OBJECTIF SOINS n° 0300 du 31/07/2024

 

ÉCRITS PROFESSIONNELS

David Naudin   Bertrand Le Corre   Laurence Pitard  

Adjoint au directeur de l'Institut de formation des cadres de santé de l’APHP, coordonnateur du Pôle de la recherche paramédicale en pédagogie du CFDC, PhD en sciences de l'éducation, chercheur associé au Laboratoire Éducations et pratiques en santé (LEPS ER 3412), Université Paris-Sorbonne NordCadre supérieur, formateur à l'Institut de formation des cadres de santé de l'AP-HPCadre de santé, faisant fonction de cadre supérieure, Hôpitaux Antoine-Béclère et Ambroise-Paré, AP-HP

La charge mentale d’une personne dépend, d’une part, de la nature des tâches à accomplir et des contraintes extérieures en présence, et d’autre part, des capacités et des ressources intrinsèques dont elle dispose pour les réaliser. La multitude d’activités et de responsabilités du cadre de santé induit souvent un déséquilibre entre ces facteurs, qui peut mener à l’épuisement. Plaidoyer pour l’écologie cognitive.

L’écologie cognitive pour lutter contre le stress et le burn-out

La charge mentale englobe de multiples tâches non seulement professionnelles, mais aussi personnelles. Ces tâches que l’on doit garder à l’esprit doivent être planifiées, organisées et anticipées pour assurer le bon fonctionnement de la vie quotidienne. Cela inclut une multitude d’activités pratiques pour le cadre de santé telles que la gestion des plannings et des flux de patients, la planification des rendez-vous mais aussi des tâches à prévalence émotionnelle comme le soutien des équipes, l’écoute et la prise en compte des besoins des autres. Ce concept théorique de charge mentale ou cognitive a été porté dans de nombreuses disciplines notamment en psychologie, ergonomie, sciences de gestion et des organisations. Il est défini comme « la mesure de la quantité de ressources mentales mobilisées par un sujet lors de la réalisation d’une tâche »(1). Cette charge mentale ou cognitive  varie en fonction de la nature de la tâche à réaliser, de sa difficulté, des ressources mentales disponibles et allouées pour cela(2,3) (figure 1). Dans la sphère professionnelle, la surcharge cognitive est souvent mise en relation avec le stress, la fatigue, l’anxiété et le burn-out. Il est courant d’évoquer alors une surcharge mentale ou cognitive.

Les facteurs influençant la charge mentale

La charge mentale est un état d’équilibre entre, d’un côté de la balance, des ressources individuelles, et de l’autre côté, la tâche en elle-même, sa nature intrinsèque et l’existence de contraintes extérieures (figure 1).

Les ressources individuelles

Plusieurs facteurs individuels influencent la charge mentale. À titre d’exemple, le niveau de compétences et d’expertise permet aux individus d’être plus performants dans les tâches à réaliser, ce qui diminue la charge mentale. Les actions sont alors quasiment toutes réalisées de manière automatique sans même à avoir à y penser. En revanche, les personnes moins expérimentées ou novices peuvent se sentir davantage submergées lorsqu’elles sont confrontées à des tâches complexes ou nouvelles.

La motivation à accomplir la tâche est, elle aussi, essentielle. Ainsi, les individus qui sont intrinsèquement motivés et engagés dans leurs tâches peuvent être plus résilients face à une charge mentale importante. Une motivation élevée peut favoriser la persévérance et la concentration, réduisant ainsi l’impact de la charge mentale sur la performance.

Parmi les ressources personnelles, les personnes ayant un style de pensée flexible, qui sont créatives et efficaces dans la résolution de problèmes, peuvent être plus aptes à gérer la charge mentale. Elles sont souvent capables de trouver des solutions innovantes et de s’adapter aux défis, réduisant ainsi la surcharge cognitive.

Une autre caractéristique individuelle est en lien avec le niveau de confiance en soi. Les personnes ayant un haut niveau de confiance se sentent plus sûres de leurs compétences et de leurs capacités à faire face aux défis. Une plus grande confiance en soi peut également encourager la prise de décision autonome et réduire l’anxiété liée à la charge mentale.

La capacité à gérer le stress est aussi un point capital, comme la possibilité de mobiliser des ressources externes (aide extérieure, connaissances de l’environnement et de ses limites...).

