OBJECTIF SOINS n° 0299 du 21/05/2024

 

DOSSIER

Carole Reynaud   Olivier Foubert   Martine Simon  

Manager pédagogique, Centre Léon Bérard, LyonManager pédagogique, Centre Léon Bérard, LyonAdjointe à la direction des soins et des parcours, Centre Léon Bérard, Lyon

Dans un centre de lutte contre le cancer, l’accompagnement des étudiants infirmiers, des élèves aides-soignants et des nouveaux professionnels a suscité une réflexion approfondie. Celle-ci a donné lieu à l’élaboration d’un parcours et d’outils pédagogiques dédiés, permettant de répondre aux besoins exprimés et facilitant l’intégration des savoirs et des pratiques.

Dans un secteur de la santé de plus en plus contraint, les réformes des formations infirmière et aide-soignante, passées et à venir, redéfinissent le schéma de celles-ci, notamment le volet de formation professionnelle. En tant qu’établissement de soins, nous accueillons des étudiants infirmiers (IDE) et des élèves aides-soignants (AS). Nous constatons, d’année en année, le besoin d’accompagner ces apprenants, tant sur le plan théorique que pratique. Or, les nouveaux diplômés ont effectué très peu de stages hospitaliers, pour la plupart. Dans cette continuité – hier en formation et aujourd’hui professionnels –,  nous avons travaillé à l’élaboration de modalités d’accompagnement pour étayer les savoirs et les pratiques, permettant de faciliter leur intégration.

L’accompagnement des étudiants 

Les étudiants IDE et les élèves AS arrivent bien souvent dans notre structure avec peu, voire pas d’expérience hospitalière, conséquence d’une raréfaction des lieux de stages en établissement de soins. Cette dernière est multifactorielle, mais la fermeture des lits au cours des dernières décennies, la diminution des moyens humains dans les structures de santé et l’augmentation du nombre d’étudiants dans les instituts de formation en soins infirmiers et des élèves dans les instituts de formation d’aides-soignants, sont quelques-unes des causes identifiées.

Cela posé, nous devons faire face au défi d’accompagner ces étudiants et ces élèves, pour beaucoup en déficit de formation technique et de confrontation clinique, afin de les aider à construire une posture professionnelle adaptée. Qui a déjà accompagné des apprenants connaît la difficulté d’uniformiser le chemin vers une posture tout en l’individualisant, car « la formation doit prendre en compte les terrains de stage qui constituent un ancrage effectif dans les réalités professionnelles »(1). C’est pourquoi il nous a fallu réfléchir à l’articulation des moyens pour accompagner ces stagiaires, avec la difficulté d’une spécialité comme la nôtre : la cancérologie.

L’expérience des équipes encadrantes et les réponses aux questionnaires remis aux étudiants et aux élèves ont permis d’identifier les domaines dans lesquels la majorité d’entre eux avait besoin d’étayages. Ces thèmes sont, pour la plupart, abordés en institut de formation, mais souvent incompris, car rarement exposés en confrontation avec la pratique clinique. Nous avons donc mis en place des moments d’apprentissages dédiés à ces domaines identifiés et à leur articulation avec le stage clinique. Ainsi, avec l’aide des services concernés, nous avons élaboré une planification d’accompagnement (figure 1) comprenant :

- une journée de formation qui permet à l’ensemble des étudiants IDE et AS de profiter d’un cours sur les bases de la cancérologie accompagné de vidéos et d’un quiz pour valider l’intégration des connaissances ; d’une rencontre avec l’équipe d’hygiène pour des rappels sur les précautions standard et complémentaires ; d’un atelier « calculs de doses » (uniquement pour les étudiants IDE) ; d’un quiz sur la pharmacologie (uniquement pour les étudiants IDE) ; d’un quiz sur les transfusions sanguines et le contrôle prétransfusionnel ultime, d’un cours sur les accidents d’exposition au sang (AES) ; d’une session interactive de formation spécifique pour les élèves AS sur les soins d’hygiène et d’accompagnement en cancérologie, qui peuvent nécessiter une prise en charge spécifique (soins de prévention de la mucite, par exemple) ; d’une intégration du nouveau référentiel de compétences AS (aspiration trachéale, glycémie capillaire, par exemple) ;

- des ateliers « calculs de doses » répartis sur la période de stage pour les étudiants IDE ;

- une rencontre à mi-stage permettant de faire un point avec eux, d’évoquer la qualité de l’accompagnement, et de leur présenter le parcours de professionnalisation AS-IDE qui existe au Centre Léon Bérard au cas où ils souhaiteraient postuler ;

- une rencontre de fin de stage, moment qui permet de débriefer sur l’atteinte des objectifs, les éventuelles difficultés rencontrées, et de présenter la politique de ressources humaines si des postulants ont été identifiés.

