QUALITÉ
Vincent Bouillault Sophie Messaïli
Infirmier aux urgences psychiatriques de l’Hôpital Novo (95), étudiant en pratique avancéeInfirmière en centres de santé municipaux de Montreuil (93), étudiante en pratique avancée
À l’heure où la question du sens se fait de plus en plus prégnante dans notre système de santé, nous trouvions intéressant de revenir sur des approches conceptuelles qui pourraient nous aider à formaliser des projets tant sur l’accompagnement, la professionnalisation que l’attractivité et le prendre soin. Ainsi, nous présentons un des fondamentaux de notre profession de manager : le mentorat.
Pour le Dictionnaire de l’Académie française, le nom masculin « Mentor » fait référence au personnage de l’Odyssée d’Homère(1), noble habitant d’Ithaque, ami d’Ulysse. Fénelon a emprunté et développé cette fiction et fait de Minerve, sous la figure de Mentor, le gouverneur de Télémaque(2). Le mentor est « une personne servant de conseiller sage et expérimenté »(3). Le mentor serait donc une personne avisée, servant de guide à une personne en situation d’apprentissage de façon informelle ou formelle. Selon le dictionnaire Trésor de la langue française(4), en 1749, Mentor devient une antonomase(5). Le mentor représente aujourd’hui la personne qui pratique un accompagnement basé sur son expérience. Cela induit une relation de confiance où de nouvelles compétences seront attendues, selon une durée plus ou moins longue, jusqu’à l’autonomie de la personne dite « mentorée ».
Il convient de distinguer le « mentoring » du coaching. « Alors que le coaching est défini comme « l’accompagnement d’une personne destiné à favoriser une meilleure expression de ses qualités, de ses ressources ou de ses compétences » […], le mentoring est classiquement considéré comme une relation « profitable », le plus souvent entre un manager expérimenté et un manager moins expérimenté, qui peut diversement se décliner dans une organisation ou une profession »(6).
Il existe une relation mentor/mentoré explicite, qui est théorisée vers les années 1980. En 1985, Kram(7) suggère que le mentor a deux grands rôles : « la carrière (coaching, protection, …) et un certain soutien psychologique (développement d’un sentiment de compétences, conseil, ...) ». Pour Houde(8), « un mentor exerce plusieurs fonctions auprès du mentoré, dont les trois suivantes sont primordiales : le défi, le soutien et le projet (rêve de vie) ». Fowler(9) complète en affirmant que « Le mentor a un rôle de guide personnel et émotionnel, une facilitation à l’apprentissage, de la remise en question, un modèle de rôle, de la facilitation dans le développement de la carrière, des conseils relatifs aux systèmes et stratégies ainsi que de l’amitié ». Ce terme de mentorat évolue dans un cadre bienveillant. Il est représenté par le mentor, qui encourage et entoure le « mentoré » dans le but d’acquérir et de développer des compétences.
Le mentorat devient « une stratégie d’accompagnement dans laquelle le mentor partage ses connaissances, ses habiletés et ses compétences avec un novice dans la profession »(10). Cette vision interpersonnelle fait évoluer ce terme dans le vocabulaire du management, dans une logique managériale et pédagogique pouvant faciliter les échanges au bénéfice d’un service, d’un fonctionnement institutionnel, d’un codéveloppement professionnel où les relations semblent reposer sur la capacité à coopérer(11).
Cette démarche de soutien, d’échanges, s’expérimente aussi dans un contexte intergénérationnel, où le mentoré peut être aussi un mentor, comme pour l’utilisation des nouvelles technologies. Le « peer mentoring » caractérise cette nouvelle approche où les protagonistes alternent les rôles de mentor-mentoré(12).
Dans le domaine de l’enseignement, Alain Baudrit(13), en 2011, traite du concept de mentorat. Pour lui, le mentor a pour fonction, dans la formation des enseignants, d’« amener les mentorés à passer d’un apprentissage traditionnel à un apprentissage coopératif », avec plusieurs compétences, comme des « habiletés sociales pour pouvoir communiquer avec autrui, une attitude empathique pour comprendre ce que ressent autrui. C’est-à-dire être une personne capable de mettre un professeur novice en situation de questionnement à des fins de perfectionnement professionnel… ».
En sciences infirmières, le mentorat peut être une forme d’application du modèle d’Imogène King, où l’être humain est perçu comme un système ouvert en constante interaction avec son environnement. Dans sa théorie, King(14) « sensibilise les soignants à l’importance du processus de communication permettant les interactions indispensables aux quatre processus dans la relation soignant-soigné : le processus de soin, le processus de la pensée critique, le processus de la transaction et le processus de prise de décision éthique »(15). La relation mentorat-mentoré permettrait ici d’interagir dans un souci de qualité des soins formalisé par un processus d’échanges conceptualisés.
Parmi les nombreux travaux sur le rôle de l’infirmier en pratique avancée (IPA), Ann Hamric(16) a conceptualisé les pratiques avancées en les déclinant en sept compétences principales :
- la pratique clinique,
- l’expertise et le conseil,
- la recherche,
- la collaboration,
- la prise de décision éthique,
- l’expertise dans l’accompagnement du patient,
- le leadership.