Parmi les ressources internes de la personne, les fonctions exécutives et l’attention sont particulièrement sollicitées. Les premières, très développées chez l’être humain, permettent le contrôle, la réalisation de tâches et de conduites, le choix de stratégies, la prise de décisions et l’adaptation aux situations. Plus précisément, ces processus de haut niveau permettent de réguler l’action, de planifier, d’organiser, de résoudre des problèmes, d’aménager son temps, de s’autoréguler, d’adapter son comportement aux différentes situations, et de gérer les émotions. Ces fonctions sont donc essentielles dans la vie quotidienne et dans les interactions sociales. Parmi elles, nous pouvons distinguer : l’inhibition, la flexibilité mentale, la planification de tâche, la mémoire de travail(4). L’inhibition permet notamment de garder le contrôle sur les émotions, mais aussi d’inhiber les comportements automatiques, les routines et les distractions, de rester concentré, et de prioriser les séquences d’actions. La fonction de planification de tâche est, quant à elle, liée à la capacité de séquencer les étapes d’une série d’actions pour exécuter la tâche de façon la plus efficace possible. La mémoire de travail permet de mettre à jour les informations disponibles et de se souvenir des tâches à réaliser. La flexibilité mentale aide à passer d’une tâche à une autre en fonction des exigences du contexte.

Ces fonctions essentielles sont très énergivores pour le fonctionnement du cerveau et peuvent être sur-sollicitées. Nous comprenons bien ici le lien d’interdépendance qui existe entre les fonctions exécutives, la charge mentale et les ressources cognitives mobilisées qui sont en lien avec « l’énergie déployée au cours de l’exécution de la tâche pour améliorer l’efficacité »(5). Enfin, des paramètres physiologiques entrent en jeu, comme la fatigue, le manque de sommeil ou l’alimentation. Des facteurs hormonaux sont aussi des éléments influençant conjointement la charge mentale, les ressources cognitives et les fonctions exécutives.

La tâche à accomplir

Parmi les facteurs impliqués dans la charge mentale, il faut également considérer la ou les tâches à réaliser, leur nature mais également la fréquence de leur réalisation. Ainsi, une tâche répétitive sera perçue plus négativement, tout comme le nombre ou la complexité des actions à accomplir pour réaliser la tâche.

Ces données relèvent de l’exigence de la tâche (task demand)(3) qui repose à la fois sur une exigence réelle et quantifiable, et sur une exigence perçue par l’individu, qui est subjective(6) et qui varie selon le contexte, rendant compte d’une variation de la charge mentale pour un même individu au cours du temps. Le niveau d’expertise et donc de familiarité ou de routinisation de la tâche proposée(7) est à considérer : en d’autres termes, le niveau d’effort à fournir est sensiblement moins important pour réaliser une tâche bien maîtrisée, dans un contexte familier, sauf, nous l’avons souligné, pour une tâche répétitive qui peut être source de diminution de la performance dans son accomplissement.

La fatigue mentale engendre une baisse de performance dans la réalisation de la tâche, pour des raisons physiques et/ou psychologiques. Elle peut être mise en lien avec un effort mental soutenu ou avec l’ennui lié au caractère répétitif et monotone de la tâche(8). Ainsi, la fatigue peut être proportionnelle à l’effort à produire mais aussi en total décalage avec celui-ci. Par exemple, certaines tâches peuvent sembler faciles malgré un état de fatigue réel, les récompenses attendues faisant oublier celui-ci. Pour expliquer cela, plusieurs facteurs sont impliqués et renvoient aux ressources individuelles de la personne : les connaissances, les croyances, la capacité à gérer les émotions, la confiance en soi mais aussi les habiletés à exécuter la tâche.

Les contraintes extérieures

Les contraintes extérieures majorent la difficulté de la tâche comme, par exemple, la nécessité de réaliser d’autres actions, ou la pression temporelle (la notion d’urgence, qu’il est essentiel de prendre en compte). C’est ainsi que certains auteurs, dans le champ de l’ergonomie, emploient les termes « niveau de contrainte de la tâche ». Pour eux, la performance n’est pas optimale pour définir le concept de charge mentale : il s’agit plutôt d’une interaction entre « l’homme et la tâche qu’il réalise »(5). Le fait de devoir accomplir plusieurs tâches simultanément sollicite l’attention divisée, qui a été largement étudiée dans le domaine de la conduite automobile avec la gestion de distractions ou de tâches secondaires(9,10). Cette attention divisée alourdit le coût cognitif nécessaire pour réaliser les tâches simultanément, le rendant particulièrement important. D’autres études montrent un lien entre la pression temporelle et la performance, notamment dans le cadre d’une sur-sollicitation de la mémoire de travail(11).

