OBJECTIF SOINS n° 0298 du 12/03/2024

 

Portrait

ACTUALITÉS

Claire Pourprix

  

C’est à l’occasion d’une reconversion professionnelle que Léa Daniel est devenue infirmière en réanimation. Après quelques années d’exercice en France, elle est partie s’installer au Québec. Un univers hospitalier bien éloigné du nôtre, dans lequel elle a découvert le passionnant métier de conseillère en soins infirmiers au CHU de Montréal.

Vivre au Québec, elle en a souvent rêvé. Alors, quand l’occasion s’est présentée, elle a foncé ! C’était en 2019. Avant cela, Léa Daniel a commencé dans la vie active en 2000, après une maîtrise de Sciences Po, comme journaliste dans une rédaction culturelle à Toulouse. Au sein de cette petite équipe, elle évolue rapidement comme chef de projet éditorial. « On éditait des magazines pour le compte de collectivités ou d’entreprises, j’avais un rôle de coordinatrice. C’était très intéressant mais les possibilités d’évolution étaient réduites », témoigne-t-elle. Curieuse par nature, elle ressent le besoin d’être stimulée et commence à s’interroger sur la suite de sa carrière. Elle se forme au design graphique, au numérique, se « replonge dans ses premières amours en faisant de la radio associative ». Mais au bout d’un an et demi, elle fait le constat que tout cela ne lui procure pas assez d’envie et prend la décision de se reconvertir. Restait à savoir dans quel domaine…

Découverte du monde hospitalier

« Une amie m’a mise en relation avec un infirmier de réanimation. Je l’ai rencontré, je lui ai posé mille et une questions et je me suis rendu compte que je n’avais aucune idée de ce que c’était que de travailler dans un hôpital. C’était une découverte totale ! » Séduite, elle se lance dans la préparation des concours d’école d’infirmière et, « contre toute attente », est reçue du premier coup. De 2014 à 2017, elle étudie à l’Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) du CHU de Toulouse et redécouvre le plaisir des bancs de l’école. Âgée d’une trentaine d’années, elle endosse un rôle de mentor vis-à-vis des étudiants. « Plus jeunes, ils étaient capables d’apprendre par cœur, moi non, mais j’étais plus stratégique dans mes révisions et j’avais une certaine sagesse. Mon expérience de journaliste et mes habitudes de travail m’ont aidée. Par exemple, j’étais la seule à prendre mes cours sur mon ordinateur portable. Je partageais mes notes avec toute la classe, ça nous a tous fait progresser ensemble ! »

Lors de son premier stage, en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, la confrontation à la réalité de terrain est brutale. « Le stage étant à une heure de route de chez moi, je suis arrivée de nuit, à 6 h du matin, et l’infirmière qui devait m’accueillir était complètement débordée ! Il y a eu trois décès dans la matinée… Je n’avais jamais côtoyé la mort et je n’avais pas vraiment réfléchi à ce qui allait arriver, se souvient-elle. Au cours de ces années, j’ai été touchée par le professionnalisme des infirmières, leur engagement, leur envie de transmettre au prochain et la force de la communauté infirmière, où la transmission orale joue un rôle central. Partout, les gens m’ont bien accueillie et m’ont donné tous les outils pour devenir une professionnelle compétente. »

En fin d’études, Léa Daniel consacre son mémoire à la manière dont l’architecture des services de réanimation peut favoriser une meilleure récupération pour les patients. Ses directeurs de mémoire, Marie-Hélène Lopez, cadre formateur à l’Ifsi de Toulouse, et Guillaume Decormeille, alors infirmier du service de réanimation du CHU de Toulouse, « font partie des gens qui ont rendu mon parcours extrêmement intéressant, confie-t-elle. Je ne m’attendais pas à ce qu’une infirmière puisse à la fois faire de la recherche, être engagée dans de la formation, auprès des patients, réfléchir à l’amélioration de ses pratiques… »

