OBJECTIF SOINS n° 0299 du 21/05/2024

 

DOSSIER

Armelle Morin  

Cadre de santé, formatrice, référente Handicap, AP-HP, Centre de la formation et du développement des compétences, Ifsi Ambroise Paré, Boulogne

La dyslexie est une contrainte neuropsychologique qui entrave l’apprentissage de l’étudiant et interroge les instituts de formation en soins infirmiers. Accompagner efficacement l’étudiant dyslexique est un défi pour les formateurs et pose deux conditions : posséder des connaissances sur le sujet afin d’adapter sa posture pédagogique et mobiliser toutes les ressources nécessaires pour lui donner les moyens de réussir.

Depuis la loi Handicap du 11 février 2005, l’accessibilité à l’enseignement et les aménagements des études supérieures pour les étudiants handicapés ont été facilités. Chacun d’entre eux qui le souhaite peut solliciter le service de santé universitaire (SSU) et demander un aménagement de ses études.

Les aides apportées, centrées sur la déficience, sont des aménagements quantitatifs (augmentation du temps d’examen) et/ou qualitatifs (mise à disposition d’un ordinateur, d’un secrétaire). Ils compensent le handicap de manière uniforme et globale sans prendre en compte les capacités particulières et les ressources propres de l’étudiant, c’est-à-dire sa singularité.

Le 1er janvier 2022, la certification qualité Qualiopi est devenue obligatoire pour tous les prestataires d’actions concourant au développement des compétences qui souhaitent accéder aux fonds publics. Les instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) se sont engagés, par cette voie, à prendre en compte le handicap et à accompagner l’étudiant dans sa formation. Loin de représenter la seule solution, cet engagement est surtout l’opportunité de mener des réflexions au sein des instituts sur la posture et l’accompagnement pédagogique appropriés.

À leur arrivée à l’Ifsi, les étudiants infirmiers s’exposent à de nouveaux apprentissages en lien avec les connaissances scientifiques indispensables à acquérir durant la formation de trois ans. Les étudiants dyslexiques peuvent présenter des difficultés en lecture et en orthographe (encadré 1). En effet, selon la rééducation et l’environnement familial et scolaire dont ils ont bénéficié enfant, les adultes dyslexiques continuent de développer des stratégies qui ont parfois réduit leur handicap mais n’ont pas pu le faire disparaître.

La connaissance du trouble

La dyslexie est une déficience dans le domaine de la lecture qui se traduit en un handicap plus ou moins sévère, selon les moyens de contournement ou de compensation efficaces mis en place par l’enfant pendant sa scolarité. L’étudiant dyslexique déchiffre lentement et difficilement. La lecture n’est pas automatisée. À cause de ce déchiffrage aléatoire, la dyslexie gêne l’acquisition du vocabulaire professionnel, freinant les apprentissages.

Pour le formateur en Ifsi, accompagner ces étudiants est un défi pédagogique tant le handicap est singulier. Il ne peut y avoir de réponse collective mais plutôt un accompagnement individuel basé sur la posture et les ressources du formateur.

Bien souvent, le formateur attend de l’étudiant qu’il se manifeste pour obtenir un accompagnement personnalisé. Or, les raisons qui l’empêchent de se faire connaitre sont hélas nombreuses : soit il ne sait pas ce que l’on peut faire pour lui, soit c’est le besoin de s’intégrer voire la honte qui l’empêchent de déclarer son trouble. Michelle, 21 ans, étudiante de 1re année en Ifsi, témoigne ainsi : « Je n’en parlais pas avant en Paces [Première année commune aux études de santé] car les autres étudiants pensaient que les aides représentaient un avantage. »