Le stress et la charge mentale

Il est classique d’établir une relation entre le niveau de performance et le stress (figure 2). Un niveau trop faible de stress entraîne l’ennui, l’apathie, tandis qu’un niveau excessif de stress conduit à la dépression et au burn-out. La rumination joue également un rôle en amplifiant l’altération des ressources cognitives et le déséquilibre de la charge mentale. Ainsi, une littérature importante montre les effets du stress et de la rumination sur les fonctions exécutives(12–15). Enfin, la charge mentale perturbe directement la motivation intrinsèque en amplifiant les coûts perçus des actions à réaliser.

La surcharge cognitive induirait un sentiment de perte de contrôle et des difficultés à passer à l’action. Martin et al.(5) définissent la zone de surcharge comme « le seuil capacitaire des ressources mobilisables par l’opérateur pour répondre aux exigences d’une tâche. Ce niveau est susceptible de varier sous l’effet de la motivation de l’opérateur, permettant de dégager des ressources habituellement disponibles ». Pour ces auteurs, la surcharge s’exprime par une sensation de perte de contrôle de la situation. Ils soulignent que « l’opérateur n’est plus en mesure de garantir une action adaptée, car il n’a pas intégré l’ensemble des informations qui caractérisent la situation à superviser »(5).

Martin et al.(5) définissent également une borne inférieure qu’ils appellent la sous-charge mentale, qui est source de moindre performance par ennui et sous-investissement.

La zone de confort est, quant à elle, définie par Hoc et Amalberti(16) comme une adaptation correcte de la charge mentale dont le réglage est effectué par ce qu’ils nomment le contrôle cognitif. Celui-ci est proche des fonctions exécutives telles que nous les avons exposées plus haut. Il s’agit pour ces auteurs de déployer un compromis cognitif(16).

Le lien entre le stress et les ressources cognitives a été établi dans plusieurs études(17–19). Le stress « positif » réattribuerait des ressources cognitives pour faire face à l’agent stressant plutôt que d’être alloué à la tâche à réaliser(20). Ainsi, le stress opérerait une forme de mobilisation de ressources cognitives aux dépens des autres activités. Pire, les ruminations mentales et les pensées envahissantes occuperaient l’espace global de travail, rendant les tâches à réaliser trop complexes(20). Les ruminations joueraient également un rôle en amplifiant l’altération des ressources cognitives et le déséquilibre de la charge mentale. Une littérature importante montre les effets du stress et des ruminations sur les fonctions exécutives(12,15,18,20). La surcharge mentale perturberait directement la motivation intrinsèque en amplifiant les coûts perçus des actions à réaliser, induisant un sentiment de perte de contrôle. Les émotions négatives seraient amplifiées par les contraintes externes excessives et la surcharge mentale. S’installerait alors un cercle vicieux générant du stress, et sur le court terme, des risques d’erreurs ou d’incidents. Cependant, les effets du stress sont variables(17).

Lien entre charge cognitive et fatigue mentale

Le premier symptôme d’une charge mentale excessive est la fatigue mentale, définie par Grandjean(21) comme un état fonctionnel caractérisé par une sensation de lassitude. Selon cet auteur, la fatigue mentale est source de divers symptômes comme l’instabilité psychique, la dépression et des maladies chroniques. Boksem et Tops(22) définissent la fatigue mentale comme un sentiment qui se caractérise par une aversion à poursuivre une activité, une baisse du niveau de l’engagement dans la tâche à accomplir et une diminution des performances cognitives et comportementales. Ils soulignent que la fatigue mentale aurait un impact sur la vie sociale et professionnelle, et des répercussions pouvant se traduire par le développement de maladies chroniques(22,23,24).

Les causes avancées par Hockey(25) concernent la difficulté de maintenir actifs les objectifs formulés. Cette perte des objectifs est liée à deux processus. Le premier, passif, est lié au fait que l’attention est fragile et que le maintien de l’attention sur la tâche engendre un effort et possiblement une fatigue. Le second processus concerne l’activation de fonctions cérébrales de haut niveau, également appelées fonctions exécutives, qui permettent le contrôle de nos actions. Ces deux processus sont intimement liés.

