OBJECTIF SOINS n° 0298 du 12/03/2024

 

DOSSIER

Yannick Moszyk  

Cadre de santé formateur, Ifsi Charles-Foix (AP-HP), Ivry-sur-Seine

Le lien pédagogique est un élément fondamental pour faire comprendre aux étudiants en santé comment être en relation avec les patients. Pour autant, ce lien se doit d’être construit pour cheminer ensemble ; c’est en apportant des éléments de réflexivité que nous pouvons surmonter les difficultés et structurer les apprentissages, tant dans la relation éducative que dans la relation de soins.

Une fondation structurante pour construire le lien patient-soignant

Dans le cadre de la formation initiale des métiers paramédicaux, le lien pédagogique entre le formateur et l’apprenant est, pour la relation didactique entre eux, un point fondamental. Néanmoins, construire ce lien ne nécessite pas seulement une simple mise en confiance, un banal respect, ou une brillante et mécanique démonstration d’une légitimité issue de l’expérience. Bien plus, pour permettre une connexion avec ces étudiants efficace et propice à leurs élaborations et à la confirmation de leurs intentions professionnelles, c’est à celui qui accompagne ces futurs soignants de concevoir plus sensiblement le lien pédagogique dans ses aspects sociaux, psychiques et culturels. C’est sur cette base que cette attache particulière permettra alors aux formés, plus tard, d’échafauder un lien avec leurs patients.

Apprendre la relation à l’autre

Faire apprendre aux étudiants en santé à accompagner leurs semblables dans des situations de soins ne peut pas être réduit à l’enseignement de l’écoute ou de l’empathie. Il existe certes des dispositifs pédagogiques particuliers pour perfectionner les attitudes professionnelles, notamment autour de la pratique du terrain ou de la simulation ; toutefois, l’expérimentation pour développer les capacités, en particulier en communication, ne peut se suffire à elle-même. En effet, la subjectivité des apprenants, tout comme leurs parcours antérieurs, peuvent impacter leurs apprentissages.

Par exemple, au travers de résonances fugaces, voire tenaces, en lien avec son vécu de formation, l’étudiant éprouve parfois certains sentiments ou vit des interrogations qui peuvent l’empêcher de travailler sereinement sur la mise en sens de son parcours d’accompagnement des patients. Des discours parfois normés, de la part de certains encadrants, autour du dépassement coûte que coûte ou de la maîtrise des situations, peuvent conduire alors au sentiment de manque de reconnaissance de ce que le formé peut vivre. En retour, il peut manifester un oubli de lui-même, une difficulté à mettre en mots, et éprouver de l’angoisse le menant à être moins présent à lui-même et aux autres. En conséquence, c’est toute la progression scolaire qui s’en trouve perturbée.

Pour d’autres futurs soignants, bien qu’ils soient informés de l’évidence et de la nécessité d’être en sécurité psychique pour mieux apprendre, il peut exister d’autres nœuds ou d’autres échos qui viennent assombrir les enseignements et qui surgissent au travers de situations éducatives réactivant des angoisses qu’ils croyaient oubliées. Dans ces conditions, il n’est pas rare que ces étudiants ne puissent surmonter leurs conflits psycho-socio-cognitifs inhérents. Leur incapacité à comprendre tout comme leur difficulté de dire peut alors les conduire à l’envahissement ou à des conduites de fuite. L’interruption de la formation constitue alors l’épilogue négatif d’un épisode de vie en formation dans lequel l’immaturité d’élaboration n’a pas permis de dépasser les éprouvés de celui qui venait « apprendre un travail », sans penser apprendre sur lui-même.

Les aspects psychiques et sociaux sont souvent mêlés en formation et, trop occupé par le devoir d’ « avancer » dans ses unités d’enseignement, l’étudiant peut ne pas s’apercevoir qu’une relation de soin l’a percuté ou qu’un domaine, une spécificité, l’a interrogé ou bloqué. C’est pourquoi il peut montrer des symptômes tels qu’une absence d’investissement en classe ou une diminution d’implication en stage.

