Questions générales : la pratique de l’autopsie, le dossier médical, témoignages anonymes en matière disciplinaire, radiation disciplinaire d’un agent. Cas de responsabilité : la jurisprudence, cause du décès inconnue, retard injustifié pour appeler une ambulance, suicide lors d’une admission aux urgences, geste chirurgical maladroit, faute dans le diagnostic, retard dans un transfert hospitalier, devoir d’information préalable. Voici quelques éléments de jurisprudence hospitalière pour le mois d'avril 2024.
L’autopsie médicale constitue un acte médical soumis à la règle du consentement présumé. En cas de doute, le médecin interroge la famille, mais le simple fait que la cause du décès soit incertaine ne justifie pas une autopsie (CAA de Douai, 9 avril 2024, n° 22DA02348).
Les autopsies sont dites médicales lorsqu’elles sont pratiquées, en dehors d’une procédure judiciaire, dans le but d’obtenir un diagnostic sur les causes du décès, et elles doivent être pratiquées conformément aux exigences de recherche du consentement (CSP, Art. L. 1211-2).
Le prélèvement d’organes sur une personne dont la mort a été dûment constatée ne peut être effectué qu’à des fins thérapeutiques ou scientifiques, et ce prélèvement peut être pratiqué dès lors que la personne n’a pas fait connaître, de son vivant, son refus d’un tel prélèvement. Si le médecin n’a pas directement connaissance de la volonté du défunt, il doit s’efforcer de recueillir auprès des proches l’opposition au don d’organes éventuellement exprimée de son vivant par le défunt, par tout moyen, et il les informe de la finalité des prélèvements envisagés (CSP, Art. L. 1232-1).
Ainsi, l’autopsie médicale constitue un acte médical soumis à la règle du consentement présumé, sur lequel les proches de la personne décédée sont interrogés si le défunt n’avait pas fait explicitement part de sa volonté. Par ailleurs, le médecin responsable n’est pas tenu de faire droit à la demande des proches de pratiquer une telle autopsie, même lorsque la cause du décès est incertaine.
La question d’une autopsie était posée, mais le chef du service s’est vu opposer le refus de la veuve, ce qui est établi par les témoignages de ce médecin et d’une infirmière. Dès lors, aucune faute ne peut être reprochée sur ce point.
La tenue du dossier médical est une obligation, mais une faute dans la tenue du dossier ne suffit pas pour établir une faute dans la pratique des soins (CAA de Douai, 9 avril 2024, n° 22DA02348).
Un dossier médical est constitué pour chaque patient hospitalisé dans un établissement de santé public ou privé (CSP, Art. R. 1112-2). Ces informations sont conservées sous le contrôle directeur de l’établissement (CSP, Art. R. 1112-7).
L’incapacité d’un établissement de santé à communiquer aux experts judiciaires l’intégralité d’un dossier médical n’est pas, en tant que telle, de nature à établir l’existence de manquements fautifs dans la prise en charge du patient. En revanche, le juge doit tenir compte de cette faille pour apprécier l’existence des fautes reprochées dans la prise en charge du patient.
Selon le rapport d’expertise, le dossier médical est incomplet dès lors qu’il ne comporte aucune information rédigée par les médecins d’un service de spécialisation, qui avait été consulté. Toutefois, la mauvaise tenue du dossier médical par l’équipe de soins n’est pas directement à l’origine du décès du patient. De telle sorte, la responsabilité civile ne peut être engagée sur ce fondement.
Dans une procédure disciplinaire, il est possible de recourir à des témoignages anonymes si les enjeux le justifient et que cela ne remet pas en cause l’exercice des droits de la défense (Conseil d’État, 28 mars 2024, n° 489098).
L’autorité disciplinaire peut infliger à un agent une sanction sur le fondement de témoignages qu’elle a anonymisés à la demande des témoins, lorsque la communication de leur identité serait de nature à leur porter préjudice. Il appartient au juge d’apprécier, au vu de l’ensemble des éléments qui ont été communiqués à l’agent, si celui-ci a été privé de la garantie d’assurer utilement sa défense.