Boksem et al. montrent que la fatigue mentale est liée à des difficultés à préparer des réponses efficaces en situation, en raison d’une perturbation de l’attention(22,26) dans son ensemble avec, par exemple, des difficultés de maintien de l’attention, de la concentration et de l’attention sélective. Ils relient directement la fatigue mentale au niveau de performance des fonctions exécutives(22). Plusieurs articles confirment cet impact sur les fonctions exécutives et l’attention(27,28). Ainsi, les capacités de régulation de l’action sont altérées par la fatigue mentale et l’attention. La flexibilité et la planification sont également diminuées, affectant tout le processus de contrôle cognitif(27,28).

Par ailleurs, dans leur revue de la littérature, Boksem et al. montrent que la fatigue mentale n’est pas nécessairement en lien avec la durée de l’activité(22,26). Des périodes de travail prolongées peuvent ne pas induire de fatigue mentale si la récompense perçue est à la hauteur de l’engagement fourni. Pour ces auteurs, l’action est mise en œuvre selon une balance bénéfices/coûts. Cette donnée met en avant les effets protecteurs liés à la perception positive de l’engagement dans la tâche, ce qui pourrait préserver d’un épuisement mental. La motivation intrinsèque, quand elle est favorisée dans le contexte de travail, joue donc un effet protecteur vis-à-vis de l’épuisement professionnel.

Un autre point essentiel de la vision de Boksem et al.(22) repose sur le fait que la fatigue mentale active un changement de but, des objectifs immédiats, perçus comme étant plus gratifiants, étant préférés à ceux orientés sur du long terme. Ainsi, pour ces auteurs, le sentiment de fatigue devrait être perçu comme un signal qui « nous dit de freiner »(22). En cela, la fatigue constituerait un signal adaptatif qu’il convient de respecter au risque de perdre de vue les objectifs élaborés à long terme.

Pour une écologie cognitive

Plusieurs techniques d’optimisation de la charge mentale peuvent être utilisées par les cadres de santé pour diminuer le stress et améliorer l’efficacité dans la gestion des tâches quotidiennes.

Le premier niveau concerne les stratégies liées à l’organisation et s’appuie sur l’élaboration de plans d’actions détaillés qui reposent sur des objectifs clairs à atteindre. Dans cette perspective, les outils informatiques de planification, de mémos ou de rappels de tâches sont propices à l’amélioration de la productivité et de l’organisation des priorités.

La stratégie qui consiste à délimiter le périmètre d’une tâche complexe en sous-étapes permet aussi d’avoir une vision plus claire. Elle peut contribuer à diminuer l’anxiété liée à la tâche, faciliter la prise de décision et atténuer l’effet de procrastination lié à la surestimation de l’importance de la tâche ou de sa difficulté (figure 1). L’allocation de ressource cognitive par la focalisation de l’attention sur les tâches essentielles permet d’éviter les dispersions des ressources par la priorisation.

Allouer aussi du temps et des ressources à l’imprévu et à l’urgence dans l’organisation de son travail permet au cadre d’affronter sereinement ces situations. La réduction des distractions inutiles comme la consultation itérative des e-mails, des téléphones ou des réseaux sociaux pendant qu’une autre tâche est engagée doit être la règle. Le cerveau ne peut travailler simultanément sur plusieurs tâches et l’attention dans ce cas sera distribuée à l’ensemble des tâches engagées(29).