Le formateur, quant à lui, ne possède pas dans sa fiche de poste, la mission d’apaiser l’apprenant, et il n’est ni psychologue ni sociologue. De plus, « donner une bonne forme » à un parcours d’apprentissage ou à un chaos d’éprouvés, parfois très régressés, convoque pour chacune des personnes qui participe au développement des savoirs soignants, des modèles identitaires qu’elle transmet sans forcément les avoir conscientisés(1). En conséquence, des éléments transféro-contre-transférentiels en lien avec le propre vécu éducatif du formateur, tout comme des interrogations sur la bonne manière d’accompagner les étudiants, peuvent se juxtaposer. Dans ces conditions, il peut exister, pour celui qui tient et suit la classe, un paradoxe entre le fait d’exercer ceux qu’il forme à accompagner les patients, alors même qu’il ne sait pas toujours décrypter leurs situations personnelles parfois complexes en lien avec leurs apprentissages.

Autrement dit, même si chaque formateur peut concevoir son poste subjectivement en raison de sa sensibilité, de sa façon d’appréhender son travail invisible d’accompagnement et de ses capacités à observer et lire les situations des étudiants, il peut exister une question commune sur la façon de permettre aux étudiants de devenir des soignants. Ainsi, avant même le contact pérenne avec la réalité des soins, comment, au sein du dispositif de formation, faire s’interroger et évoluer les apprenants sur la relation avec ceux qui, comme eux ou comme d’autres formateurs, peuvent passer par l’incertitude, l’angoisse ou la souffrance ? Travailler le lien semble alors essentiel.

D’abord pédagogique entre le formateur et ses étudiants puis soignant entre ces derniers et les patients, le lien pourrait se concevoir comme un processus permanent et essentiel. Cependant, même s’il est avant tout question d’attache à l’autre, sa représentation peut paraître impensée alors même qu’il s’agit d’une condition obligatoire pour construire la relation.

Le lien, une impulsion du formateur

Généralement, et quelles que soient les formations paramédicales, des actions pédagogiques spécifiques permettent de questionner ce rapport à l’autre à partir d’évocations diverses autour de la santé, de la maladie, du vieillissement ou du handicap(2) ; peuvent alors naître des mises en sens utiles à l’adaptation dans les prises en soins. En outre, dans le cadre de la formation théorique, la reprise de concepts sociologiques en lien avec le rapport au temps et le positionnement face aux événements de vie, tout comme l’insistance sur des notions psychologiques autour du développement du sujet et de sa défense face à des situations distinctes, permettent aux étudiants en santé de comprendre ce par quoi peuvent passer les patients et les aidants. Cependant, cette conscientisation ne peut efficacement s’effectuer que si le formateur a pensé son lien pédagogique antérieurement à ses actions de formation.

En effet, le choix de points d’impacts réflexifs dans la transmission de messages en lien avec le partage humain, l’usage des méthodes les plus ciblées et adaptées par rapport à la thématique de l’accompagnement soignant ou encore l’ensemble de l’ingénierisation des enseignements en rapport avec la prise en charge paramédicale, ne peuvent être véritablement conduits dans l’action pédagogique que si la notion de lien à l’autre a été au préalable a minima élaborée.

Nous pourrions penser que la précédente expérience soignante de celui qui anime les contenus et inculque les savoirs et gestes des métiers du soin, le rend légitime pour parler de la relation soignant-soigné. Toutefois, un aide-soignant, un infirmier, un psychomotricien ou un ergothérapeute compétent ne fait pas forcément un bon transmetteur. Au-delà de ses capacités et qualités éducatives et formatives, le professionnel qui a choisi d’évoluer pour désormais enseigner se doit, non pas de faire reproduire à l’identique ce qu’il a vécu et communique, mais de montrer de la réflexivité pour qu’à leur tour, les étudiants en fassent preuve.

En pratique, il ne s’agit alors pas de matérialiser « bêtement » des valeurs, des expériences passées ou des injonctions de bientraitance, mais d’accompagner, à partir de son propre travail de conception et d’élaboration, du partage humain. Cette introspection initiale du formateur est alors un point d’ancrage nécessaire pour faire vivre différemment tant l’enseignement de l’expérience que les valeurs ou la réflexion sur les postures dans les pratiques d’accompagnement soignant. Autrement dit, il ne s’agit pas de « remplir » l’apprenant avec ce qui n’a pas été symbolisé par le formateur mais, à partir du propre travail d’élaboration de ce dernier, et quel qu’en soit son niveau, de lui donner des clés pour qu’il puisse à son tour mettre en perspective sa propre pratique soignante, pour ainsi la transformer qualitativement.

