Si la loi « Kouchner » du 4 mars 2002 constitue, à sa manière, une bascule dans la relation soignant-soigné, elle est le résultat d’un cheminement dans la construction du lien entre patients et professionnels de santé à travers l’évolution du système de soins.
La relation soignant-soigné se définit selon le dictionnaire encyclopédique des soins infirmiers comme « le lien existant entre deux personnes de statut différent, la personne soignée et le professionnel de santé. Cette relation nécessite trois attitudes : un engagement personnel de l’infirmier, une objectivité et un minimum de disponibilité. Ce n’est pas une relation de salon, elle a pour but l’aide et le soutien de la personne soignée jusqu’à son retour à l’autonomie ». Du point de vue du médecin, le lien existant entre le patient et le praticien fut longtemps placé sous le prisme d’une relation paternaliste : le médecin agissait dans l’intérêt du patient puisqu’il était seul dépositaire de l’information. Georges Canguilhem(1) n’estimait-t-il pas que « le couple médecin malade n’a été que rarement un couple harmonieux, dont chacun des partenaires puisse se dire satisfait du comportement de l’autre » ? Aujourd’hui, les choses ont évolué, à la faveur d’une mue du système de soins et de textes qui ont érigé une nouvelle vision du lien soignant-soigné.
À la fin des années 1920, se manifeste un mouvement d’humanisation de l’hôpital : ce terme désigne le projet de réforme de l’institution hospitalière amorcé dès la loi du 5 avril 1928 sur l’assurance sociale, qui ouvre l’hôpital aux classes moyennes. Ce mouvement se poursuit après-guerre avec le décret du 17 avril 1945 et la transformation de l’hôpital en service public : l’hôpital passe d’un lieu d’accueil qualifié d’asilaire pour les indigents (l’hospice qui portait assistance aux personnes les plus démunies) à un endroit où tous les citoyens peuvent être pris en charge. L’hôpital affiche désormais sa mission de soins pour tous. Dans ce cadre, le malade n’est plus un « assisté » mais devient un usager : il reste néanmoins pour le personnel soignant un « objet de soins » dans lequel le corps est observé comme un objet morcelé dont on soigne les différentes parties. La relation soignant-soigné se technicise, au détriment de la relation humaine.
Les réformes Debré de 1958 et la circulaire du 5 décembre 1958 relative à l’humanisation des hôpitaux introduisent l’idée de « visites des familles », « effets personnels », « horaires de lever, repas et coucher » et notion d’accueil, avec pour chaque établissement la suggestion « d’établir un document d’accueil ayant pour but de donner au malade tous les éléments d’information qu’il souhaite et qui peuvent lui être utiles, et aussi l’impression qu’il n’est pas un objet numéroté mais un individu ». Le patient passe alors d’un statut d’« objet de soin » à celui de « sujet de soin ». Cette notion préfigure la naissance de la charte de la personne hospitalisée qui voit le jour en 1974 (circulaire du 20 septembre, document signé par Simone Veil, alors ministre de la Santé) qui pose les bases des droits du patient et des règles de vie à l’hôpital. Pour la première fois, un texte concernant la santé s’adresse non pas aux médecins mais aux patients, et précise que pour une prise en charge de qualité, « un climat de confiance est nécessaire ; il suppose la reconnaissance des droits et devoirs de chacun ». C’est ce texte le premier qui mentionne le droit essentiel du malade au respect de sa dignité et de sa personnalité. Il n’en demeure pas moins que le patient, usager de l’hôpital, reste figé dans un rôle passif, le médecin ne pouvant agir que dans l’intérêt du malade, ce dernier n’étant pas à même de porter un jugement sur les choix le concernant au premier chef. Le texte précise par exemple, au chapitre sur le respect de la dignité et de la personnalité, que « La surveillante de service est à votre disposition pour recueillir vos demandes ou observations : sachez dans votre propre intérêt accepter les conseils qu’elle vous donne ».
Toutefois, la société change et certaines crises sanitaires viennent ébranler la confiance aveugle qui était demandée aux usagers du système de soins : l’épidémie de Sida au début d’années 1980, suivie du scandale du sang contaminé, puis de l’affaire des hormones de croissance contaminées par la maladie de Creutzfeldt-Jakob, ont amené de la défiance envers la communauté soignante, entamant la relation soignant-soigné. La toute-puissance du soignant par le biais de ses connaissances ne fait plus recette, la confiance est rompue.
En 1995 paraît une seconde version de la charte du patient hospitalisé, en annexe de la circulaire du 6 mai 1995, encore une fois signée de Simone Veil avec Philippe Douste-Blazy, dans laquelle le patient est présenté comme « une personne avec des droits et des devoirs » ; ce texte introduit les notions « d’information donnée au patient, de participation au choix thérapeutique ou encore de consentement éclairé ». La charte évoque aussi l’accès du patient aux informations contenues dans son dossier, notamment d’ordre médical, par l’intermédiaire d’un praticien de son choix.
Ces changements sont inscrits dans la loi Kouchner du 4 mars 2002 qui consacre la notion juridique de droit des malades, et notamment leur droit d’accéder à leur dossier, sans passer par le médecin. Elle modifie également les dispositions de la loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation (encadrés 1 et 2). La loi du 4 mars 2002 mentionne le droit pour le patient d’être informé sur son état de santé dans sa globalité : « Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui lui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ». Il apparaît clairement, dès lors, que l’exigence d’information rétablit un équilibre dans la relation soignant-soigné. Le médecin n’est plus le seul détenteur de l’information médicale, il doit la partager.