Pour justifier des fautes retenues, le directeur d’établissement s’est fondé sur les témoignages de plusieurs agents recueillis dans le cadre d’une enquête interne, lesquels ont été anonymisés à leur demande en raison du risque de préjudices qu’ils encouraient. Ces témoignages ont cependant fait l’objet de comptes rendus exhaustifs communiqués à l’agent, comportant des indications suffisamment précises, notamment sur la teneur des actes, des gestes et des propos reprochés et les circonstances dans lesquels ils avaient été commis. De telle sorte, leur anonymisation n’a pas pu avoir pour effet de priver l’agent de la faculté de comprendre les faits qui lui étaient reprochés et d’assurer utilement sa défense.
Ni l’existence d’une condamnation pénale antérieure, ni le fait de ne pas avoir avisé l’employeur ne sont des fautes disciplinaire. En revanche, l’employeur doit tenir compte de la nature du comportement sanctionné pour prononcer une radiation (CAA de Toulouse, 26 mars 2024, n° 22TL21056).
Par une décision du 24 mai 2019, le directeur d’un centre hospitalier a révoqué un infirmier de la fonction publique hospitalière, puis l’a radié des cadres. La décision repose sur des comportements inadaptés vis-à-vis de patients, et sur l’existence d’une condamnation pénale de prison en 2016 pour des faits de conduite en état d’ivresse en récidive, avec circonstances aggravantes de prise de stupéfiants.
Toute faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions l’expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale (Statut général de 1983, Article 29).
L’infirmier a manqué de distance professionnelle avec les patients et il a tenu des propos inadaptés, en particulier à l’égard d’un patient, susceptibles de déclencher des réactions violentes de sa part. Par ailleurs, trois courriels émis par un cadre de santé témoignent de ce que cet infirmier en conflit avec l’établissement, du fait de son refus de le réintégrer, s’est montré menaçant, agressif et insultant envers la direction.
Enfin, l’agent a été condamné, le 18 juin 2015, par le tribunal correctionnel de Toulon à six mois d’emprisonnement avec sursis pour des faits commis le 9 janvier 2015 de conduite de véhicule sous l’empire d’un état alcoolique, et il a été condamné une seconde fois le 20 juillet 2016 par ce même tribunal correctionnel à un an d’emprisonnement dont quatre mois avec sursis, pour des faits commis le 28 mai 2016 de conduite de véhicule en ayant fait usage de stupéfiants et sous l’empire d’un état alcoolique en récidive. Ces faits constituent également des fautes susceptibles de faire l’objet d’une sanction disciplinaire, alors même qu’ils se sont produits dans un cadre étranger au service. Ce n’est pas la seule existence de la condamnation qui doit être prise en compte, mais la gravité du comportement.
Le fait de ne pas avoir informé l’établissement de ces condamnations pénales, alors qu’aucune demande n’avait été faite en ce sens, n’est pas une faute.
Au total, la sanction de radiation n’est pas jugée disproportionnée.
Les professionnels de santé ainsi que tout établissement dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute (CSP, Art. L. 1142-1 I).
Pour établir l’existence d’une faute dans l’organisation du service hospitalier au titre du défaut de surveillance d’un patient atteint d’une pathologie psychiatrique, le juge doit notamment tenir compte, lorsque l’état de santé de ce patient fait courir le risque qu’il commette un acte agressif à son égard ou à l’égard d’autrui, non seulement de la pathologie en cause et du caractère effectivement prévisible d’un tel passage à l’acte, mais également du régime d’hospitalisation, libre ou sous contrainte, ainsi que des mesures que devait prendre le service, compte tenu de ses caractéristiques et des moyens dont il disposait.
Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (CSP, Art. L. 1111-2).
Doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l’accomplissement d’un acte médical :
- les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence,
- les solutions alternatives à cet acte médical susceptibles de lui être proposées.
En cas de manquement à cette obligation d’information, si l’acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s’il a été réalisé conformément aux règles de l’art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n’a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l’établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l’opération.
Il en va autrement dans le cas où le patient aurait consenti à l’acte en question compte tenu, compte tenu :
- de ce qu’était l’état de santé du patient et son évolution prévisible en l’absence de réalisation de l’acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées,
- de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu’il aurait fait, informé de la nature et de l’importance de ce risque.
Il incombe au juge retenant l’existence d’une faute du service public hospitalier lors de la prise en charge d’un patient de déterminer quelles en ont été les conséquences. S’il n’est pas certain qu’en l’absence de faute, le dommage ne serait pas advenu, le préjudice qui résulte directement de la faute commise par l’établissement et qui doit être intégralement réparé n’est pas le dommage corporel constaté, mais la perte d’une chance de l’éviter. La réparation qui incombe à l’hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel, déterminée en fonction de l’ampleur de la chance perdue.