À partir de cette mise en sens a posteriori sur son propre lien soignant du temps où il exerçait, le formateur peut, ainsi, mieux travailler sur la forme de sa transmission. Ce faisant, il élabore les prémices d’un lien pédagogique qui, à la fois prend sa source dans son métier antérieur, et redistribue ses assimilations aux étudiants pour qu’ils teintent leurs pratiques du lien avec les patients dont ils ont la responsabilité.

Pour cette raison, ce passage intrapsychique du formateur dans les conceptualisations, les temporalités et les transformations professionnelles, peut se concevoir comme une mise en abyme qui permet la socialisation de ceux qu’il accompagne. Dans cette acception, former nécessite d’être passé par ce que l’autre vit et d’en avoir produit de la pensée pour qu’à son tour, l’étudiant puisse en tirer des enseignements et orienter ses postures. Le lien pédagogique, plus incarné, permet ainsi de métamorphoser la pratique professionnelle de ces futurs soignants, par eux-mêmes et au travers du travail de réflexion du formateur.

Le lien pédagogique, un travail d’équipe

Malgré ce travail personnel pour penser le lien pédagogique, tout comme ses retombées et ses objectifs, il peut toutefois exister des différences de représentations au sein de l’équipe. En effet, même s’il peut arriver que des sensibilités, notamment pédagogiques, se rencontrent, chaque formateur conçoit son travail et ses postures de façon singulière à partir de sa personnalité, de son rapport au monde, de son vécu, de ses grilles de lecture ou de ses propres capacités à symboliser. En conséquence, il n’existe pas une seule mais de multiples conceptions du lien pédagogique qui peuvent s’assembler, se juxtaposer maladroitement voire se confronter jusqu’à la déliaison des relations au sein de l’équipe pédagogique.

Les comparaisons hâtives sans élaborations, les injonctions diverses, le manque de temps institutionnel pour parler des pratiques éducatives et formatives ou simplement rencontrer les collègues et comprendre pourquoi ils usent d’autres méthodes dans leurs actions et suivis auprès des étudiants peuvent, tout comme l’illusion d’un idéal de fonctionnement groupal, faire disparaître la nécessité de construire l’équipe et ses liens de travail.

Ainsi, à partir des réflexions des uns et des autres, il semble essentiel de travailler la rencontre, informelle ou, plus orientée, à partir de thématiques pédagogiques, pour permettre d’évoquer des différences de points de vue ; non pas pour choisir une voie, mais pour mieux comprendre comment les différences des uns et des autres peuvent « s’additionner » et s’enrichir mutuellement.

Autrement dit, il ne s’agit pas de fantasmer une pacification des relations internes au sein des équipes pédagogiques et une unification du sens pédagogique, mais de permettre une culture de la parole, au-delà du lien affectif, pour « supporter » la relation de travail et en faire un objet réflexif autour du lien pédagogique entre collègues. Ce type de relation, n’étant pas normé mais suffisamment riche des symbolisations des uns et des autres, permet alors à chacun de teinter sa propre pratique tout en contribuant au sens pédagogique commun. En retour, c’est le lien pédagogique à l’étudiant qui s’enrichit de davantage de nuances dans la lecture des situations.

Ce cheminement d’équipe, en particulier autour d’un travail pour être ensemble et faire ensemble « avec les collègues et pour les étudiants », peut être vu comme un soin apporté à l’équipe formative pour mieux penser son sens et ses valeurs pédagogiques. Bien plus, il peut être vécu par les étudiants comme un surcroît de confort et une amélioration, en ce sens où chacun d’eux pourra alors trouver en l’équipe une ressource, puisque chacun des formateurs aura étayé sa propre pratique du lien formatif et éducatif.

Cette réponse pédagogique améliorée nécessite également d’élaborer ensemble ce qui peut fragiliser. Ainsi, certaines configurations institutionnelles subies, tout comme certaines modélisations pédagogiques qui peuvent, si elles sont peu pensées, orienter voire affaiblir le lien pédagogique, se doivent d’être identifiées pour tenter de trouver des adaptations. Il en est de même concernant les difficultés personnelles de certains membres quant à la transition entre les savoirs scientifiques et les savoirs pratiques, notamment autour du savoir-être, ou encore entre leur métier d’origine et la fonction cadre.

Pouvoir discuter des réalités pour, ensemble, construire des socles d’accommodation à destination de l’équipe et des étudiants, au bénéfice de l’évolution professionnelle positive de chacun reste, toutefois, un défi du travail de pensée du lien.