La gestion de l’information est aussi essentielle. L’infobésité (entendue comme la surcharge d’informations, via les e-mails notamment) et la collaboration numérique peuvent engendrer un stress spécifique lié à l’utilisation des technologies, connu sous le nom de technostress. Ce stress peut être dû à la surcharge d’informations, à la nécessité de répondre rapidement aux communications numériques, et à la difficulté de se déconnecter du travail. La loi instaurée en 2017 reconnaît le droit des salariés à se déconnecter, mais elle se limite à un « engagement de moyens » plutôt qu’à un « engagement de résultats ». Cela signifie que les employeurs sont tenus de prendre des mesures pour faciliter la déconnexion, mais sans obligation de résultats concrets. L’usage de l’e-mail comme outil de conversation instantanée, renforcé par les notifications omniprésentes, génère stress et anxiété en dégradant la qualité des échanges et en créant un sentiment d’urgence permanent. Cela implique pour le cadre de revoir la notion d’urgence et de priorité avec l’ensemble de l’équipe, et de déconnecter les notifications instantanées pour permettre un travail de fond sur les dossiers. La gestion des e-mails doit aussi être repensée car c’est un outil peu adapté à la communication collaborative et générateur de beaucoup de bruit numérique. Le rapport infobésité(30) indique que plus de 30 % d’emails sont dus à l’utilisation de la fonction « Mettre en copie », 25 %​ à « Répondre à tous », 18 %​ à « Transférer », 17 %​  à l’usage conversationnel de l’e-mail (plus de 10 allers-retours). Le tableau 1 résume les bonnes pratiques à mettre en œuvre pour les cadres de santé.

La délégation est aussi un point saillant auquel les cadres de santé doivent être sensibilisés pour repérer les tâches qui peuvent être déléguées à d’autres membres de l’équipe ou celles qui peuvent être mutualisées. Cette vision managériale permet aussi un partage équitable des responsabilités et encourage l’autonomie et le développement des compétences des membres de l’équipe.

La culture d’un réseau positif via le collectif cadre permet le partage de préoccupations et sources de conseils pratiques ou simplement de soutien émotionnel susceptible d’alléger la charge mentale.

La connaissance de soi et de ses limites participe aussi à équilibrer la charge mentale. À titre d’exemple, savoir dire non est essentiel pour le cadre, surtout si déjà il est surchargé, comme apprendre à bien délimiter les périmètres entre la vie personnelle et l’activité professionnelle, en favorisant des heures de travail raisonnables et en les respectant autant que possible afin de préserver cet équilibre.

Enfin, le développement des compétences via la formation continue est essentiel car le sentiment d’auto-efficacité personnel constitue aussi un levier pour l’amélioration de la confiance en soi et sa propre capacité à réaliser la tâche demandée.

La promotion de la santé, vecteur de l’écologie cognitive

Les modalités de régulations individuelles et systémiques sont nombreuses et le concept de wellbeing (bien-être) résume bien les différents leviers potentiels qui peuvent être activés.

Selon Carol Ryff(31), le modèle du bien-être psychologique concerne les dimensions fondamentales que constituent l’autonomie (entendue comme la capacité à penser par soi-même et à prendre des décisions autonomes) ; la maîtrise de l’environnement (la perception de sa propre capacité à influencer son environnement) ; la croissance personnelle (c’est-à-dire le désir de se développer et d’apprendre tout au long de la vie) ; les relations positives avec les autres (la construction de relations interpersonnelles positives) ; les buts dans la vie (le fait d’avoir des objectifs personnels, la quête de sens) ;  l’intégration de soi (l’acceptation des différentes facettes de sa personnalité).

Plus largement, la notion de wellbeing concerne le bien-être physique, émotionnel et mental d’un individu. Il inclut toutes les composantes de la vie mises en relation entre elles comme la qualité de vie au travail, la satisfaction, les relations sociales et l’ensemble des composantes de la santé (figure 3). En cela, ce concept rejoint celui de la santé (qui n’est pas seulement l’absence de maladie), dans une dimension biopsychosociale. Il met en interaction les trois piliers de la santé mentale que sont une alimentation équilibrée, la pratique d’une activité physique et un sommeil réparateur. Concernant l’activité physique, plusieurs études montrent que celle-ci aurait des effets protecteurs vis-à-vis des troubles neuropsychiatriques et des déficiences cognitives, en contribuant à retarder l’apparition de la maladie neurodégénérative. L’exercice physique pratiqué à des intensités modérées réduit les effets des facteurs de stress(32). Un article récent(33) souligne la contribution de l’alimentation au bonheur des personnes, mettant en évidence le lien entre l’alimentation, le microbiote et l’activation de certaines parties du cerveau impliquées dans les émotions(34). Dans cette revue de littérature portant sur 21 études, les auteurs montrent que la consommation de fruits et légumes et la prise régulière de petit-déjeuner permet l’accroissement du bonheur et de la satisfaction de vie. Dans cette même idée, l’exercice et l’activité physique sont associés à une meilleure qualité de vie et à de meilleurs résultats en matière de santé(35). En ce qui concerne le sommeil, il est prouvé qu’il existe des interactions directes entre le système circadien et la régulation de l’humeur, avec des effets sur la santé mentale mais aussi plus largement sur le métabolisme(36). Les contraintes que le temps social impose à l’horaire de sommeil peut être en décalage avec l’horaire déterminé par l’horloge circadienne. Ce décalage induit des perturbations du sommeil et de l’horloge circadienne qui altèrent généralement les performances cognitives (vigilance, attention, mémoire, fonctions exécutives supérieures telles que l’inhibition de la réponse et la prise de décision)(37). Le professeur Philip, spécialiste du sommeil et co-auteur de ces articles, plaide pour une régularité du sommeil sur la durée : un minimum de 7 heures par jour tous les jours, plutôt que des carences compensées par des périodes de sommeil plus longues.