L’accompagnement des nouveaux embauchés

L’accompagnement des nouvelles recrues paramédicales est similaire à celui des étudiants. L’objectif est de développer « les codes du ‘monde professionnel’ dans lequel [le nouvel embauché] exerce : les savoirs (knowing), l’agir (acting), et les façons d’être (being) »(2). Il répond à la même dynamique, à savoir « se joindre à quelqu’un pour aller où il va »(3). Notre objectif se résume ainsi : accompagner pour mettre la nouvelle recrue « sur la bonne voie », « sur les bons rails ».

À l’aune des formations existantes, l’évaluation des fins de sessions a montré un manque de pertinence de l’enchaînement des moments de formation en présentiel. Le résultat, pour les nouvelles recrues, n’était pas en adéquation avec l’énergie et le temps alloué à cette formation intégrative, très riche, en présentiel, avec un temps insuffisant pour la « digérer ». Ainsi, il a fallu repenser les temps de formation pour les nouveaux arrivants paramédicaux, avec pour but de les rassurer quant à leur entrée en poste et de sécuriser leurs pratiques professionnelles.

Pour réaliser ces changements, nous avons élaboré une réflexion « d’ordre pragmatique, au sens d’une centration sur l’action et d’une recherche de solutions efficaces pour répondre à des problèmes de terrain »(4). D’une part, nous avons repensé la temporalité de la formation, en passant d’un enchaînement de trois jours complets à plusieurs sessions de quelques heures sur les deux premières années de la professionnalisation. D’autre part, les séquences de formation, exclusivement démonstratives, qui se tenaient auparavant pendant trois jours, ont été remplacées par des séquences basées sur l’interactivité et le ludo-apprentissage.

Le parcours spécifique de professionnalisation de notre établissement est ainsi composé de plusieurs temps de formation dont les séquences pédagogiques ont été travaillées avec les acteurs de terrain, afin de constituer un apprentissage clinique et actif.

Chaque nouvel embauché se voit remettre, par le cadre d’unité dans lequel il est affecté, le carnet de route du collaborateur : outil regroupant des fiches thématiques (douleur, AES, droits du patient…), des grilles de validation de compétences et le planning des différentes dates de formation du parcours.

Les 15 premiers jours sont le temps du tutorat, éminemment important, pendant lequel les tuteurs accueillent, intègrent, encadrent et évaluent les nouveaux professionnels en utilisant une grille des compétences attendues.

Puis, après environ deux mois, les nouveaux collaborateurs rencontrent l’un des membres de l’équipe pédagogique pour une réunion « tuteur-manager ». Celle-ci a pour but de présenter le parcours via une vidéo pédagogique, d’effectuer un rappel de connaissances et d’aider à l’apprentissage des procédures propres à l’établissement.

Ce parcours est régulièrement repensé et de nouveaux outils pédagogiques intègrent les sessions. De facto, nous travaillons selon une pédagogie participative en favorisant :

- une méthode active, en faisant participer directement un ou plusieurs nouveau(x) collaborateur(s) pour certaines thématiques (logiciel de prescription et de validation des médicaments, accès au dossier du patient…). Dans ces séquences, le collaborateur devenu intervenant peut questionner ses collègues et ainsi engager leur interactivité et leur réflexivité ;

- l’acquisition des savoirs grâce à un jeu en ligne (questionnaire Kahoot®) sur différents sujets (circuit des déchets, résultats biologiques, urgence vitale…) ;

- la ludopédagogie par un jeu de l’oie (figure 2) sur les thématiques de l’hygiène, de la sécurité et des AES, un jeu d’association sur l’évaluation de la douleur, une chambre des 7 erreurs, l’association de photos de matériels afin de réaliser le montage d’une aspiration de sonde nasogastrique ;

- la pédagogie réflexive à l’aide d’un cas concret et d’une réflexion collective sur les attendus de la surveillance d’un patient.

Dans ce parcours de professionnalisation se positionnent ensuite deux tables rondes, moments de formation animés par les référents des unités de soins AS ou IDE. Ceux-ci sont des professionnels experts : leurs connaissances des processus internes et leur appétence pour la formation leur permettent de transmettre leurs savoirs et d’accompagner le développement des compétences.

Chaque table ronde fait l’objet d’un questionnaire de connaissances envoyé avant et après celle-ci.

Ces rencontres constituent des temps d’échanges entre pairs qualifiés et novices, pendant lesquels différentes thématiques sont débattues, questionnées et analysées : la première aborde des thématiques générales au décours des troisième et quatrième mois de présence du nouveau professionnel (douleur palier 1, AES, matériel, circuit du médicament, hémovigilance, nutrition) ; la seconde a lieu après six à huit mois de présence et regroupe des thématiques plus spécifiques : douleur palier 2, soins palliatifs et plaies chroniques.

