Les pistes (floues) du Gouvernement pour la santé - Objectif Soins & Management n° 0299 du 21/05/2024 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0299 du 21/05/2024

 

Restrictions budgétaires

ACTUALITÉS

Adrien Renaud

  

L’exécutif empile les mesures d’économies depuis le début de l’année, et le secteur de la santé n’est pas épargné. Mais il n’est pour l’instant pas aisé de distinguer le sort budgétaire qu’il réserve aux blouses blanches.

Les Affections de longue durée (ALD) feront-elles les frais des mesures d’économies prévues par le Gouvernement ? La réponse du ministre de l’Économie Bruno Le Maire dépend de la date à laquelle il s’exprime. Interviewé début mars 2024 dans Le Monde, celui-ci se demandait « comment éviter la dérive sur les dépenses liées aux affections de longue durée, tout en continuant à protéger les patients », mettant clairement en question ce mécanisme permettant aux patients victimes de certaines maladies graves de voir leurs frais pris en charge à 100 %, sans ticket modérateur. Mais quelques semaines plus tard, le patron de Bercy rétropédalait. « Nous ne voulons […] pas toucher aux ALD », déclarait-il fin mars à Ouest-France, qualifiant même le dispositif de « pilier essentiel de la solidarité ».

Cette volte-face est probablement l’un des symboles de la situation compliquée dans laquelle se trouve le Gouvernement d’un point de vue budgétaire : alors que la croissance s’avère plus faible que prévu, l’État voit ses recettes fiscales à venir fondre comme neige au soleil, et n’a le choix qu’entre baisser les dépenses et augmenter les recettes. Et comme il refuse cette deuxième option, s’étant interdit toute augmentation d’impôts, il ne lui reste plus que la première. « Quand on gagne moins, on dépense moins », résumait Bruno Le Maire, toujours dans Le Monde. Reste que dépenser moins, cela revient à sabrer dans des dépenses, et donc à effectuer des choix douloureux. C’est tout le sens du retournement de veste opéré sur les ALD, au risque parfois de désorienter un peu les observateurs.

Marche arrière

« Certains ont découvert la marche arrière », commente, un brin moqueur, Gérard Raymond, président du collectif France Assos Santé, qui regroupe les associations de patients du pays. Celui-ci ajoute que « le problème, c’est qu’on ne voit pas où le Gouvernement veut aller ». Même analyse de la part du conseiller maître honoraire à la Cour des Comptes François Écalle, qui dirige le site spécialisé sur les finances publiques Fipéco. « J’ai un peu de mal à m’y retrouver, avoue-t-il. On constate que le Gouvernement lance des ballons d’essai et les maintient en l’air ou les fait redescendre en fonction des réactions. »

Reste qu’entre ballons d’essai et coupes claires, le Gouvernement tente de mener sa barque budgétaire, et semble avoir décidé de n’avancer que progressivement. Un premier plan d’économie de 10 milliards d’euros a été annoncé pour l’ensemble des dépenses de l’État pour l’année 2024. Celui-ci épargne relativement le secteur de la santé, auquel seulement 70 millions d’euros d’efforts sont demandés. Mais les blouses blanches ne perdent rien pour attendre : Bercy a clairement fait savoir que ce plan n’était qu’une première étape, et que d’autres coupes devraient suivre.

C’est ainsi que le budget 2025 devra faire place non pas à 10, mais à 20 milliards d’euros d’économies, a fait savoir le ministre délégué aux comptes public Thomas Cazenave au mois de mars. Les arrêts maladie, notamment, restent dans le viseur de son ministre de tutelle Bruno Le Maire. « Leur multiplication pose une vraie question, déclarait-il dans son entretien à Ouest France. Ce débat doit être ouvert dès cette année afin de lutter contre les abus. » Même chose du côté du transport sanitaire. « Est-il possible de continuer à dépenser 5,7 milliards d’euros par an pour le transport médical des patients ? », s’était-il interrogé dans Le Monde. La chasse aux économies budgétaires dans le secteur de la santé est donc loin d’être fermée, et elle devrait même s’intensifier dans le cadre de la préparation du Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025.

C’est le patient qui subira les conséquences

Or cette situation est loin de satisfaire tout le monde. « On nous demande 600 millions d'économies, s’indignait sur RTL Arnaud Robinet, président de la Fédération hospitalière de France (FHF) et maire de Reims, pourtant réputé proche de la majorité présidentielle. Ce n'est pas possible. In fine, c'est le patient qui en subira les conséquences. » Les établissements privés, dont les tarifs n’ont été réévalués pour 2024 que de 0,3 % contre 4,3 % pour les hôpitaux publics, sont encore plus remontés : ils ont annoncé une grève totale à partir du 3 juin. « La situation est devenue intenable, nous n’avons plus d’autres solutions que d’entrer en grève pour nous faire entendre, a justifié par communiqué Lamine Gharbi, président de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), principal syndicat des cliniques. Nous ne pouvons pas rester passifs face à une décision politique qui met en péril nos établissements et compromet l’accès aux soins pour nos patients. Le Gouvernement doit ouvrir les yeux, en affaiblissant l’hospitalisation privée, c’est tout le système de santé qu’il affaiblit. »

