Une récente étude menée au sein de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) dresse un panorama des usages de l’isolement et de la contention dans les établissements de psychiatrie en France en 2022 et de la population concernée. Bien que le recours à ces pratiques soit strictement encadré, la réduction de leur utilisation reste difficile à atteindre dans certains établissements.
L’isolement et la contention ne sont autorisés en France que dans le cadre d’hospitalisations complètes sans consentement. L’isolement « consiste à placer une personne à visée de protection dans un espace dédié, fermé et séparé des autres patients, lors d’une phase critique de sa prise en charge thérapeutique ». La contention dite mécanique est celle prévue pour « limiter les capacités de mouvement physique d’un individu dont le comportement présente un risque grave pour son intégrité ou celle d’un tiers, notamment par des sangles ». Le code de la santé publique précise que ces usages sont réservés à des situations de crise, donc exceptionnelles, pour « prévenir un dommage immédiat ou imminent pour la personne hospitalisée ou autrui, de façon proportionnée et graduée, après échec de mesures moins restrictives de liberté, avec une durée limitée et sur la base d’arguments cliniques ». Des recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de santé (HAS) permettent d’encadrer leur utilisation.
En France, la limitation de l’isolement et de la contention comptent parmi les objectifs de la feuille de route ministérielle Santé mentale et psychiatrie et est « soutenue par un cadre législatif à visée dissuasive », précisent les auteurs de l’étude.
Dans les faits, l’isolement et la contention sont bien plus courants qu’ils ne le devraient dans certains établissements, alors que d’autres n’y ont jamais recours. Des différences de pratiques qui peuvent s’expliquer par des besoins variables de prise en charge des populations, et qui soulèvent des questions éthiques et juridiques. L’étude « Isolement et contention en psychiatrie en 2022 : un panorama inédit de la population concernée et des disparités d’usage entre établissements », menée par l’Irdes, révèle qu’en 2022, sur les 285 947 personnes majeures hospitalisées à temps plein en psychiatrie en France, 27 % l’ont été au moins une fois sans leur consentement. Ainsi, « 76 000 personnes ont été hospitalisées sans leur consentement à temps plein en psychiatrie : 37 % sont concernées par un recours à l’isolement, soit 28 000 personnes, et 11 % par un recours à la contention mécanique, soit 8 000 personnes. »
Ramené à la population adulte en France, le recours à l’isolement en psychiatrie a concerné 52 habitants majeurs sur 100 000, et l'utilisation de la contention mécanique, près de 15 personnes sur 100 000.La France se situe ainsi au-dessus de la médiane de neuf pays pour lesquels il existe des estimations récentes.
Autre information livrée par l’étude : les personnes concernées par ces mesures sont relativement jeunes (âge médian de 35 ans pour l’isolement et de 37 ans pour la contention), principalement masculines (les deux tiers), et présentent, pour plus de 25 % d’entre elles, une vulnérabilité socio-économique. Elles totalisent un nombre annuel médian de journées de prise en charge en hospitalisation à temps plein bien plus élevé que celui des autres patients hospitalisés sans consentement. La prise en charge de ces personnes s’avère également complexe : leur séjour hospitalier commence plus fréquemment par un passage aux urgences que dans le cas d’autres personnes hospitalisées sans consentement ; il est lié dans près de 50 % des cas à la prise en charge d’un trouble psychotique, puis bipolaire, puis de la personnalité ou du comportement. À noter également : une surreprésentation de séjours pour déficiences intellectuelles et trouble du développement psychologique.
L’étude questionne aussi l’interprétation de la « surreprésentation des hospitalisations sans consentement pour soins aux détenus au sein des séjours au cours desquels des mesures d’isolement ont été mises en œuvre, en comparaison aux autres hospitalisations sans consentement (…). Elle pourrait traduire une fréquence plus élevée d’épisodes violents au sein de cette population, mais suggère aussi que ces mesures peuvent être mises en œuvre pour répondre à des exigences de sécurité non justifiées par des motifs purement cliniques ».
L’étude a porté sur 220 structures assurant des soins sans consentement en psychiatrie, majoritairement des établissements publics pluridisciplinaires (hors CHU) ou spécialisés en psychiatrie. Des recours aux mesures d’isolement sont observés dans près de 30 % des séjours d’hospitalisation à temps plein sans consentement, le taux moyen de contention mécanique étant de 8 % de ces séjours. Les auteurs soulignent que les structures qui ne recourent pas à ces pratiques sont plus souvent pluridisciplinaires et de taille réduite. « Plus l’établissement est de taille importante, plus il peut être compliqué de porter et mettre en place une politique volontariste de réduction des pratiques d’isolement et de contention partagée par l’ensemble des services et des acteurs de l’établissement », analysent-ils.
En soulignant « de façon inédite des variations majeures dans l’usage de ces mesures entre établissements », les résultats de l’étude questionnent sur la notion de « dernier recours » pour ces pratiques. « Le fait que certains établissements ou services aient un recours réduit, voire nul, à ces mesures montre qu’une autre réponse à la prévention de la violence est possible, qui permet d’éviter les privations de liberté », avancent les auteurs. Un deuxième volet de l’étude portera d’ailleurs sur les déterminants des variations de recours entre les établissements de santé.
Ils préconisent une inscription systématique des objectifs de réduction et leur suivi annuel dans des outils d’animation des politiques de santé mentale à tous les niveaux (local, territorial, régional, national), ainsi que la prise en compte des résultats dans les outils d’évaluation de la qualité des soins, afin « d’accompagner et de soutenir l’effort de changement des établissements et l’évolution des pratiques tout en favorisant le partage de mesures de prévention efficaces entre établissements ». Ce qui supposerait que les équipes soignantes aient les moyens d’atteindre ces objectifs, alors que le contexte démographique est défavorable en psychiatrie hospitalière.
Les auteurs évoquent aussi plusieurs solutions pour remédier à l’usage de ces pratiques dans certains établissements : la systémisation des formations à la gestion des situations de crise et de violence, des exercices réflexifs sur les pratiques, des outils permettant de recueillir les préférences des patients en amont ou encore le soutien de l’évaluation et la diffusion d’innovations organisationnelles afin de faciliter la prise en charge de situations critiques à l’hôpital et les prévenir en amont.
L’étude invite également à soutenir le suivi des mesures d’isolement et de contention dans d’autres champs : les urgences générales, le secteur médicosocial et en gériatrie. Enfin, elle conclut que « d’autres pratiques, comme la présence de services fermés ou le recours à la contention physique et à la médication forcée, gagneraient également à pouvoir être documentées à l’échelle nationale en France à travers les systèmes d’information existants ».