Enfin, le dernier temps de formation du parcours d’intégration du nouvel embauché (figure 3) est constitué d’ateliers de professionnalisation. Ceux-ci sont animés par des professionnel experts, ayant obtenu un diplôme universitaire (DU), un master, ou ayant suivi une formation certifiante/qualifiante sur la thématique. Ils interviennent de façon très pragmatique en mettant à la disposition l’apprenant le matériel et les supports lui permettant de toucher et manipuler les dispositifs, et de s’approprier les modes opératoires et les éléments incontournables de la thématique. Nous pouvons citer sans être exhaustifs : les prothèses mammaires et mamelonnaires pour l’atelier de chirurgie sénologique, les matériels de stomie utilisés dans le cadre de l’atelier de chirurgie digestive, le matériel de manutention dans le cadre de la prévention des troubles musculosquelettiques. Nous utilisons à nouveau une mise en situation virtuelle avec un serious game dans le cadre de l’atelier de l’identitovigilance.

Discussion

Les deux parcours mis en place au Centre Léon Bérard permettent de sécuriser à la fois les professionnels, les pratiques professionnelles et la prise en charge des patients. Convaincu de l’importance de l’existence de ces parcours, l’établissement a investi dans des moyens humains avec :

- une équipe pédagogique (représentant un équivalent temps plein – ETP) composée de deux cadres et deux IDE pédagogiques en fonction ;

- des référents AS et IDE issus des services de soins, détachés pour les différents temps de formation, avec des objectifs annuels validant l’obtention d’une prime au prorata de la réalisation de ceux-ci ;

- des experts disponibles pour l’animation des ateliers de professionnalisation et pour la veille professionnelle auprès des référents.

- des moments dédiés à ces temps de formation dans un contexte d’effectifs extrêmement tendu.

L’équipe pédagogique adapte continuellement les moments de formation et leur articulation pédagogique avec les contraintes de terrain par le biais d’outils régulièrement remis à jour. Ceux-ci permettent de créer une dynamique en stimulant l’interactivité ; certaines séquences de formation continue s’effectuent après le temps de travail. De même, la création de ces temps de travail prend en compte la capacité d’apprentissage de la nouvelle génération, à savoir des temps courts, ludiques, permettant le challenge (Kahoot®, serious game).

Ces parcours sont évalués annuellement :

- pour le parcours étudiant, par des questionnaires de satisfaction réalisés en fin de journée de formation et en fin de stage ;

- pour le parcours de professionnalisation, par un questionnaire en ligne (type Google Form®) à destination des référents et des nouveaux professionnels.

Les résultats de ces évaluations sont extrêmement positifs, que ce soit pour les étudiants et élèves ou pour les nouveaux professionnels.

Pour les étudiants-élèves, les points forts relevés sont : la présence de livrets d’accueil par service en complément du livret d’accueil de l’établissement, les temps de formation et les bilans réguliers organisés et animés par l’équipe pédagogique, et l’encadrement rigoureux dans les unités de soins. « J'ai rarement été si bien accueillie sur un lieu de stage, que ce soit [par le tuteur], puis la cadre et l'équipe soignante du [service]. La journée de formation a été d'une grande aide pour revoir les bases et permet d'arriver dans le service dans les meilleures conditions possibles. Le service d’accueil fournit beaucoup de documentations et d'aide dès le début du stage et choisit les IDE les plus expérimentées pour construire une bonne base de connaissances, ce que j'ai beaucoup apprécié. », témoigne Nina, étudiante IDE de troisième année, en stage en chirurgie)

Concernant le parcours de professionnalisation, l’évaluation est également extrêmement positive, que ce soit par les référents (figure 4) ou les nouveaux collaborateurs qui se sentent sécurisés dans leur prise de poste. La sécurisation des pratiques professionnelles et la pertinence des outils utilisés sont mises en avant(5, 6).

Conclusion

L’équipe pédagogique a pris une place prépondérante dans ces parcours, tant dans le pilotage que l’ingénierie de formation, la coordination avec les différents acteurs externes (Ifas, Ifsi, etc.), et internes (direction des soins et des parcours, cadres des unités de soins, experts, référents, etc.) Même si la fidélisation des nouveaux collaborateurs, qui est l’un des objectifs principaux de ces parcours, n’est pour l’instant pas à la hauteur des attentes, ces derniers ont toutefois servi de catalyseur à l’investissement et à la fidélisation des référents. De même, l’équipe pédagogique est garante de la veille des compétences professionnelles et de sa mise en place grâce à la collaboration avec les acteurs externes (nouveaux référentiels de compétences) et internes (évolution des outils d’ingénierie de formation).

L’investissement de notre établissement dans les deux parcours permet ainsi un accompagnement personnalisé à la fois pour les étudiants/élèves et les nouveaux professionnels, garantissant une meilleure qualité des soins.

La totalité du projet et des illustrations est disponible auprès de Martine Simon : martine.simon@lyon.unicancer.fr

Notes

1. Paul M. (2009). L’accompagnement dans le champ professionnel. Savoirs 2009/2 ; 20 : 11-63.

2. Bédard D. (2022). De la démonstration à l’amélioration des dispositifs pédagogiques : une question d’évaluation. Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur 38(1) : 1-6.

3. Dictionnaire de la langue française, 2004.

4. Lemaître D. (2018). L’innovation pédagogique en question : analyse des discours de praticiens. Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur 34(1) : 1-21.

5. Étudiants accueillis, période 2022-2023.

6. Bilan Professionnalisation 2022.