Des défauts dans la bonne organisation ne suffisent pas à engager la responsabilité quand la cause du décès reste inconnue (CAA de Douai, 9 avril 2024, n° 22DA02348).
Un homme, alors âgé de soixante-douze ans, a été admis le 1er mars 2012 à 23h45 aux urgences du centre hospitalier de Tourcoing en raison de douleurs abdominales liées à une rétention urinaire aiguë. Les médecins de garde lui ont posé une sonde vésicale ramenant 600 mL d’urine. Transféré au sein du service d’urologie le 2 mars, le patient a reçu un traitement laxatif destiné à accélérer le transit intestinal, puis un traitement antalgique pour soulager ses douleurs abdominales. Alors que son état de santé semblait s’améliorer le 3 mars, il est décédé le 4 mars après avoir éprouvé des difficultés respiratoires.
Selon le rapport des experts, la cause du décès est indéterminée.
La pathologie de rétention urinaire dont souffrait le patient a été correctement prise en charge à son arrivée aux urgences du centre hospitalier de Tourcoing, l’anesthésiste de garde ayant pratiqué la pose d’une sonde permettant la vidange de l’urine.
Les douleurs abdominales ressenties par le patient ont été traitées par l’administration de médicaments antalgiques. Le patient a souffert de constipation à la suite de la vidange urinaire, mais il a bénéficié de laxatifs. Il ressort des auditions du chef du service urologie du centre hospitalier de Tourcoing que des troubles du transit peuvent habituellement se produire à la suite du traitement d’une rétention urinaire aiguë.
L’absence de médecins urologues au cours du séjour du patient au centre hospitalier révèle un défaut d’organisation de l’établissement, mais elle a pu être palliée par l’intervention d’autres médecins de garde et n’a pas de lien avec le décès du patient.
Des retards et dysfonctionnements inhérents au fonctionnement d’un service d’urgence et d’un grand hôpital ne sont pas des fautes. Il en va différemment du retard dans l’appel d’une ambulance (CAA de Paris, 5 mars 2024, n° 22PA05175).
Un homme, né le 2 mai 1973, a souffert de douleurs abdominales associées à des nausées et à des vomissements, dans la nuit du 4 au 5 février 2018. Il a été pris en charge par le service des urgences de l’hôpital Saint-Louis, de l’AP-HP, le 5. Il lui a été diagnostiqué une appendicite et il a été orienté vers la clinique de Bercy pour y subir une opération. Il a été pris en charge par celle-ci à 17 h, pour réalisation d’une appendicectomie et d’un lavage péritonéal par cœlioscopie. Les suites opératoires ont été simples et il a pu regagner son domicile le 7.
Le patient estime que le retard dans sa prise en charge par l’hôpital Saint-Louis était responsable de l’aggravation de son état de santé, et il a engagé un recours en responsabilité.
Le patient soutient s’être présenté au service des urgences de l’hôpital Saint-Louis le 5 février 2018 aux environs de 6 h 15. Il a été inscrit dans les registres à 7 h 38, évalué par l’infirmier d’accueil et d’orientation à 7 h 46 et reçu à 9 h 41 par un médecin qui, après un examen clinique, a évoqué un diagnostic d’appendicite et prescrit, dès 9 h 55, un bilan biologique, un scanner, et un antalgique, en fonction de la douleur du patient, qualifiée de « modérée ». Cette prescription a été validée par un praticien « sénior » à 10 h 20 et le scanner a été réalisé à 10 h 48. Les résultats du scanner, disponibles à 12 h 15, ont confirmé le diagnostic d’appendicite aiguë non compliquée. Le médecin des urgences a sollicité à 12 h 40 un avis chirurgical qui a confirmé l’indication d’une intervention chirurgicale mais, devant l’absence de place en service de chirurgie générale et digestive, a pris la décision de transférer le patient à la clinique de Bercy. Malgré cette décision finalisée vers 14 h 30, le retard des ambulances n’a permis le transfert du malade qu’à 16 h 40 et une arrivée à 17 h 00 à la clinique, où le patient a été immédiatement opéré d’une péritonite débutante. Il a pu regagner son domicile dès le 7 février 2018.
Eu égard au fonctionnement propre au service des urgences, et de celui d’un important établissement hospitalier, ni le délai de prise en charge, ni l’indisponibilité du bloc opératoire pour une appendicectomie ne peuvent être considérés comme des fautes.