De 2017 à 2019, Léa Daniel travaille en réanimation. Deux années qui la font grandir en accéléré : « Je pense que j’ai pris 10 ans d’expérience en 2 ans ! » Ne s’estimant pas assez armée avec sa formation initiale, elle adhère dès son arrivée dans le service à la Société de réanimation de langue française (SRLF), qui lançait sa première Formation pour les infirmiers en réanimation (Fier). Elle suit les cours en ligne avec un petit groupe d’infirmiers mobilisés, puis se lance dans « Fier 2 ». « On aurait aimé avoir une spécialisation, comme les infirmiers de bloc opératoire. Mais cela n’existe pas encore. Ces formations m’ont aidée à recevoir ce qui était essentiel dans ma pratique. »

Destination Québec

L’idée de partir s’installer au Québec avec sa famille, un rêve qu’elle nourrit depuis plusieurs années, refait surface. « Je m’étais lancée dans mes études infirmières pour un moment ou un autre arriver au Canada. En 2018, le Québec connaissait une grosse pénurie de main-d’œuvre et a organisé des journées de recrutement en France. » Le recrutement se conclut très vite : à la suite d’un entretien comprenant plusieurs mises en situation clinique spécifiques aux soins critiques où il fallait répondre aux questions « du tac au tac », les recruteurs rendent leur verdict après 10 minutes de concertation. « Ils m’ont serré la main et dit : Bienvenue au Québec ! » La question migratoire se révèle plus complexe et la famille doit attendre juillet 2019 pour fouler le sol Québécois.

À son arrivée en soins intensifs au CHU de Montréal (CHUM), Léa Daniel a bénéficié d’un mois de formation, en salle de classe. Ensuite, un infirmier l’a accompagnée pendant 35 jours dans son département ; une période suivie de 35 jours de pratique semi-autonome avant d’obtenir son permis de travail. « J’avais vraiment sous-estimé la différence qu’il peut y avoir dans les pratiques ou la culture de soin, que ce soient les choix thérapeutiques ou les modes de communication. Mais la philosophie des soins est proche : la bienveillance, l’humanisme sont les valeurs qui priment. » En tête de son rapport d’étonnement : le peu d’informatisation des données, comparé à la France, ce qui contraste avec l’utilisation de technologies de pointe et la pratique d’interventions chirurgicales par robotique. Autre différence de taille : « Là où en France on faisait beaucoup appel à la débrouillardise et à la polyvalence – je participais au nettoyage des chambres, vérifiais les dates de péremption de la pharmacie, commandais les narcotiques, organisais le transport des patients…  – arrivée au Québec on me demandait d’être « juste » infirmière, confie Léa Daniel. Cela m’a vraiment déroutée car l’avantage de la polyvalence, c’est de se développer très vite dans beaucoup de choses, et de connaître très bien la trajectoire de nos patients. Ici il y a une plus grande division du travail : une agente administrative s’occupe de tout l’aspect administratif de l’hospitalisation, une infirmière assistante chef de la répartition de la charge de travail au sein de l’unité, les pharmaciens livrent des médicaments déjà reconstitués, etc. L’avantage : j’avais le temps de faire une évaluation plus complète incluant l’auscultation mais aussi du temps pour accompagner les patients et leurs proches. Cependant, le risque en divisant la tâche, c’est le travail en silo. »

Dans ce système de gestion « très horizontal », une grande partie de l’avancement et des possibilités d’évolution professionnelle est orchestrée par la convention collective négociée par les syndicats. « Les gestionnaires (équivalents des cadres supérieurs) sont là pour vous encourager, vous motiver », explique Léa Daniel. Dès son arrivée dans le département, ses gestionnaires ont exploré ses souhaits d’évolution à moyen terme, puis en toute transparente au cours d’entretiens annuels : « Qu’est-ce que tu veux faire dans 5 ans ? Comment on va pouvoir t’aider dans ta trajectoire de vie professionnelle ? Est-ce que tu veux reprendre des études ? Est-ce que tu te vois continuer dans notre département ? C’est une approche libératrice ! », explique-t-elle.