Et les établissements, qu’ils soient publics ou privés, ne sont pas les seuls à vouloir faire entendre leur voix. « On remarque que les pistes qui sont évoquées par le Gouvernement ne touche qu’une catégorie d’acteurs : les patients, critique Gérard Raymond. On jure la main sur le cœur qu’on veut les responsabiliser, mais en réalité, on les culpabilise. » Même François Écalle, pourtant traditionnellement défenseur d’une certaine orthodoxie budgétaire, se montre sceptique. « On met des rustines qui vont rapporter quelques centaines de millions d’euros, mais c’est un peu du bricolage », regrette-t-il.

Où ponctionner ?

Qu’on ne s’y trompe pas : même parmi ceux qui critiquent les pistes d’économies du Gouvernement, s'élèvent des voix pour reconnaître qu’il faut changer la manière dont notre système de santé est financé. « Sans parler d’économies, il faut une gestion économique plus stricte, et il faut rendre le budget plus efficient », estime Gérard Raymond. « Nous avons une dette publique élevée, des impôts déjà à un niveau qui nous classe parmi les premiers dans beaucoup de domaines, donc il faut faire des économies », constate pour sa part François Écalle. Mais ce ne sont, d’après ces observateurs, pas des jours de carence sur les arrêts maladie ou le rabotage du remboursement des transports sanitaires qui changeront fondamentalement la donne.

« Il faut faire des économies sur l’ensemble des dépenses publiques, et donc aussi sur les dépenses sociales qui en constituent la moitié », explique François Écalle. Celui-ci considère que pour réduire ces dernières, il y aurait une solution techniquement simple : « ne pas indexer les retraites sur l’inflation », car ce sont les pensions, et non la santé, qui constituent la majeure partie des dépenses sociales. Mais cette solution, si elle a l’avantage de la simplicité, s’avèrerait plutôt compliquée à mettre en œuvre politiquement. D’où l’importance de chercher d’autres gisements d’économies.

Alors, dans cette perspective, la santé constituerait-elle un bon filon, que ce soit techniquement ou politiquement ? Rien n’est moins sûr. « Il y a des économies à faire, des gaspillages, des problèmes de coordination entre ville et hôpital, énumère François Écalle. Mais il est très difficile d’inciter des dizaines de milliers d’acteurs, notamment les médecins qui prennent chaque jour des dizaines de décisions chacun dans leur coin, à faire attention aux finances publiques. » Quant au financement hospitalier, estime l’ex-haut fonctionnaire, « cela fait des années que les économistes de la santé se partagent sur la bonne tarification, entre paiement à l’acte, forfait, dotation globale, etc., sans avoir trouvé la solution miracle ».

Refondation systémique

Il ne faudrait pas pour autant abandonner tout espoir de voir le secteur de la santé peser de manière moins lourde sur les comptes publics. « Il nous faut refonder l’organisation de façon systémique, avance Gérard Raymond. Ce n’est pas nouveau, on le sait depuis longtemps, mais notre système de santé ne correspond plus à l’évolution de notre situation. » L’objectif, selon le principal représentant des patients, ne devrait pas être de chercher des coupes budgétaires tous azimuts, mais de « rendre la dépense plus efficiente ». « Il faut casser les murs corporatistes qui règnent sur notre système de santé, plaide-t-il. La médecine solitaire, c’est terminé, il faut maintenant une médecine solidaire, avec des équipes traitantes qui agissent sur un territoire donné. »

Des évolutions qui sont, reconnaît Gérard Raymond, déjà en cours. Celui-ci salue notamment la multiplication des expérimentations dites « article 51 » qui permettent, en ville comme à l’hôpital, de déroger aux règles de financement habituelles pour tester de nouvelles organisations, notamment en termes de transferts de tâches. Il se félicite également du développement des équipes pluriprofessionnelles en médecine de ville. Il s’agirait donc selon lui d’amplifier ces évolutions.

François Écalle, pour sa part, plaide pour une révolution totale au niveau du financement. « Il faudrait mettre en place un bouclier sanitaire », suggère-t-il. Ce dispositif, notamment proposé par Martin Hirsch lorsqu’il était Haut-Commissaire aux Solidarités en 2007, supprimerait les dispositifs de type ALD, les remplaçant par un remboursement des dépenses de santé à 100 % dès que le reste-à-charge dépasse un certain pourcentage des revenus de l’assuré. François Écalle suggère de fixer le seuil de dépenses de santé maximum qui restent à la charge de patients aux alentours 4 % du revenu, assurant qu’il s’agirait d’un dispositif plus juste que le système actuel, car bénéficiant principalement aux plus modestes. Reste, reconnaît-il, que cela constituerait un grand chamboulement de notre système. « Ce ne serait pas pour 2025 », euphémise-t-il. Mais c’est peut-être justement parce que le but est éloigné qu’il faut se mettre en route plus tôt.