En revanche, la demande de transfert par ambulance n’a été effectuée qu’aux alentours de 14 h 30 alors que l’indication opératoire avait été posée de façon certaine à 12 h 40 sans que l’hôpital ne fournisse d’élément de nature à justifier ce délai de plus de deux heures. En outre, le retard de l’ambulance, qui ne s’est présentée qu’à 16 h 40, résulte notamment d’un défaut de transmission d’information par le service des urgences de l’hôpital Saint-Louis dès lors qu’après une heure d’attente, un nouvel appel à la société d’ambulances s’est avéré nécessaire pour préciser qu’il s’agissait d’effectuer le transfert d’un patient nécessitant une intervention chirurgicale et qu’il convenait de se présenter rapidement. Il en résulte un délai anormalement long de quatre heures entre la confirmation du diagnostic et l’arrivée de l’ambulance, qui est révélateur d’une faute. Ce retard fautif dans la prise en charge n’a pas eu d’incidence sur son état de santé, hormis une prolongation des souffrances endurées tant physiques que psychologiques pendant plusieurs heures, compensée par une indemnisation de 800 euros.
En laissant seule dans un box, même pour quelques minutes, une patiente dépressive qui était connue pour des antécédents suicidaires, l’infirmière commet une faute de surveillance (TA Marseille, 9 avril 2024, n° 2206229).
Dans la nuit du 21 au 22 mai 2019, une femme a été transportée par les pompiers au service des urgences de l’hôpital de La Timone après une tentative de suicide par absorption de benzodiazépines et intoxication éthylique aiguë. Alors qu’elle avait été placée dans un box, une infirmière a pris ses constantes avant de quitter ledit box à 0 h 45 pour consulter l’interne de service sur la conduite à tenir. La patiente s’étant plainte du bruit, la porte du box a été fermée. À son entrée dans le box à 0 h 55, l’interne a constaté que la patiente s’était pendue avec le câble d’un ordinateur mural et qu’elle était en arrêt cardiorespiratoire. En dépit des tentatives de réanimation durant 30 à 35 minutes, l’intéressée est décédée.
Cette femme a été conduite par les marins-pompiers de Marseille au service des urgences de la Timone à la suite d’une tentative de suicide par absorption de benzodiazépines et intoxication éthylique aiguë. Les antécédents médicaux de cette patiente sont ponctués de multiples tentatives d’autolyse et d’automutilation, associées à un syndrome alcoolique chronique, éléments qui étaient connus de l’équipe qui l’a prise en charge au service des urgences de la Timone, lequel était calme cette nuit-là.
La patiente a été installée dans un box de soin en face de l’espace d’accueil et de travail des soignants pour une surveillance, a minima visuelle, facilitée. Mais elle a été laissée seule dans son box au moins une dizaine de minutes, porte fermée, et c’est à ce moment qu’elle s’est pendue à l’aide d’un câble de l’ordinateur mural positionné dans le box.
La patiente était calme à son arrivée aux urgences et elle n’a pas évoqué la planification de son suicide. Mais, dès lors que l’équipe médicale disposait de l’ensemble de ses antécédents d’autolyse, l’équipe du service des urgences, en ne laissant pas ouverte la porte du box que la patiente avait fermée ou avait demandé à fermer selon les témoignages, et alors qu’elle se trouvait dans un espace non sécurisé au regard de son état et qui comportait du matériel qui pouvait permettre voire faciliter son passage à l’acte, a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
Il ne peut être considéré comme certain qu’une surveillance adéquate aurait évité que cette femme se suicide. Toutefois, compte tenu de l’âge de la victime, 47 ans, de son état somnolent à son arrivée suite à l’ingestion excessive de médicament et de ses antécédents d’autolyse, il sera fait une juste appréciation de l’ampleur de la chance perdue d’éviter le suicide à raison des défaillances du service public hospitalier en la fixant à 80 % des différents chefs de préjudice ayant résulté de son décès.
Un geste chirurgical maladroit, alors que sous anesthésie locale, le patient signalait des douleurs, est une faute qui engage la responsabilité (CAA de Douai, 9 avril 2024, n° 22DA02540).