Ainsi, l’alimentation, l’activité physique et le sommeil, dès lors qu’ils sont mis en défaut, contribuent à alourdir la charge mentale du cadre dans un cercle vicieux. Nous comprenons ici que les individus peuvent contrôler en partie leur charge mentale. Outre ces trois facteurs, d’autres activités permettent aussi de l’optimiser. Selon le neuroscientifique Davidson, le bien-être est une compétence (« Wellbeing is a skill »), impliquant également le contrôle de l’attention et des émotions via des fonctions exécutives d’inhibition(38). À ce titre, des données probantes montrent clairement les bienfaits de la pratique régulière de la méditation(39). Une méta-analyse montre l’amélioration des capacités attentionnelles, d’autres études montrent les effets bénéfiques sur le stress(40), la réduction de l’anxiété(41), et l’amélioration des fonctions cognitives(42). D’autres pratiques peuvent aussi être évoquées, avec un point commun : elles entraînent le contrôle de l’attention. Il s’agit d’exercices de respiration lente et contrôlée (cohérence cardiaque)(43), le Qi-Gong et le Tai-Chi, qui auraient des effets positifs sur le stress(44).

Conclusion

Dans un rapport récent(45), Santé publique France identifie, sur la base d’une analyse exhaustive de la littérature, des compétences socles ou psychosociales, et préconise de les développer précocement chez les enfants. Celles-ci comprennent des compétences cognitives (la conscience de soi et la maîtrise de soi), émotionnelles (la régulation du stress et des émotions), sociales (la communication, la résolution de situations complexes, la construction de relations constructives). Intégrées dans ce que nous appelons une écologie cognitive, nous postulons que ces compétences s’intègrent totalement au modèle du wellbeing. Du reste, les auteurs du rapport identifient clairement l’influence des fonctions exécutives. L’objectif de ces compétences est de redonner du « pouvoir d’agir » à l’individu. C’est exactement ce que propose ce modèle : modifier les éléments sur lesquels le cadre de santé à la main. C’est dans cette perspective que doivent aussi être développées ces compétences spécifiques dans les cursus de formation des cadres de santé, et plus largement dans l’ensemble des enseignements. Dans un monde de surabondance d’informations, il est essentiel de comprendre l’importance de ce plaidoyer pour une écologie cognitive et pour une écologie de l’attention, que le cadre doit aussi s’appliquer à lui-même.

La charge mentale et le travail du cadre de santé

La charge mentale importante des cadres de santé peut avoir un impact significatif sur leur travail quotidien dans un environnement hospitalier complexe et exigeant. Elle peut entraîner une fatigue mentale accrue, une diminution de la concentration, des erreurs de jugement, une baisse de la productivité et une détérioration de la qualité des soins.

L’activité managériale comprend une multitude de tâches parfois simultanées comme la planification et l’organisation des activités du service, la prise de décisions, la résolution de problèmes, la gestion du temps, la coordination des activités et des horaires, la prise en compte des besoins et des demandes des équipes, ainsi que la gestion du stress et des émotions.

Outre l’activité professionnelle, la charge mentale est aussi alimentée par les multiples rôles et responsabilités qui existent dans la vie personnelle, comme le statut de parents ou d’aidants familiaux, ou la poursuite d’études en parallèle de l’activité professionnelle.

Enfin, des facteurs exogènes tels que le stress, l’anxiété, le manque de sommeil et l’absence de soutien social peuvent exacerber la charge mentale, avoir des conséquences négatives sur la santé mentale et physique des cadres, et conduire à l’épuisement professionnel.

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