Le mouvement de réflexivité doit donc continuer à être travaillé pour partager les éprouvés ; faire avec les différences structurant le sens commun, favoriser les créativités pédagogiques et construire le groupe professionnel de formateurs, son histoire, ses appartenances, pour permettre à chacun en son sein d’être reconnu et relié aux autres membres, quels que soient les niveaux d’élaboration ou de sensibilité autour de la visée d’accompagnement pédagogique(3).

Le lien pédagogique, un travail du réel à partir du symbolique

Se reconnaître soi-même et reconnaître son équipe pour construire le lien pédagogique et permettre aux étudiants de mieux symboliser leur lien avec le patient ne passe pas non plus par une forme de modèle à reproduire et à asséner. Rien n’est automatique. Au contraire, il s’agit d’humilité et d’adaptation à la réalité puisqu’il existe autant de liens que de relations, ou de grilles de lecture de celles-ci.

Chacun, en fonction de ses capacités d’élaboration et d’ouverture, peut alors être ou non en présence de l’autre. L’important est peut-être alors de « faire avec » cet autre pour se déplacer ensemble par l’écoute et la parole, dans un chemin d’apprentissage particulier où, quelle que soit son identité et quels que soient les éprouvés, réactivés, dépassés, ou toujours présents, il existe du partage pour avancer.

Ce qui pourrait se concevoir comme une symbolique de progression reste un support pour affronter la réalité, que l’on soit formateur vis-à-vis des étudiants en santé, ou futur soignant vis-à-vis des patients pris en charge, l’image du chemin ensemble est alors un avatar du lien dans la relation.

C’est à partir du suivi pédagogique et des expériences de classe que le formé peut prendre conscience de l’importance de cette groupalité dans laquelle il existe à part entière quels que soient son parcours et ses éprouvés. Chacun à son niveau peut alors apporter à l’autre pour favoriser la mise en sens et construire réciproquement de nouvelles postures de compréhension. Celles-ci peuvent étoffer le professionnalisme des futurs soignants et approfondir les relations de travail, améliorer l’accompagnement des patients ou leur empowerment. De ce fait, c’est la qualité de la réflexion autour de la transmission des enseignements qui contribue à la qualité des soins par des liens évidents d’attention à l’autre.

L’espace de formation, un lieu originel

Dans cette relation repensée, il ne s’agit pas ici d’adopter une vision naïve des obstacles en lien avec les subjectivités des protagonistes, mais de penser la réalité du travail comme un objet réflexif contributif à l’amélioration des mises en sens où l’introspection et l’analyse du professionnel, quel que soit son niveau, aura des impacts sur l’autre en matière d’apprentissage et d’adaptation.

Un formateur pourra ainsi accompagner les étudiants en leur apportant des possibilités de dépasser leurs conflits socio-cognitifs voire de reconnaître les échos de ce qui fait obstacle aux apprentissages ; un soignant quant à lui pourra aider ceux qu’il soutient à supporter les difficultés de la maladie.

Quoi qu’il en soit, les postures d’attention à l’autre, au-delà de l’écoute indicible et de l’empathie, sont les fondamentaux du lien qui s’apprennent à l’école.

Apprendre à être en lien au travers de la relation pédagogique et du groupe de formés pour (se) permettre d’évoluer en son sein, en se sentant entouré quelles que soient ses problématiques, permet alors de créer d’autres expériences de relations, ici soignantes. L’expérimentation du lien pédagogique et la réflexion sur celui-ci contribuent ainsi au lien soignant, et c’est toute la socialisation professionnelle des futurs soignants qui s’en trouve améliorée. 

Conclusion

Le lieu de formation reste donc un endroit important pour construire tant la connaissance de soi-même que l’identité soignante. Pouvoir y être reconnu, accompagné, sans être jugé, permet aux étudiants de mettre en sens leurs éprouvés négatifs et de dépasser leurs difficultés. Cependant, cette prise en compte spécifique au travers d’une élaboration de l’accompagnement par le formateur se doit d’être constamment pensée. Ainsi le lien pédagogique, s’il se fait plus précis et plus complet, peut permettre aux formés de se sentir acceptés et au formateur d’être plus efficient dans sa pratique d’accompagnement. Cette relation qui se construit tout au long du parcours de formation est alors un socle sécuritaire important pour l’étudiant, qui a compris que chacun peut reconnaître et apporter à l’autre et que ce cheminement ensemble peut désormais être enseigné aux patients.