À partir de ces éléments, une « culture mentorat » formalise un savoir expérientiel mise au service d’une équipe soignante pour le bénéfice des patients. Dans un service, et selon A. Savoie(17), la « relation mentorale formelle » peut être perçue « comme une relation d’un à un, intense, dans laquelle une personne chevronnée partage son expérience avec une autre personne [...] Cette relation éducative vise la croissance globale du mentoré à la fois comme travailleur et comme personne ». Pour Saito et Blyth(18), la typologie du mentorat est fondée sur des variations dans les dimensions de la structure des rapports, la durée minimale de contact, l’intensité des rapports, la nature de l’activité et de son emplacement ainsi que la supervision.
Nous le voyons bien, le mentorat peut donc prendre différents aspects : être individuel ou collectif, occasionnel ou permanent, formel ou informel, à court ou à long terme, actuel ou virtuel. En raison de la diversité et de la quantité de facteurs intervenant dans le mentorat, celui-ci peut prendre de nombreuses formes afin de répondre à la complexité et à la diversité de contextes (service d’un hôpital, exercice libéral, formation initiale, formation continue(19), etc.). Il appartient au cadre de santé manager, formateur, coach, accompagnateur, de s’en saisir.
1. Bibliothèque nationale de France. Dossier : Homère, sur les traces d’Ulysse. Les essentiels. https://essentiels.bnf.fr/fr/litterature/antiquite/523f3805-7ddb-43de-90c6-d1e964e8b833-homere-sur-traces-ulysse
2. Fénelon. Les Aventures de Télémaque, 1699.
4. Trésor de la langue française, Centre national de ressources textuelles et lexicales: https://www.cnrtl.fr/portail/
5. Figure de style qui consiste à faire d’un nom propre ou d’une périphrase un nom commun, ou inversement, d’employer un nom commun pour désigner un nom propre.
6. Persson S, Ivanaj S. Faut-il adopter le mentoring en France ? État des savoirs et perspectives généalogiques. Management & Avenir. 2009/5 ; 25 : 98-115.
7. Kram KE. Mentoring at Work: Developmental Relationships in Organizational Life. Glenview, IL: Scott Foresman ; 1985.
8. Houde R. Des mentors pour la relève. Montréal : Éditions du Méridien ; 1995.
9. FOWLER, J. Mentoring relationships at work: An investigation of mentoring
functions, benefits, and gender. Doctoral Thesis. Griffith University : Nathan Australia ; 2002.
10. Marin Tamayo JJ. Le mentor, ce nouveau venu dans la formation du nouveau personnel enseignant. Revue Lumen Vitae. 2008/2 ; Vol. LXIII : 147-160.
11. Cultiaux J. Codéveloppement et intervention. (co-development and intervention – co-desarrollo y intervención) », dans : Vandevelde-Rougale A, Dictionnaire de sociologie clinique. Toulouse : Érès, Sociologie clinique ; 2019. p. 133-134.
12. Ollivier D, Tanguy C. 12. La collaboration intergénérationnelle au service de la performance collective, dans : Ollivier D, Tanguy C. (dir). Générations Y & Z. Le grand défi intergénérationnel. Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur, Le management en pratique ; 2017. p. 225-247.
13. Baudrit, A. (2011). Mentorat et tutorat dans la formation des enseignants. Louvain-la-Neuve, Belgique: De Boeck Supérieur. doi:10.3917/dbu.baudr.2011.01.
14. King IM. King’s theory of goal attainment. Nurs Sci Q. 1992 Spring ; 5(1) : 19–26, dans Tacchini-Jacquier N, Morin D. Perception des habiletés pratiques et des connaissances en matière de soins gériatriques chez des infirmières des services d’urgence en Suisse. Recherche en soins infirmiers. 2016/1 ; 124 : 97-107.
15. Tacchini-Jacquier N, Morin D. Perception des habiletés pratiques et des connaissances en matière de soins gériatriques chez des infirmières des services d’urgence en Suisse. Recherche en soins infirmiers. 2016/1 ; 124 : 97-107.
16. Hamric AB, Hanson CM, et al. Advanced Practice Nursing: An Integrative Approach. Philadelphia : Elsevier Health Sciences ; 2013.
17. Savoie A, Lapointe D. et al. La relation mentorale formelle en milieu de travail : apports de la recherche à la pratique. Pratiques Psychologiques. 2008 ; Vol. 14, n° 2 : 171-184.
18. Mathieu C. Les déterminants du développement de l’auto-efficacité entrepreneuriale dans un contexte de mentorat. Revue de l’Entrepreneuriat / Review of Entrepreneurship, 2011/3 ; Vol. 10 : 13-31.
19. Schwingrouber J, Loschi A, Gentile S., et al. Étude exploratoire de la perception des parties prenantes hospitalières vis-à-vis de l’implantation des infirmiers en pratique avancée. Recherche en soins infirmiers. 2021/2 ; 145 : 104-121.