La loi ajoute la notion de « personne de confiance » qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant, qui sera consultée au cas où le patient serait hors d’état d’exprimer sa volonté et qui recevra alors l’information nécessaire à cette fin.
Elle fait également référence à la notion de consentement : « Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment », stipule le texte de loi.
Le consentement, notion inscrite dans la loi, continue pourtant d’alimenter les discussions : il a en effet évolué sous l’effet de situations nouvelles engendrées par les progrès de la médecine et des techniques, et par la confrontation des personnels de soin à de nouvelles vulnérabilités.
Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) s’est ainsi positionné sur les enjeux éthiques relatifs au consentement (avis 136)(2) en rappelant que le « consentement doit être considéré comme un processus évolutif et dynamique, qui, fondé sur une relation de confiance réciproque, s’adapte au gré du cheminement de la personne et de l’évolution de ses choix ».
Dans ce cadre, le patient a la possibilité de changer d’avis et de se rétracter. Pour ceux qui rencontrent des difficultés à exprimer ce consentement, d’autres formes d’expression plus subtiles doivent être recherchées.
Cette notion de consentement est étudiée à un autre niveau, dans le cadre des examens gynécologiques et touchant à l’intimité, montrant par là-même l’évolution de cette notion : le CCNE, dans son avis 142(3) rappelle l’impérieuse nécessité de conserver le lien de confiance qui unit les patients et les soignants. Il souligne la nécessité de bâtir un cadre éthique qui soit respectueux et sécurisant pour les patients et les soignants.
Afin d’accompagner la mue d’un modèle médical autrefois paternaliste en un modèle informatif voire interprétatif et délibératif, le CCNE a publié des recommandations à destination des soignants et des patients. Cette prise de position identifie l’évolution constante de la relation soignant-soigné, montrant par l’exemple que ce qui faisait foi et loi – le consentement tacite ou présumé – évolue, dans ce cas précis par un consentement explicité, différencié et dynamique. Elle donne également à voir la place prépondérante et désormais incontournable des patients dans la construction de leur projet de soin.
Encadré 1
« Une personne ne peut sans son consentement, ou le cas échéant, sans l’autorisation de son représentant légal, si elle est mineure, ou celle de la personne chargée de sa protection, s’il s’agit d’un majeur faisant l’objet d’une protection juridique, faire l’objet de soins psychiatriques et dispose du droit de s’adresser au praticien ou à l’équipe de santé mentale de son choix. Une personne faisant l’objet de soins psychiatriques avec son consentement est dite en soins psychiatriques libres ; elle dispose des mêmes droits liés à l’exercice des libertés individuelles que ceux reconnus aux malades soignés pour une autre cause », stipule le Code de la santé publique. Cependant, certaines dispositions du Code de procédure pénale prévoient que des soins en santé mentale sans consentement peuvent être menés ; ils représentent selon le ministère de la Santé, 20 % du total des hospitalisations en secteur psychiatrique, avec environ 82 000 patients hospitalisés sans consentement (chiffres 2018). Dans le principe, « Le consentement au traitement demeure la règle et l’hospitalisation, tout comme le traitement sans l’accord du malade une exception, cette dernière étant dûment encadrée par des raisons médicales devant permettre aux médecins et aux malades de mieux gérer ensemble la pathologie mentale », rappelait à cet égard l’Inspectrice générale des affaires sociales Hélène Strohl, dans le rapport du même nom*. À noter qu’avant la loi de 1990, celle en vigueur concernant l’hospitalisation sans consentement en psychiatrie datait… de 1838 !
* Rapport Strohl du Groupe national d’évaluation de la loi du 27 juin 1990, septembre 1997.
Encadré 2
Selon l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam), « Aujourd’hui, les pathologies psychiatriques concernent plus de 13 millions de Français. Parmi eux, plus de 3 millions souffrent de pathologie sévère comme un trouble schizophrénique, un trouble bipolaire, une dépression résistante ou un trouble borderline. 13 % des enfants seraient concernés par un trouble de la santé mentale. Ces troubles sont la première cause d’années de vie vécues avec un handicap et d’années de vie perdues en bonne santé. C’est la première cause de mortalité chez les 10-24 ans. Le coût économique et social de ces troubles psychiques pour le pays a récemment été évalué à 109 milliards d’euros par an. »*
Cet état des lieux permet de positionner la santé mentale comme un enjeu de santé publique primordial. Le Premier ministre Gabriel Attal, lors de sa déclaration de politique générale en janvier 2024, a précisé que la santé mentale des jeunes serait une priorité gouvernementale. À ce jour, elle est en crise et pâtit d’un manque cruel de moyens et de considération. Les centres d’accueil de jour ferment les uns après les autres, de nombreux postes de médecins spécialisés en santé mentale restent vacants. Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Dress), entre 2013 et 2022, le nombre de lits d’hospitalisation complète en psychiatrie a chuté, passant de 98 000 à 59 000.
Le lien patient-soignant se tend de plus en plus et « Les patients, partout en France, en paient le prix fort : délais d’accès aux soins non adaptés, ruptures dans les parcours, recours aux pratiques coercitives et d’isolement massif, manque d’accompagnements médico-sociaux et sociaux, non inclusion sociale, scolaire ou professionnelle. »* Il est aujourd’hui crucial de reconsidérer la prise en soin des patients en santé mentale.