Afin que l’individu puisse réaliser deux tâches simultanément, il faut que l’une des deux soit « automatisée » c’est-à-dire effectuée sans effort conscient et sans y prêter attention. Une tâche non automatisée sollicite toutes les ressources attentionnelles, alors qu’une tâche automatisée est peu coûteuse en attention. Or, le cerveau humain est mono-tâche. Donc, l’individu dyslexique ne peut pas accéder aux informations nouvelles puisqu’il n’a pas automatisé la lecture. En effet, concentré sur le mot qu’il lit ou qu’il écrit (tâche de bas niveau), il ne peut pas intégrer de nouvelles informations (tâche de haut niveau). En effet, selon M. Mazeau et A. Pouhet, la lecture laborieuse et coûteuse – car non automatisée – de l’étudiant dyslexique gêne l’accès aux tâches de haut niveau qui consistent à saisir le sens de données médicales ou paramédicales en lien avec les sciences infirmières(1). Cette situation de double-tâche puise dans toutes ses ressources attentionnelles, entraînant une fatigue excessive. La fatigabilité est une des premières conséquences négatives de la dyslexie sur l’apprentissage de l’étudiant. Elle est accompagnée d’anxiété, de manque de confiance et de faible estime de soi. Claire, 24 ans, en 1re année en Ifsi, se souvient : « Au CP [cours préparatoire], l’institutrice a dit à mes parents que j’étais idiote et que je ne ferais rien de bien dans la vie. »

Un autre retentissement de la dyslexie est celui du trouble des interactions sociales décrit par V. des Portes comme une « cicatrice cognitive » du trouble dyslexique(2). Il peut impacter l’apprentissage de l’étudiant en Ifsi, le soin relationnel étant la base du soin infirmier développé au cours de sa formation. La communication verbale, la gestion des émotions, les habiletés sociales de manière globale peuvent être altérées, entraînant une adaptation sociale maladroite. C’est d’ailleurs parfois ce qui rend visible son handicap.

Nous mesurons chez ces étudiants l’énergie déployée à compenser, contourner ou cacher leurs difficultés. Il peut en résulter une force, dans cette capacité à se dépasser, mais également des fragilités dans ces parcours chaotiques, effritant l’estime et la confiance en soi. Car, au-delà des séquelles d’apprentissage, selon M. Mazeau et A. Pouhet, un sentiment de honte et d’humiliation est ressenti par ces étudiants, « un vécu global d’incapacité »(1). Les accompagner ne peut donc pas se limiter à l’adaptation de méthodes pédagogiques.

La posture pédagogique

D’une manière générale, accompagner l’étudiant, c’est mettre en cohérence son projet professionnel avec les attentes du métier. Le rôle du formateur est de lui donner les moyens d’obtenir son diplôme. Face aux exigences d’un métier très complexe, il s’assure de sa capacité réflexive, seul verrou de sécurité dans sa fonction soignante. Pour cela, il l’aide à analyser sa pratique professionnelle, à s’interroger sur son projet et à percevoir la pertinence de ses actions au milieu de ses pairs. Il entraîne l’étudiant à répondre à la question du « pourquoi », du sens donné au soin. Sa réflexivité lui permettra aussi de s’interroger sur ses ressources, sa manière d’apprendre, sa motivation…

Le formateur doit faire en sorte de diminuer la situation de handicap tout en répondant aux exigences du référentiel de formation. Par exemple, les fautes d’écriture de l’étudiant dyslexique peuvent nuire à la compréhension de son travail d’analyse, faisant penser à tort au formateur qu’il n’est pas « un bon étudiant ». Ne pourrait-on pas donner la possibilité à l’étudiant d’expliciter oralement ses idées, lui permettant de démontrer de manière plus fluide ses capacités réflexives ?

La relation pédagogique

Il s’agit de ne pas confondre difficulté et trouble, car les réponses pédagogiques à apporter ne sont pas les mêmes. Les fautes d’orthographe de l’étudiant dyslexique sont fluctuantes, soumises à sa fatigue. Elles ne sont pas le reflet d’un manque d’intelligence ou de motivation. Baisser le niveau d’attente sur la forme d’un écrit peut réduire le stress de l’étudiant de manière significative. Le formateur peut aussi donner à l’avance les textes qui seront lus en cours afin de réduire le handicap causé par un déchiffrage lent et coûteux.

