Créer une œuvre collective, une priorité pour les directeurs des soins

Fédérer autour d’un projet partagé, questionner ses pratiques, constituer un collectif de travail pour gagner en cohérence, voilà quelques-uns des défis que relèvent quotidiennement les directeurs des soins dans l‘accompagnement des équipes dont ils ont la responsabilité. La connaissance de ses partenaires avec une attention particulière à l’Autre devient alors incontournable pour répondre aux enjeux économiques, sociétaux, en corrélation avec les mutations de la formation, de l’emploi et du travail de son environnement.

Maintenir le cap en donnant du sens

Aujourd’hui, tous les acteurs travaillent dans des contextes complexes, incertains, amenant à des incompréhensions. La question du sens est omniprésente afin de retrouver une cohésion dans les actions engagées. Un peu comme le capitaine d’une équipe, le directeur des soins  initie une « causerie d’avant match » afin de resserrer le groupe sur des habitudes de travail propices au développement des compétences de chacun en situation d’agir. Différents préceptes semblent indispensables autour desquels figurent la confiance, le respect mutuel, une écoute vraie et réciproque.

Pour maintenir un cap, il faut au préalable définir un objectif compréhensible de tous, s’être équipé des outils nécessaires et adopter une approche claire et réaliste. Il s’agit d’avoir une longueur d’avance et un esprit visionnaire en qualité de leader afin d’inspirer et insuffler un vent porteur, pour une participation engagée des partenaires du projet. Ainsi, le directeur des soins impulse une dynamique, donne un cadre et laisse la créativité s’exprimer. La marge de liberté laissée aux acteurs est selon nous essentielle. Certes, elle peut être, pour certains, une source d’inquiétude au départ, mais elle devient vite une richesse permettant à tous de déployer ses ailes et voguer selon son inspiration, pour faire grandir les dispositifs existants tout en respectant le cadre défini, qu’il soit réglementaire, institutionnel ou éthique.

Rassembler les intérêts, faire fructifier les compétences

L’activité humaine est au cœur des situations de travail. En effet, « c’est dans l’agir situationnel que l’acteur mobilise et transforme les indices collectés pour les rendre acceptables de son point de vue pour répondre à la situation qui se présente à lui »⁽¹⁾. L’intelligence situationnelle des acteurs, qu’ils soient formateurs, soignants ou apprenants, est incontournable pour prendre des décisions rapides en milieu de travail. Ainsi, « chaque individu qui entre en contact avec une situation va devoir gérer l’inattendu et l’imprévisible générés à la fois par la situation elle-même et la singularité de l’acteur »⁽¹⁾. Pour que les compétences des personnes prospèrent, le directeur des soins doit accompagner le processus en provoquant des temps de questionnement. Initier des espaces d’échange de pratiques, de débat d’idées, d’analyse de sa pratique professionnelle, engendre la construction d’une histoire commune favorable à la construction identitaire. Le rôle du manageur, ici, est d’accompagner la posture interrogative de la personne en l’amenant à découvrir les questions que lui pose la situation relatée. Ainsi, la mise en place de groupe de rencontre du travail, de participation à des débats d’actualité, de forum d’échange, de séminaire pour les nouveaux arrivants par exemple, sont des espaces propices au développement des compétences collectives.

Capter et intéresser des personnes talentueuses

Le directeur des soins est une personne inspirante pour ses collaborateurs. Son leadership rayonne institutionnellement, voire au-delà des frontières de son établissement. Ce leader est reconnu pour sa force collective et son sens du travail, avec une générosité dans la création de valeurs communes pour la collectivité. Il est à l’écoute des différents partenaires et sait faire preuve d’humilité et d’altruisme. Une de ses forces réside dans sa capacité à détecter des talents, à découvrir des « pépites » chez ses collaborateurs et à les accompagner pour qu’ils découvrent leur potentiel, prennent confiance en eux et qu’ils soient force de proposition au service d’un collectif de travail. En reprenant des propos de Martin Luther King : « I have an idea ! I have a dream ! », le directeur des soins impulse l’idée que les acteurs doivent se donner le droit d’y croire en accompagnant la croissance du développement personnel et professionnel. Repérer et détecter les talents d’un apprenant, d’un aide-soignant, d’une infirmière, d’une secrétaire, d’une documentaliste, et leur donner des missions à la hauteur de leurs compétences en les challengeant pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes est source d’épanouissement et de plaisir au travail qui rayonne ensuite sur toute une équipe. Quelle satisfaction pour un formateur, un soignant, d’encourager un apprenant, un collègue, à poursuivre ou reprendre des études, puis à suivre son développement. Quelle chance pour un directeur des soins de promouvoir une pratique innovante et d’aller témoigner, lors d’une conférence ou d’un colloque, avec les personnes porteuses du projet. Mettre en lumière une recherche en sciences infirmières, une pratique exemplaire, qu’elle soit soignante, managériale ou pédagogique, est toujours une grande source de plaisir.