Une femme, née en 1968, s’est vue poser en 2005 un diagnostic d’atteinte bilatérale du nerf médian, à l’origine de douleurs dans les deux mains, en particulier la nuit. Lors d’une consultation au début du mois de juillet 2007, un chirurgien orthopédique du centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer a posé une indication opératoire. Le 13 juillet 2007, elle a été opérée dans cet établissement, en ambulatoire et sous anesthésie locale, du canal carpien au poignet gauche. Les suites opératoires ont été sans complication.
Le 3 août 2007, elle a été, dans les mêmes conditions, opérée du canal carpien au poignet droit. Lors de l’intervention, elle a ressenti des douleurs importantes lors du passage de la canule.
Lorsqu’elle a quitté l’établissement le soir, elle présentait une anesthésie complète des trois premiers doigts de la main droite. Le lendemain, ne constatant aucune récupération, elle a consulté en urgence le chirurgien qui a immédiatement réalisé une reprise chirurgicale au cours de laquelle il a constaté la section du nerf médian et a procédé au rétablissement de la continuité nerveuse. Malgré cette intervention et une rééducation, elle conserve des douleurs résiduelles de la main droite ainsi qu’une perte de sensibilité. Également, elle a constaté à compter du mois de septembre 2007 une déformation de sa main droite avec la mise en crochet des chaînes digitales. Cette dystonie complète a entraîné une exclusion de sa main droite dominante.
L’intervention du 3 août 2007 n’a pas été réalisée dans les règles de l’art. D’une part, alors que la patiente s’est plainte au cours de l’intervention de vives douleurs, le chirurgien s’est borné à lui injecter des produits anesthésiques au lieu de procéder immédiatement à une évaluation du nerf médian et de changer de technique pour libérer ce nerf par une incision classique. D’autre part, la section du nerf médian par le chirurgien au cours de l’intervention constitue, dans les circonstances, une maladresse fautive.
Cette section du nerf médian a imposé une reprise chirurgicale le 4 août 2007 et une hospitalisation complète jusqu’au 7 août suivant, alors que la chirurgie du canal carpien nécessite seulement une hospitalisation en ambulatoire. Également, elle lui a imposé le port d’une attelle pendant la durée de la convalescence. Un examen par IRM du 7 mai 2008 a mis en évidence que le rétablissement de la continuité nerveuse réalisé le 4 août 2007 était satisfaisant, mais la patiente a toutefois conservé une hypoesthésie des doigts de sa main droite et des douleurs résiduelles. Ces préjudices, conséquences de la section de son nerf médian, doivent être réparés.
Devant un tableau clinique complexe, une lecture correcte des examens peut se révéler insuffisante si des pistes complémentaires devaient être engagées, de telle sorte que l’erreur de diagnostic doit être qualifiée de faute engageant la responsabilité (CAA de Bordeaux, 4 avril 2024, n° 22BX00385).
Alors qu’elle était enceinte de son second enfant, une femme alors âgée de 31 ans s’est rendue à son échographie du 3e trimestre le 26 mai 2014, examen au cours duquel elle a fait part de difficultés à respirer et d’une forte angoisse. Elle a été hospitalisée le jour même dans le service de gynécologie-obstétrique du centre hospitalier d’Angoulême pour effectuer des examens qui ont permis de confirmer une dyspnée d’effort stade II NYHA depuis dix jours, avec majoration au stade IV le jour de l’hospitalisation.
La réalisation d’un angioscanner et d’un doppler veineux a conduit à écarter l’hypothèse d’une embolie pulmonaire et d’une thrombose des membres inférieurs, et devant ces résultats rassurants, la parturiente a été autorisée à regagner son domicile le 29 mai.
Le 26 juillet 2014, elle a été adressée par le Samu au service des urgences de l’hôpital pour un œdème aigu du poumon et une poussée hypertensive à la suite d’un choc cardiogénique. Était alors évoquée pour la première fois une néphropathie gravidique ou cardiomyopathie du péripartum.
Devant un tableau de pré-éclampsie, elle a été transférée au service de gynécologie pour la réalisation d’une césarienne en urgence, alors que l’accouchement était en principe envisagé pour le 30 juillet. La naissance de sa fille n’a pas donné lieu à complications.
La mère a ensuite été hospitalisée en réanimation pour une surveillance clinique jusqu’au 29 juillet, puis dans l’unité de soins intensifs de cardiologie (Usic) jusqu’au 4 août, puis dans le service de cardiologie jusqu’au 8 août. Depuis lors, elle se plaint régulièrement d’une dyspnée d’effort.