L’effet Covid

Peu de temps après sa prise de poste au Canada, la pandémie de Covid est arrivée. « Je pense qu’on travaille en réanimation pour être prêt à agir dans ces moments-là, être présent en situation de crise. J’étais à ma place. Mais à mesure que la crise a perduré, ma culture et l’éthique des soins que j’avais commencé à développer ont été questionnées. Dans ma pratique au CHU de Toulouse en service de réanimation polyvalente, je participais activement aux rencontres multidisciplinaires pour parler du niveau d’intervention thérapeutique. Ces rencontres incluaient les aides-soignants, les kinés, ou tout autre professionnel impliqué au chevet du patient. Ce n’était pas toujours des décisions faciles à prendre, mais c’était crucial en tant qu’équipe de se positionner et se rappeler qu’on a une responsabilité quant à l’accessibilité aux soins de l’ensemble de la population. En situation de pandémie, je n’ai pas retrouvé ce modèle, et quand on va très loin dans les soins de réanimation avec une personne, on peut priver d’autres personnes d’accéder à ces mêmes soins. »

Léa Daniel décide alors de poursuivre son développement professionnel vers le soutien aux équipes infirmières et à la formation continue. Elle sollicite le soutien de ses gestionnaires pour prendre le rôle de conseillère en soins infirmiers auprès d’étudiants de l’université de Montréal. De janvier à septembre 2022, elle a pour mission de les accueillir, les orienter, les soutenir dans leurs premiers pas professionnels, et forme les infirmiers destinés à tutorer les étudiants et les nouveaux professionnels.

Allier soins, formation et recherche

Le contact avec les patients lui manque… Toujours à l’écoute, ses gestionnaires lui proposent un poste de conseillère en soins infirmiers auprès des unités periopératoires (chirurgie d’un jour, clinique préopératoire et salle de réveil) tout en continuant à travailler régulièrement aux soins intensifs ou pour le Centre de santé dans le Nunavik, dans le cadre d’un accord de prêt de service avec le CHUM. En tant que conseillère, Léa Daniel forme les équipes lors du déploiement de nouvelles pratiques, contribue au maintien de leurs compétences, assure la diffusion des données probantes, accueille et forme les nouvelles recrues... « Je suis très autonome. Je travaille selon les besoins des équipes pour les soutenir et in fine pour le patient, afin de garantir la qualité et la sécurité des soins qu’il reçoit. » Elle travaille aussi en collaboration avec une infirmière de pratique avancée (IPA). « Nous développons ensemble des prescriptions et des protocoles. Par exemple, pour introduire l’utilisation d’une nouvelle dilution de noradrénaline en salle de réveil, qui était jusque-là utilisée uniquement au bloc opératoire, nous avons mis tout le monde autour de la table, réalisé une étude rétrospective, vérifié l’existence d’une plus-value, mis en place un projet pilote, travaillé avec la pharmacie pour créer la prescription, soutenir les équipes pour cette transition… »

En parallèle, Léa Daniel se consacre à une modalité pédagogique qui lui tient à cœur depuis qu’elle y a goûté au CHU de Toulouse : la simulation. Elle suit de nombreuses formations pour contribuer au développement de cette pratique au CHUM, qui ambitionne de devenir centre de référence au Québec. « Le CHUM dispose de nombreux équipements de pointe en simulation, un centre de formation constitué de plusieurs salles animé par des agents ultra-performants, au cœur d’une communauté de pratique qui ne cesse de se développer », souligne-t-elle.

Pour la suite, tout est ouvert : reprendre des études de sciences infirmières pour devenir infirmière de pratique spécialisée (équivalent d’une IPA) ou spécialisée en pédagogie ? Se lancer dans des travaux de recherche pour aller plus loin en simulation ? « Pour le moment, confie Léa Daniel, j’ai l’essentiel des trois mondes – les soins, la formation et la simulation. »