Le formateur doit apporter des connaissances métacognitives à l’étudiant dyslexique – « comment j’apprends » – afin qu’il développe ses propres stratégies. Parfois, celles qu’il avait déployées enfant ne sont plus efficaces. Cet apprentissage n’est possible que soutenu par un renforcement positif. Le formateur peut développer le sentiment d’efficacité personnelle de l’étudiant dyslexique en soulignant les expériences réussies et en valorisant les efforts.

L’accompagnement pédagogique

Le rôle du formateur est d’accompagner l’étudiant en s’appuyant sur ses capacités et ressources. Or, il arrive que l’étudiant dyslexique ignore son trouble : le diagnostic n’a pas été réalisé, ou l’abandon du suivi, des aménagements, ont pu faire croire, à tort, qu’il n’existait pas ou plus de trouble. L’absence de diagnostic ou la méconnaissance du trouble rend l’accompagnement difficile voire contre-productif. Nonobstant, l’Ifsi n’est pas un lieu de diagnostic. Si le formateur repère un trouble, il encourage l’étudiant à consulter son médecin qui pourra procéder au diagnostic à l’aide de bilans orthophoniques. Ce diagnostic est l’étape préalable à toute démarche de rééducation, centrée sur les stratégies à adopter, et qui est toujours possible à l’âge adulte.

Parfois, lorsque le handicap semble insurmontable et pénalise trop fortement l’apprentissage de l’étudiant, le rôle du formateur est d’accompagner celui-ci vers un autre projet professionnel, plus en adéquation avec ses ressources et ses capacités cognitives.

Conclusion

Face aux multiples facettes de la dyslexie, le partage d’expérience doit permettre d’enrichir les possibilités pédagogiques qui ont fait leurs preuves, éviter les errances et les impasses des équipes pédagogiques. Le travail d’accompagnement des formateurs à l’Ifsi consiste à identifier avec l’étudiant les stratégies les plus efficaces pour apprendre et réussir. Il s’appuie sur la volonté d’offrir à chaque étudiant les mêmes chances de réussite.

Le théâtre des apprentissages du métier d’infirmier se déroule pour moitié en stage où la compétence de l’apprenti s’évalue dans l’action. Le formateur devient alors un partenaire des équipes d’encadrement de l’étudiant avec lesquelles celui-ci expérimente ses savoirs. Toutefois, les terrains de stage ont, comme les instituts de formation, des niveaux de sensibilisation variables au handicap, ne permettant pas toujours d’accompagner l’étudiant dyslexique de manière adaptée. Les conditions d’accompagnement restent alors à définir ensemble.

Encadré 1

Les difficultés liées à la dyslexie

Selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), la proportion d’individus porteurs de troubles spécifiques du langage et des apprentissages (TSLA) serait de 5 % à 7 %. La dyslexie, qui fait partie des TSLA, est classée dans l’une des sept catégories des troubles du neurodéveloppement (TND). La dyslexie est le plus fréquent des troubles « dys », eux-mêmes très fréquemment associés à d’autres troubles (concernant la parole, le calcul ou l’attention). Elle touche l’individu dans l’apprentissage de la lecture, entravant le déchiffrage et l’accès au sens du mot. La dyslexie impacte négativement les apprentissages académiques. Parmi les travaux exigés en Ifsi, de nombreux sont des écrits, mettant l’étudiant dyslexique en difficulté, tant son écriture peut être confuse et aléatoire.

Source : Inserm.fr

Encadré 2

Les points importants

- La dyslexie est un trouble de la lecture : l’étudiant apprend différemment en s’appuyant sur des stratégies de compensation ou de contournement.

- Pallier le trouble n’est pas le supprimer : il s’agit de réduire le handicap.

- Les aménagements des étudiants dyslexiques ne peuvent pas se réduire à une approche globale.

- Chaque étudiant dyslexique est singulier, l’accompagnement aussi.

Références

1. Mazeau M, Pouhet, A. Neuropsychologie et troubles des apprentissages chez l’enfant. Du développement typique aux dys-. Elsevier Masson ; 2014. p. 339.

2. des Portes V. Troubles du neurodéveloppement : aspects cliniques. Contraste 2020/1 ; n°51 : 21-53.