Lors de l’admission du 26 mai, l’hypothèse d’une embolie pulmonaire et celle d’une thrombose des membres inférieurs ont été écartées au vu des résultats de l’angioscanner et d’un doppler veineux, ce qui a justifié la décision de retour à domicile.
Selon l’expert, les signes cliniques présentés, associant asthénie importante et croissante depuis le mois d’avril, dyspnée permanente stade II NYHA, crachats hémoptoïques depuis une semaine et un bloc de branche gauche révélé par l’électrocardiogramme, évoquant une insuffisance cardiaque gauche, auraient dû conduire le cardiologue à faire réaliser une échographie cardiaque, de nature à poser le bon diagnostic.
L’existence d’un bloc de branche gauche complet est très inhabituelle chez les patients jeunes et aurait dû interpeller le cardiologue, puisqu’elle « est en principe toujours le témoin d’une cardiomyopathie ventriculaire gauche aiguë ou chronique sous-jacente ». Dans ces conditions, en ne réalisant pas cet examen, l’équipe a commis une faute.
Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d’un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d’obtenir une amélioration de son état de santé ou d’échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l’établissement et qui doit être intégralement réparé n’est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d’éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l’hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l’ampleur de la chance perdue.
Selon l’expertise, la réalisation d’une échographie cardiaque aurait pu permettre de poser, dès le 26 mai, le diagnostic de cardiomyopathie du péri-partum qui n’a été posé que le 26 juillet 2014, et de mettre en place un traitement à base de diurétiques et de cardiotropes, une surveillance étroite de la grossesse et une programmation de la césarienne. La non-réalisation de cet examen a fait perdre à cette femme une chance d’éviter la survenue de l’œdème aigu du poumon qui a conduit à son hospitalisation en urgence le 26 juillet 2014 et à la réalisation d’une césarienne dite code rouge. Dans ces conditions, le taux de perte de chance peut être évalué, ainsi que l’a estimé l’expert, à 70 %.
Compte tenu des différences d’équipements entre hôpitaux, des transferts en phase d’urgence peuvent s’imposer, mais la réalisation avec un délai privant d’accès à un acte important (thrombolyse) constitue une faute (CAA de Nancy, 2 avril 2024, n° 20NC01461).
Le 13 août 2014, aux alentours de 12 h 30, alors qu’il circulait avec son épouse sur une autoroute, un homme né en 1950, médecin de profession, a été victime d’étourdissements avec de fortes céphalées et d’une dégradation de son champ visuel droit. Admis au service des urgences le plus proche, au centre hospitalier de Vitry-le-François, à 13 h 28, il a fait l’objet d’un scanner à 14 h 31, qui n’a révélé aucune hémorragie cérébrale. Le centre hospitalier universitaire de Reims, contacté par le personnel médical, n’a pu l’accueillir faute de place disponible, et le patient a été transféré, à partir de 18 h 00, au centre hospitalier de Saint-Dizier, où une imagerie par résonance magnétique encéphalique, réalisée à 19 h 00, a confirmé le diagnostic d’un accident vasculaire cérébral ischémique au niveau du cortex occipital interne gauche. Aux alentours de 21 h 30, il a été transféré vers le centre hospitalier de Bar-le-Duc, situé à une cinquantaine de kilomètres du centre hospitalier de Vitry-le-François, mais doté, à la différence du précédent, d’un service d’urgences neurovasculaires, où une thrombolyse en vue de l’évacuation de l’embolie vasculaire aurait pu être réalisée. Une fois sur place, le patient a été informé que, compte tenu du délai qui s’était écoulé depuis l’accident, il n’était plus possible de réaliser utilement une telle intervention.
Pris en charge par le centre hospitalier de Bar-le-Duc du 13 au 16 août 2014, il a regagné son domicile, où il est demeuré au repos pendant un mois, avant de reprendre son activité de médecin généraliste libéral le 17 septembre 2014.
Si les céphalées et les sensations de vertige et d’instabilité ont rapidement diminué d’intensité, il conserve des séquelles d’hémianopsie latérale homonyme droite. Estimant que sa prise en charge par le centre hospitalier de Vitry-le-François avait été fautive, il a engagé un recours.
Les résultats du scanner, réalisé environ une heure après son admission au service des urgences du centre hospitalier de Vitry-le-François, ont permis d’écarter l’hypothèse d’une hémorragie cérébrale et ils rendaient indispensable la réalisation rapide d’une imagerie par résonance magnétique encéphalique, qui ne pouvait être réalisée sur place en l’absence du matériel nécessaire, afin de confirmer, le cas échant, le diagnostic d’un accident vasculaire cérébral ischémique et de pratiquer en temps utile une thrombolyse.