En pratique

Formateur depuis plus de 10 ans, j’ai construit une pratique d’accompagnement des étudiants en santé (étudiants infirmiers, étudiants cadres de santé, etc.) et des professionnels en formation continue (diplôme universitaire Santé mentale, formations autour de la communication, etc.) qui se veut prioritairement sensible. Infirmier en santé mentale durant une première partie de mon parcours professionnel puis cadre de santé dans ce même domaine, je me suis toujours interrogé sur ce décalage entre ce par quoi pouvait passer l’autre et sa nécessaire adaptation au monde qui l’entourait. Cette « structuration du chaos »*, tant dans les soins que dans la formation, passe avant tout, dans ma pratique professionnelle, par la création de la relation ; autrement dit en formation, d’un lien pédagogique.

Se savoir écouté, non jugé et accepté permet à l’autre de manifester ses doutes, interrogations et angoisses ; en conséquence, sans dépasser le cadre de mes fonctions désormais uniquement pédagogiques, je peux proposer de multiples types de dispositifs d’analyse des pratiques et de nombreuses études de situations vécues par les formés pour leur permettre de mettre en mots, puis en sens didactiques, ce qui les animait et ce qui empêchait leurs apprentissages. Par là même, je contribue à apporter des décalages, des éclairages voire des apports théoriques utiles au dépassement de la situation, à la progression pédagogique et à la transformation des pratiques professionnelles de ceux qui, à un moment donné, ont éprouvé des « nœuds » psycho-socio-cognitifs en eux.

Au-delà des liens avec mon premier métier, cette pratique d’accompagnement s’est construite grâce à un master en sciences de l’éducation d’orientation psychanalytique et s’est enrichie des dispositifs de supervision de ma pratique pédagogique, auxquels j’ai pu participer. Toutefois, c’est le travail constant de « troisième mi-temps » avec mes collègues qui me permet encore aujourd’hui de m’interroger et d’élaborer avec eux de nouvelles lectures des situations auxquelles nous sommes confrontés.

Au quotidien, nous sommes témoins de certains agissements, dans la classe ou dans le cadre du suivi pédagogique individualisé, qui sont souvent l’expression de régressions, d’interrogations et d’angoisses (par exemple, vis-à-vis de la mort, de la nudité, de la folie ou encore de la laïcité) et qui peuvent orienter négativement les apprentissages. Je pourrais alors simplement rappeler un cadre ou donner des indications peu réalistes du genre « Il faut que ». Néanmoins, j’ai bien conscience que la personne n’entendrait pas ce que j’ordonne ou comprendrait mes mots comme une injonction à la performance.

Alors, je dois trouver en moi des ressources d’adaptation ou de créativité, ou bien trouver dans les situations des instants où nous pourrions être en contact pour évoquer l’actualité problématique. Ainsi, j’utilise des postures, des intonations et des actions différentes en fonction de la capacité de l’étudiant à symboliser, de son niveau de maturité psychique, ou encore de ses besoins fondamentaux. Je ne sais pas toujours où cet autre va, ou veut m’emmener, mais j’ai conscience que la relation qui se tisse permet à l’un et à l’autre de comprendre le cheminement pris ensemble pour mieux apprendre, là où il était bloqué.

La mise en mots, l’humour, le respect, le non-jugement, la reconnaissance de ce par quoi j’ai moi-même pu passer en tant qu’étudiant, la créativité tout comme parfois la fermeté, restent alors des incarnations ou des colorations du lien pédagogique dans la relation didactique. Quoi qu’il en soit, chaque intention est pensée de façon à permettre à l’autre de progresser et d’apprendre de la situation.

*Françoise Hatchuel, Soutenir le travail : une posture psychique face au chaos. Connexions, 2012/1 (n°97), pages 119 à 135.

Notes

1. Eugène Enriquez, Petite galerie de portraits de formateurs en mal de modèles, Cliopsy, 2018 ; n° 20, pages 145 à 160.

2. Par exemple, l’ouvrage Handicap et accompagnement infirmier, Émilie Manon et Sylvain Dumont, Éditions Lamarre, 2022.

3. Cf. Le lien soignant, une construction collective, Georges Gaillard. In : Soins psychiques, les soignants à l’épreuve, Revue Empan, 2023 ; n°131, pages 25 à 33.