Utopie ou réalité dans un management respectueux ?

Pour certains d’entre nous, ces propos et cette vision peuvent sembler très loin de nos réalités. Il est vrai que certains milieux ne reflètent absolument pas cet état d’esprit. Certains directeurs des soins, manageurs, soignants ou formateurs ne sont pas prêts à naviguer dans l’incertitude et à faire confiance. Prendre des risques avec ses co-équipiers n’est pas toujours à la portée de tout le monde, car cela demande de laisser de côté son pouvoir pour se mettre en posture d’écoutant. Parfois, les valeurs, les représentations de l’exercice du métier ne sont plus partagées et les acteurs avancent sur des routes parallèles. Les perceptions de l’activité à mener manquent de clairvoyance et conduisent à suivre une chimère. Il est, selon nous, vraiment regrettable d’entendre les souffrances des uns et des autres, car cela a une répercussion sur la qualité de vie des protagonistes, sur la sérénité au travail, et in fine sur la qualité des soins et l’accompagnement des apprenants. Cet inconfort conduit à la diffusion de messages exprimant un mal-être au travail. Ainsi, au lieu d’être des ambassadeurs motivés plaidant en faveur de la structure, les personnes portent un regard délétère peu propice à rendre l’établissement attractif. Alors, utopie ou réalité ? Tout dépend de la contribution que nous souhaitons apporter pour maintenir le cap dans un climat de sécurité psychologique.

Prendre des risques avec ses collaborateurs

Être directeur des soins et accompagner les équipes, c’est prendre des risques avec elles, mais c’est aussi, à certains moments, être un écran pour les protéger. Des paradoxes, nous en avons tous les jours, et l’équipe n’est pas obligée de tout savoir. En tant que manageur, nous assumons les responsabilités des actions de nos collaborateurs. Ce qui peut paraître, vu de l’extérieur, comme une erreur, peut constituer une source de développement, dès lors que l’agir est verbalisé et analysé. Ici, la notion de risque à prendre doit être anticipée par le directeur des soins pour permettre aux projets d’aboutir mais surtout de réussir. Être proactif, inventif, avoir des idées, et surtout apporter une certaine stabilité et des conseils, fait partie du management. Le leader est légitime pour le mettre en exergue. Instituer la confiance, forger une vision durable avec une visibilité « macro », conduit à constituer des dispositifs d’alerte permettant d’ajuster le design du projet. C’est une aventure collective où la vigilance de tous est requise. Nous sommes ici dans un cercle vertueux où les actes des uns ont une répercussion sur les autres et où la dynamique responsable du manageur invite ses collaborateurs à agir de la même manière, dans un cadre de travail apaisant et inspirant.

Un management éco-durable et responsable

Aujourd’hui, il est impossible d’écarter de son management l’aspect environnemental et nous nous devons d’adopter une démarche citoyenne en faveur de la planète. Le directeur des soins entre ainsi dans une approche d’écoconception pour promouvoir des dispositifs et des services plus durables. Les nouveaux collaborateurs souhaitent intégrer une institution socialement engagée, qui porte des valeurs éthiques et qui se sent concernée par le bien-être de ses salariés. Les valeurs tiennent une place toute particulière et s’affichent dans l’ensemble des communications, témoignant de la sensibilité aux grands enjeux sociétaux et environnementaux. Il existe, ici, un enjeu majeur pour les manageurs afin de faire évoluer les métiers dans leurs pratiques et agir de manière raisonnée. La transformation et la modernisation des espaces de travail, corrélées à l’optimisation des ressources pour rechercher des solutions pérennes afin de répondre aux enjeux prioritaires en matière de développement durable, devient inévitable. La transparence et l’authenticité sont des atouts pour la structuration d’une gouvernance éthique dans le respect des droits humains. L’intégration de l’innovation et de la recherche en sciences infirmières dans le processus de développement, constituent ainsi des leviers majeurs à mobiliser dans les quotidiens de ses espaces de travail.

En guise d’ouverture

Nous pourrions comparer la posture du directeur des soins dans son management à un appareil photo. En effet, il doit zoomer sur les points essentiels, capturer les bons moments et assurer le développement du meilleur. Pour le reste, les parasites, il suffit d’appuyer sur une touche pour les supprimer ou les mettre de côté. Le directeur des soins, en tant que leader, doit ajuster sa focale pour être au diapason de son équipe, afin de cheminer ensemble sur une partition partagée.

1. Bayle, I. (2019). L’analyse de l’activité du cadre de santé formateur : allier savoir d’action et cohérence de sens dans un agir situationnel. Thèse de doctorat présentée en vue de l’obtention du grade de docteur en sciences de l’éducation et de la formation.