Dans ces conditions, alors que les thrombolyses doivent intervenir dans un délai compris entre trois heures et cinq heures après l’accident, le centre hospitalier de Vitry-le-François a commis une faute dans la mise en œuvre du parcours de soins du requérant en ne le transférant qu’à 18 h 30 en vue de réaliser cet examen complémentaire, alors que ses chances de récupération fonctionnelle étaient devenues pratiquement nulles, et avoir de surcroît effectué le transfert à destination d’un établissement dépourvu d’urgences neurovasculaires et n’étant pas autorisé à pratiquer ce type d’intervention. Par suite, la responsabilité pour faute du centre hospitalier de Vitry-le-François est engagée.
Lors de la survenue d’un accident vasculaire cérébral ischémique atteignant la zone de l’artère cérébrale moyenne ou celle du tronc basilaire, la réalisation d’une thrombolyse permet un gain de récupération fonctionnelle dans 15,4 % ou dans 6,9 % des cas lorsque ce type d’opération est pratiqué respectivement dans un délai de trois heures ou de quatre heures après l’apparition des premiers symptômes. Selon l’expert, ces résultats sont transposables aux accidents ischémiques affectant la région de l’artère cérébrale postérieure. De plus, alors que les premiers symptômes sont apparus vers 12 h 30 et que le scanner, qui a permis d’exclure l’hypothèse d’une hémorragie cérébrale, a été effectué à 14 h 31, est fixée à 10 % le taux de perte de chance d’échapper aux séquelles d’hémianopsie latérale homonyme droite dont le patient demeure atteint, compte tenu du délai incompressible pour transférer ce patient vers le centre hospitalier de Bar-le-Duc, y réaliser l’imagerie par résonance magnétique encéphalique afin de confirmer le diagnostic et y pratiquer une thrombolyse.
Un formulaire type, qui ne contient toutefois aucune précision quant aux risques effectifs n’établit pas, à lui seul, le respect par l’établissement hospitalier de son obligation d’information à l’égard du patient (TA Martinique, 15 avril 2024, n° 2300060).
Hospitalisé du 9 au 27 août 2016 au sein du service urologie du centre hospitalier universitaire de Martinique, un patient a subi le 10 août 2016 une prostatectomie totale suite au diagnostic d’un cancer de la prostate.
Le centre hospitalier verse aux débats un document signé par le patient le 5 août 2016 par lequel le patient atteste avoir été clairement informé sur la maladie dont il souffre, des différents traitements possibles, des bénéfices et des risques de l’intervention chirurgicale décidée, des risques propres à l’anesthésie et du risque d’infection nosocomiale. Ce formulaire type ne contient toutefois aucune précision quant aux risques évoqués, de sorte qu’il ne peut établir, à lui seul, le respect par l’établissement hospitalier de son obligation d’information à l’égard du patient.
Or, selon l’expert, le patient a indiqué n’avoir reçu, lors de la consultation préopératoire, aucune information sur les risques d’incontinence urinaire et de troubles de l’érection générés par l’ablation de la prostate, complications pourtant fréquentes pour ce type d’opération. Il n’est pas davantage établi qu’il aurait reçu une information sur les alternatives thérapeutiques susceptibles de lui être proposées, notamment celle de la surveillance active qui, son cancer ayant été détecté suffisamment tôt, aurait pu lui permettre de différer l’opération chirurgicale. Dans ces conditions, l’équipe médicale n’a pas satisfait à son obligation d’information préalable à l’égard du patient, alors que l’opération subie n’était pas impérieusement requise par son état de santé.
Le cancer a été détecté en mai 2016, suffisamment tôt, alors que sa tumeur était encore de taille limitée, ne s’était pas propagée et n’avait atteint aucun organe vital. Cette tumeur n’entraînait aucune gêne particulière pour le patient qui n’encourait pas, à court terme, un risque significatif de décès ou d’aggravation de la maladie rendant d’une nécessité impérieuse l’ablation immédiate de sa prostate. Il s’ensuit que le manquement de l’établissement à son devoir d’information a privé l’intéressé d’une chance de se soustraire aux préjudices postopératoires, cette chance pouvant être évaluée, dans les circonstances de l’espèce, à 50 %.