reprises une cécité corticale temporaire, a laissé comme séquelles définitives une paralysie des releveurs du pied gauche et des extenseurs des orteils, ainsi que des troubles de la mémoire et de la concentration.
Il ressort de la classification de la tumeur (T4bN3bM1a) qu'elle envahissait les structures adjacentes, avec au moins 16 ganglions lymphatiques régionaux et la présence de métastases à distance, ce qui était de mauvais pronostic. Il n'existait pas de référentiel concernant l'irradiation de mélanomes de grande taille, cette prise en charge étant extrêmement rare, et il était admis que l'efficacité d'un tel traitement imposait des doses par fraction nettement supérieures à celles utilisées pour traiter d'autres cancers.
Les experts ont admis que la dose importante de radiations avait permis de contrôler la tumeur, mais ils ont estimé que les doses administrées de 54 grays (Gy), équivalant à 90 Gy dans une radiothérapie conventionnelle, s'écartaient des bonnes pratiques et devaient de ce fait être regardées comme fautives. Toutefois, il appartient aux médecins d'apprécier l'utilité de s'écarter des bonnes pratiques pour donner au patient les meilleures chances de survie, et les experts n'ont pas suggéré que la rémission aurait pu être obtenue avec des doses moindres. Dans ces circonstances, aucune faute ne peut être reprochée dans le choix du traitement.
Droit applicable. Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence (CSP, Art. L. 1111-2).
La faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé pour la perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.
Analyse. Le patient n'a pas été informé des risques d'atteinte cutanée grave et de PRES aux conséquences potentiellement graves. Toutefois, eu égard à l'évolution du cancer métastasé qui avait résisté aux autres traitements et aurait entraîné son décès dans un délai de trois à six mois, il résulte de l’analyse qu'il aurait accepté cette dernière tentative thérapeutique s'il avait été informé de ces risques. Le défaut d'information ne l'a donc privé d'aucune chance d'échapper à leur réalisation.
Indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques encourus ouvre pour le patient, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité. Il est alloué pour ce préjudice moral d'impréparation une somme de 5 000 euros.
Droit applicable. Lorsque la responsabilité d'un professionnel de santé n'est pas engagée, un accident médical ouvre droit à la réparation des préjudices du patient lorsqu'ils sont directement imputables à des actes médicaux et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité de 25 % d’incapacité (CSP, Art. L. 1142-1 II).
Cette condition d'anormalité du dommage est remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Une probabilité de survenance du dommage inférieure ou égale à 5 % présente le caractère d'une probabilité faible, de nature à justifier la mise en œuvre de la solidarité nationale.
Analyse. Les séquelles des irradiations ont conduit à un taux de déficit fonctionnel permanent de 55 %. La dermo-hypodermite nécrosante est une complication du traitement du mélanome par radiothérapie, et le premier épisode de PRES est survenu le 29 avril 2018, dans un contexte de rebond hyperalgique majeur au cours du changement de la pompe intrathécale destinée à calmer les douleurs causées par la complication cutanée gravissime. Ce syndrome rare, dû en général à une élévation brutale de la tension artérielle chez un patient hypertendu, ne peut présenter un lien ni avec les traitements par chimiothérapie, ni avec le mélanome dont la rémission complète avait été constatée en février 2016. Il ne peut être qu'une conséquence du stress provoqué par le rebond hyperalgique en lien avec le changement de la pompe intrathécale.
La dermo-hypodermite nécrosante et le PRES résultent ainsi du même accident médical causé par la radiothérapie. Leurs conséquences ne sont pas notablement plus graves que le décès dans un délai de trois à six mois auquel le patient était exposé en l'absence de ce traitement. Toutefois, les experts ont qualifié le risque de survenue de la dermo-hypodermite nécrosante gravissime d'« exceptionnel et non chiffrable ». La probabilité d'une survenue conjointe de ces deux complications est donc inférieure à 5 %, et les conséquences indemnitaires sont mises à la charge de l’Oniam.